Introduction
Il convient de préciser que l’eschatologie chrétienne, centrée sur la
fin des temps, la résurrection, le jugement dernier et l’avènement
du Royaume de Dieu, prend des dimensions uniques en Afrique.
Influencée par les traditions spirituelles africaines, les défis
socio-politiques, et la diversité confessionnelle, cette eschatologie se
traduit souvent par une foi singulière qui allie espérance céleste et attitude
de fatalisme et de passivité.
C’est pourquoi, en Afrique, toutes les épreuves majeures de l’existence,
quelle que soit leur nature, renvoient à une situation de détresse originelle.
Confronté à elles, l’africain redevient le petit enfant sans défense qu’il a
été un jour, ou le bébé dépendant totalement, pour subsister, du bon vouloir de
l’autre, la mère, la nourrice. Face à l’épreuve, une même interrogation surgit,
pas toujours consciente : « qu’est-ce que je pourrais encore faire ? Ma
vie n’a plus de sens ». Ainsi, soit les émotions sont exacerbées, soit
l’homme africain est en état de sidération. « Ce n’est pas possible,
c’est un cauchemar, ce n’est pas vrai ». Pourtant, la pensée africaine
traditionnelle privilégie la résilience selon laquelle chaque épreuve de la vie
est un passage dont on sort toujours avec une nouvelle maturité.
En effet, les croyances africaines ont mis en place deux grandes
stratégies de survie face aux épreuves : le combat et la fuite.
Ces deux grandes stratégies soulèvent des interrogations existentielles :
que faire pour venir à bout des problèmes ? Les analyser ou les nier ? Accuser
les autres, le destin ou Dieu ? Demander de l’aide ou s’enfermer sur soi-même ? Ces questions déterminent la nature de la
foi chrétienne que possède l’homme africain.
Il est évident que l’on ne peut contrôler les
événements ni empêcher les drames de se produire. Cependant, nous pouvons
chercher à voir les choses de façon frontale, mais cela n’est pas simple. Il
requiert un exercice rigoureux de réflexion et d’approfondissement et nécessite
de ne pas se laisser aller à la dérive malgré l’âpreté des crises de ces
derniers temps dans les pays africains. D’où des questions qui
s’imposent : Comment les
chrétiens africains peuvent-ils vivre leur foi face à l'attente eschatologique
? Avec quelle espérance et quel discernement spirituel doivent-ils aborder les
"derniers temps" ? Dans ce cas, quel Évangile faut-il
reconnaître et lier à l'eschatologie pour qu'elle soit éloquente dans une
parole propre et opératoire ?
Ces questions constituent l’une des étapes de la recherche sur la notion
eschatologique dans le christianisme africain. Énoncée
en termes interrogatifs, l’idée maîtresse a le but de redéfinir l’eschatologie pour
montrer que l'attente eschatologique est une véritable espérance pour une
réalité promise mais non encore donnée. En même temps, l'eschatologie devient
comme une dimension constitutive de l'actualité chrétienne historique,
traversant celle-ci du début à la fin et lui donnant ses contours spécifiques. L’eschatologie,
comme conçue, ne relègue pas l’espérance à une réalité future détachée du
présent. Elle pousse le croyant à s’engager dans le monde d’aujourd’hui comme
un acteur du projet créationnel de Dieu. Nous
ne sommes pas de simples spectateurs, mais des collaborateurs du Royaume en
construction. L’Église, en tant que corps du Christ, devient le laboratoire
vivant de la nouvelle création, manifestant dès aujourd’hui les prémices du
monde réconcilié et restauré.
Ainsi, vivre l’eschatologie, c’est déjà entrer dans la
danse du renouvellement divin — non pas en attendant passivement la fin, mais
en œuvrant activement à l’avènement du Royaume, ici et maintenant. Il
convient ainsi de rappeler que par approche théologique traditionnelle, même si
la mission de l’Église est de tout temps fondée sur l’ordre du Christ après sa
résurrection, à ses apôtres : « Allez, de toutes les nations, faites des
disciples ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit… »,
les buts assignés à cette aventure missionnaire ont laissé des traces eschatologiques
dans les églises africaines. C’est
cette préoccupation qui a permis le développement du discours eschatologique : la
théologie du salut des âmes.
L’impact de l’eschatologie missionnaire à travers
la théologie du salut des âmes.
L’eschatologie missionnaire a mis l’accent sur la théologie dite du salut
des âmes. Cette théologie a particulièrement influencé l’activité
missionnaire de l’Eglise dès les premiers contacts de l’Europe avec l’Afrique
noire principalement aux XIXᵉ et XXᵉ
siècles. Elle a surtout mis en exergue l’évangélisation sur la nécessité de
porter la lumière de l’Évangile à tous les peuples « barbares » qui ne
connaissent pas la Parole de Dieu, et qui sont en proie à toutes les séductions
du prince de ce monde. Il s’agit de faire connaître à ces derniers le dessein
de salut de Dieu, de les sauver de la perdition. De ce fait, le salut de
l’homme est en fait le salut de son âme (désincarnée ?), traduisant la
dimension intérieure et spirituelle de celui-ci. Sauver les âmes de la perdition, et souvent sur fond de guerre
contre tous les ennemis du Christ reste en définitive le leitmotiv de cette
théologie, la volonté de Dieu étant que « tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la vérité. En fait, la théologie du salut des âmes apparaît ainsi dans sa
définition et même dans son expression concrète, comme la manifestation d’une
volonté d’apporter la lumière à ceux qui n’en ont pas encore connaissance.
C’est en ce sens qu’elle a alimenté, de bonne foi peut-être, une sorte de
croisade contre les peuples dit païens d’Afrique noire.
Il est également à noter que l’Afrique est dépositaire des imaginaires
eschatologiques très variés qui ne sont pas prêts à être enfermés. Toutefois, l’arrivée des missionnaires en
Afrique, a profondément influencé les conceptions eschatologiques locales,
c’est-à-dire les croyances relatives à la fin des temps, au jugement dernier et
à l’au-delà. Cet apport s’est inscrit dans un contexte plus large
d’évangélisation, d’éducation et de colonisation, avec des impacts à la fois
positifs et contestés. Les missionnaires ont introduit une vision linéaire du
temps et de l’histoire, centrée sur l’idée d’un jugement final, du salut par le
Christ, et d’une destinée éternelle (paradis/enfer).
Cette perspective contrastait avec les cosmogonies africaines traditionnelles,
souvent cycliques ou ancrées dans une relation harmonieuse entre les vivants,
les ancêtres et le cosmos.
L’eschatologie chrétienne, en insistant sur l’urgence de la conversion, a
redéfini les priorités spirituelles et morales de nombreuses communautés. C’est
dire que l’eschatologie missionnaire dite le « salut des âmes », il
faut le souligner, a parfois servi à légitimer la domination coloniale, en
présentant l’évangélisation comme une "mission divine" pour sauver
les âmes avant la fin des temps. Certains missionnaires associaient la
"civilisation" européenne au progrès spirituel, renforçant une
hiérarchie entre cultures "sauvées" et "païennes".
Par conséquent, il en résulte que les croyances ancestrales en un monde
spirituel interconnecté et le rôle des ancêtres (ex. : vénération, médiation)
dialoguent avec l’eschatologie du christianisme.
En d’autres termes, les religions traditionnelles exercent une influence considérable
sur l’homme africain et affectent sa vie sur le plan social, psychologique,
ainsi que sur le plan eschatologique. Plus particulièrement, les interprétations des
« derniers temps » ne cessent de tourmenter l’homme africain ; les
diverses croyances conçues au cours des âges proposent, à cet égard, des moyens
d’échapper sinon à l’angoisse, du moins à l’inquiétude relative à l’au-delà du
mourir. Ceci pouvait d’ailleurs aller jusqu’au rejet des siens.
C’est ce qu’Eloi Messi Métogo résume en des termes clairs :
Pour devenir chrétien, l’homme africain a dû abandonner son mode de vie
traditionnel, ses solidarités claniques, tribales et
familiales, son échelle de valeurs, ses rites et ses symboles. Tout cela a été
ridiculisé, ravalé au rang de superstitions grossières et de pratiques
diaboliques, ou soumis l’autodafé par le missionnaire. Le nouveau converti n’est de nulle part ; l’Eglise est sa nouvelle terre
et sa nouvelle société. Il apprend une nouvelle géographie où apparaissent des
noms de localités prestigieuses : Rome, Jérusalem, etc..
Ainsi donc, l’Africain chrétien est devenu peu à peu une sorte d’aliéné
au sens religieux, culturel et politique. Il vit désormais sans ses repères
traditionnels qu’il a rejetés. Il ne
connaît plus ou presque plus la communauté dont il est issu. Dans le concret,
il n’incarne alors plus rien ou refuse de continuer à incarner ce qui relève de
son héritage dans la mesure où il
est chrétien ; et personne ne saurait lui dire, si oui ou non, ces deux notions
qui continuent tout de même de l’identifier (africain et chrétien) au
sein de l’Église à laquelle il appartient, sont conciliables. L’Eglise a
prolongé une certaine pratique missionnaire quoique pouvant être quelque peu
nuancée. Cette pratique a continué de se déployer contre l’univers
socio-culturel de l’Africain. Ainsi, tout en enseignant à l’homme noir l’amour
de Dieu et du prochain conformément à l’Évangile dont elle est dépositaire,
elle n’a eu de cesse de lui faire découvrir et entrer dans un autre mode de vie
qui met l’accent sur l’eschatologie avec une approche déterministe, abordée
sous un angle alarmiste, avec une focalisation sur les catastrophes et les
persécutions. En effet, le chrétien africain est censé vivre actuellement la
fin du monde, dans l’attente du retour de Jésus qui inaugurera le glorieux
règne final (Ap 7.16-17 et une période de mille ans où Satan sera lié
(Ap20.1-5) ; à ses yeux, son existence ne peut être modifiée : ce qui
est fait. Selon cette lecture eschatologique, Dieu a déjà écrit
l’histoire : quoiqu’il arrive, son plan est sûr, on ne peut que lui faire
confiance. De cette manière de concevoir l’eschatologie du christianisme
africain, les épreuves subies se renvoient au jugement dernier. Car,
l’intégralité de notre vécu est enregistrée et conservée de manière infaillible
dans l’attente de son jugement. Cela se trouve illustré dans la vision de
l’Ap.20 sous la figure du « livre de vie », la porte du salut est
ouverte en permanence pour tous ceux qui prennent conscience de leur mauvaise
conduite et changent de comportement. Le chrétien africain se sent à l’aise
dans cette grille de lecture eschatologique : pour lui, le « Livre de
vie » où se trouve noté tout ce qui lui est arrivé, renvoie à l’idée que
Dieu lui fera justice, le consolera et reconnaîtra. C’est pourquoi, dans une
situation victimes/coupables, abusés/abuseurs, l’homme africain s’oblige à se
remettre entre les mains de Dieu en disant par exemple : « Ça ne fait rien. Dieu existe ! ».
Cette formule évoque l’imprécation. Relativement à la religion traditionnelle,
cette eschatologie se lit souvent sous le prisme de la croyance à la survie et
la récompense attribuée après la mort : la croyance en un au-delà pour les
bons et un au-delà pour les méchants.
En effet, l’eschatologie ainsi souvent interprétée selon l’idée que notre
conduite sur terre détermine notre destin après la mort, que cela soit une
punition ou une récompense.
À titre d’exemple, dans les prêches pentecôtistes en Afrique centrale,
on évoque souvent l’Apocalypse comme un moment où Dieu détruira définitivement
les puissances maléfiques qui tourmentent le peuple (maladies, sorcellerie,
injustices). Face à ces discours alarmistes annonçant une fin imminente du
monde, de nombreux chrétiens africains oscillent aujourd’hui entre la peur et
l’espérance.
Certains adoptent une posture fataliste, croyant que la dégradation du monde
est inévitable.
D'autres, au contraire, voient l'attente eschatologique comme un appel à vivre
une foi engagée, marquée par la justice sociale, l'évangélisation et la
préparation spirituelle.
De plus, les récits apocalyptiques présents dans les communautés africaines
chrétiennes sont parfois interprétés à travers le prisme de l’expérience
historique : colonisation, guerres, pandémies de VIH ou covid19 et injustices
économiques. Ces événements sont souvent perçus comme des signes avant-coureurs
de la fin des temps.
Au regard de tout ce qui précède, on constate que l’eschatologie élaborée
par le christianisme africain est souvent comprise dans une attitude de
fatalisme et de passivité. Le
chrétien africain est censé vivre la fin du monde, dans l’attente du retour de
Jésus qui inaugurera le glorieux règne final (Ap 7.16-17). C’est dire que l’apport du
christianisme a fait que le chrétien
africain est destiné à attendre l'avenir de vie promis par Dieu parce que cette
promesse a déjà été accomplie en Jésus.
En conséquence, nous voulons
apostropher le chrétien africain à ne plus être dans une posture fataliste. La
foi chrétienne se doit d’apporter une vitalité dans la communauté : renforcer les liens sociaux, de partager les
ressources et de lutter pour le bien commun. En effet, l’engagement contre la
corruption, l’exploitation des ressources, et le changement climatique devient
un acte eschatologique, reflétant l’attente d’une « nouvelle terre » (Ap 21 :1).
la
participation active du chrétien africain au projet créationnel de Dieu dès
aujourd’hui
L’eschatologie est souvent perçue, nous l’avons déjà noté
ci-haut, comme une réalité lointaine, réservée à la fin des temps. Pourtant,
une lecture attentive des Écritures révèle une dimension participative et
actuelle de cette espérance. Loin de nous enfermer dans une attente passive,
l’espérance eschatologique nous invite à collaborer dès maintenant au projet
créationnel de Dieu. Cette approche ouvre une réflexion théologique et pratique
sur notre rôle dans le monde en tant que chrétiens.
Pour le chrétien africain, cette vision de la fin ne doit pas être une fuite du
monde, mais une invitation à collaborer avec Dieu dans Son œuvre de
restauration de la création.
L’espérance eschatologique doit s’inspirer et motiver une participation active
au projet créationnel divin.
La Bible présente une tension entre le «
déjà là » et le « pas encore » du
Royaume de Dieu. Certes, le Royaume de Dieu n’est pas le Paradis sur terre,
mais Le Royaume de Dieu est déjà présent dès aujourd’hui, mais
il est aussi à venir, à espérer et à construire. La paix reste à « faire ».
Certains disent : « Le déjà là du pas encore » ; à cette formule, on
pourrait préférer celle de la Bible elle-même : « Dès maintenant et à jamais
» (Ps 113,2 ; 115,18 ; 125,2 ; etc.). Jésus lui-même proclame :
« Le Royaume de Dieu est au milieu de
vous » (Lc 17:21), tout en enseignant à prier : « Que ton règne vienne »
(Mt 6:10).
Paul,
de son côté, parle des croyants comme des « collaborateurs
de Dieu » (1 Co 3:9), soulignant que nous sommes appelés à participer
activement à l’édification du Royaume. Cette dynamique trouve son apogée dans
l’idée que nous sommes « une nouvelle
création » (2 Co 5:17), marquant un commencement déjà effectif du
renouvellement cosmique. L’Apocalypse décrit une nouvelle création : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap
21:5). Loin d’être un anéantissement, la
fin des temps annonce une restauration complète. Paul renforce cette
perspective en écrivant : « Car la
création attend avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu » (Rm 8:19).
L’espérance chrétienne devient donc un moteur d’action, appelant les croyants à
manifester dès maintenant cette nouvelle réalité. En effet, l’eschatologie ne
signifie pas abandonner le monde actuel, mais participer à sa transformation.
En d’autres termes, la théologie de la reconstruction
en a fait un point culminant. Il s’agit
de permettre à l’homme africain de revaloriser et reconstruire sa dignité et
celle des autres, à partir de la Parole de Dieu, et aussi de ses valeurs
culturelles. Dit
autrement, Jésus, par sa résurrection, inaugure une nouvelle
humanité. Les chrétiens sont appelés à suivre son exemple : « Nous sommes ouvriers avec Dieu » (1 Co
3:9). Cette participation ne concerne pas seulement la prière et la
prédication, mais aussi les actes concrets d’amour, de justice et de
réconciliation.
Car,
la présence du chrétien africain dans ce monde a pour sens de maintenir du
mieux possible la vie telle que Dieu la veut. La Genèse introduit Dieu comme
Créateur, mais l’histoire biblique montre une création en devenir, en attente
de son accomplissement ultime. C’est pourquoi, l’Apôtre Paul exprime cette
attente dans Ro 8:19-22, où la création soupire en vue de la révélation des
fils de Dieu. Mais il faut aller plus loin et reconnaître que le sens premier
des actes chrétiens est de participer tout simplement au projet créationnel de
Dieu. Dit autrement, Dieu n’a pas cessé de créer. Le Christ ressuscité inaugure
une nouvelle ère, et par le Saint-Esprit, les croyants deviennent co-ouvriers
de cette création renouvelée. Nos actes de justice, de miséricorde et d’amour
ne sont pas de simples gestes éthiques, mais des contributions concrètes au
projet de Dieu. Cette approche ouvre une réflexion théologique et pratique sur
notre rôle dans le monde en tant que croyants sur quelques registres :
a. Responsabilité
éthique et missionnelle dès aujourd’hui
Si le
monde ancien est appelé à disparaître (2 Pi 3:10-13), cela ne signifie pas que
nos efforts présents sont vains. Au contraire, ils préfigurent et annoncent la
réalité nouvelle à venir. La justice sociale, la protection de la création,
le combat contre les inégalités prennent alors une dimension eschatologique :
ils manifestent aujourd’hui les valeurs du Royaume futur. L’Église devient
ainsi un signe visible du Royaume, une anticipation de la cité nouvelle (Ap
21:2).
En fait, restaurer l’homme dans ses capacités créationnelles, c’est le rendre
pleinement capable de participer à l’aventure historique à laquelle Dieu le
destine, c’est l’équiper pour innover, pour découvrir, pour aller de l’avant.
Nous ne sommes donc pas appelés à changer la création de Dieu, ceci est clair,
nous sommes appelés à l’habiter d’une manière nouvelle. La loi de Dieu est
inscrite dans nos cœurs, voilà la nouveauté (Jr 31.33 ; Hb8.10). Aussi,
guidés par l’Esprit, nous pouvons nous insérer dans ce monde de la création
munis de ce lien parfait qu’est l’amour (Col 3.14). Habiter le monde que Dieu
nous a donné avec l’amour qui nous porte, est une responsabilité à la fois
éthique et missionnelle inhérente à la vie spirituelle eschatologique.
b. Vie spirituelle
eschatologique
La vie
de prière et la communion fraternelle prennent une profondeur nouvelle
lorsqu’on les perçoit comme des fragments du monde à venir. L’Esprit Saint,
donné comme « arrhes » (2 Co 1 :22), agit en nous comme une puissance de
transformation, nous poussant à incarner la réalité du Royaume. Chaque action
de foi devient une semence du futur royaume. Chaque pardon offert, chaque geste
de charité, chaque parole de vérité devient une lumière prophétique du monde à
venir. L’eschatologie participative ne relègue pas l’espérance à une réalité
future détachée du présent. Elle pousse le croyant à s’engager dans le monde
d’aujourd’hui comme un acteur du projet créationnel de Dieu. Nous ne sommes pas
de simples spectateurs, mais des collaborateurs du Royaume en construction.
L’Église, en tant que corps du Christ, devient le laboratoire vivant de la
nouvelle création, manifestant dès aujourd’hui les prémices du monde réconcilié
et restauré.
Ainsi, vivre l’espérance eschatologique, c’est déjà
entrer dans la danse du renouvellement divin, non pas en attendant passivement
la fin, mais en œuvrant activement à l’avènement du Royaume, ici et maintenant.
Pour ce faire, il nous faut donc, à la fois, critiquer le monde en tant que
révolté et déchu, et reconnaître sa nécessité et son utilité en tant que
toujours utilisé par Dieu. Par conséquent, l’eschatologie,
loin d’être une fuite nihiliste vers l’au-delà, devient en temps de crise une espérance
active qui ré-enchante le présent, appelle à la responsabilité éthique et
renouvelle le sens de la solidarité humaine.
L’eschatologie telos pour vivre
les « derniers temps » avec une foi équilibrée
Dans le christianisme, les crises évoquent les « douleurs de
l’enfantement » (Mt 24:8), annonçant la venue du Royaume. L’Apocalypse de
Jean, souvent mal comprise, dépeint non une fin catastrophique, mais un dévoilement
(ἀποκάλυψις) de la victoire ultime du Christ
sur le mal. En ceci, le maître mot dans ce cadre est celui de telos, son
but, qu’elle en soit consciente ou non. On peut traduire également cette idée
en parlant de l’objectif atteint, ou de l’accomplissement absolu. L'eschatologie
Telos, devient ainsi le fondement de
l’espérance chrétienne, qui s’inscrit dans une vision du salut chrétien et orientée
vers la fin des temps et le but ultime de l’humanité, tel qu’il est révélé dans
la doctrine chrétienne.
Il est essentiel dans ce cadre de l'eschatologie chrétienne, qui est l’étude
des événements derniers, du destin final de l’humanité et du monde selon la foi
chrétienne.
À ce propos, il est intéressant de se souvenir de la mise
en garde de Jésus : « Le Royaume de Dieu ne vient pas comme un
fait observable. On ne dira pas, voyez il est ici, il est là. En effet, le
Royaume de Dieu est parmi vous » (Lc 17.20-21). Le Royaume de Dieu ne
se laisse pas définir par un lieu, il est plutôt une présence diffuse qui
traverse tous les lieux. Et le chrétien n’a pas d’autre lieu que le monde dans
lequel il vit. L’idéal proposé par l’Évangile est relationnel, il concerne la
manière de vivre, les relations sociales dans ce lieu donné, il débouche donc
fatalement sur une tension entre cette manière de vivre renouvelée et ce lieu
qui a oublié que ce mode de vie pouvait exister. Cette tension dérange, elle
rappelle aussi à chacun que ce choix de vie est en fait, le plus approprié au
monde dans lequel nous vivons. Le Royaume de Dieu est parmi nous, à portée de
main et de souvenir, la présence qui manifeste une différence vient le proposer
à tous ceux qui sont atteints par cette vie en tension. Là où l’homme africain croit progresser en
accentuant sa maîtrise, il ne fait que s’enfoncer dans la mort si sa maîtrise
emprisonne et muselle son prochain. Partir de la justice et du Royaume de Dieu
est ce qui nous permet de vivre pleinement dans notre corps.
Ce Royaume qui vient – qui est d’ores et déjà à portée de
main de qui veut, mais non encore tout en tous—cette attitude d’anticipation à
partir des valeurs eschatologiques. Cela signifie que l’eschatologie
néotestamentaire n’est pas une eschatologie passive, elle n’attend pas
tranquillement l’écroulement du monde présent pour se mettre au travail. Au
contraire, cette vision du futur retentit sur l’action au présent, il s’agit,
dès à présent, d’anticiper le Royaume qui vient. Certes, le Christ n’est pas
encore tout en tous, mais il a déjà, pour reprendre un balancement classique,
tout accompli, de sorte qu’il est possible de vivre aujourd’hui, en se guidant
sur les valeurs du Royaume. Le Sermon
sur la Montagne proclame sur plusieurs registres cette réalité (Mt 5.1-7.29). Il constitue un remarquable éclairage de la
pratique présente à la lumière du Royaume qui vient. Le Royaume de Dieu est
proche ; c’est une manière de dire le caractère provisoire et sans cesse
menacé des illusions humaines (proximité temporelle) , mais c’est aussi laisser
entendre que le Royaume de Dieu est à portée de main (proximité spatiale).
Toute l’éthique chrétienne peut se définir autour de cette formule : notre
espérance est dans le Dieu vivant (1Tm 4.10) : espérer c’est attendre,
mais cette attente active dans le présent construit notre nouveauté.
L’attente de la venue du Seigneur telle qu’elle est
décrite en Lc 12.35-48 nous situe bien dans le cadre. Car, nous attendons cette
venue qui manifestera à tous la victoire du Christ déjà acquise à travers la
Croix et la Résurrection. Notre pratique d’aujourd’hui sera jugée et donc est
dès à présent jugée à la lumière de cette victoire. Un texte de Pierre le dit
clairement encore :
La fin de toutes choses est proche, montrez donc de la
sagesse et soyez sobres afin de pouvoir prier ; ayez avant tout un amour
constant les uns pour les autres car « l’amour couvre une multitude de péchés » ;
pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmure ; mettez –vous,
chacun selon le don qu’il a reçu , au service les des autres (1Pi 4.7-10).
Au lieu de nous jeter dans l’abattement, la fin de toutes choses nous
précipite dans la vie joyeuse eu service des autres. Nous vivons d’ores et déjà
en nous appuyant sur des valeurs qui seront reconnues comme valides au jour de
la fin de toutes choses.
Cette nouveauté que nous vivons produit du nouveau dans la société qui
nous entoure. C’est ce que nous disent, à notre avis, les notions du sel de la
terre et de lumière du monde (Mt5.13-16). Notre nouveauté, en tant que chrétien
africain, est un ferment qui donne une saveur nouvelle à notre continent qui
réveille des vérités endormies. Notre différence est un exemple , une lumière
pour la société dans laquelle nous vivons, un guide à partir duquel elle peut
se diriger . Si nous vivons cette nouveauté, si nos œuvres sont reconnues comme
bonnes par ceux qui nous entourent, alors les hommes rendront gloire à Dieu.
Les structures évolueront, et Dieu sera reconnu pour ce qu’Il est. Le Royaume
que nous proposons n’est pas un Royaume physique ni technique mais un Royaume
éthique.
In fine, l’eschatologie de Telos fait de l’avenir, et en
particulier de la promesse du retour du Christ et du renouvellement du monde,
un moteur d'espérance pour le chrétien africain. Cette espérance chrétienne
n'est pas seulement une projection futuriste, mais elle doit être vécue dès aujourd'hui,
dans la confiance que Dieu accomplit son dessein à travers l'histoire et qu'il
donnera à ses fidèles la vie éternelle dans la plénitude de son amour.
Ainsi, l'espérance
chrétienne s'ancre dans la conviction que l’humanité et la création ne sont pas
laissées à l’abandon, mais qu’elles sont orientées vers une finalité glorieuse
où tout ce qui est injuste sera corrigé, où la souffrance sera éliminée, et où
Dieu régnera éternellement sur une humanité réconciliée avec Lui. En effet, le
chrétien africain ne doit pas être prisonnier des discours théologiques qui
s’éloignent des valeurs du Royaume de Dieu. La vie de l’Église doit être le
pendant du discours chrétien, c’est là que doivent s’incarner prioritairement
l’au-delà de la Loi, le pardon, le vécu des valeurs du Royaume de Dieu, d’une
manière qui ne soit pas à sens unique, mais réciproque. Si nous parlons d’un
autre type de relations possibles, nous devons en administrer la preuve dans
l’Église.
L’exercice de la guérison se manifeste dans toutes ses
dimensions : physique, psychique, sociale et spirituelle.
Il doit donner naissance à des hommes renouvelés qui seront à leur tour
ferments de nouveauté et d’interpellation. C’est dire qu’à chaque fois que
l’homme africain se tourne vers Dieu, il est appelé à comprendre qu’il a accès
à une humanité restaurée qui lui permet de transformer le monde. À cet effet, l’œuvre
du chrétien africain est donc de témoigner, proposer des voies nouvelles,
interpeller, vivre une humanité restaurée. Il peut contribuer à améliorer le
moment présent. Il fait ainsi œuvre de guérison pour le monde qui l’entoure. L’Église
joue ainsi un rôle spécifique. Elle est le point d’aboutissement de toute
personne qui s’ouvre d’une manière pleine et entière à la foi en Dieu. Elle est
un groupe social où doivent pouvoir émerger des relations sociales renouvelées
et guéries. Elle est le moyen de manifester qu’une autre vie collective est
possible. Elle est le pendant collectif nécessaire à notre action individuelle.
Elle est, enfin, les prémices de la nouvelle création de Dieu.
Car, le projet du
Royaume de Dieu, répétons-le, passe d’abord et avant tout par l’Église. C’est
là que se rassemblent ceux qui ont cru à la Parole du Christ. En d’autres
termes, la nouvelle création de Dieu commence dès à présent et elle commence
par l’Église. Ep 1.10 nous fait réfléchir sur ce sujet de façon récurrente, sur
la notion de création et de
construction d’un édifice par Dieu : « Selon ce plan, tout ce qui est au ciel
et tout ce qui est sur la terre
doit être harmonieusement réuni
en Christ ». Si l’Église ne le fait pas alors,
comme dirait l’évangile de Mt, « le
sel perd sa saveur, il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est
foulé aux pieds par les hommes » (Mt 5.13). L’infidélité de l’Église a
bien souvent débouché, en effet, sur sa dévalorisation. Or l’Église devrait
manifester qu’elle participe d’une nouvelle création car « nous avons été créés
en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes, que Dieu a préparées à d’avance, afin que
nous nous y engagions » (Ep 2.30). C’est par ces œuvres bonnes qui
procèdent de cette ré-création que nous adressons un témoignage et une
interpellation à ce monde.
Mais la nouvelle création que doit opérer l’Église consiste également,
entre autres, à créer une seule humanité fondée en Christ (Ep. 2.11-22),
abolissant ainsi les différences de statut social homme/femme, homme
libre/ esclave, juif/grec. Tout ce que ces divisions produisent de haines est
aboli. Pour autant, la nouvelle création ne produit pas des êtres identiques
les uns aux autres. Mais « il y a un seul Corps, un seul Esprit…une seule
espérance, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et
Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous »(Ep.
4.4-6). La diversité n’est donc pas à cet effet occultée. De sorte que la
question du lien social se pose également dans l’Église (Ep. 4.3).
Il s’agit donc de mener à bien
une coopération réussie qui montre que c’est une richesse de vivre avec des
personnes différentes de soi-même, que nous nous réjouissons d’avoir besoin les
uns des autres, que les différences ne débouchent pas sur une dévalorisation de
l’autre. C’est à partir de là que nos Églises peuvent servir d’exemple à la
projection du Royaume de Dieu. Si les chrétiens savent faire la preuve que
tirer parti des différences entre eux est une richesse, ils peuvent produire du
nouveau hors de ce monde. S’ils expérimentent dans leur vie d’Église cette
richesse, ils seront plus forts pour tenter de la vivre ailleurs. Comme le dit
l’apôtre Paul : « il vous faut être renouvelé par la transformés
spirituelle de votre intelligence et revêtir l’homme nouveau, créé selon Dieu
dans la justice et la sainteté qui viennent de la vérité » (Ep. 4.23-24).
Cette image de l’homme nouveau est intéressante au regard de ce que nous
disons. Il ne s’agit pas d’éradiquer l’humanité mais de changer la manière de
vivre.
Conclusion
Notre réflexion nous amène à la conclusion suivante :
l’eschatologie dans le christianisme africain doit être abordée avec
discernement et équilibre. Plutôt que de tomber dans l’excès du catastrophisme ou
de l’indifférence, le chrétien africain est appelé à vivre les derniers temps
avec une foi dynamique, fondée sur l'espérance et l’engagement. Loin d’être une
doctrine de peur, l'eschatologie dans le christianisme africain doit inspirer
une vie chrétienne résolue, témoignant de l’amour de Dieu et de l’attente
confiante du retour du Christ.
Jésus est venu nous
apporter le salut. Ce salut vise à nous restaurer dans toutes les dimensions de
notre existence. Il passe par une foi qui ouvre à une nouvelle manière de
vivre. C’est à travers cette nouvelle manière de vivre que nous rencontrons une
dimension de la vie chrétienne. En réalité, cette vie sociale renouvelée est
inséparable de notre manière globale d’être chrétien et de rendre témoignage à
Dieu. Cette vie renouvelée est celle pour laquelle l’homme a été créé, mais
aussi celle qu’il refuse. Proposer, interpeller, vivre le pardon, les valeurs
du Royaume de Dieu, l’amour, c’est porter témoignage de l’appel du Christ et de
cette nouvelle vie qu’Il nous propose à Son retour. Aujourd’hui plus que
jamais, dans un monde en quête de sens, notre manière de vivre cette espérance
peut devenir un témoignage puissant. C’est dire que vivre l’espérance
chrétienne aujourd’hui, c’est croire que la lumière du Christ éclaire encore
les ténèbres du monde, agir avec amour et persévérance, et attendre avec
confiance la pleine révélation du Royaume de Dieu.
Car, l’espérance
chrétienne ne nous invite pas à fuir la réalité, mais à la transformer. Dans Romains 8
:24-25, Paul
parle d’une espérance qui nous pousse à persévérer avec patience. Cela signifie
travailler pour la justice, la paix, et l’amour dès maintenant, tout en gardant
les yeux fixés sur la promesse du Royaume à venir.
Jimi ZACKA, PhD
Références bibliographiques
Mbiti, J.J, Concepts of God in Africa,
Acton Publishers, 1970
Bujo, B., African Theology in Its Social Context,
Wipf and Stock Publishers, 1992
Bujo,B., Théologie africaine au défi du Royaume,
1995.
Conink,
F. Ethique
Chrétienne et Sociologie, Mery-sur-Oise, Ed. Sator, 1992
KÄ MANA, G., La nouvelle évangélisation en Afrique,
Paris/Yaoundé, Khartala/Clé, 2000 ;
_________Théologie
africaine pour temps de crise. Christianisme et reconstruction de l’Afrique,
Paris, Khartala, 1993.
Metogo,
M. E., Théologie africaine et Ethnophilosophie, Paris, L’Harmattan, 1985,
Ngindu Mushete,A., à travers son article : « La
théologie africaine. De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de théologie africaine, vol. I,
n° 1, janvier-juin 1979, pp. 69-90
Zacka,J., « Entre rétribution et espérance :
un regard sur la lecture de l’Apocalypse dans l’Afrique Contemporaine »in Perspective missionnaire, pp. 52-63, 2012/1,
63.
Dans ce contexte,
la rhétorique eschatologique pousse à penser que la récompense divine viendra à
la fin des temps, même si l’injustice persiste ici-bas. À cet effet,
l’eschatologie du christianisme africain répond parfois en valorisant la
patience et l’endurance : Dieu renversera les injustices au dernier jour, et
ceux qui souffrent ici-bas seront élevés dans l’au-delà (cf. Luc 16:19-31,
parabole du riche et de Lazare).
En Afrique, la
souffrance est souvent perçue comme une épreuve envoyée soit par Dieu pour
tester la foi, soit par des forces spirituelles adverses (sorcellerie, mauvais
esprit, etc.). Le croyant qui demande "Pourquoi moi ?" exprime
alors une double tension : Pourquoi Dieu permet-il cette souffrance
alors que je suis fidèle ? Pourquoi
suis-je ciblé parmi les autres ? Est-ce
une attaque spirituelle ?
Nous
soulignons ici que dans de nombreuses communautés chrétiennes africaines, l’eschatologie s’exprime
souvent à travers une forte attente de délivrance
— non seulement spirituelle, mais aussi sociale et matérielle. L’idée du retour du Christ est perçue
comme une libération définitive des oppressions de ce monde : maladies,
pauvreté, injustice. C’est une foi enracinée dans l’espérance que "les
derniers seront les premiers" (Matthieu 20:16). Bien que le
christianisme enseigne que l'âme va auprès de Dieu après la mort, beaucoup de
croyants africains gardent une forme de respect pour les ancêtres — sans
forcément les vénérer. Cette tension donne une eschatologie contextualisée
: la promesse de
la vie éternelle en Christ cohabite avec une vision où les défunts restent
présents dans la mémoire collective
Sur les théologies missionnaires du salut des âmes et de
l’implantation, on peut lire avec intérêt, la contribution de Ngindu Mushete, A., à travers son article : « La théologie
africaine. De la polémique à l’irénisme critique », Bulletin de théologie africaine, vol. I, n° 1, janvier-juin 1979,
pp. 69-90
L’apport
missionnaire à l’enseignement eschatologique en Afrique est un héritage
complexe, marqué par l’hybridation et les tensions. Si les missionnaires ont
introduit des concepts théologiques structurants et participé à
l’alphabétisation, leur approche a aussi fragmenté des cosmovisions
autochtones. Aujourd’hui, l’eschatologie en Afrique reflète cette dynamique :
elle est à la fois le produit d’un impérialisme culturel et d’une
réappropriation résiliente, où les Africains réimaginent la fin des temps à travers
leurs propres réalités et aspirations.
Beaucoup de chrétiens, face à des réalités difficiles
(pauvreté, maladie, conflits), trouvent une force immense dans cette foi. La
conviction que Christ revient pour restaurer la justice donne du courage.
Durant la pandémie de
Covid-19, les prières pour les malades et les défunts ont maintenu un lien
entre le visible et l’invisible, rappelant que la vie échappe à la mort (cf. 1
Corinthiens 15:55) et ceci constitue des signes avant-coureurs de la fin des
temps.
Face aux discours
alarmistes annonçant une fin imminente du monde, de nombreux chrétiens
africains oscillent entre la peur et l’espérance. Certains adoptent une posture
fataliste, croyant que la dégradation du monde est inévitable. D'autres, au
contraire, voient l'attente eschatologique comme un appel à vivre une foi
engagée, marquée par la justice sociale, l'évangélisation et la préparation
spirituelle. L'apôtre Paul exhortait les chrétiens à ne pas se laisser troubler
par les signes des temps, mais à garder une foi ancrée dans la grâce du Christ
(1 Thessaloniciens 5:1-11). Ainsi, au lieu de se focaliser sur la peur de la
fin, il s’agit d’affermir son engagement envers Dieu et son prochain.
En
écho à Dietrich Bonhoeffer, martyr de la résistance au nazisme, l’espérance
eschatologique est une participation à la souffrance de Dieu dans le monde,
où prière et action deviennent indissociables. Ainsi, les crises, en dévoilant
la finitude humaine, deviennent paradoxalement des seuils vers une espérance
qui « ne déçoit point » (Romains 5:5). Dans un monde secoué par des crises
multidimensionnelles, l’eschatologie invite ainsi les croyants à incarner
l’espérance comme subversion créatrice — non pour fuir le monde, mais
pour le transfigurer à la lumière de l’éternité.
La crise
écologique actuelle interpelle toutes les traditions spirituelles, y compris le
christianisme. En Afrique, où la foi chrétienne coexiste avec des cosmovisions
ancestrales liées à la nature, se dessine une approche théologique unique.
La Genèse (1-2)
présente la nature comme une œuvre bonne confiée à l’humain (Genèse 2:15). Pour
le chrétien africain, cette vision rejoint les traditions locales où la terre
est mère nourricière et espace sacré. Le théologien kényan John Mbiti souligne
que dans les cultures africaines, « la terre n’est pas une propriété, mais
un héritage des ancêtres et un prêt aux générations futures », Mbiti, J. John, Concepts of God in
Africa, Acton Publishers, 1970. Cette idée rejoint la notion biblique de
gérance (Genèse 1:28), où l’humain est gardien, non propriétaire.
Kä Mana, en Afrique francophone, et
Jesse Mugambi, en Afrique
anglophone sont les grandes figures de la théologie de la reconstruction.
Le mouvement de la théologie de la reconstruction
a , en quelques années, tenté de changer le paysage de la théologie en Afrique
et fournir aux communautés chrétiennes une nouvelle grille de lecture de leur
situation et de leurs responsabilités dans la société. Ce mouvement théologique
montre qu’il est nécessaire de penser notre présent en termes de nouveaux choix
économiques, politiques, sociaux et culturels à faire et en termes de nouvelles
fondations morales et spirituelles à poser et d’invention de nouvelles
stratégies pour bâtir l’avenir. Sans renier les préoccupations passées, il
s’agit de les intégrer dans la perspective de l’invention du futur, la
reconstruction étant en fait le commencement d’un processus de restructuration
des mentalités et des attitudes. Les enjeux de ce mouvement sont éminemment
missionnaires : l’intégration de l’évangile dans tous les domaines décisifs
pour l’avenir du continent. C’est pourquoi on pense la nouvelle évangélisation
en termes de reconstruction africaine : une reconstruction fondée
essentiellement sur le socle de l’évangile. Lire à cet effet G. KÄ MANA,
La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris/Yaoundé, Khartala/Clé, 2000
; idem Théologie africaine pour temps de crise. Christianisme et
reconstruction de l’Afrique, Paris, Khartala, 1993.
Les reconstructionnistes
chrétiens sont postmillénaristes, ce
qui signifie qu'ils croient que le Royaume de Dieu a été établi à la
résurrection et que, grâce à la soumission fidèle des chrétiens à la loi
biblique et à l'exercice de la domination, le Royaume sera progressivement
réalisé dans l'histoire.
L’homme,
créé à l’image de Dieu (Genèse 1:27), est appelé à refléter l’amour créateur.
En Afrique, cette vocation s’exprime à travers une éthique de la communauté,
incluant les êtres vivants et les écosystèmes. Comme l’écrit le théologien
congolais Bénézet Bujo, « Dieu se révèle dans la polyphonie de la création
», Bénézet Bujo, African Theology in Its Social Context, Wipf and Stock
Publishers, 1992. Cette perspective contraste avec un anthropocentrisme
occidental, privilégiant une écologie relationnelle inspirée de Romains 8:19-22
(la création qui soupire). Il est à rappeler que l’écothéologie
africaine contribue également aux débats internationaux, notamment via
l’encyclique Laudato Si’ (2015). Le pape François, évoquant la « conversion
écologique », rejoint des concepts africains comme ubuntu (« je suis
parce que nous sommes »), étendu à toute la création.
L’Église,
comme signe visible du Royaume, vit une tension féconde entre sa réalité
historique et son destin eschatologique. Elle est à la fois sainte et en besoin
de purification, une et diverse, incarnée et tournée vers le ciel. En Afrique
comme ailleurs, sa crédibilité dépend de sa capacité à incarner l’Évangile dans
la chair du monde, rappelant que le Royaume n’est pas seulement « au milieu de
nous » (Lc 17:21), mais aussi devant nous, appelant à une conversion
permanente. Ainsi, l’Église reste, malgré ses ombres, un signe d’espérance pour
l’humanité. Lire à cet effet, Bénézet Bujo, Théologie africaine au défi du
Royaume, 1995.
Face
à l’exploitation minière ou à la déforestation, des Églises africaines sont
appelées à adopter un discours prophétique, à l’instar de la Kényane Wangari
Maathai, fondatrice du Green Belt Movement, qui voyait dans la
plantation d’arbres un acte de « foi en Dieu et respect de Sa création
». Son engagement, citant Osée 4:1-3 (« la terre est en deuil »),
illustre une écologie libératrice, liant salut humain et restauration
écologique.
Certains pasteurs peu scrupuleux exploitent
la peur de la fin des temps pour manipuler ou vendre des "protections
spirituelles". Il y a aussi un risque d'abandon des responsabilités
sociales au profit d’une attente passive du retour du Christ.