samedi 11 octobre 2025

LE THEOLOGIEN AFRICAIN SUR LA TRACE DE L'APÔTRE PAUL. POUR QUELS HÉRITAGES THÉOLOGIQUES? Jimi Zacka, PhD


Abstract

This analysis delves into the similarities between the theological mission of the Apostle Paul and the work of contemporary African theologians. It posits that engaging with Paul's teachings is not about imitation, but rather a crucial dialogue needed to shape a meaningful Christian faith for the African context. The study highlights three key insights offered by Paul's model. First, it offers a way to break free from modern constraints such as cultural imperialism and oppressive systems and to translate Christ's message into the languages and symbols of the peoples encountered. Second, Paul's approach of adapting the gospel to different cultures serves as a guide for authentically grounding Christianity in African worldviews, presenting Christ as the ultimate transformer of people and society. Third, his emphasis on reconciliation provides a model for resolving conflict and fostering national unity. Finally, Paul's endurance in the face of suffering and his conviction that strength is found in weakness promote a spirituality of resilience and hope. Ultimately, following in Paul's footsteps enables African theologians to carry out a prophetic mission: to spread a gospel that is actively embodied, liberating, and directly relevant to the realities of the African continent.

Keywords: African Theology, Apostle Paul, Inculturation, Liberation, Contextualization, Ubuntu, Postcolonialism, Resilience.

_____________________________    

Introduction

Le théologien africain fait face aujourd’hui à un triple phénomène crucial : la ruée sur les sectes et religions importées, une prolifération d'Églises de réveil à connotation ésotérique et de sectes plus ou moins syncrétistes[2]. Ces phénomènes indiquent une préoccupation inquiétante, causée en partie par la quête croissante de spiritualité alternative[3]. En d’autres termes, beaucoup d'Africains sont, il faut le dire, déçus aujourd’hui par le christianisme tel qu'il est vécu et qui leur paraît vide d’amour.     

           En effet, ils y trouvent une spiritualité qui devient un produit, le pasteur un entrepreneur, et le fidèle un client. Cette dérive trahit l’Évangile du Christ pauvre, solidaire et crucifié, et alimente une spiritualité individualiste et consumériste[4]. Se pose ensuite le défi socioéconomique qui suscite une problématique sociale : comment préserver l’humanité dans une société en proie à la lutte pour la survie. Nous vivons une Afrique intégrée au système mondial, mais maintenue dans la servitude économique. L’intégration actuelle repose souvent sur des schémas hérités de la colonisation : dépendance aux marchés extérieurs, valorisation des modèles occidentaux, mépris des savoirs locaux. C’est dans ce contexte où le théologien africain est appelé à penser l’intégration mondiale non comme une fatalité, mais comme un champ de combat et de créativité.  Enfin, les conceptions actuelles du matérialisme soulèvent d'importantes questions, affectant ainsi divers domaines tels que la spiritualité, la société, la pensée et l'environnement. Dans les milieux chrétiens, le matérialisme se traduit par une théologie de la prospérité, qui confond bénédiction divine et richesse matérielle. Les conséquences affaiblissent ainsi la radicalité de l’Évangile, qui appelle au salut, au partage, à la justice et à la communion. Le culte devient un spectacle émotionnel, centré sur la performance musicale, les miracles et les prophéties sensationnelles. Cette dérive affaiblit la mission prophétique de l’Église et la transforme en espace de divertissement religieux.

C’est face à tous ces défis précités relevant du matérialisme, de l’aliénation et de la crise éducative, que le théologien africain est interpellé et ne doit rester passif. Il est appelé à incarner une théologie vivante, ancrée dans les réalités du continent. Sa parole se doit d’être porteuse de transformation, sa réflexion un moyen de libération, sa présence un symbole d'unité. Il rappelle en effet que l'Esprit est libre. Dans une société divisée, il crée des liens. Dans une Église en quête de confort, il exhorte à la prophétie. Il ne parle pas simplement de Dieu : il dialogue avec Lui, pour le peuple, dans le contexte actuel.

En fin de compte, il est à souligner que la théologie africaine n'est pas un luxe intellectuel, mais une nécessité vitale. Elle est à la fois un lieu de réflexion et d'apaisement, de transmission et de perspectives, de foi et d'engagement. Elle ouvre la voie au Royaume, dès à présent[5].

Pour ce faire, dans le paysage théologique actuel, l'apôtre Paul devient une figure incontournable. Son parcours apostolique, sa vision de la grâce et sa manière de concilier foi et culture dans des contextes divers sont une source d'inspiration pour les théologiens africains. En effet, l'Afrique, tout comme les communautés gréco-romaines du Ier siècle, est influencée par de nombreuses forces religieuses, sociales et politiques. Dans ce contexte complexe, revisiter la pensée de Paul devient crucial : il s'agit de réinterpréter l'Évangile à la lumière de la réalité africaine, et non pas de la survoler[6].

C’est pourquoi, ma réflexion examine comment l’héritage de Paul peut être reçu aujourd’hui par les théologiens africains, notamment en ce qui concerne les héritages théologiques face aux différentes préoccupations évoquées. Pour le théologien africain d’aujourd’hui, confronté à la pluralité culturelle, religieuse et sociale du continent, la question se pose de savoir dans quelle mesure la démarche paulinienne peut inspirer la théologie africaine contemporaine. L’Afrique, riche de ses traditions, de ses sagesses, mais aussi marquée par les séquelles du colonialisme, de la pauvreté et de la mondialisation, est un espace de tension entre modernité et mémoire, foi chrétienne et héritages culturels. Dans un tel contexte, le retour à Paul devient plus qu’un simple exercice exégétique : il est une quête de fondement pour une théologie vivante, incarnée et transformatrice.

La problématique de cet article s’articule donc ainsi : en quoi la figure et la pensée de Paul peuvent-elles offrir au théologien africain un modèle de contextualisation et d’espérance pour repenser la foi chrétienne dans le contexte africain contemporain ?

L’hypothèse que nous soutenons est que le paradigme paulinien, fondé sur la rencontre entre fidélité à l’Évangile et ouverture culturelle, offre au théologien africain des perspectives renouvelées pour construire une théologie à la fois contextuelle, missionnaire et libératrice.

Méthodologiquement, cette étude adopte une approche herméneutique et comparative, mettant en dialogue l’apostolat de Paul avec les enjeux de la théologie africaine actuelle. Nous montrerons successivement : 1. Paul comme modèle d’inculturation et de contextualisation, 2. Paul comme théologien de libération et de transformation 3. Paul comme comme maître d’une spiritualité de la croix et de l’espérance, et 4. L’héritage de Paul comme modèle pour la théologie africaine.

En effet, je crois que, pour le théologien africain, suivre les pas de Paul ne consiste pas à copier aveuglément, mais à engager un dialogue constructif et novateur avec cet apôtre. En étudiant la pensée de Paul, on trouve à la fois un exemple à suivre et un reflet pour formuler une foi chrétienne adaptée aux enjeux propres au continent africain.

1.     Paul, le théologien de l’inculturation et de la contextualisation

         D’abord, je note que Paul a été un exemple d’adaptation et d’incarnation de l’Évangile dans différents contextes culturels. Au lieu d’imposer un modèle unique de foi chrétienne, il a préféré traduire le message du Christ dans les langues et les symboles des peuples qu’il a rencontrés. Sa méthode reposait sur une double fidélité : fidélité à l’Évangile et attention aux réalités culturelles locales. De la même manière, le théologien africain, en s’inspirant de l’approche de Paul, est encouragé à développer une théologie enracinée dans le contexte africain tout en respectant la vérité universelle de l’Évangile. Comme l’a observé John Mbiti : « Le christianisme doit s’adapter à la culture africaine dans sa manière de vivre et de penser, sinon il ne sera pas authentiquement chrétien sur ce continent[7]. » Ainsi, à l’image de Paul à Athènes, le théologien africain doit être attentif aux « autels culturels » de son peuple, rites, proverbes, symboles, valeurs communautaires, comme des points de rencontre potentiels entre l’Évangile et la sagesse africaine.

            Autrement dit, je dépeins Paul comme un expert en intégration culturelle. Par exemple, dans l'Aréopage d'Athènes (Actes 17), il ne rejette pas la culture grecque ; il l'utilise comme point de départ, allant jusqu'à citer leurs poètes pour annoncer le Dieu inconnu qu'ils adorent sans le connaître déjà[8]. Cette approche est un modèle pour l'Afrique, inspirant profondément les théologiens africains. Plutôt que de considérer les cultures africaines comme « païennes » ou « sauvages »   à rejeter, Paul y voit des « semences du Verbe », des intuitions de Dieu, une sagesse et une cosmologie qui peuvent préparer les cœurs à recevoir l'Évangile et les transformer.

 Dans cette perspective, Paul présente une christologie enracinée, présentant Jésus comme le cœur du mystère chrétien, avec une richesse théologique impressionnante.  Chez Paul, la figure de Jésus a acquis une transcendance prodigieuse : elle dépasse les frontières des petits villages de Palestine pour s’adresser à tous les hommes. Il est élevé au-dessus des Cieux, il semble attirer à lui toutes les destinées humaines. Le thème qui revient le plus souvent est fort mystérieux : bien qu’il soit au-dessus de l'univers, Jésus, par sa passion, sa mort et sa résurrection nous unit a lui, si intimement que sa figure semble comme se diffracter dans celle des chrétiens de tous les temps. Cependant, comme nous l’avons dit, Paul ne s’est pas contenté de transmettre la tradition sur Jésus. Sa vie fut un service de Celui à qui il se savait rattaché définitivement. « Paul, serviteur du Christ Jésus » : c’est ainsi qu’il se présente parfois dans ses lettres (Rm 1,1 ; Ph 1,1 ; Ti 1,1). C’est justement cet attachement, cette fidélité au Christ, qui l’amènent à approfondir le mystère de Jésus de Nazareth. Il pose sur le Christ le regard pénétrant de celui qui est saisi par l’amour ; il perçoit dans toute sa profondeur le sens de sa vie et de sa mort, que déjà les Évangiles avaient laissé entrevoir. Aussi Paul va-t-il plus loin que les Évangiles, mais non par souci d’innovation. Si l’on veut une comparaison, les Évangiles sont comme un écrin entrouvert que Paul ouvre grand et dont il tire les richesses et trésors. Son ecclésiologie de la famille de Dieu (Sewa ti Nzapa) fait écho à l'idée africaine de la communauté vitale, présentant l'Église comme la famille élargie de Dieu où la solidarité et l'interdépendance sont au centre (Eph 2.19 ; Gal.6.10 ; 1 Cor 12.26). Cette approche offre une foi chrétienne authentique et africaine, devenant une expression vivante et locale de la rencontre avec le Christ, au lieu d'une importation étrangère. Quant à la perspective de la réconciliation et de la résolution des conflits, Paul est loué en tant qu'artisan de paix. Ses épîtres adressées à des communautés divisées illustrent son travail constant pour la réconciliation entre différents groupes.

Il est évident que cette démarche est tout aussi pertinente pour l'Afrique, marquée par des divisions ethniques, des guerres civiles et des conflits politiques. En s'appuyant sur la doctrine paulinienne de la réconciliation avec Dieu et entre les hommes, les théologiens africains peuvent élaborer une théologie pratique de la paix, du pardon et de la justice restauratrice. Car, je persiste et signe, la vision de l'Église comme une nouvelle humanité, transcendant les divisions ethniques, offre un modèle puissant pour la construction d'États-nations cohérents et pacifiques[9].

2.    Paul, le théologien de la libération et de transformation

 

Ensuite, une question s’impose : qui était vraiment l'apôtre Paul ? Bien plus qu'un simple fondateur d'Églises, il fut un révolutionnaire de la foi, un architecte de la liberté spirituelle dont l'impact résonne puissamment dans l'Afrique contemporaine. Imaginez cet homme aux multiples identités : Paul le Juif formé dans une école très rigoureuse, Paul le citoyen romain connaissant les rouages du pouvoir, Paul le Grec maîtrisant la langue de la philosophie. Cette richesse d’identités fait de lui un véritable pont entre les cultures. Face à ceux qui voulaient imposer aux nouveaux chrétiens des traditions légalistes, Paul a pris position avec une conviction ardente : « C'est pour la liberté que Christ nous a affranchis. »(Gal.5 :1). Ces mots, tirés de sa lettre aux Galates, résonnent comme un appel à toutes les formes de libération à venir. Paul affirme que la mission du Christ est de libérer, non seulement du péché, mais aussi des systèmes religieux oppressifs, notamment la Loi mosaïque interprétée comme condition du salut. D’ailleurs, son histoire sur le chemin de Damas est vraiment inspirante (Acte 9.1-19). Nous voyons un homme qui était autrefois persécuteur devenir un apôtre, et un homme violent se transformer en doux pasteur. Ce changement radical nous rappelle une vérité profonde : la transformation personnelle est souvent le premier pas vers la transformation sociale[10]. Dit autrement, il y a une urgence d’élaborer une théologie de la communion qui valorise les identités ethniques sans les absolutiser. Cette initiative consiste à montrer que montrer que l’Église est une famille transéthnique, fondée sur le baptême et non sur le sang (Gal.6.28). Il est donc temps de repenser les structures ecclésiales pour favoriser la mixité, la rotation des responsabilités, et l’interculturalité. Car, le tribalisme se nourrit de l’ignorance, des stéréotypes et de la peur de l’autre. C’est pourquoi, le silence ecclésial face aux discriminations internes affaiblit la crédibilité de l’Église. La responsabilité revient ainsi aux théologiens à dénoncer publiquement les pratiques tribalistes, les exclusions et les injustices dans leurs communautés. De leur rôle de théologiens, ils doivent amener L’Église africaine à ne pas être le miroir des divisions sociales : elle doit être leur antidote. Cela exige une ecclésiologie de la communion, fondée sur la Trinité, incarnée dans les réalités africaines. Le théologien africain, en lien avec les pasteurs et les communautés, a un rôle crucial à jouer pour penser, enseigner et incarner cette vision.

 Par ailleurs, dans les sociétés africaines, où la conversion peut signifier un éloignement douloureux de sa propre culture, l'exemple de Paul offre une alternative. Il ne renie pas son identité juive, mais la réinterprète à la lumière de sa foi en Christ. De la même manière, un chrétien africain n'a pas à choisir entre sa culture et sa foi, mais peut les faire converger et les enrichir mutuellement. Comme Paul, le théologien africain reçoit un message (l'Évangile) qui lui est parvenu, enveloppé dans une culture étrangère (l'Occident). Sa tâche est de faire la même chose que Paul : détacher le message essentiel de sa langue culturelle d'origine pour l'incarner dans une nouvelle culture (africaine)[11].

En faisant cela, le théologien africain s'inspire de Paul, non pas pour le copier comme je l’ai déjà souligné, mais pour entamer un dialogue critique et créatif avec lui. C’est pourquoi, dans une démarche prospective, il apparaît important que le théologien africain se pose la question suivante : « Si Paul devait annoncer l'Évangile non pas à Athènes ou à Corinthe, mais à Bangui, Kinshasa, Kigali, Ouagadougou ou Johannesburg, comment le ferait-il ? Que dirait-il face à ces défis spécifiques auxquels fait face mon peuple ? » En suivant cette démarche, le théologien africain ne cherche pas à africaniser Paul ; il utilise Paul comme un exemple pour faire ce que Paul lui-même a fait : incarner l'Évangile de manière prophétique, libératrice et adaptée à son époque et à son lieu. En suivant ses pas, il trouve la liberté de ne pas le copier simplement, mais d'être son successeur dans l'art de rendre la foi vivante et concrète.

Car, retracer le parcours de Paul, c'est découvrir un modèle inspirant pour quiconque cherche à concilier héritage culturel et foi nouvelle. La mission de Paul était centrée sur la libération et la transformation, et non sur la colonisation. Il prêchait un Christ qui brisait les barrières entre les Juifs et les Grecs, les esclaves et les libres, les hommes et les femmes (Ga 3,28). Dans le contexte africain, cette vision est particulièrement pertinente face aux défis de l’injustice, du tribalisme, de la pauvreté et de la corruption. Ainsi, suivre l'exemple de Paul signifie promouvoir une théologie d’évangélisation axée sur la transformation :  Une évangélisation qui libère les esprits de toute forme de domination religieuse ou politique. Une évangélisation qui réaffirme la dignité humaine face aux conséquences de l'histoire coloniale. Une évangélisation qui incarne l'espoir d'un monde réconcilié, à l'image du Christ crucifié et ressuscité.

Des théologiens africains tels qu’Engelbert Mveng ou Kä Mana ont mis en avant l'importance du lien entre la foi et la libération. Selon eux, la théologie africaine devrait être « existentielle et subversive », au service d'un peuple en quête de sens et de justice.

3.Paul, le théologien de la croix et de la force dans la faiblesse

Enfin, Paul n'a pas prêché un message basé sur la prospérité et la facilité comme il est prêché de nos jours dans certaines églises africaines[12]. Malgré les naufrages, la prison, les coups et l'opposition, il a persévéré grâce à sa conviction que la puissance de Dieu se manifeste dans la faiblesse (2 Corinthiens 12:9). Autrement dit, la vie de Paul a été marquée par une espérance inébranlable. Dans ses lettres, la croix n'est pas simplement un symbole de douleur, mais aussi un mystère de puissance dans la faiblesse (2 Co 12,9). Dans un continent où la souffrance est fréquente, guerres, maladies, pauvreté, cette théologie de la croix devient une clé pour comprendre la vie. Elle encourage le théologien africain à réfléchir sur la foi au milieu des larmes, à prêcher une espérance qui est fondée non pas sur la prospérité, mais sur la résurrection. Comme l'a écrit Kä Mana : « Croire en Afrique, c'est avoir de l'espoir malgré tout ; c'est refuser que la mort soit le dernier mot de l'histoire[13]. ».

Il y a un autre point à souligner. Les souffrances de Paul constituent un antidote à la théologie de la prospérité (2 Cor 7.4). En d’autres termes, la souffrance n’est pas un échec spirituel, mais une participation au mystère du Christ crucifié. Elle contredit frontalement l’idée que la foi garantit richesse, santé et succès. Paul développe ainsi une théologie paradoxale : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. »(2 Cor. 12:9). C’est donc dans la faiblesse que la puissance divine se manifeste.  La théologie de la prospérité glorifie la force humaine, la réussite visible. Paul, lui, valorise la dépendance à Dieu, la vulnérabilité offerte, la puissance cachée dans la croix.  Sa théologie met en avant la croix comme étant au cœur du salut. Il affirme que la puissance de Dieu se révèle dans la faiblesse (2 Cor12:9). Il refuse de vivre aux dépens des communautés. Il travaille de ses mains (Act 18:3 ; 1 Thess.2:9) et prône une économie de sobriété. Si la théologie de la prospérité encourage l’accumulation et la démonstration de richesse, Paul, lui, incarne une économie du nécessaire, du partage et du contentement.

En effet, le chrétien doit interpréter la souffrance différemment, au lieu d'y voir un châtiment de Dieu. La souffrance peut être vue comme une manière de partager les souffrances du Christ, apportant ainsi la vie aux autres. C’est une spiritualité de la résilience issue d’une théologie qui nourrit la foi en lui permettant de traverser les épreuves sans perdre espoir, en se basant sur la promesse de la résurrection.

Cette spiritualité enracinée et forte, offre des ressources pour affronter les réalités difficiles de la vie sans perdre la foi ni l'espérance. C’est en suivant les pas de Paul que le théologien africain trouve ainsi un enseignement rigide. Car, les leçons tirées de la vie de Paul sont prophétiques, libératrices et créatives.

 Au XXIe siècle, suivre l'exemple de Paul en incarnant l'Évangile de manière à toucher les cœurs, peut amener le chrétien africain à éviter à se focaliser sur le matérialisme.

4. L’héritage de Paul comme modèle pour la théologie africaine

 

Je réaffirme, à cet effet, que redécouvrir Paul comme modèle, ce n'est pas imiter un apôtre du passé. C'est s’accompagner sur le chemin de la foi des idées pauliniennes, pour puiser dans son expérience la confiance et l'audace nécessaires afin d'incarner l'Évangile dans les Églises africaines avec une créativité et une espérance renouvelée.  L’apôtre Paul n’est qu’une source d'inspiration et un serviteur de Dieu dont l’écho du ministère semble éloquent. Il y a lieu ici d’incarner la figure de ce dernier qui a su traduire la foi dans les langues et les imaginaires de son temps. Son combat pour la liberté contre toute forme d'aliénation religieuse ou culturelle trouve un écho puissant dans le désir d'émancipation des Églises africaines. Surtout, sa vision d'une communauté unie dans le Christ, comme un seul corps, rejoint les principes de liens de solidarité dans les sociétés africaines [14] et nourrit un idéal de la famille de Dieu. Enfin, son témoignage de résilience, lui qui a su trouver de la force dans la faiblesse, parle directement aux cœurs qui affrontent l'épreuve et résistent aux appétits matériels de ce siècle.

De même, pour apprendre à être résilient, dans la culture africaine, les proverbes, récits et contes transmettent des leçons de prudence, de discernement et de résistance aux séductions extérieures. Les anciens jouent le rôle de gardiens de l’identité, rappelant les fondements de la dignité et de la solidarité. Cette interconnexion crée un filet de sécurité morale et spirituelle, qui permet de résister aux pressions individualistes ou aux modèles étrangers décontextualisés. À ce titre, le théologien africain peut s’inspirer de cette culture pour proposer une théologie de la résistance créative. Car, il y a un devoir pour le théologien africain, c’est celui de valoriser ses ressources culturelles non comme folklore, mais comme épistémologies de résistance et de transformation. Il doit articuler une théologie de la résilience, capable de penser la foi dans les tensions contemporaines, de relier les traditions africaines aux exigences de l’Évangile, et de former des consciences critiques, enracinées et ouvertes.

Cette théologie ne sera pas seulement défensive : elle sera créative, prophétique, communautaire. Elle contribuera à forger des modèles de formation, de gouvernance et de spiritualité capables de répondre aux défis du XXIe siècle avec audace et fidélité.

Conclusion

In fine, Paul n'est pas une statue de musée, mais un compagnon de route. Sa vie nous invite non pas à le copier, mais à imiter son audace créative. Comme lui, nous sommes appelés à être des artisans de libération, des bâtisseurs de ponts, des témoins d'une transformation honorant à la fois notre humanité et notre foi. Sa voix, venue du premier siècle, murmure encore cette vérité libératrice : là où est l'Esprit, là est la liberté. Un message dont l'Eglise africaine a tant besoin, et qu'elle est si bien placée pour incarner aujourd'hui.

C’est dans cette perspective que le théologien africain pourrait s’offrir une double vocation : celle de penser la foi afin de transformer les mentalités et les comportement sur le plan éthique et moral, au-delà des discours et des toges académiques. Son approche n'est pas une simple imitation de Paul, mais plutôt une création authentique, une théologie africaine concrète qui évangélise, réconcilie et édifie la foi.

En d’autres termes, ce n'est pas juste un exercice théorique, mais c’est une nouvelle approche inspirée de Paul qui devient un moyen d'incarner l'Évangile en Afrique : là où la foi s'unit à la culture, et où la Parole de Dieu se fait chair au sein des Églises.

 

                                                                              Jimi ZACKA, PhD

 

 Bibliographie

Barron J., “L’évangile de la prospérité dans le christianisme africain” , publié dans Théologie Chrétienne Africaine, Vol. 2 No 1 (2025)

Bediako, K., Christianity in Africa: The Renewal of a Non-Western Religion, Orbis Books, 1995

Bongmba, Elias K., The Dialectics of Transformation in Africa, New York: Palgrave Macmillan, 2006.

Kä Mana, Théologie africaine pour temps de crise, Yaoundé, Clé, 1993.

Kiboko, J.K., Paul's Theology of Freedom in the African Context, New York, Peter Lang, 2018.

Lamin S., Translating the Message: The Missionary Impact on Culture, Orbis Books, 1989.

Mbiti, J., African Religions and Philosophy, Heinemann, 1969.

 Mugambi, J.N.K, « African Christian Theology:  Past, Present, and Future » in  Théologie Chretienne Africaine: Vol. 1 No 1 (2024.

 Mveng, E., La théologie africaine de la libération, Paris, L’Harmattan, 1980.

Wright, N.T., Paul and the Faithfulness of God, Minneapolis, Fortress Press, 2013.

Zacka, J., Possessions démoniaques et Exorcismes dans les Églises Pentecôtistes d’Afrique Centrale, Yaoundé : CLE, 2010 .

_________________________________________________________________________ 

[1] Cet article est extrait d’un exposé que j’ai présenté sur le christianisme africain qui connaît aujourd’hui un dynamisme remarquable, tant dans sa croissance numérique que dans la vitalité de sa pensée. Mais cette vitalité pose une question cruciale : quels sont les repères théologiques pour penser la foi africaine dans un monde en mutation ? C’est dans ce contexte que j’ai trouvé mieux de relire l’expérience et la pensée de l’apôtre Paul. Missionnaire par excellence, enraciné dans une double culture, juive et grecque, Paul incarne le passage d’un message local à une foi universelle. Pour moi, il représente le modèle d’un théologien contextualisé, capable d’articuler l’Évangile dans la pluralité des cultures.[2] Lire à cet effet, Jimi Zacka, Possessions démoniaques et Exorcismes dans les Églises Pentecôtistes d’Afrique Centrale, Yaoundé : CLE, 2010 . 
[3]Ibid
[4] Ibid
[5] Cf. Sanneh, Lamin. Translating the Message: The Missionary Impact on Culture. 2 éd. Maryknoll, NY: Orbis Books, 2009
[6] Lire à cet effet Kwame Bediako,  Theology and Identity , Regnum, 1992. Bediako met en parallèle les défis identitaires des premiers chrétiens et ceux des Africains modernes. Il défend une théologie enracinée dans les langues et les imaginaires africains.
 [7] Lire  Mbiti, J., African Religions and Philosophy, Heinemann, 1969.
[8] Cf. Wright, N.T., Paul and the Faithfulness of God, Minneapolis, Fortress Press, 2013.
 [9] Cf.  Ela J.M, Ma foi d’Africain, Paris : Karthala, 1985. Ela articule une foi incarnée dans les luttes populaires, la pauvreté et la résistance. Il critique la théologie déconnectée du peuple
 [10] Lire Kiboko, J.K., Paul's Theology of Freedom in the African Context, New York, Peter Lang, 2018.
  [11] Bongmba, Elias K., The Dialectics of Transformation in Africa, New York: Palgrave Macmillan, 2006. Cet ouvrage explore les tensions entre foi chrétienne et transformation sociale.
  [12] Barron J., “L’évangile de la prospérité dans le christianisme africain” , publié dans Théologie Chrétienne Africaine, Vol. 2 No 1 (2025) ; Jesse N. K. Mugambi, « African Christian Theology:  Past, Present, and Future » in  Théologie Chrétienne Africaine: Vol. 1 No 1 (2024[13] MANA, La théologie africaine face à la modernité, Éditions CLE, 1993. [14] Il est notoirement reconnu que l’individu africain est toujours situé dans un réseau de relations : famille élargie, clan, village, Église. Cette interconnexion crée un espace de régulation morale et spirituelle, qui permet de résister aux tentations individualistes ou aux modèles étrangers décontextualisés. La communauté devient un laboratoire de discernement, de correction, de soutien