vendredi 21 mars 2025

VIVRE AVEC QUELLE ESPÉRANCE CHRÉTIENNE AUJOURD'HUI EN AFRIQUE ?


 RÉSUMÉ 

Il est à préciser que l’eschatologie chrétienne, centrée sur la fin des temps, la résurrection, le jugement dernier et l’avènement du Royaume de Dieu, prend des dimensions uniques en Afrique. Influencée par les traditions spirituelles africaines, les défis socio-politiques, et la diversité confessionnelle, cette eschatologie se traduit souvent par une foi singulière qui allie espérance céleste et attitude de fatalisme et de passivité. C’est pourquoi, en Afrique, toutes les épreuves majeures de l’existence, quelle que soit leur nature, renvoient à une situation de détresse originelle. D’où des questions qui s’imposent :  Comment les chrétiens africains peuvent-ils vivre leur foi face à l'attente eschatologique ? Avec quelle espérance et quel discernement spirituel doivent-ils aborder les "derniers temps" ? Dans ce cas, quel Évangile faut-il reconnaître et lier à l'eschatologie pour qu'elle soit éloquente dans une parole propre et opératoire ?

L’ESCHATOLOGIE[1] COMME DÉFI ACTUEL DU CHRISTIANISME AFRICAIN : VIVRE AVEC QUELLE ESPÉRANCE CHRETIENNE AUJOURD’HUI ? Jimi ZACKA, PhD


Introduction

Il convient de préciser que l’eschatologie chrétienne, centrée sur la fin des temps, la résurrection, le jugement dernier et l’avènement du Royaume de Dieu, prend des dimensions uniques en Afrique[2]. Influencée par les traditions spirituelles africaines, les défis socio-politiques, et la diversité confessionnelle, cette eschatologie se traduit souvent par une foi singulière qui allie espérance céleste et attitude de fatalisme et de passivité[3].

C’est pourquoi, en Afrique, toutes les épreuves majeures de l’existence, quelle que soit leur nature, renvoient à une situation de détresse originelle[4]. Confronté à elles, l’africain redevient le petit enfant sans défense qu’il a été un jour, ou le bébé dépendant totalement, pour subsister, du bon vouloir de l’autre, la mère, la nourrice. Face à l’épreuve, une même interrogation surgit, pas toujours consciente : « qu’est-ce que je pourrais encore faire ? Ma vie n’a plus de sens ». Ainsi, soit les émotions sont exacerbées, soit l’homme africain est en état de sidération. « Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar, ce n’est pas vrai ». Pourtant, la pensée africaine traditionnelle privilégie la résilience selon laquelle chaque épreuve de la vie est un passage dont on sort toujours avec une nouvelle maturité.

En effet, les croyances africaines ont mis en place deux grandes stratégies de survie face aux épreuves : le combat et la fuite[5]. Ces deux grandes stratégies soulèvent des interrogations existentielles : que faire pour venir à bout des problèmes ? Les analyser ou les nier ? Accuser les autres, le destin ou Dieu ? Demander de l’aide ou s’enfermer sur soi-même ? Ces questions déterminent la nature de la foi chrétienne que possède l’homme africain.

    Il est évident que l’on ne peut contrôler les événements ni empêcher les drames de se produire. Cependant, nous pouvons chercher à voir les choses de façon frontale, mais cela n’est pas simple. Il requiert un exercice rigoureux de réflexion et d’approfondissement et nécessite de ne pas se laisser aller à la dérive malgré l’âpreté des crises de ces derniers temps dans les pays africains. D’où des questions qui s’imposent :  Comment les chrétiens africains peuvent-ils vivre leur foi face à l'attente eschatologique ? Avec quelle espérance et quel discernement spirituel doivent-ils aborder les "derniers temps" ? Dans ce cas, quel Évangile faut-il reconnaître et lier à l'eschatologie pour qu'elle soit éloquente dans une parole propre et opératoire ?

Ces questions constituent l’une des étapes de la recherche sur la notion eschatologique dans le christianisme africain[6]. Énoncée en termes interrogatifs, l’idée maîtresse a le but de redéfinir l’eschatologie pour montrer que l'attente eschatologique est une véritable espérance pour une réalité promise mais non encore donnée. En même temps, l'eschatologie devient comme une dimension constitutive de l'actualité chrétienne historique, traversant celle-ci du début à la fin et lui donnant ses contours spécifiques. L’eschatologie, comme conçue, ne relègue pas l’espérance à une réalité future détachée du présent. Elle pousse le croyant à s’engager dans le monde d’aujourd’hui comme un acteur du projet créationnel de Dieu. Nous ne sommes pas de simples spectateurs, mais des collaborateurs du Royaume en construction. L’Église, en tant que corps du Christ, devient le laboratoire vivant de la nouvelle création, manifestant dès aujourd’hui les prémices du monde réconcilié et restauré.

Ainsi, vivre l’eschatologie, c’est déjà entrer dans la danse du renouvellement divin — non pas en attendant passivement la fin, mais en œuvrant activement à l’avènement du Royaume, ici et maintenant. Il convient ainsi de rappeler que par approche théologique traditionnelle, même si la mission de l’Église est de tout temps fondée sur l’ordre du Christ après sa résurrection, à ses apôtres : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit… », les buts assignés à cette aventure missionnaire ont laissé des traces eschatologiques dans les églises africaines.   C’est cette préoccupation qui a permis le développement du discours eschatologique : la théologie du salut des âmes[7].

L’impact de l’eschatologie missionnaire à travers la théologie du salut des âmes.

L’eschatologie missionnaire a mis l’accent sur la théologie dite du salut des âmes. Cette théologie a particulièrement influencé l’activité missionnaire de l’Eglise dès les premiers contacts de l’Europe avec l’Afrique noire principalement aux XIX et XX siècles. Elle a surtout mis en exergue l’évangélisation sur la nécessité de porter la lumière de l’Évangile à tous les peuples « barbares » qui ne connaissent pas la Parole de Dieu, et qui sont en proie à toutes les séductions du prince de ce monde. Il s’agit de faire connaître à ces derniers le dessein de salut de Dieu, de les sauver de la perdition. De ce fait, le salut de l’homme est en fait le salut de son âme (désincarnée ?), traduisant la dimension intérieure et spirituelle de celui-ci. Sauver les âmes de la perdition, et souvent sur fond de guerre contre tous les ennemis du Christ reste en définitive le leitmotiv de cette théologie, la volonté de Dieu étant que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. En fait, la théologie du salut des âmes apparaît ainsi dans sa définition et même dans son expression concrète, comme la manifestation d’une volonté d’apporter la lumière à ceux qui n’en ont pas encore connaissance. C’est en ce sens qu’elle a alimenté, de bonne foi peut-être, une sorte de croisade contre les peuples dit païens d’Afrique noire[8].

Il est également à noter que l’Afrique est dépositaire des imaginaires eschatologiques très variés qui ne sont pas prêts à être enfermés.  Toutefois, l’arrivée des missionnaires en Afrique, a profondément influencé les conceptions eschatologiques locales, c’est-à-dire les croyances relatives à la fin des temps, au jugement dernier et à l’au-delà. Cet apport s’est inscrit dans un contexte plus large d’évangélisation, d’éducation et de colonisation, avec des impacts à la fois positifs et contestés. Les missionnaires ont introduit une vision linéaire du temps et de l’histoire, centrée sur l’idée d’un jugement final, du salut par le Christ, et d’une destinée éternelle (paradis/enfer). Cette perspective contrastait avec les cosmogonies africaines traditionnelles, souvent cycliques ou ancrées dans une relation harmonieuse entre les vivants, les ancêtres et le cosmos[9]. L’eschatologie chrétienne, en insistant sur l’urgence de la conversion, a redéfini les priorités spirituelles et morales de nombreuses communautés. C’est dire que l’eschatologie missionnaire dite le « salut des âmes », il faut le souligner, a parfois servi à légitimer la domination coloniale, en présentant l’évangélisation comme une "mission divine" pour sauver les âmes avant la fin des temps. Certains missionnaires associaient la "civilisation" européenne au progrès spirituel, renforçant une hiérarchie entre cultures "sauvées" et "païennes".

Par conséquent, il en résulte que les croyances ancestrales en un monde spirituel interconnecté et le rôle des ancêtres (ex. : vénération, médiation) dialoguent avec l’eschatologie du christianisme[10]. En d’autres termes, les religions traditionnelles exercent une influence considérable sur l’homme africain et affectent sa vie sur le plan social, psychologique, ainsi que sur le plan eschatologique. Plus particulièrement, les interprétations des « derniers temps » ne cessent de tourmenter l’homme africain ; les diverses croyances conçues au cours des âges proposent, à cet égard, des moyens d’échapper sinon à l’angoisse, du moins à l’inquiétude relative à l’au-delà du mourir. Ceci pouvait d’ailleurs aller jusqu’au rejet des siens. C’est ce qu’Eloi Messi Métogo résume en des termes clairs :

Pour devenir chrétien, lhomme africain a dû abandonner son mode de vie traditionnel, ses solidarités claniques, tribales et familiales, son échelle de valeurs, ses rites et ses symboles. Tout cela a été ridiculisé, ravalé au rang de superstitions grossières et de pratiques diaboliques, ou soumis l’autodafé par le missionnaire. Le nouveau converti nest de nulle part ; lEglise est sa nouvelle terre et sa nouvelle société. Il apprend une nouvelle géographie où apparaissent des noms de localités prestigieuses : Rome, Jérusalem, etc..[11]

 

Ainsi donc, l’Africain chrétien est devenu peu à peu une sorte d’aliéné au sens religieux, culturel et politique. Il vit désormais sans ses repères traditionnels qu’il a rejetés.  Il ne connaît plus ou presque plus la communauté dont il est issu. Dans le concret, il n’incarne alors plus rien ou refuse de continuer à incarner ce qui relève de son héritage dans la mesure où il est chrétien ; et personne ne saurait lui dire, si oui ou non, ces deux notions qui continuent tout de même de l’identifier (africain et chrétien) au sein de l’Église à laquelle il appartient, sont conciliables. L’Eglise a prolongé une certaine pratique missionnaire quoique pouvant être quelque peu nuancée. Cette pratique a continué de se déployer contre l’univers socio-culturel de l’Africain. Ainsi, tout en enseignant à l’homme noir l’amour de Dieu et du prochain conformément à l’Évangile dont elle est dépositaire, elle n’a eu de cesse de lui faire découvrir et entrer dans un autre mode de vie qui met l’accent sur l’eschatologie avec une approche déterministe, abordée sous un angle alarmiste, avec une focalisation sur les catastrophes et les persécutions. En effet, le chrétien africain est censé vivre actuellement la fin du monde, dans l’attente du retour de Jésus qui inaugurera le glorieux règne final (Ap 7.16-17 et une période de mille ans où Satan sera lié (Ap20.1-5) ; à ses yeux, son existence ne peut être modifiée : ce qui est fait. Selon cette lecture eschatologique, Dieu a déjà écrit l’histoire : quoiqu’il arrive, son plan est sûr, on ne peut que lui faire confiance. De cette manière de concevoir l’eschatologie du christianisme africain, les épreuves subies se renvoient au jugement dernier. Car, l’intégralité de notre vécu est enregistrée et conservée de manière infaillible dans l’attente de son jugement. Cela se trouve illustré dans la vision de l’Ap.20 sous la figure du « livre de vie », la porte du salut est ouverte en permanence pour tous ceux qui prennent conscience de leur mauvaise conduite et changent de comportement. Le chrétien africain se sent à l’aise dans cette grille de lecture eschatologique : pour lui, le « Livre de vie » où se trouve noté tout ce qui lui est arrivé, renvoie à l’idée que Dieu lui fera justice, le consolera et reconnaîtra. C’est pourquoi, dans une situation victimes/coupables, abusés/abuseurs, l’homme africain s’oblige à se remettre entre les mains de Dieu en disant par exemple : « Ça ne fait rien. Dieu existe ! ». Cette formule évoque l’imprécation. Relativement à la religion traditionnelle, cette eschatologie se lit souvent sous le prisme de la croyance à la survie et la récompense attribuée après la mort : la croyance en un au-delà pour les bons et un au-delà pour les méchants[12]. En effet, l’eschatologie ainsi souvent interprétée selon l’idée que notre conduite sur terre détermine notre destin après la mort, que cela soit une punition ou une récompense[13].

À titre d’exemple, dans les prêches pentecôtistes en Afrique centrale, on évoque souvent l’Apocalypse comme un moment où Dieu détruira définitivement les puissances maléfiques qui tourmentent le peuple (maladies, sorcellerie, injustices). Face à ces discours alarmistes annonçant une fin imminente du monde, de nombreux chrétiens africains oscillent aujourd’hui entre la peur et l’espérance[14]. Certains adoptent une posture fataliste, croyant que la dégradation du monde est inévitable[15]. D'autres, au contraire, voient l'attente eschatologique comme un appel à vivre une foi engagée, marquée par la justice sociale, l'évangélisation et la préparation spirituelle[16]. De plus, les récits apocalyptiques présents dans les communautés africaines chrétiennes sont parfois interprétés à travers le prisme de l’expérience historique : colonisation, guerres, pandémies de VIH ou covid19 et injustices économiques. Ces événements sont souvent perçus comme des signes avant-coureurs de la fin des temps[17].

Au regard de tout ce qui précède, on constate que l’eschatologie élaborée par le christianisme africain est souvent comprise dans une attitude de fatalisme et de passivité[18]. Le chrétien africain est censé vivre la fin du monde, dans l’attente du retour de Jésus qui inaugurera le glorieux règne final (Ap 7.16-17). C’est dire que l’apport du christianisme a fait que le chrétien africain est destiné à attendre l'avenir de vie promis par Dieu parce que cette promesse a déjà été accomplie en Jésus. 

 En conséquence, nous voulons apostropher le chrétien africain à ne plus être dans une posture fataliste. La foi chrétienne se doit d’apporter une vitalité dans la communauté :  renforcer les liens sociaux, de partager les ressources et de lutter pour le bien commun. En effet, l’engagement contre la corruption, l’exploitation des ressources, et le changement climatique devient un acte eschatologique, reflétant l’attente d’une « nouvelle terre » (Ap 21 :1).

la participation active du chrétien africain au projet créationnel de Dieu dès aujourd’hui

L’eschatologie est souvent perçue, nous l’avons déjà noté ci-haut, comme une réalité lointaine, réservée à la fin des temps. Pourtant, une lecture attentive des Écritures révèle une dimension participative et actuelle de cette espérance. Loin de nous enfermer dans une attente passive, l’espérance eschatologique nous invite à collaborer dès maintenant au projet créationnel de Dieu. Cette approche ouvre une réflexion théologique et pratique sur notre rôle dans le monde en tant que chrétiens[19]. Pour le chrétien africain, cette vision de la fin ne doit pas être une fuite du monde, mais une invitation à collaborer avec Dieu dans Son œuvre de restauration de la création[20]. L’espérance eschatologique doit s’inspirer et motiver une participation active au projet créationnel divin[21]. La Bible présente une tension entre le « déjà là » et le « pas encore » du Royaume de Dieu. Certes, le Royaume de Dieu n’est pas le Paradis sur terre, mais Le Royaume de Dieu est déjà présent dès aujourd’hui, mais il est aussi à venir, à espérer et à construire. La paix reste à « faire ». Certains disent : « Le déjà là du pas encore » ; à cette formule, on pourrait préférer celle de la Bible elle-même : « Dès maintenant et à jamais » (Ps 113,2 ; 115,18 ; 125,2 ; etc.). Jésus lui-même proclame : « Le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17:21), tout en enseignant à prier : « Que ton règne vienne » (Mt 6:10).

Paul, de son côté, parle des croyants comme des « collaborateurs de Dieu » (1 Co 3:9), soulignant que nous sommes appelés à participer activement à l’édification du Royaume. Cette dynamique trouve son apogée dans l’idée que nous sommes « une nouvelle création » (2 Co 5:17), marquant un commencement déjà effectif du renouvellement cosmique. L’Apocalypse décrit une nouvelle création : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21:5). Loin d’être un anéantissement, la fin des temps annonce une restauration complète. Paul renforce cette perspective en écrivant : « Car la création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » (Rm 8:19). L’espérance chrétienne devient donc un moteur d’action, appelant les croyants à manifester dès maintenant cette nouvelle réalité. En effet, l’eschatologie ne signifie pas abandonner le monde actuel, mais participer à sa transformation.

En d’autres termes, la théologie de la reconstruction[22] en a fait un point culminant.  Il s’agit de permettre à l’homme africain de revaloriser et reconstruire sa dignité et celle des autres, à partir de la Parole de Dieu, et aussi de ses valeurs culturelles[23]. Dit autrement, Jésus, par sa résurrection, inaugure une nouvelle humanité. Les chrétiens sont appelés à suivre son exemple : « Nous sommes ouvriers avec Dieu » (1 Co 3:9). Cette participation ne concerne pas seulement la prière et la prédication, mais aussi les actes concrets d’amour, de justice et de réconciliation.

Car, la présence du chrétien africain dans ce monde a pour sens de maintenir du mieux possible la vie telle que Dieu la veut. La Genèse introduit Dieu comme Créateur, mais l’histoire biblique montre une création en devenir, en attente de son accomplissement ultime. C’est pourquoi, l’Apôtre Paul exprime cette attente dans Ro 8:19-22, où la création soupire en vue de la révélation des fils de Dieu. Mais il faut aller plus loin et reconnaître que le sens premier des actes chrétiens est de participer tout simplement au projet créationnel de Dieu. Dit autrement, Dieu n’a pas cessé de créer. Le Christ ressuscité inaugure une nouvelle ère, et par le Saint-Esprit, les croyants deviennent co-ouvriers de cette création renouvelée. Nos actes de justice, de miséricorde et d’amour ne sont pas de simples gestes éthiques, mais des contributions concrètes au projet de Dieu. Cette approche ouvre une réflexion théologique et pratique sur notre rôle dans le monde en tant que croyants sur quelques registres :

a.      Responsabilité éthique et missionnelle dès aujourd’hui

Si le monde ancien est appelé à disparaître (2 Pi 3:10-13), cela ne signifie pas que nos efforts présents sont vains. Au contraire, ils préfigurent et annoncent la réalité nouvelle à venir. La justice sociale, la protection de la création[24], le combat contre les inégalités prennent alors une dimension eschatologique : ils manifestent aujourd’hui les valeurs du Royaume futur. L’Église devient ainsi un signe visible du Royaume, une anticipation de la cité nouvelle (Ap 21:2)[25]. En fait, restaurer l’homme dans ses capacités créationnelles, c’est le rendre pleinement capable de participer à l’aventure historique à laquelle Dieu le destine, c’est l’équiper pour innover, pour découvrir, pour aller de l’avant. Nous ne sommes donc pas appelés à changer la création de Dieu, ceci est clair, nous sommes appelés à l’habiter d’une manière nouvelle. La loi de Dieu est inscrite dans nos cœurs, voilà la nouveauté (Jr 31.33 ; Hb8.10). Aussi, guidés par l’Esprit, nous pouvons nous insérer dans ce monde de la création munis de ce lien parfait qu’est l’amour (Col 3.14). Habiter le monde que Dieu nous a donné avec l’amour qui nous porte, est une responsabilité à la fois éthique et missionnelle inhérente à la vie spirituelle eschatologique[26].

b.      Vie spirituelle eschatologique

La vie de prière et la communion fraternelle prennent une profondeur nouvelle lorsqu’on les perçoit comme des fragments du monde à venir. L’Esprit Saint, donné comme « arrhes » (2 Co 1 :22), agit en nous comme une puissance de transformation, nous poussant à incarner la réalité du Royaume. Chaque action de foi devient une semence du futur royaume. Chaque pardon offert, chaque geste de charité, chaque parole de vérité devient une lumière prophétique du monde à venir. L’eschatologie participative ne relègue pas l’espérance à une réalité future détachée du présent. Elle pousse le croyant à s’engager dans le monde d’aujourd’hui comme un acteur du projet créationnel de Dieu. Nous ne sommes pas de simples spectateurs, mais des collaborateurs du Royaume en construction. L’Église, en tant que corps du Christ, devient le laboratoire vivant de la nouvelle création, manifestant dès aujourd’hui les prémices du monde réconcilié et restauré.

Ainsi, vivre l’espérance eschatologique, c’est déjà entrer dans la danse du renouvellement divin, non pas en attendant passivement la fin, mais en œuvrant activement à l’avènement du Royaume, ici et maintenant. Pour ce faire, il nous faut donc, à la fois, critiquer le monde en tant que révolté et déchu, et reconnaître sa nécessité et son utilité en tant que toujours utilisé par Dieu. Par conséquent, l’eschatologie, loin d’être une fuite nihiliste vers l’au-delà, devient en temps de crise une espérance active qui ré-enchante le présent, appelle à la responsabilité éthique et renouvelle le sens de la solidarité humaine.

L’eschatologie telos pour vivre les « derniers temps » avec une foi équilibrée

Dans le christianisme, les crises évoquent les « douleurs de l’enfantement » (Mt 24:8), annonçant la venue du Royaume. L’Apocalypse de Jean, souvent mal comprise, dépeint non une fin catastrophique, mais un dévoilement (ποκάλυψις) de la victoire ultime du Christ sur le mal. En ceci, le maître mot dans ce cadre est celui de telos, son but, qu’elle en soit consciente ou non. On peut traduire également cette idée en parlant de l’objectif atteint, ou de l’accomplissement absolu. L'eschatologie Telos, devient ainsi le fondement de l’espérance chrétienne, qui s’inscrit dans une vision du salut chrétien et orientée vers la fin des temps et le but ultime de l’humanité, tel qu’il est révélé dans la doctrine chrétienne[27]. Il est essentiel dans ce cadre de l'eschatologie chrétienne, qui est l’étude des événements derniers, du destin final de l’humanité et du monde selon la foi chrétienne.

À ce propos, il est intéressant de se souvenir de la mise en garde de Jésus : « Le Royaume de Dieu ne vient pas comme un fait observable. On ne dira pas, voyez il est ici, il est là. En effet, le Royaume de Dieu est parmi vous » (Lc 17.20-21). Le Royaume de Dieu ne se laisse pas définir par un lieu, il est plutôt une présence diffuse qui traverse tous les lieux. Et le chrétien n’a pas d’autre lieu que le monde dans lequel il vit. L’idéal proposé par l’Évangile est relationnel, il concerne la manière de vivre, les relations sociales dans ce lieu donné, il débouche donc fatalement sur une tension entre cette manière de vivre renouvelée et ce lieu qui a oublié que ce mode de vie pouvait exister. Cette tension dérange, elle rappelle aussi à chacun que ce choix de vie est en fait, le plus approprié au monde dans lequel nous vivons. Le Royaume de Dieu est parmi nous, à portée de main et de souvenir, la présence qui manifeste une différence vient le proposer à tous ceux qui sont atteints par cette vie en tension.  Là où l’homme africain croit progresser en accentuant sa maîtrise, il ne fait que s’enfoncer dans la mort si sa maîtrise emprisonne et muselle son prochain. Partir de la justice et du Royaume de Dieu est ce qui nous permet de vivre pleinement dans notre corps.

Ce Royaume qui vient – qui est d’ores et déjà à portée de main de qui veut, mais non encore tout en tous—cette attitude d’anticipation à partir des valeurs eschatologiques. Cela signifie que l’eschatologie néotestamentaire n’est pas une eschatologie passive, elle n’attend pas tranquillement l’écroulement du monde présent pour se mettre au travail. Au contraire, cette vision du futur retentit sur l’action au présent, il s’agit, dès à présent, d’anticiper le Royaume qui vient. Certes, le Christ n’est pas encore tout en tous, mais il a déjà, pour reprendre un balancement classique, tout accompli, de sorte qu’il est possible de vivre aujourd’hui, en se guidant sur les valeurs du Royaume.  Le Sermon sur la Montagne proclame sur plusieurs registres cette réalité (Mt 5.1-7.29).  Il constitue un remarquable éclairage de la pratique présente à la lumière du Royaume qui vient. Le Royaume de Dieu est proche ; c’est une manière de dire le caractère provisoire et sans cesse menacé des illusions humaines (proximité temporelle) , mais c’est aussi laisser entendre que le Royaume de Dieu est à portée de main (proximité spatiale). Toute l’éthique chrétienne peut se définir autour de cette formule : notre espérance est dans le Dieu vivant (1Tm 4.10) : espérer c’est attendre, mais cette attente active dans le présent construit notre nouveauté.

L’attente de la venue du Seigneur telle qu’elle est décrite en Lc 12.35-48 nous situe bien dans le cadre. Car, nous attendons cette venue qui manifestera à tous la victoire du Christ déjà acquise à travers la Croix et la Résurrection. Notre pratique d’aujourd’hui sera jugée et donc est dès à présent jugée à la lumière de cette victoire. Un texte de Pierre le dit clairement encore :

La fin de toutes choses est proche, montrez donc de la sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier ; ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres car « l’amour couvre une multitude de péchés » ; pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmure ; mettez –vous, chacun selon le don qu’il a reçu , au service les des autres (1Pi 4.7-10).

 

Au lieu de nous jeter dans l’abattement, la fin de toutes choses nous précipite dans la vie joyeuse eu service des autres. Nous vivons d’ores et déjà en nous appuyant sur des valeurs qui seront reconnues comme valides au jour de la fin de toutes choses.

Cette nouveauté que nous vivons produit du nouveau dans la société qui nous entoure. C’est ce que nous disent, à notre avis, les notions du sel de la terre et de lumière du monde (Mt5.13-16). Notre nouveauté, en tant que chrétien africain, est un ferment qui donne une saveur nouvelle à notre continent qui réveille des vérités endormies. Notre différence est un exemple , une lumière pour la société dans laquelle nous vivons, un guide à partir duquel elle peut se diriger . Si nous vivons cette nouveauté, si nos œuvres sont reconnues comme bonnes par ceux qui nous entourent, alors les hommes rendront gloire à Dieu. Les structures évolueront, et Dieu sera reconnu pour ce qu’Il est. Le Royaume que nous proposons n’est pas un Royaume physique ni technique mais un Royaume éthique.

In fine, l’eschatologie de Telos fait de l’avenir, et en particulier de la promesse du retour du Christ et du renouvellement du monde, un moteur d'espérance pour le chrétien africain. Cette espérance chrétienne n'est pas seulement une projection futuriste, mais elle doit être vécue dès aujourd'hui, dans la confiance que Dieu accomplit son dessein à travers l'histoire et qu'il donnera à ses fidèles la vie éternelle dans la plénitude de son amour.

Ainsi, l'espérance chrétienne s'ancre dans la conviction que l’humanité et la création ne sont pas laissées à l’abandon, mais qu’elles sont orientées vers une finalité glorieuse où tout ce qui est injuste sera corrigé, où la souffrance sera éliminée, et où Dieu régnera éternellement sur une humanité réconciliée avec Lui. En effet, le chrétien africain ne doit pas être prisonnier des discours théologiques qui s’éloignent des valeurs du Royaume de Dieu. La vie de l’Église doit être le pendant du discours chrétien, c’est là que doivent s’incarner prioritairement l’au-delà de la Loi, le pardon, le vécu des valeurs du Royaume de Dieu, d’une manière qui ne soit pas à sens unique, mais réciproque. Si nous parlons d’un autre type de relations possibles, nous devons en administrer la preuve dans l’Église[28].

L’exercice de la guérison se manifeste dans toutes ses dimensions : physique, psychique, sociale et spirituelle[29]. Il doit donner naissance à des hommes renouvelés qui seront à leur tour ferments de nouveauté et d’interpellation. C’est dire qu’à chaque fois que l’homme africain se tourne vers Dieu, il est appelé à comprendre qu’il a accès à une humanité restaurée qui lui permet de transformer le monde. À cet effet, l’œuvre du chrétien africain est donc de témoigner, proposer des voies nouvelles, interpeller, vivre une humanité restaurée. Il peut contribuer à améliorer le moment présent. Il fait ainsi œuvre de guérison pour le monde qui l’entoure. L’Église joue ainsi un rôle spécifique. Elle est le point d’aboutissement de toute personne qui s’ouvre d’une manière pleine et entière à la foi en Dieu. Elle est un groupe social où doivent pouvoir émerger des relations sociales renouvelées et guéries. Elle est le moyen de manifester qu’une autre vie collective est possible. Elle est le pendant collectif nécessaire à notre action individuelle. Elle est, enfin, les prémices de la nouvelle création de Dieu.

Car, le projet du Royaume de Dieu, répétons-le, passe d’abord et avant tout par l’Église. C’est là que se rassemblent ceux qui ont cru à la Parole du Christ. En d’autres termes, la nouvelle création de Dieu commence dès à présent et elle commence par l’Église. Ep 1.10 nous fait réfléchir sur ce sujet de façon récurrente, sur la notion de création et de construction d’un édifice par Dieu : « Selon ce plan, tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre doit être harmonieusement réuni en Christ ». Si l’Église ne le fait pas alors, comme dirait l’évangile de Mt, « le sel perd sa saveur, il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes » (Mt 5.13). L’infidélité de l’Église a bien souvent débouché, en effet, sur sa dévalorisation. Or l’Église devrait manifester qu’elle participe d’une nouvelle création car « nous avons été créés en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes, que Dieu a préparées à d’avance, afin que nous nous y engagions » (Ep 2.30). C’est par ces œuvres bonnes qui procèdent de cette ré-création que nous adressons un témoignage et une interpellation à ce monde.

Mais la nouvelle création que doit opérer l’Église consiste également, entre autres, à créer une seule humanité fondée en Christ (Ep. 2.11-22), abolissant ainsi les différences de statut social homme/femme, homme libre/ esclave, juif/grec. Tout ce que ces divisions produisent de haines est aboli. Pour autant, la nouvelle création ne produit pas des êtres identiques les uns aux autres. Mais « il y a un seul Corps, un seul Esprit…une seule espérance, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous »(Ep. 4.4-6). La diversité n’est donc pas à cet effet occultée. De sorte que la question du lien social se pose également dans l’Église (Ep. 4.3).

 Il s’agit donc de mener à bien une coopération réussie qui montre que c’est une richesse de vivre avec des personnes différentes de soi-même, que nous nous réjouissons d’avoir besoin les uns des autres, que les différences ne débouchent pas sur une dévalorisation de l’autre. C’est à partir de là que nos Églises peuvent servir d’exemple à la projection du Royaume de Dieu. Si les chrétiens savent faire la preuve que tirer parti des différences entre eux est une richesse, ils peuvent produire du nouveau hors de ce monde. S’ils expérimentent dans leur vie d’Église cette richesse, ils seront plus forts pour tenter de la vivre ailleurs. Comme le dit l’apôtre Paul : « il vous faut être renouvelé par la transformés spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité » (Ep. 4.23-24). Cette image de l’homme nouveau est intéressante au regard de ce que nous disons. Il ne s’agit pas d’éradiquer l’humanité mais de changer la manière de vivre.

 

Conclusion

 

Notre réflexion nous amène à la conclusion suivante : l’eschatologie dans le christianisme africain doit être abordée avec discernement et équilibre. Plutôt que de tomber dans l’excès du catastrophisme ou de l’indifférence, le chrétien africain est appelé à vivre les derniers temps avec une foi dynamique, fondée sur l'espérance et l’engagement. Loin d’être une doctrine de peur, l'eschatologie dans le christianisme africain doit inspirer une vie chrétienne résolue, témoignant de l’amour de Dieu et de l’attente confiante du retour du Christ.

Jésus est venu nous apporter le salut. Ce salut vise à nous restaurer dans toutes les dimensions de notre existence. Il passe par une foi qui ouvre à une nouvelle manière de vivre. C’est à travers cette nouvelle manière de vivre que nous rencontrons une dimension de la vie chrétienne. En réalité, cette vie sociale renouvelée est inséparable de notre manière globale d’être chrétien et de rendre témoignage à Dieu. Cette vie renouvelée est celle pour laquelle l’homme a été créé, mais aussi celle qu’il refuse. Proposer, interpeller, vivre le pardon, les valeurs du Royaume de Dieu, l’amour, c’est porter témoignage de l’appel du Christ et de cette nouvelle vie qu’Il nous propose à Son retour. Aujourd’hui plus que jamais, dans un monde en quête de sens, notre manière de vivre cette espérance peut devenir un témoignage puissant. C’est dire que vivre l’espérance chrétienne aujourd’hui, c’est croire que la lumière du Christ éclaire encore les ténèbres du monde, agir avec amour et persévérance, et attendre avec confiance la pleine révélation du Royaume de Dieu.

Car, l’espérance chrétienne ne nous invite pas à fuir la réalité, mais à la transformer. Dans Romains 8 :24-25, Paul parle d’une espérance qui nous pousse à persévérer avec patience. Cela signifie travailler pour la justice, la paix, et l’amour dès maintenant, tout en gardant les yeux fixés sur la promesse du Royaume à venir.

 

                                                                                     Jimi ZACKA, PhD

 

Références bibliographiques

 

Mbiti, J.J, Concepts of God in Africa, Acton Publishers, 1970

Biwmenyi-Kweshi,O.,  Discours théologique négro-africain. Problème de fondements, Paris, Présence Africaine, 1981.

Bujo, B.,  African Theology in Its Social Context, Wipf and Stock Publishers, 1992

 Bujo,B.,  Théologie africaine au défi du Royaume, 1995.

Conink, F.  Ethique Chrétienne et Sociologie, Mery-sur-Oise, Ed. Sator, 1992

KÄ MANA, G.,  La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris/Yaoundé, Khartala/Clé, 2000 ;

_________Théologie africaine pour temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique, Paris, Khartala, 1993.

 Metogo, M. E.,  Théologie africaine et Ethnophilosophie, Paris, L’Harmattan, 1985,

Ngindu Mushete,A.,  à travers son article : « La théologie africaine. De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de théologie africaine, vol. I, n° 1, janvier-juin 1979, pp. 69-90

Zacka,J.,  « Entre rétribution et espérance : un regard sur la lecture de l’Apocalypse dans l’Afrique Contemporaine »in Perspective missionnaire, pp. 52-63, 2012/1, 63.

Zacka, J.,  Possessions démoniaques et exorcismes dans les Églises Pentecôtistes d’Afrique Centrale, Éditions CLÉ, Yaoundé, 2010

 

 

 

 



[1] Que signifie l’eschatologie ? C’est l’ensemble de doctrines et de croyances portant sur le sort ultime de l'homme après sa mort (eschatologie individuelle) et sur celui de l'univers après sa disparition (eschatologie universelle).

[2] Dans ce contexte, la rhétorique eschatologique pousse à penser que la récompense divine viendra à la fin des temps, même si l’injustice persiste ici-bas. À cet effet, l’eschatologie du christianisme africain répond parfois en valorisant la patience et l’endurance : Dieu renversera les injustices au dernier jour, et ceux qui souffrent ici-bas seront élevés dans l’au-delà (cf. Luc 16:19-31, parabole du riche et de Lazare).

[3] Lire Zacka, J., « Entre rétribution et espérance : un regard sur la lecture de l’Apocalypse dans l’Afrique Contemporaine »in Perspective missionnaire, pp. 52-63, 2012/1, 63.

[4] En Afrique, la souffrance est souvent perçue comme une épreuve envoyée soit par Dieu pour tester la foi, soit par des forces spirituelles adverses (sorcellerie, mauvais esprit, etc.). Le croyant qui demande "Pourquoi moi ?" exprime alors une double tension :  Pourquoi Dieu permet-il cette souffrance alors que je suis fidèle ? Pourquoi suis-je ciblé parmi les autres ? Est-ce une attaque spirituelle ?

[5] Dans un continent marqué par la pauvreté, les conflits et l’injustice, l’eschatologie offre un langage de résistance. Elle est interprétée comme une promesse de libération divine (ex. : théologies de la libération africaines), motivant des actions pour la justice ici et maintenant.

[6] Nous soulignons ici que dans de nombreuses communautés chrétiennes africaines, l’eschatologie s’exprime souvent à travers une forte attente de délivrance — non seulement spirituelle, mais aussi sociale et matérielle. L’idée du retour du Christ est perçue comme une libération définitive des oppressions de ce monde : maladies, pauvreté, injustice. C’est une foi enracinée dans l’espérance que "les derniers seront les premiers" (Matthieu 20:16). Bien que le christianisme enseigne que l'âme va auprès de Dieu après la mort, beaucoup de croyants africains gardent une forme de respect pour les ancêtres — sans forcément les vénérer. Cette tension donne une eschatologie contextualisée : la promesse de la vie éternelle en Christ cohabite avec une vision où les défunts restent présents dans la mémoire collective

[7] Sur les théologies missionnaires du salut des âmes et de l’implantation, on peut lire avec intérêt, la contribution de Ngindu Mushete, A.,  à travers son article : « La théologie africaine. De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de théologie africaine, vol. I, n° 1, janvier-juin 1979, pp. 69-90

[8] Cf  Biwmenyi-Kweshi, O.,  Discours théologique négro-africain. Problème de fondements, Paris, Présence Africaine, 1981.

[9]  Cf. Zacka,J.,  Possessions démoniaques et exorcismes dans les Églises Pentecôtistes d’Afrique Centrale, Éditions CLÉ, Yaoundé, 2010

[10] L’apport missionnaire à l’enseignement eschatologique en Afrique est un héritage complexe, marqué par l’hybridation et les tensions. Si les missionnaires ont introduit des concepts théologiques structurants et participé à l’alphabétisation, leur approche a aussi fragmenté des cosmovisions autochtones. Aujourd’hui, l’eschatologie en Afrique reflète cette dynamique : elle est à la fois le produit d’un impérialisme culturel et d’une réappropriation résiliente, où les Africains réimaginent la fin des temps à travers leurs propres réalités et aspirations.

[11] Metogo M.E., Théologie africaine et Ethnophilosophie, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 86

[12] Zacka, « Entre rétribution et espérance : un regard sur la lecture de l’Apocalypse dans l’Afrique Contemporaine », op.cit., p.54

[13] Beaucoup de chrétiens, face à des réalités difficiles (pauvreté, maladie, conflits), trouvent une force immense dans cette foi. La conviction que Christ revient pour restaurer la justice donne du courage.

[14] Zacka, « Entre rétribution et espérance : un regard sur la lecture de l’Apocalypse dans l’Afrique Contemporaine », op.cit. p. 54

[15] Ibid

[16] Ibid

[17] Durant la pandémie de Covid-19, les prières pour les malades et les défunts ont maintenu un lien entre le visible et l’invisible, rappelant que la vie échappe à la mort (cf. 1 Corinthiens 15:55) et ceci constitue des signes avant-coureurs de la fin des temps.

[18] Face aux discours alarmistes annonçant une fin imminente du monde, de nombreux chrétiens africains oscillent entre la peur et l’espérance. Certains adoptent une posture fataliste, croyant que la dégradation du monde est inévitable. D'autres, au contraire, voient l'attente eschatologique comme un appel à vivre une foi engagée, marquée par la justice sociale, l'évangélisation et la préparation spirituelle. L'apôtre Paul exhortait les chrétiens à ne pas se laisser troubler par les signes des temps, mais à garder une foi ancrée dans la grâce du Christ (1 Thessaloniciens 5:1-11). Ainsi, au lieu de se focaliser sur la peur de la fin, il s’agit d’affermir son engagement envers Dieu et son prochain.

[19] En écho à Dietrich Bonhoeffer, martyr de la résistance au nazisme, l’espérance eschatologique est une participation à la souffrance de Dieu dans le monde, où prière et action deviennent indissociables. Ainsi, les crises, en dévoilant la finitude humaine, deviennent paradoxalement des seuils vers une espérance qui « ne déçoit point » (Romains 5:5). Dans un monde secoué par des crises multidimensionnelles, l’eschatologie invite ainsi les croyants à incarner l’espérance comme subversion créatrice — non pour fuir le monde, mais pour le transfigurer à la lumière de l’éternité.

[20] La crise écologique actuelle interpelle toutes les traditions spirituelles, y compris le christianisme. En Afrique, où la foi chrétienne coexiste avec des cosmovisions ancestrales liées à la nature, se dessine une approche théologique unique.

[21] La Genèse (1-2) présente la nature comme une œuvre bonne confiée à l’humain (Genèse 2:15). Pour le chrétien africain, cette vision rejoint les traditions locales où la terre est mère nourricière et espace sacré. Le théologien kényan John Mbiti souligne que dans les cultures africaines, « la terre n’est pas une propriété, mais un héritage des ancêtres et un prêt aux générations futures », Mbiti, J. John, Concepts of God in Africa, Acton Publishers, 1970. Cette idée rejoint la notion biblique de gérance (Genèse 1:28), où l’humain est gardien, non propriétaire.

[22] Kä Mana, en Afrique francophone, et Jesse Mugambi, en Afrique anglophone sont les grandes figures de la théologie de la reconstruction. Le mouvement de la théologie de la reconstruction a , en quelques années, tenté de changer le paysage de la théologie en Afrique et fournir aux communautés chrétiennes une nouvelle grille de lecture de leur situation et de leurs responsabilités dans la société. Ce mouvement théologique montre qu’il est nécessaire de penser notre présent en termes de nouveaux choix économiques, politiques, sociaux et culturels à faire et en termes de nouvelles fondations morales et spirituelles à poser et d’invention de nouvelles stratégies pour bâtir l’avenir. Sans renier les préoccupations passées, il s’agit de les intégrer dans la perspective de l’invention du futur, la reconstruction étant en fait le commencement d’un processus de restructuration des mentalités et des attitudes. Les enjeux de ce mouvement sont éminemment missionnaires : l’intégration de l’évangile dans tous les domaines décisifs pour l’avenir du continent. C’est pourquoi on pense la nouvelle évangélisation en termes de reconstruction africaine : une reconstruction fondée essentiellement sur le socle de l’évangile. Lire à cet effet G. KÄ MANA, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris/Yaoundé, Khartala/Clé, 2000 ; idem Théologie africaine pour temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique, Paris, Khartala, 1993.

[23] Les reconstructionnistes chrétiens sont postmillénaristes, ce qui signifie qu'ils croient que le Royaume de Dieu a été établi à la résurrection et que, grâce à la soumission fidèle des chrétiens à la loi biblique et à l'exercice de la domination, le Royaume sera progressivement réalisé dans l'histoire.

[24] L’homme, créé à l’image de Dieu (Genèse 1:27), est appelé à refléter l’amour créateur. En Afrique, cette vocation s’exprime à travers une éthique de la communauté, incluant les êtres vivants et les écosystèmes. Comme l’écrit le théologien congolais Bénézet Bujo, « Dieu se révèle dans la polyphonie de la création », Bénézet Bujo, African Theology in Its Social Context, Wipf and Stock Publishers, 1992. Cette perspective contraste avec un anthropocentrisme occidental, privilégiant une écologie relationnelle inspirée de Romains 8:19-22 (la création qui soupire). Il est à rappeler que l’écothéologie africaine contribue également aux débats internationaux, notamment via l’encyclique Laudato Si’ (2015). Le pape François, évoquant la « conversion écologique », rejoint des concepts africains comme ubuntu (« je suis parce que nous sommes »), étendu à toute la création.

[25] L’Église, comme signe visible du Royaume, vit une tension féconde entre sa réalité historique et son destin eschatologique. Elle est à la fois sainte et en besoin de purification, une et diverse, incarnée et tournée vers le ciel. En Afrique comme ailleurs, sa crédibilité dépend de sa capacité à incarner l’Évangile dans la chair du monde, rappelant que le Royaume n’est pas seulement « au milieu de nous » (Lc 17:21), mais aussi devant nous, appelant à une conversion permanente. Ainsi, l’Église reste, malgré ses ombres, un signe d’espérance pour l’humanité. Lire à cet effet, Bénézet Bujo, Théologie africaine au défi du Royaume, 1995.

[26] Face à l’exploitation minière ou à la déforestation, des Églises africaines sont appelées à adopter un discours prophétique, à l’instar de la Kényane Wangari Maathai, fondatrice du Green Belt Movement, qui voyait dans la plantation d’arbres un acte de « foi en Dieu et respect de Sa création ». Son engagement, citant Osée 4:1-3 (« la terre est en deuil »), illustre une écologie libératrice, liant salut humain et restauration écologique.

[27] F. De Conink, Ethique Chrétienne et Sociologie, Mery-sur-Oise, Ed. Sator, 1992, pp.170-171

[28] Ibid

[29] Certains pasteurs peu scrupuleux exploitent la peur de la fin des temps pour manipuler ou vendre des "protections spirituelles". Il y a aussi un risque d'abandon des responsabilités sociales au profit d’une attente passive du retour du Christ.