mardi 5 novembre 2024

DIALECTIQUE DE L'ÊTRE ET DU NON-ÊTRE SELON L'APÔTRE PAUL (Prof.Jimi ZACKA)

    L'apôtre Paul, figure centrale du christianisme primitif et théologien profond, aborde la question de l'être et du non-être d'une manière qui dépasse les simples considérations philosophiques pour toucher à la réalité spirituelle, théologique et morale.

     Dans ses épîtres, la dialectique de l’être et du non-être se manifeste non seulement à travers des réflexions sur la nature de Dieu et de l'humanité, mais aussi à travers les tensions entre la vie charnelle et la vie spirituelle, la réalité de la rédemption, et l’attente d’un salut futur. Cette dialectique est à la fois un enjeu théologique fondamental et une manière de structurer la vie chrétienne.

1. L'être et la création selon Paul

    L’être, dans la pensée paulinienne, se réfère avant tout à l'existence en Dieu, à la création et à la relation entre l’humanité et Dieu. Dans l’Épître aux Romains, Paul affirme que Dieu est l'origine et la fin de l'être : "Car de lui, par lui et pour lui sont toutes choses" (Romains 11:36). L'être, tel qu'il se manifeste dans la création, est bon, mais il est aussi marqué par la chute. Cette chute, selon Paul, a introduit le non-être dans la réalité humaine.

    L’être humain, créé à l’image de Dieu, a été fait pour vivre en communion avec Lui, mais par le péché, cette relation est brisée. Paul décrit la condition humaine comme étant dominée par le péché, ce qui introduit le non-être dans l’existence humaine : "Le salaire du péché, c'est la mort" (Romains 6:23). La mort, dans ce contexte, n’est pas seulement la fin biologique de l’être humain, mais également l'état spirituel de séparation d'avec Dieu. Le non-être s’invite ainsi dans la réalité humaine, car le péché prive l'homme de la vie véritable, celle en Dieu.

2. Le non-être du péché et la rédemption en Christ

    La dialectique de l’être et du non-être se fait particulièrement visible à travers la doctrine du péché et de la rédemption. Le péché est vu par Paul comme une forme de non-être, une force qui déforme la nature de l'homme, le rendant esclave de son propre déclin spirituel. En Romains 5:12, Paul explique que "le péché est entré dans le monde par un seul homme", et que ce péché a conduit à la mort, marquant l’humanité de manière universelle. L’existence humaine, avant la rédemption en Christ, est donc marquée par une relation avec un "non-être" ontologique : l’homme vit sous l’emprise du péché, qui le sépare de la vie véritable en Dieu.

    Mais cette condition de non-être, selon Paul, n'est pas une fatalité. Le Christ, en sa mort et en sa résurrection, introduit un "nouvel être", un chemin de réconciliation avec Dieu. Il est celui qui rétablit l’être véritable dans l’humanité. En 2 Corinthiens 5:17, Paul déclare : "Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle création ; les choses anciennes sont passées, voici toutes choses sont devenues nouvelles." La rédemption par le Christ inaugure ainsi un passage du non-être au véritable être, du péché à la vie, du déclin à la gloire.

    La croix de Christ devient donc le lieu où cette dialectique se joue. Par la crucifixion, le Christ subit le non-être (la séparation d'avec Dieu, la mort) pour restaurer l’être (la vie en Dieu, la résurrection). Il porte le péché de l’humanité afin que l’homme, unifié à Lui par la foi, puisse vivre dans la plénitude de son être en Dieu. La victoire du Christ sur la mort et le péché renverse le non-être ontologique et spirituel en une nouvelle existence, fondée sur la réconciliation avec Dieu.

3. L’être du chrétien et la tension entre le déjà et le pas encore

    La dialectique de l’être et du non-être chez Paul ne se résume pas à un acte unique de rédemption, mais inclut également une tension eschatologique, celle entre le "déjà" et le "pas encore". Le chrétien, bien que réconcilié avec Dieu par la foi en Jésus-Christ, vit encore dans un monde marqué par le péché, où la pleine manifestation de l'être véritable en Dieu n'est pas encore accomplie. Paul parle ainsi de l'attente de la "révélation des fils de Dieu" (Romains 8:19), où les chrétiens, libérés de la corruption du péché, vivront pleinement dans l’être auquel Dieu les a destinés.

    Dans ce cadre, l’être chrétien est marqué par une double réalité : l'homme "nouveau" en Christ vit déjà une forme de rédemption, mais il attend encore la plénitude de cette rédemption. Cette tension est exprimée dans la théologie paulinienne par l’opposition entre "l'homme ancien" et "l'homme nouveau" (Éphésiens 4:22-24). L’homme ancien, l’homme pécheur, appartient au non-être, tandis que l'homme nouveau, renouvelé par l’Esprit, appartient à l’être véritable. Mais cette transformation n’est pas encore complète, car l’achèvement de l’être chrétien se réalise dans l'eschaton, à la parousie (le retour du Christ).

 4. La dialectique de l’être et du non-être dans la vie morale du chrétien

    Enfin, la dialectique de l’être et du non-être trouve également une application dans la vie morale du chrétien. Le croyant, tout en étant réconcilié avec Dieu, doit vivre dans un monde marqué par le péché et le non-être. Il est donc appelé à combattre le péché dans sa propre vie, à s’efforcer d’être conforme à l’image du Christ. Dans l’Épître aux Galates, Paul exhorte les chrétiens à marcher "selon l'Esprit" et non selon la chair (Galates 5:16-17), car la chair conduit au non-être, tandis que l'Esprit mène à l’être véritable.

    Le chrétien, dans sa lutte contre le péché, cherche ainsi à manifester, dans sa propre existence, le passage du non-être à l’être. Cette lutte est celle de la transformation intérieure, qui se poursuit tout au long de la vie terrestre du chrétien. Il est un "déjà" sauvé, mais il vit dans l'attente de la plénitude de l’être dans la gloire à venir.

 Conclusion

    La dialectique de l’être et du non-être chez l’apôtre Paul s’inscrit dans une vision théologique qui dépasse les frontières de la philosophie pour toucher aux dimensions profondes de la vie chrétienne. L'être véritable est en Dieu, et le non-être réside dans le péché, la séparation et la mort. La rédemption en Christ inaugure un passage du non-être à l'être, tout en plaçant le croyant dans une tension eschatologique entre le "déjà" de la réconciliation avec Dieu et le "pas encore" de la pleine rédemption. Cette dialectique n'est pas seulement un concept théologique, mais une réalité vivante qui structure la vie morale, spirituelle et eschatologique du chrétien.

Prof. Jimi ZACKA

Bibliste

 

dimanche 28 juillet 2024

L’APÔTRE PAUL ET LES JEUX OLYMPIQUES : 1 Co 9.24-27 Jimi ZACKA, PhD


 

Texte

“ 24.Ne savez- vous pas que ceux qui courent dans le stade courent tous, mais qu'un seul remporte le prix ? Courez de manière à le remporter. 25 Tous ceux qui combattent s'imposent toutes espèces d'abstinences, et ils le font pour obtenir une couronne corruptible ; mais nous, faisons-le pour une couronne incorruptible. 26 Moi donc, je cours, non pas comme à l'aventure ; je frappe, non pas comme battant l'air. 27 Mais je traite durement mon corps et je le tiens assujetti, de peur d'être moi-même rejeté, après avoir prêché aux autres. ".

 

Introduction

En suivant l’ouverture des JO de Paris 2024, ce que l’apôtre Paul a mentionné en 1 Co 9.24-27 a attiré mon attention et m’a amené dans une certaine actualité et vous devinez laquelle : les compétitions qui vont se dérouler lors  des jeux Olympiques. Cependant, la question qui me taraude l’esprit est de cherche à relever les concepts spirituels qui se profilent derrière ce que Paul évoque : quels liens éthiques est à découvrir entre la foi chrétienne et les Jeux Olympiques ?

L'apôtre Paul, il faut le dire,  n'a jamais participé aux Jeux olympiques, mais il a utilisé les Jeux comme métaphore dans ses écrits pour mettre en évidence des concepts spirituels[1]. En effet, dans 1 Corinthiens 9:24-27, Paul compare la vie chrétienne à une course, en soulignant la nécessité de discipline et de persévérance pour obtenir la récompense éternelle. Cette analogie est un exemple de la manière dont Paul utilisait des images de la culture grecque et romaine de son temps pour transmettre des enseignements spirituels. Les Jeux olympiques, ayant une grande importance culturelle à l'époque, offraient une métaphore efficace pour ses messages[2]. Comme si l’apôtre Paul veut que le chrétien tire des leçons spirituelles en toutes choses dont il est témoin oculaire.  Cela implique que, dans toutes les expériences et observations de la vie quotidienne, il y a des opportunités pour la croissance spirituelle et pour comprendre les principes de Dieu. C’est comme Jésus utilise l’observation des oiseaux pour enseigner une leçon sur la confiance en Dieu : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne recueillent dans des granges, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » (Mt6.26). Cela montre comment les éléments de la nature ou de la société peuvent servir de leçons spirituelles.

In fine, le chrétien est appelé à tirer des leçons spirituelles de toutes les choses dont il est témoin. Cette approche encourage les croyants à vivre attentivement et à rechercher la signification spirituelle derrière leurs expériences quotidiennes, les événements naturels et les interactions humaines. En utilisant la prière, la méditation et l’étude des Écritures comme outils, les chrétiens peuvent discerner et appliquer les leçons spirituelles qu’ils rencontrent, contribuant ainsi à leur croissance personnelle et à leur compréhension de la volonté de Dieu. Tel est le but de la présente étude de 1 Co 9.24-27 allusive aux JO de Paris 2024. À cet effet, une question s’impose : d’où viennent les jeux Olympiques ?

Contexte historique des Jeux Olympiques   

Les Jeux Olympiques ont été fondés en 776 av. J.-C. à Olympie, une ville située dans le Péloponnèse, en Grèce[3]. Ils étaient dédiés à Zeus, le roi des dieux dans la mythologie grecque[4]. Initialement, les jeux étaient organisés tous les quatre ans, et ils ont continué à se tenir à Olympie jusqu'à leur suppression en 393 ap. J.-C. par l'empereur romain Théodose Ier.

Ils se faisaient sur un stade qui avait une piste de 193 mètres[5] ; au début on a commencé à organiser des courses pour un tour, puis on a fait plusieurs tours et on a différencié les coureurs rapides des coureurs de fond. Les organisateurs ont fait des améliorations. Cela faisait venir du monde de partout et toute guerre civile s'arrêtait à ce moment-là. C'était un festival athlétique. D'autre villes ont voulu faire de même, par exemple à Corinthe : il y avait un festival athlétique qui a été organisé par la suite tous les deux ans avec une course de treize kilomètres. Et là encore, toute guerre civile cessait. Les vainqueurs étaient portés en triomphe ; on clamait bien haut leur nom, le nom de leur père, le nom de la ville d'où ils venaient. On organisait un banquet public. On faisait une statue des plus grands champions. En fait, c'était un culte idolâtre créant de faux dieux et actuellement existe l'expression que vous connaissez : « Les dieux du stade ». Les gens adoraient les dieux du stade et les mettaient à l'honneur[6].

C’est ce qui a été relevé lors de la cérémonie de l’ouverture des Jeux Olympiques 2024 de Paris, qui aura marqué une étape vers le satanisme. Les observateurs ont constaté que les transgressions observées lors de l'événement peuvent soit devenir normales et banales dans dix ans, soit être vues comme un signe de décadence nécessitant un retour en arrière qui selon eux, pourrait être perçu comme un retour à l'obscurantisme, marquant la fin d'une époque de ce qu’ils appellent « liberté ». Cette « liberté » de spectacles de drag-queens et de « femmes à barbe » critiquant ouvertement la chrétienté et la nature humaine. Cela nous rappelle des prédictions que Marie-Julie Jahenny nous a laissé (La Fraudais, extase datée du 9 mai 1882). Il y est question d’une première crise révolutionnaire ayant pour origine une vengeance populaire aussi vaste que violente contre la chrétienté en des termes explicites

Satan sera publiquement invoqué, le vrai Dieu insulté. On évoquera, en plein public, Satan, le Maître des Puissances, le grand chef qui détournera les lois de leur bonne route, en une marche effroyable.

 

C’est pourquoi, même si l’apôtre Paul reconnaît les performances sportives, il ne veut pas honorer les sportifs.  Il reconnaît leurs efforts leur entraînement, leur capacité d'endurance peu commune, leurs formidables exploits, mais au conseil qu’il donnait à son disciple Timothée dans 1Tm 4 : 8, il pensait que :  

 …l'exercice corporel est utile à peu de chose, tandis que la piété est utile à tout, ayant la promesse de la vie présente et de celle qui est à venir

 

Toutefois, en 1 Co 9.24, il utilise la métaphore du sport pour illustrer des principes importants de la vie chrétienne, telles que la discipline, l'endurance et la préparation spirituelle.

 Les jeux Olympiques selon l’Apôtre Paul  en 1 Co 9.24-27

1.                                       Métaphore de la course (v.24)  

 

1.1.             Course et Stade

Paul compare la vie chrétienne à une course dans un stade. Dans les Jeux olympiques de l’époque, les athlètes concouraient pour une couronne de laurier, symbole de victoire temporaire. Paul utilise cette image pour montrer que, tout comme les athlètes doivent courir avec détermination pour gagner, les chrétiens doivent aussi courir avec détermination dans leur vie spirituelle. Au fait, nous sommes appelés à participer à une course merveilleuse. Pour courir cette course qui est celle de la vie chrétienne, il y a des conditions à remplir. La première, est d'être sûr qu'on est bien engagé. Il y a des personnes qui se croient engagées dans la course pour l'éternité, mais elles vivent d'illusions, parce qu'elles pensent que fréquenter une église, aller à la messe ou à un culte, va leur ouvrir les portes du ciel. En fait, elles se croient engagées, alors qu’elles ne le sont pas. Pour être engagé, il faut être tourné vers Jésus, lui avoir donné sa vie, s'être converti et lui appartenir. Il y a eu dans les derniers jeux olympiques, un coureur français spécialiste du 200 mètre, qu'on croyait engager mais on s'est aperçu qu'il ne l'était pas ; on comptait sur lui pour un relais mais il ne pouvait pas participer parce qu'il n'avait pas été inscrit sur la liste. De même il y a des croyants qui ne sont pas inscrits sur le livre de Vie, parce qu’ils n’ont pas donné leur vie à Jésus-Christ. La deuxième est d'avoir une bonne respiration. L'athlète avant le départ a fait des efforts pour se mettre en condition par rapport au souffle. Quand il va partir, il saura que son souffle est à point, qu'il est dans de bonnes conditions pour démarrer et pouvoir gagner. Et pour nous, cela a été dit souvent: la prière est la respiration de l'âme . Pour avoir une bonne respiration en ce qui concerne notre vie spirituelle, il nous faut prier. Rien ne remplacera la prière. Et ce souffle il nous faut aussi le régler dans la course ; le souffle va être différent en intensité pour un coureur de sprint par rapport à un coureur de fond. Pour nous, il nous faut savoir que notre course est une course de longue haleine et que nous n'avons pas à nous précipiter ; il nous faut courir en sachant tenir le souffle. La troisième est d’atteindre un but. Nous avons donc un but. L'apôtre Paul écrivant aux Phi 3. 13b,14 leur écrivait qu’” oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour remporter le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ ". Le but c'est la vocation céleste. Nous courons sur une piste qui est déjà balisée par notre Seigneur. Cette course est-elle quelque chose de pénible ? Bien sûr il y a une partie de sacrifices, d'efforts, mais il y a la joie du participant. Et l'apôtre Paul dit : " pourvu que j'accomplisse ma course avec joie". 

1.2.            Le Prix à gagner

Paul souligne que, bien que tous les coureurs participent à la course, seul un athlète reçoit le prix[7]. Cela illustre l'idée que, dans la vie chrétienne, il y a un but ultime que chaque croyant doit viser avec sérieux et engagement. Il y a au bout de la route un prix à remporter. Pour les concurrents des jeux olympiques c'est une médaille d'or, d'argent ou de bronze et les autres n'ont pas de récompense[8] ; il n'y a qu'un seul gagnant. Mais dans la course vers le ciel, tous ceux qui sont dans la course et qui persévèrent accéderont au but. Ils auront le prix de la vocation céleste et cela est donné par la Grâce. Le témoignage de Paul au soir de son existence laborieuse au service du Maître est celui-ci : " J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi " (2 Tm 4.7).

2. Discipline et Préparation

2.1.  Abstinences

Les athlètes grecs, appelés athlètes, suivaient un entraînement intensif en vue des compétitions. Cette préparation impliquait souvent une discipline stricte, y compris une abstinence par rapport à certains comportements ou pratiques qui pourraient nuire à leur performance. Ils suivaient des régimes alimentaires spécifiques pour optimiser leur condition physique. Cela pouvait inclure des périodes de jeûne ou de restriction alimentaire avant les compétitions. L’abstinence sexuelle était considérée comme un moyen de préserver l’énergie et la concentration nécessaires pour l’entraînement et les compétitions. Les athlètes croyaient que les relations sexuelles pouvaient diminuer leur vitalité et leur performance. À cet effet, avant les compétitions, les athlètes participaient souvent à des rituels de purification et de sacrifice pour obtenir la faveur des dieux. L’abstinence pouvait faire partie de ces rites pour marquer la pureté et le respect envers les divinités.

C’est dire que l’abstinence et la discipline faisaient partie de l’idéal de l’athlète grec, qui était vu comme un modèle de maîtrise de soi, de courage et de dévouement. Cet idéal était encouragé par les éducateurs et les entraîneurs de l’époque. Dans cette optique, Paul considère l’abstinence comme la discipline nécessaire pour atteindre le but spirituel. Le concept d’abstinence chez Paul touche à divers aspects de la vie chrétienne, notamment la maîtrise de soi, la discipline spirituelle, et le rejet des comportements qui pourraient éloigner les croyants de leur relation avec Dieu. En effet, en 1 Co 9.25, L’apôtre encourage les croyants à exercer la maîtrise de soi et à éviter les comportements qui peuvent mener à des excès ou à la moralité douteuse.

En fin de compte, pour l'apôtre Paul, l'abstinence est étroitement liée à la maîtrise de soi, à la discipline spirituelle, à la liberté chrétienne par rapport aux lois anciennes, et au respect des consciences des autres. Elle est perçue comme une manière de vivre une vie chrétienne authentique et consacrée, en se préparant pour la vie éternelle tout en maintenant une relation harmonieuse avec les autres croyants. Le but de cette discipline sévère est de ne pas être rejeté après avoir prêché aux autres. Paul se préoccupe de la possibilité de ne pas être fidèle à son propre message, soulignant l’importance de vivre selon les principes qu’il enseigne. En effet, Paul se positionne en tant que modèle de ce qu’il enseigne, illustrant l’importance de la cohérence entre le message prêché et la vie vécue, et la nécessité d’une discipline personnelle pour être efficace dans le ministère.

2.2. L’engagement total (v.26-27)

Du coup, son message appelle à un engagement total et déterminé dans la vie chrétienne, similaire à celui des athlètes dans leurs compétitions. La vie chrétienne nécessite une préparation rigoureuse, de la discipline et une orientation claire. Cet engagement explique que Paul traite durement son corps et le réduit en esclavage, utilisant des termes qui évoquent l'auto-discipline rigoureuse. Cela signifie qu’il est prêt à se discipliner sévèrement pour rester fidèle à sa mission et éviter l’échec spirituel afin de remporter la couronne que les chrétiens cherchent à obtenir est incorruptible et éternelle,  contrairement aux récompenses temporelles des athlètes[9], Cela renforce l'idée que les efforts spirituels et la préparation sont bien plus importants que les récompenses terrestres. Dit autrement, les récompenses spirituelles sont comparées à une couronne incorruptible, soulignant que les efforts pour la foi ont une valeur éternelle et ne doivent pas être comparés aux récompenses temporaires.

Il est à noter que les allusions de Paul aux Jeux olympiques reflètent à la fois son contexte culturel et son utilisation stratégique des images sportives pour illustrer des principes de vie chrétienne.

Conclusion

En guise de conclusion, il est à noter que Paul, ayant grandi dans un contexte où les Jeux olympiques et autres compétitions étaient des événements majeurs, utilise ces références de 1 Corinthiens 9 :24-27 pour rendre ses enseignements plus accessibles et pertinents pour ses lecteurs. Les métaphores sportives étaient courantes dans la culture grecque et étaient bien comprises par ses auditeurs. À travers ses références aux compétitions sportives, Paul enseigne que la vie chrétienne requiert une discipline rigoureuse et une orientation vers un objectif spirituel élevé. Il utilise ces images pour motiver les croyants à vivre de manière plus engagée et à viser la récompense éternelle que Dieu promet. Les références de Paul aux Jeux olympiques et aux compétitions athlétiques servent principalement à illustrer les principes de discipline, de persévérance, et d'engagement dans la vie chrétienne.

En utilisant ces métaphores, Paul relie les pratiques sportives familières à des enseignements spirituels, encourageant les croyants à vivre avec la même détermination et rigueur que les athlètes qui s'entraînent pour gagner une couronne périssable.

                                                                                         Jimi ZACKA, PhD


[1] Dans toutes les villes de la Grèce, particulièrement à Corinthe, il y avait une arène publique où s'exécutaient des courses et divers combats, dans lesquels saint Paul voit une image de la vie chrétienne. Ici, le prix, la couronne à remporter par le vainqueur, c'est la vie éternelle. (Comparer Philippiens 3.12-14 ; 2Timothée 2.5 ; 4.8)

[2] Pour les Grecs, le sport était un moyen de renforcer des valeurs culturelles profondément ancrées en y faisant allusion dans le cadre du jeu et dans les institutions et pratiques entourant l'athlétisme. Dans les cultures où le sport joue un rôle aussi central qu'en Grèce, la référence aux valeurs culturelles passe souvent par l'imitation ou l'allusion aux mythes incontournables de cette culture.

[3] Les premières Olympiades ont été traditionnellement fondées en 776 avant J.-C., date indiquée dans la liste des vainqueurs olympiques d'Hippias d'Elis, composée vers 400 avant J.-C. La date de fondation de 776 a longtemps été contestée. Ératosthène et ses partisans se sont ralliés à une fondation en 884, tandis que Callimaque a estimé qu'elle avait commencé en 828. Les archéologues et historiens modernes ont soit maintenu la fondation canonique de 776, soit abaissé le début à 704, soit suggéré de manière moins convaincante un début au début du sixième siècle avec les autres jeux panhelléniques), soit simplement laissé la question ouverte. Lire à cet effet, Judith Swaddling, The Ancient Olympics: A History, University of Texas PressAustin1999; M. Golden, Sport and Society in Ancient Greece, Cambridge, 1998, pp. 63-65

[4] T. F. Scanlon, The Olympic Games in Antiquity: Bring Forth Rain and Bear Fruit, eds. M. Kaila et al. (Athens: Atrapos, 2004) 61–91]]

[5] Sur les preuves matérielles d'une fondation des jeux au huitième siècle, voir A. Mallwitz, dans W. Raschke, éd. The Archaeology of the Olympics, Madison, 1988, pp. , 79-109,  ; réimpression, 2002) ; pour la théorie de l'évolution graduelle, voir H. Lee 110-18 dans Raschke , 1988.

[6] Par définition, les sports sont des événements publics, des événements du stade, et donc des événements qui, d'une certaine manière, servent de miroir à l'activité de la sphère publique de la société en dehors de l'espace circonscrit de la compétition. Les sports impliquent une performance publique, réalisée par les corps des participants. Dans leurs manifestations publiques et physiques devant des spectateurs ou un public, les compétitions sportives sont comparables aux rituels religieux, à la récitation ou au chant d'histoires et aux représentations théâtrales dans les cultures anciennes, traditionnelles et même modernes. Les actions sportives, comme les performances analogues, décrivent souvent un jeu complexe de tensions dont le public peut tirer des messages implicites ou explicites des textes de leur passé collectif pour les appliquer à leur vie actuelle. Chaque athlète se considère comme le dernier participant dans la tradition des plus grands des années passées. Ainsi, l'activité du stade constitue en quelque sorte un dialogue entre une culture contemporaine et l'époque mythique de son référent.

[7] Dans la société grecque antique, la valeur des médailles et des récompenses sportives était profondément symbolique et influencée par plusieurs facteurs culturels et sociaux. Les médailles et les couronnes décernées lors des Jeux étaient des symboles d’excellence et de réussite. Les athlètes victorieux recevaient des couronnes de laurier (aux Jeux Olympiques), de pin (aux Jeux Pythiques), de myrte (aux Jeux Néméens) ou d'olivier (aux Jeux Isthmiques), plutôt que des médailles comme on les connaît aujourd'hui

[8] Dans la société grecque antique, remporter une couronne était un grand honneur et conférait un statut élevé dans la société grecque. Les athlètes victorieux étaient souvent célébrés publiquement et recevaient des éloges et des récompenses supplémentaires

[9] Bien que les couronnes elles-mêmes ne soient pas matérielles en termes de valeur économique, les gagnants recevaient souvent des récompenses additionnelles telles que des prix en argent, des terres ou des privilèges sociaux. Les cités-États pouvaient offrir des primes financières, des exonérations fiscales ou des pensions aux vainqueurs. Bien que les couronnes elles-mêmes ne soient pas matérielles en termes de valeur économique, les gagnants recevaient souvent des récompenses additionnelles telles que des prix en argent, des terres ou des privilèges sociaux. Les cités-États pouvaient offrir des primes financières, des exonérations fiscales ou des pensions aux vainqueurs.

vendredi 15 décembre 2023

PARLER DE DIEU QUAND DIEU N'INTERESSE PLUS PERSONNE (Prof. Jimi ZACKA)

🔸« La culture chrétienne est en net recul, notamment chez les plus jeunes » : tel est le titre d’un article paru dans « Le Monde » du 14 août, donnant les résultats d’un sondage de l’IFOP réalisé début août 2020. Le commentateur Jérôme Fourquet écrit : « Il y a un phénomène global de sécularisation de la société.
🔸 Pour beaucoup, cela n’a plus grand intérêt de connaître cette culture. C’est devenu une langue étrangère, voire inconnue, pour une grande partie des jeunes générations. » Telle est bien la situation dans laquelle nous nous trouvons.
🔸Il s’agit directement dans ce sondage de « culture chrétienne » et non pas de « foi chrétienne ». On peut avoir une bonne culture chrétienne sans avoir la foi, l’inverse n’étant guère possible puisque la foi naît de la parole et que cette parole contient nécessairement des éléments de connaissance et donc de culture. Bien d’autres sondages ont déjà eu lieu ces récentes années, indiquant un déclin continu de la pratique religieuse et de l’adhésion aux données de la foi. Il y a tout lieu de penser que le mouvement va se poursuivre.
🔸 Pour ceux qui sont croyants, une telle situation est un vrai défi, sans compter la souffrance qu’elle peut entraîner, notamment chez les personnes âgées constatant l’abandon religieux chez leurs enfants et plus encore chez leurs petits-enfants. La question est de savoir comment il est possible aujourd’hui de communiquer la foi, quelle parole et quel témoignage pourraient surmonter ce manque d’intérêt évident pour les réalités de la foi.
🔸La sécularisation est là. Il s’agit donc de savoir comment suggérer un intérêt pour la question de Dieu hors toute démarche religieuse. Est-ce seulement possible ? La question n’est pas vraiment neuve, car elle a été posée prophétiquement par Dietrich Bonhœffer dont les Lettres de prison restent indépassables (1). Il n’y a sans doute pas d’autre possibilité pour faire saisir quelque chose de la foi que de parler de Dieu à partir de nos réalités humaines.
🔸La situation présente est une invitation à cesser de mettre en œuvre une démarche traditionnellement déductive qui consiste à partir d’un Dieu préalablement défini pour en déduire ensuite une « vision chrétienne » de l’homme. Ce n’est pas de l’homme qu’il faut parler à partir des réalités religieuses. Il s’agit désormais de parler de Dieu à partir de l’homme.
🔸 La question de Dieu ne peut faire sens que si elle se situe dans le prolongement de la question de l’homme. Elle se situe dans son développement. Dieu devient ce qui est au cœur de la consistance humaine. Il cesse d’être celui à partir duquel on pourrait déduire ce qu’est l’homme, car il est celui dont le visage se construit à partir de notre humanité. Oui, c’est bien à partir de l’homme que nous pouvons connaître quelque chose de Dieu. Une telle démarche ne fait que se conformer au fait de la révélation de Dieu dans l’homme Jésus.
🔸 C’est bien à partir de cette humanité singulière qui est celle de Jésus de Nazareth que s’esquisse le visage de Dieu. C’est vrai à tel point que Jésus déclare en Jean 14, 9 : « Qui m’a vu a vu le Père. » Parole que l’on pourrait qualifier, à partir de nos habitudes religieuses, de « réductionnisme inacceptable ». « Non, pourrions-nous rétorquer au Christ, qui t’a vu n’a pas vu le Père, le Père c’est encore quelqu’un d’autre, quelqu’un qu’on n’a pas le droit de confondre avec toi ! Ne serais-tu pas le faux prophète d’un Dieu sans transcendance ?
🔸Nous en avons assez de ce rappel permanent de l’humain, nous avons besoin d’un Dieu autre, un Dieu qui nous élève l’âme vers les hauteurs, loin de nos vallées de larmes. Nous avons précisément besoin d’autre chose que de l’humain, et voilà que tu viens rabaisser nos aspirations jusqu’à prétendre qu’il suffit de te voir, toi l’homme de Nazareth, pour voir Dieu. Quel affadissement ! Quel enfermement ! Nous espérions nous élever vers les sphères célestes et tu nous rabaisses au ras du sol ! »
🔸« De plus, cet homme que tu es et auquel tu as osé réduire ton Père a perdu sur la Croix tout attrait humain. Cet homme est devenu le dernier de tous, le flagellé, le condamné, et tu voudrais que l’on ramène Dieu à une telle déchéance ! Non, il nous faut bien maintenir l’écart, l’abîme entre toi et Dieu, entre l’homme et Dieu. Sinon, nous sommes perdus. Il n’y aurait plus alors de raison de nous attacher à Dieu si Dieu nous ressemblait à ce point !
🔸 Nous avons besoin d’un autre Dieu, d’un vrai Dieu, d’un Dieu qui ne soit pas un homme, surtout pas un homme humilié, affligé, meurtri, mis à mort. Non, nous avons besoin d’un Dieu fort, d’un Dieu tout-puissant, d’un Dieu rayonnant, capable de venir nous secourir au lieu de ce Dieu humble qui vient partager notre sort. » Mais ce Dieu, ce Dieu des religions, ce Dieu haut placé, ce Dieu puissant, ne serait-ce pas lui qui vient de déserter notre univers ? N’est-ce pas lui le Dieu qui n’intéresse plus grand monde en dépit des réclamations religieuses d’un nombre de plus en plus réduit de personnes ?
🔸N’est-ce pas, finalement, le Dieu de la religion, ce Dieu tout-puissant, glorieux et condescendant, qui a cessé d’être crédible pour la majorité de nos contemporains ?
🔸Prenons au départ le fait de plus en plus évident que ce qui intéresse les hommes de bonne volonté, c’est de pouvoir mener une vie proprement humaine, sans tambour ni trompette, une vie avec ses joies simples et ses petits bonheurs du quotidien, une vie où l’on puisse vivre dans la dignité, où nous puissions participer au festin de la vie en savourant les douceurs de la terre, la beauté des choses et la chaleur des relations, une vie où chacun a le souci de construire la fraternité humaine. Tout cela ne peut-il pas remplir nos vies ? Pourquoi relativiser notre mode de vie, à partir d’un point de vue qui serait celui d’un Dieu extérieur proposant quelque chose de beaucoup plus grandiose ?
🔸L’humain, à partir duquel le Christ nous parle de Dieu et en esquisse le visage, est fait de tout ce qui donne du prix à notre vie, comme cela donnait du prix à sa propre vie. Il n’y avait pas que des grandes choses dans sa vie, celles que l’on dit réservées aux élites, il y avait tous ces gestes simples et amicaux qui créent de la fraternité, il y avait cette attention à la souffrance d’autrui qui était le premier pas effectué pour soulager le malheur humain, il y avait aussi ces repas et ces boissons qu’il appréciait au point d’être traité de glouton et d’ivrogne par ses détracteurs. Il y avait cet accueil inconditionné des blessés de la vie, ce parfum répandu sur sa tête, ces repas partagés avec ceux qu’il n’aurait jamais dû fréquenter selon la morale en cours des hommes religieux.
🔸Oui, tout cela nous renvoie à un autre Dieu. Un Dieu humain, un Dieu proche, un Dieu qui titube avec nous tout en nous comblant de sa tendresse. Ce Dieu ne s’impose pas et je me garderai bien d’en faire un Dieu nécessaire. Non, il est même un Dieu facultatif, c’est-à-dire un Dieu qui laisse à l’homme la faculté de le laisser de côté. Il est un Dieu dont on peut se passer, même si lui ne peut pas se passer de nous. Un Dieu que je ne peux rencontrer qu’en découvrant simultanément que je suis infiniment précieux à ses yeux. Il est un Dieu qui réjouit le cœur, un Dieu qui permet la vie, un Dieu qui n’attend personne au tournant, un Dieu qui se cache au cœur de toute relation de fraternité, un Dieu qui dilate toute la richesse de l’humain parce qu’il est lui-même la plénitude intérieure de l’humain.
🔸 Il est un Dieu dont il est possible de parler humainement, un Dieu qui se laisse aborder sans même qu’on le sache, un Dieu qui ne craint pas de se laisser rencontrer en se recouvrant d’anonymat lorsque n’importe quel homme, croyant ou incroyant, accueille n’importe quel autre homme croyant ou incroyant. Il est un Dieu qui se découvre dans « le murmure d’une brise légère » [1] et non dans l’ouragan, l’éclair, les tremblements de terre, les tsunamis, les chars d’assaut, la violence des dictatures, la barbarie des attentats. Un Dieu si discret qu’il est là, alors même que n’en savons rien et que nous n’éprouvons rien. Ce Dieu-là est un Dieu source de ce qu’il y a de plus humain dans l’homme. Il est la dimension ultime de ma propre humanité.
🔸Mon espérance est que ce Dieu-là suscite dans notre cœur le désir de le rencontrer, tout autrement que ne peut le faire, du haut de sa grandeur, un Dieu souverain figé dans l’absolu. Nous restons responsables des traits que revêt son visage lorsque nous parlons de lui. Tout le reste lui appartient.
Note :
[1] D. Bonhœffer, Résistance et soumission, trad. fr., Labor et Fides, Genève, 1973, p. 289.
[2] Ier Livre des Rois, 19, 12.


lundi 11 décembre 2023

REVITALISER LA « COMMUNION FRATERNELLE[1] » AU SEIN DES ÉGLISES AFRICAINES POUR REBÂTIR LE « VIVRE ENSEMBLE » CITOYEN[2] Jimi ZACKA

Vous êtes tous frères’ (Mt 23,8) et même ‘mes

frères’ (Jn 20,17), parce qu’il est homme comme toi,

fils de Dieu, telle est la lumière où doit se placer,


pour être vraie, notre relation à tout homme ».

                                                                                       Joseph Marie Perrin, Son nom est me voici, Paris, Mame,1992, p.91.

Introduction

          Si le problème du « vivre ensemble » a hanté toute l'histoire de l’humanité, il se pose aujourd'hui d'une manière particulièrement épineuse dans les pays africains. Du fait de la recrudescence des conflits, des guerres tribales ou religieuses, la quête de la paix ainsi que du « vivre-ensemble » constitue, aujourd’hui, l'enjeu essentiel de notre temps. C'est, à proprement parler, une question de vie ou de mort pour le peuple africain.

C’est pourquoi, d’ailleurs, ces dernières années, des responsables politiques nationaux ou internationaux et d'observateurs qualifiés ont pensé que les Églises seraient parmi les forces qui pourraient intervenir pour la consolidation de la paix[3]. Selon eux, elles représentent en effet une puissance morale de persuasion et d'action qui ne peut être négligée devant l'urgence du problème[4]. Car, ils estiment que L’Église constitue et reste un vrai outil pour la promotion de la paix et de développement dans ce monde déchiré par des catastrophes économiques et le changement climatique, de l’insécurité alimentaire, de l’injustice sociale et économique, des pauvretés et d’exclusion ainsi que des nombreuses formes des violences. Pour cela, l’Église est alors appelée à tenir à répondre valablement à sa vocation, à sa mission sous toutes ses dimensions et se préserver de ses faiblesses pour ne pas constituer elle-même un outil de conflit, d’autant plus qu’elle constitue la majorité de la population. Il revient donc à l’Église de sensibiliser ses membres pour ne pas chanceler à la séduction des politiciens surtout dans les pays africains où la manipulation des sentiments identitaires de la population ou de l’appartenance ethnique ainsi que des différences culturelles entravent le « vivre-ensemble » jusque dans les églises.

            Au regard de ces multiples interpellations, une question s’impose : peut-on aborder la question du « vivre ensemble » sans faire allusion au problème de la « communion fraternelle » au sein des églises au moment même où ces dernières sont accusées des mêmes maux, voire même comme coupables de certaines crises sociales[5]? En outre, les Églises africaines constituent-elles vraiment une référence du « vivre ensemble » au sein de la société africaine ? Comment vivre en communion dans une Église qui couvre toute la variété des sensibilités ethniques ou tribales, du plus haut sommet de la hiérarchie jusqu'aux fidèles, symboles d'une extrême diversité ? Peut-on évoquer ainsi la communion dans l’Église au moment même où elle semble mise en cause ?

            Ces questions mettent en relief de nombreux conflits à l’issue desquels implicitement ou explicitement la complicité de certaines églises a été dénoncée par la société.  Du coup, les accusations portées contre l’Église interrogent l'idéal de la « communion fraternelle », fondement de la foi, dans les communautés chrétiennes. L’on se demande comment l’Église, sans vivre la « communion fraternelle », sera-t-elle capable de prôner le « vivre ensemble » dans la société ?  Car, d’aucuns pensent que l’Église semble toujours aveugle aux réalités des injustices environnantes, des tensions politiques ou sociales et pire encore, est souvent prise au piège de trouver des explications bibliques pour se calmer la conscience.

Ainsi est planté le décor de ma réflexion, dans son fond et dans sa forme, comme fruit d’une analyse personnelle. C’est une observation qui émane de l’image que renvoie l’Église à la société africaine, pourtant soucieuse de prôner le « vivre ensemble »[6]. Mais, la question de « vivre ensemble » elle-même prend racine dans la « communion fraternelle » qui renvoie au domaine de présence et de témoignage de l’Église dans la société, ou comment elle lie sa mission à la réalité sociale. C’est en fait évoquer comment l’Église se préoccupe de moralité et d’autres questions brûlantes dans la société, y compris celle du « vivre ensemble ». Toutefois, le discours de l’Église apporte –t-il vraiment une réponse au problème du « vivre ensemble » dans la société africaine ?  Autrement dit, les incroyants baptisés sont-ils vraiment transformés en bons chrétiens ? Nul n’ignore que dans plusieurs églises africaines, même dans celles qui se disent évangéliques, le baptême est souvent administré sans aucun souci de vraie conversion. Pourtant, le projet, tel qu’il est décrit dans le verset qui suit, est de se dire que la peine que l’on se donne doit porter ses fruits : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits », dit la Parole (Mt 7.16a).

Crises actuelles de la « communion fraternelle » dans l’Église

Dans ce cas, pourquoi aborder la question de la « communion fraternelle » dans les églises en Afrique ? C’est parce que l’on pense aujourd’hui que le corps du Christ n’est pas suffisamment manifesté au sein de la société africaine pour que l’Église relève le défi du « vivre ensemble ». C’est parce que la vie en « communion fraternelle », définie comme étant la poursuite en commun d’intérêts et de buts identiques est devenu un vain mot dans nos églises. C’est dire que l’Église africaine est aujourd’hui dans un état d’impréparation totale face aux défis de « communion fraternelle » et incapable d’apporter une réponse idoine aux diverses tensions dans la société. Pour preuve, l’opinion publique pense que les courants évangéliques créent des chrétiens qui sont si « spirituels » qu’ils oublient que le vécu est concret, à tel point que ces chrétiens tellement soucieux des bénédictions divines, oublient que la véritable bénédiction se vit dans la « communion fraternelle ».

C’est en bâtissant une véritable communion fraternelle dans l’Église, que les gens ouvrent leur cœur, parlent de leurs faiblesses, avouent leurs échecs, exposent leurs doutes, disent ce qui les blessent, exposent leurs peurs et demandent de l’aide aux autres. Dit autrement, cette « communion fraternelle » revêt toujours le caractère d’une proposition : elle est une interpellation, elle est l’exemple d’une autre vie possible, elle n’est pas une contrainte ou un coup de force.

Paradoxalement, la question que l’on se pose, est de savoir si c’est possible de vivre et développer dans nos Églises la « communion fraternelle » à partir de relations vraies, authentiques, fécondes et surtout pleines d’amour.  Nul n’ignore que notre monde a soif d’amour et de relations vraies et l’Église ne peut être que ce lieu où cela se vit. Certes, dans la réalité ce n’est pas toujours si simple.  Vivre avec les autres ne sont pas toujours facile même entre chrétiens. Nous sommes différents et par nature nous avons tendance à penser d’abord à nous-mêmes et à nos intérêts personnels. Même l’Église dans ses débuts a dû gérer des conflits, des tensions, des dissensions d’ordre personnel ou communautaire (Ac 6,1)[7] et surtout, Jésus ne nous a jamais promis que nous allons vivre sans problèmes, mais il a promis d’être d avec nous et de porter nos fardeaux. Mais, les défis entravant la « communion fraternelle » dans les églises africaines demeurent significatifs. Il s’agit, bien entendu, de conceptions et de pratiques antiévangéliques, qui s’imposent à la conscience collective comme évidentes.

Pourtant, selon le philosophe américain John Dewey, ce que les hommes doivent avoir en commun pour former une communauté dont les membres se reconnaissent, ce sont les buts, les croyances, les aspirations, la connaissance et une même façon de comprendre les choses qui les concernent. Alors, comment donc orienter la recherche pour comprendre les raisons et les possibilités de ce rôle de l'Église dans la recherche du vivre-ensemble ?

Il faut noter que certains facteurs dans l'Église ne peuvent se comprendre si l'on ne revient pas à la source, et faire de la « communion fraternelle » une réflexion, condition sine qua non pour un « vivre ensemble » dans la société. Pourquoi le terme « communion fraternelle » est-il problématique, c’est parce qu’il sous-entend qu’il n’est pas accepté à tout prix par les hommes de coexister, c’est-à-dire de vivre dans la diversité, à s’accepter les uns les autres.

Face à une telle situation, il est tout d’abord recommandé de procéder à une analyse aussi objective que possible de la crise au moyen de différents outils. Il s’agit en effet, de répertorier quelques rapports qui affectent la véritable « communion fraternelle » dans l’Église.   

1.       Le rapport au tribalisme

Le tribalisme peut évidemment exister sous une forme latente—plus ou moins—inoffensive et se traduire quand les circonstances s’y prête en une action sociale ; c’est alors qu’il y a proprement parler, tribalisme ou ethnisme. Mais, le pire, c’est de remarquer aujourd’hui que le tribalisme a pris une importance non seulement politique, mais chrétienne plus grande : c’est une forme de revendication plus fréquente dans les Églises africaines. L'archevêque de Juba a dénoncé avec raison que :

Nous ne pouvons pas construire notre nation ou notre Église sur la base du tribalisme, si nous les construisons sur la base du tribalisme, nous dirons qu'il n'y a pas de baptême, de sainte communion, de confirmation et nous nous brouillerons parce que c'est quelque chose qui nous divise…Nous avons besoin de l'intervention de Dieu pour combattre le tribalisme, car c'est seulement le tribalisme qui nous divise dans ce pays…Le salut ne sera possible que pour nous tous, que nous soyons riches ou pauvres ; nous devons tous coopérer pour travailler ensemble[8]

 

Le théologien protestant rwandais T. Gatwa a souligné que les Églises au Rwanda ont montré leur incapacité à dépasser en leur propre sein les problèmes ethniques, ce qui les a rendues incapables d’apporter en cette matière une réponse adéquate à la société rwandaise. En effet, les Églises au Rwanda ont failli à leur mission et ne sont plus en mesure de prononcer une parole prophétique tant qu’elles ne feront pas la vérité sur elles-mêmes. Sans être vouée aux gémonies, en d'autres termes, l’Eglise a été mise devant sa responsabilité historique qui, dans les faits, était grande. Sans la condamner, le théologien Gatwa a incité ainsi l’Église au Rwanda à une prise de conscience pour qu’elle joue pleinement son rôle de lumière des nations.   Expliquant les événements tragiques du Rwanda en 1994[9], l’organisme Pro mundi vita rapporte qu’il reste encore beaucoup de confusions dans l’Église rwandaise dans ses expressions théologiques :

Si nous considérons la masse des chrétiens, il faut constater que beaucoup parmi les rebelles, comme parmi ceux qui exercèrent la répression et les représailles, comme les grands leaders du pays sont des baptisés. Et un bon nombre sont des baptisés pratiquants. Très peu se sont conduits en chrétiens. Nous ne portons pas ici de jugement sur la culpabilité subjective. La peur de l’autre et l’instinct de conservation ont joué un grand rôle chez beaucoup. Il n’y avait pas seulement le meurtre, la violence, la cruauté parfois bestiale ; il y avait le vol et la spoliation sur grande échelle ; l’abandon des veuves et des enfants, les calomnies mortelles, les mensonges et les tromperies éhontées. Mais à côté de ces rebelles et de ces vengeurs, il y avait la grande masse des chrétiens qui n’ont trempé ni dans la révolte ni dans la répression injuste. Chez beaucoup parmi eux cependant s’est fixée au fond du cœur une haine profonde, une amertume, un découragement morose, ou du moins une insécurité vis-à-vis de tout homme de l’autre groupe ethnique mais aussi vis-à-vis de ceux de son propre groupe…[10]

 

 

Dans certaines églises évangéliques en Afrique, il est difficile pour des pasteurs qui sont nommés de diriger des églises desquelles ils sont totalement étrangers. Surtout lorsque le pasteur n’est pas de la tribu dominante de l’Église. C’est dans cette perspective que le théologien catholique ivoirien Donald Zagore fait cette remarque :

Lorsque, au sein de l’Église, dont l’essence même signifie communion, fraternité, unité, les membres se divisent pour des raisons ethniques et tribales, nous devons sérieusement nous poser la question prophétique : avons-nous compris la signification de notre temps et de notre foi ? …Malheureusement – poursuit-il – nous nous rendons compte, jour après jour, que le sang de la culture, de l’ethnie, de la tribu demeure plus fort et plus important que l’eau sacrée du Baptême. Le paradigme de l’Église de Dieu en Afrique semble souvent un discours privé de sens qui prend parfois l’aspect d’une farce. Nous allons toujours davantage d’une Eglise de Dieu en direction d’une Eglise tribale. Il faut dire avec force que cette attitude est tout sauf chrétien…Le tribalisme n’est en aucune manière une caractéristique de l’Eglise de Jésus-Christ. La seule valeur demeure le désir de service Dieu en se soumettant à Sa volonté, une volonté qui est révélée en termes d’amour et de coexistence. Comme le Christ, nous devons catégoriquement nous refuser de nous laisser enchaîner par les intrigues tribales et ethniques. Nous devons être ouverts à l’universel, à tout homme et à toute femme, au-delà de ses origines culturelles, raciales et ethniques[11].  

 

Le tribalisme n’est en aucune manière une caractéristique de l’Église de Jésus-Christ. La seule valeur demeure le désir de service Dieu en se soumettant à Sa volonté, une volonté qui est révélée en termes d’amour et de coexistence. Comme le Christ, nous devons catégoriquement nous refuser de nous laisser enchaîner par les intrigues tribales et ethniques. Nous devons être ouverts à l’universel, à tout homme et à toute femme, au-delà de ses origines culturelles, raciales et ethniques. En effet, comme l’a si bien souligné l’archevêque de Juba, Mgr Stephen Ameyu Martin Mulla : "nous ne pouvons pas construire notre nation ou l'Église en les fondant sur le tribalisme : si nous les construisons sur le tribalisme, nous dirons qu'il n'y a pas de baptême, de communion, de confirmation et nous tomberons parce que c'est quelque chose qui nous divise…Nous ne sommes pas des chefs de tribu mais des pasteurs compatissants et miséricordieux"[12]

Tout comme le dit Paul : « dans le Christ il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, puisque tous vous êtes un dans le Christ Jésus » (cf. Ga 3, 28).

Malheureusement, il est à parier que « l’Église africaine », que beaucoup appellent de leurs vœux, si on n’y prend garde, sera exactement à l’image de nos sociétés politiques et de leurs travers si tragiques. D’ailleurs, nous faisons déjà l’expérience douloureuse de la façon dont les liens ethniques et tribaux déterminent des clans rivaux dans la même Église. Il n’est pas rare de percevoir dans quelque attitude un souci de repli ethniciste. Chacun se positionne en fonction de son ethnie. Les comportements tribalistes sans fondement objectif sont malicieusement entretenus par de petits groupes aux intentions malveillantes. Alors, faut-il toujours établir une distinction entre les différents groupes ethniques qui composent un pays, une Église ? Si, comme en politique nous fonctionnons sur des bases tribalistes où va l’Église ? L’homme de Dieu devrait donc sortir de ce cercle ethnique ou tribal et se retrouver dans la « communion fraternelle ». Il est censé posséder une formation qu’il faut pour s’adapter sans délai, d’une communauté ecclésiale à l’autre, d’une dénomination chrétienne à l’autre.

En définitive, l’ambivalence du « vivre ensemble » en Afrique procède du regard que les uns portent sur les autres. Si l’autre est vu comme un adversaire résolu ou un concurrent potentiel et non pas accepté en fraternité, le train restera « éternellement à quai ». Si celui qui est reçu est hautain et convaincu d’avoir un don spécial, il y a de fortes probabilités que la « communion fraternelle » ne s’instaure pas. Et comme nous le savons tous, là où règne les rivalités dans les Églises, peu de choses suffisent pour que la « communion fraternelle » se mue en adversité. Finalement, là où le Christ préconise l’amour des ennemis et le pardon des offenses, l’Église en reste à la Loi du talion : œil pour œil dent pour dent.

De tout ce qui précède, l’Église en Afrique se sent, aujourd’hui plus que jamais, devant le défi de sa responsabilité spécifique de soigner ces divisions, en partant de l’intérieur de l’Église elle-même pour revitaliser la « communion fraternelle » jusqu’au « vivre ensemble » dans la société.  

 

2.      Le rapport à la politisation de l’Église

À la vérité, l’Église n’a jamais su a priori quel type de rapports entretenir avec les pouvoirs politiques. Ceux-ci sont sans cesse changeants et l’Écriture sainte du Nouveau Testament n’apporte aucune détermination à ce sujet. Les deux seuls lieux où les autorités temporelles sont évoquées sont les paroles du Christ demandant, selon la formule célèbre, de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » et celles de Paul demandant de prier pour les responsables des cités. Dans un cas comme dans l’autre, la légitimité des responsables temporels est reconnue, tout en en reconnaissant la limite dans le premier cas : ce qui relève de César cesse lorsqu’intervient ce qui relève de Dieu

Malgré tout, Duncan Forrester n’a pas manqué de dénoncer les relations ambigües entre l'Eglise/Pouvoir et préconiser des précautions nécessaires à prendre lorsque les responsables chrétiens fréquentent régulièrement le pouvoir politique. Il écrit avec raison que : « Le serviteur de Dieu devrait être proche des puissants et des experts, mais ne pas se sentir "chez lui" parmi eux ; familier avec les corridors du pouvoir, mais sans y être à l’aise. Parce que la théologie, c’est à la fois dire la vérité au pouvoir, et être la voix des sans-voix et des marginalisés, des victimes qui en dernier ressort ont une place spéciale dans le royaume de Dieu». Cette remarque dénonce l’absence de défi théologique vis-à-vis du système politique, culturel ou socio-économique et est perçue comme résultant de l’absence de pensée évangélique mûre au sein du christianisme africain. En effet, l’Église africaine n’apparaît plus aujourd’hui comme un guide moral d’une nation multiculturelle mais comme un support servile du pouvoir politique.

En conséquence, il paraît impossible pour le chrétien de se constituer comme soi, sans exclure l’autre, progressivement, les imaginaires intègrent la xénophobie comme le moyen de se protéger de ce que l’on est avec son groupe d’appartenance, contre l’anéantissement de ce groupe et de ses intérêts supposés ou réels.

Au regard de ce qui précède, notons que le pastorat africain s’est gravement détourné des valeurs cardinales et des principes fondamentaux de la Parole de Dieu (1 Tm 4,13-14). Beaucoup de pasteurs ont pris de liberté avec les obligations de leur sacerdoce, notamment en utilisant leur position pour s’allier au pouvoir politique. En lieu et place de la mission sacerdotale, certains se sont même engagés dans une course effrénée à la recherche des privilèges sociaux, voire la conquête du pouvoir politique. En Centrafrique, par exemple, plusieurs pasteurs ont joué un rôle important dans l’histoire politique récente du pays et ont même donné des idées à de nombreux politiciens avides de pouvoir et d’enrichissement illicite. Quelques-uns sont entrés officiellement en politique, tout en conservant leur statut de pasteur. Beaucoup de ces pasteurs n’ont, d’ailleurs, ni la moralité ni la formation théologique qu’implique leur statut, mais ils bénéficient tout de même d’une visibilité et d’une crédibilité dans l’espace politique. Dans leur vision, ces pasteurs veulent souvent donner aux hommes politiques, de la part de Dieu, un certain nombre d’orientations.

À kinshasa, par exemple, un élu souligne le rôle important que jouent certains pasteurs pendant les périodes électorales : « puisque les pasteurs sont écoutés par leurs ouailles, drainent des foules, remplissent des stades : mieux vaut les avoir avec vous plutôt que contre vous ». En fonction de leur ascendant, ces chefs religieux sont plus ou moins courtisés par la classe politique. Il existe désormais les pasteurs proches du pouvoir et ceux de l’opposition. « Pendant les campagnes électorales, ces pasteurs drainent les foules pour les candidats moyennant quelques billets de banque », lâche Freddy Kita, secrétaire général du parti Démocratie chrétienne… et responsable à Kinshasa de la Mission évangélique pour le salut du monde, une Église qui refuse jusqu’ici de rejoindre l’une ou l’autre association.

Il convient de noter qu’en Afrique, entre le politicien et le pasteur, les fidèles d’Église n’apparaissent plus que comme une marchandise électorale. Ce qui est encore plus révélateur chez ces responsables d’Églises, c’est leur inclination à être instrumentalisés par des hommes politiques, au lieu de se consacrer à leur mission spécifique d’annonce d’Évangile afin de conscientiser la classe politique et ceux qui sont à la charge de la chose publique, pour qu’ils assurent toujours mieux le bien-être et l’épanouissement de leurs peuples. Certes, les pasteurs ont le droit d’avoir leur propre opinion politique, et comme tous les citoyens d’un pays, ils disposent du droit de vote.

Mais, un pasteur qui a le souci de la « communion fraternelle » dans son Église, ne doit pas être clivant. Pour cette raison, il peut difficilement opter pour un parti politique ou se présenter à une élection au suffrage universel puisque cela est susceptible de provoquer une division entre les fidèles.  De toutes les façons, s’il opte pour la politique, il doit alors arrêter son pastorat[13].

Il faut cependant noter que l’Église fidèle à sa mission prophétique qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde de la « communion fraternelle » et du « vivre ensemble ». L’Église a ainsi la juste obligation de prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations.

On ne le dira jamais assez, la mission fondamentale de l’Église consiste à défendre sans aucune ambiguïté les principes de vérité et de justice, qui sont des droits fondamentaux à tout homme et à tous les peuples. L’on comprend donc pourquoi cette dimension prophétique n’a toujours pas plu aux ennemis du peuple déterminés à toujours diviser pour mieux régner.  

            On le voit bien, l’Église, corps du Christ, n’est inféodée à aucune organisation politique. Sa seule préoccupation est de contribuer au bien-être du peuple tout entier, à la sauvegarde et à la promotion de la dignité de la personne humaine, au respect de la vie, des libertés et des droits fondamentaux

3.      Le rapport à l’éthique sociale

Sinon, à quoi bon témoigner d’un Dieu parfait quand on sait que dans le concret, on ne produira que de l’imparfait ? Nous remarquons aujourd’hui que les chrétiens africains ne sont pas bien armés pour évoluer dans le relatif. D’une part, ils manquent d’outils d’analyse, d’autre part ils s’interrogent sur le sens qu’il y a à investir dans des lieux remplis d’ambiguïtés et de compromissions. Certes, l’Église n’est pas un club de parfaits, mais elle est l’ensemble de ceux et celles qui se sont laissé convoquer par le Christ mort et ressuscité, pour continuer à signifier sa présence et son action en ce monde. C’est pourquoi, au-delà de cette interpellation, il y a l’urgence de reconnaître, aujourd’hui, que parler de la « communion fraternelle » ou de « vivre ensemble » n’aura de sens pour l’africain que lorsque la mise en valeur de l’Évangile viendra le rencontrer dans son propre vécu. Car, dans certaines situations de crises, l’Église a souvent été considérée comme l’une des rares institutions auxquelles la population pouvait faire confiance.

            Par conséquent, c’est bien la vocation de l’Église que de vivre en « communion fraternelle, mais comment faire si l’on entend parfois des discours vexatoires illustrant le manque de pardon chez les chrétiens en ces termes : « Deux ivrognes peuvent se réconcilier autour d’un verre d’alcool, mais deux chrétiens se gardent rancune avec la Bible en mains » et surtout, lorsque  l’Église ne fait pas alors, comme dirait l’évangile de Matthieu, « le sel perd sa saveur, il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes » (Mt5.13).

            L’infidélité de l’Église, comme soulignée ci-haut, a bien souvent débouché, en effet, sur sa dévalorisation. Or, l’Église devrait manifester qu’elle participe d’une nouvelle création car « Nous avons été créés en Jésus-Christ pour les œuvres bonnes, que Dieu a préparées d’avance, afin que nous nous y engagions » (Eph 2.10). C’est par ces œuvres bonnes qui procèdent de cette re-création que nous adressons un témoignage et une interpellation aux différentes Églises.

Il y a aussi des signes inquiétants d’une société en crise de dépravation des mœurs, notamment, l’incitation à la débauche menée sans scrupules par certains prétendus pasteurs qui ne sont en réalité que des prédateurs encourageant des comportements immoraux, une perte des valeurs traditionnelles, une inflation des comportements antisociaux, Là où le bât blesse, c’est que cette destruction de la société est faite au grand jour par des Églises, comme lieux d’espérance Pourtant, nous savons tous que l’Église n’a pas d’autre finalité en ce monde que d’être un espace de sanctification : elle n’est pas un club de parfaits, mais l’ensemble de ceux et celles qui se sont laissé convoquer par le Christ mort et ressuscité, pour continuer à signifier sa présence et son action en ce monde.

Bâtir l’Église de « communion fraternelle », avant de prôner le « vivre ensemble » citoyen

L’Église est donc une nouvelle réalité sociale, mais ce n’est pas un nouveau lieu, au sens où elle inaugurerait une vie ailleurs.  Il s’agit de retrouver une cohabitation pacifique entre les communautés  afin qu’elles s’acceptent malgré leurs différences doctrinales, religieuses, tribales, ethniques, ou leurs diversités culturelles ou convictions politiques. C’est pourquoi, parler de la « communion fraternelle » renvoie au domaine de présence et de témoignage de l’Église dans la société, ou comment elle lie sa mission à la réalité sociale. C’est en fait évoquer comment l’Église se préoccupe de moralité et de questions brûlantes inhérentes aux différents conflits que vit la société. Dit autrement, comment guérir cette société à laquelle l’Église ne cesse d’adresser des critiques mais dont elle ne désintéresse pas ?

À prime abord, elle doit jouer un rôle spécifique. Car, elle est le point d’aboutissement de toute personne qui s’ouvre d’une manière pleine et entière à la foi en Dieu. Elle est un groupe social où doivent pouvoir émerger des relations sociales renouvelées et guéries. Elle est le moyen de manifester qu’une autre vie collective est possible. Elle est le pendant collectif nécessaire à notre action individuelle. Elle est enfin, les prémices de la nouvelle création de Dieu.

La vie de l’Église devrait être le pendant de notre discours, c’est là que doivent s’incarner prioritairement l’au-delà de la Loi, le pardon, le vécu des valeurs du Royaume de Dieu, d’une manière qui ne soit à sens unique, mais réciproque. Si nous parlons d’un autre type de relations possibles, nous devons en administrer la preuve dans l’Église[14]. Une fois que nous découvrons ce que Dieu entend par la vraie « communion fraternelle », c’est facile de prendre conscience en voyant le fossé entre l’idéal et la réalité dans notre Église.  Cela permet l’Église en dépit de ses imperfections de désirer ardemment l’idéal tout en critiquant la réalité. D’un autre côté, se contenter de la réalité sans vouloir s’efforcer vers l’idéal, c’est de la complaisance. La maturité spirituelle des chrétiens consiste sans doute à savoir bâtir le « vivre ensemble » dans leur société à partir des valeurs de la « communion fraternelle » qu’ils vivent dans leurs Églises. En effet, dans l’Évangile de Matthieu, on voit qu’au-delà du conflit, pour mieux bâtir la « communion fraternelle », la question est celle de savoir régler la mésentente avec quelqu’un. L’amour de l’ennemi est en fait l’idéal[15]. Il s’agit au fond de restaurer une relation plutôt que de gagner sa cause.  Il n’en reste pas moins que des règles pour gérer des conflits sont édictés dans l’Ancien Testament. On recommande en particulier de ne pas favoriser le riche , ni d’ailleurs le pauvre du seul fait qu’il est pauvre, dans un procès[16]. De même, Dieu intervient donc pour promouvoir des relations humaines plus positives. Ainsi, Jésus, en s’adressant à Son Père, l’a dit dans sa prière sacerdotale : « Je ne te demande pas de les retirer du monde, mais de les préserver du mal » (Jn17.15).

            En fin de compte, avant de nous engager dans l’action sociale, nous devons veiller à promouvoir une spiritualité de communion et d’harmonie entre nous et au sein des institutions de nos Églises locales.

La nécessité de rebâtir le « vivre-ensemble » citoyen

Dans cette perspective, l’Église est appelée à enseigner que le « vivre-ensemble » n’est pas inné, il s’apprend et se construit de façon permanente. Face au renforcement de la haine et l’affaiblissement du lien social, les chrétiens sont appelés à redéfinir la société dans laquelle ils souhaiteraient vivre.

En effet, la « communion fraternelle » vécue par l’Église permettra de reconstituer le tissu social, les défis communs à l’échelle de chacun.  C’est un appel à promouvoir des valeurs telles que la solidarité, le dialogue et la compréhension mutuelle. Dans l’esprit du respect des cultures et des valeurs chrétiennes, il faut apprendre à réorganiser notre vie commune, et ceci passe inexorablement par la citoyenneté comme étant la prise de conscience individuelle et collective d’implications pour une refonte totale de notre société. Nous sommes d’abord citoyens avant d’être chrétien ou musulman. Nous devons éviter certaines idées reçues venant de ceux qui instrumentalisent Dieu à leurs différentes fins. 

Il serait tout à fait judicieux de gérer les différences culturelles, ethniques et religieuses au-delà du prisme de l’assimilationnisme. Pour ce faire, les politiques doivent impérativement repenser cette question de la laïcité, car la laïcité, c'est aussi respecter les différences sans faire de différence finalement. Ces prérogatives sont fondamentales et doivent commencer par la reconnaissance de l’égalité et également de la justice sociale comme vecteurs principaux afin de donner naissance à une société (plus) inclusive. 

            Cette perspective serait un atout majeur pour notre société afin de partager réellement les valeurs démocratiques telle que la liberté de conscience, de croyance et d’expression, d’égalité des droits, de citoyenneté ouverte à tous chrétiens ou citoyens, nous sommes appelés à construire ensemble notre havre de paix. Comment donc orienter la recherche pour comprendre les raisons et les possibilités de ce rôle de l'Église dans la recherche de la « communion fraternelle » et du « vivre-ensemble » ? M.L. King y donne une réponse idoine en ces termes :

L’Église doit se souvenir qu’elle ne domine ni ne sert l’État, mais qu’elle en est la conscience. Elle doit en être le guide et le critique, jamais l’instrument. Si elle ne retrouve pas son ardeur prophétique, elle deviendra un club social inutile sans autorité morale ou spirituelle. Si elle ne participe pas activement à la lutte pour la paix et la justice économique et raciale, elle trahira la fidélité de millions d’hommes et les poussera partout à dire qu’elle a laissé s’atrophier sa volonté. Mais si elle se libère des chaînes d’un statu quo mortel et que, retrouvant sa grande mission historique, elle parle et agit avec courage et persévérance en termes de justice et de paix, elle enflammera l’imagination de l’humanité et embrasera les âmes des hommes, leur inculquant un amour ardent pour la vérité, la justice et la paix. Proches ou lointains, les hommes reconnaîtront dans l’Église une grande fraternité d’amour, qui procure lumière et paix aux voyageurs solitaires au milieu de la nuit[17]

 

Au fond, ce qui est demandé à l’Église africaine, c’est d’être non seulement comme une réalité divine au milieu du peuple mais aussi comme une structure sociale à côté des autres structures de la société. Faisant partie de l’Église universelle, exemple unique de communauté multiethnique, multi-tribale et multiculturelle qui est la nouvelle humanité de Dieu, elle ne peut vivre en vase clos. Car, si Christ a renversé le mur de séparation, ce n’est pas à l’Église de le reconstruire à force de chauvinisme, d’éthnicisme, de tribalisme, de classes sociales ou de castes. Elle doit au contraire développer la communion avec d’autres églises, par la prière, par la solidarité et la coopération dans divers domaines. Ce faisant, la théologie d’une Église doit se dégager dans une communauté de foi suscitée par l’Écriture, en interaction avec d’autres théologies du passé et présent et en se confrontant à la culture locale et à ses besoins.

Conclusion

En guise de conclusion, je me permets de citer un proverbe africain qui illustre la profondeur culturelle de la pensée traditionnelle africaine sur la diversité dans une communauté, inhérente au multiculturalisme et au « vivre ensemble »: « Dans la forêt, quand les branches des arbres se querellent, leurs racines s'embrassent ». Les branches, c'est la diversité, les singularités qui distinguent et séparent. Les racines qui s'embrassent, c'est l'intangible, les valeurs universelles profondes qui unissent. Le défi pour la vitalité de l'arbre entier, la société, consiste à ne pas couper, éliminer, masquer la diversité des branches, des communautés de la société mais de nourrir le tronc par le « vivre ensemble », par la dialectique de l'unité dans la diversité, et de faire en sorte que les racines qui s'embrassent puissent nourrir les branches qui se querellent. Ce proverbe, expression de la culture populaire, illustre la prégnance de la question du multiculturalisme et de la pluralité religieuse en Afrique et l'urgence de la revisiter au regard de ses tensions actuelles.   

 

Jimi ZACKA



[1] L’expression « communion fraternelle » est donc la traduction du grec koinonia. Ce terme, ainsi que les autres mots qui dérivent de la même racine, font référence à des notions de partage et d’expérience commune La lecture des différents passages bibliques (Ac 2.42 ; Rm15.26 ; 1Co1.9 ; 1 Co10.10, etc) où ces termes se retrouvent nous fait clairement savoir que la communion fraternelle ne se réduit pas à un concept abstrait ou à une sorte de sentiment d’unité « planant quelque part dans les nuages de nos pensées ». Par exemple, en Romains 12 : 13, Paul ordonne aux croyants de pourvoir (koinoneo) aux besoins des saints. Et la suite du verset nous parle d’hospitalité, ce qui inclut bien évidemment des aspects très terre à terre. La « communion fraternelle » inclut aussi une dimension très concrète et matérielle. La suite du texte nous fait comprendre que c’est en pratiquant ce genre de communion fraternelle que l’on s’amasse un trésor en vue de ce qui va arriver.

[2] Le « vivre ensemble » citoyen se veut ici à la fois comme un objectif, mais aussi comme une mesure de prévention en soi pour garantir la paix et la non-violence. C’est dans l’idée d’une responsabilisation progressive totale. Chaque action est pensée dans le respect de vivre en communion avec l’autre. 

[3] En Centrafrique, il a été créée la Plateforme des confessions religieuses de Centrafrique et le dialogue pour la paix. En fait, cette plateforme était composée de trois leaders religieux, représentant respectivement les communautés catholique, protestante et musulmane. Ils ont décidé ensemble de conjuguer leurs efforts dans une large campagne de sensibilisation pour d’une part, les multiples violations de droits humains et d’autre part , sensibiliser les fidèles à la nécessité de vivre ensemble. Notons que les résultats sont mitigés.

[4] Cf. Blanc Edmond. « Le rôle des Églises pour le maintien ou le rétablissement de la paix dans la société internationale contemporaine.  »In: Politique étrangère, n°5-6 - 1966 - 31année. pp. 401-412

[5] Nous constatons qu’en Afrique, à chaque fois qu’il y a une situation de crise empreinte des violences incontrôlées, l’Église est immédiatement accusée implicitement ou explicitement pour son rôle ou pour son impréparation dans les mesures préventives contre les causes des problèmes.

[6] C'est pourquoi un grand nombre de ceux, chrétiens ou non chrétiens, qui se soucient de la paix dans le monde souhaitent que l'Église fasse bénéficier la communauté humaine d'une partie de cette force qu'elle constitue par sa seule existence.

[7] L’Église primitive était menacée par des conflits internes sur un certain nombre de questions qui auraient pu avoir un effet dévastateur. Nous avons vu la façon dont l’église, sous la direction du Saint-Esprit et la soumission des dirigeants à la parole de Dieu, a pu résoudre ces conflits pour éviter les schismes.

[8] Lire T. Gatwa, Rwanda : Églises : Victimes ou Coupables ?, Yaoundé, Edition CLE, 2001.

[9] En 1994, l’humanité va connaître un génocide qui révoltera les consciences humaines. Ce génocide, qui opposera l’ethnie Hutu à l’ethnie Tutsi au Rwanda, est parti d’une manipulation ethnique des deux tribus qui se sont affrontées en faisant plusieurs milliers de morts. C’est donc à la base, une crise identitaire qui fut à l’origine de ce génocide. Ainsi le génocide rwandais a consisté en l'élimination progressive des membres du groupe ethnique des Tutsis, avec l'intention de détruire ce groupe totalement. Il a débuté le 7 avril 1994 et a duré une centaine de jours, causant 1.174 000 morts (soit 13% de la population de l'époque).

[10] Note spéciale de Pro Mundi vita sur le Burundi, n°25, pp. 16-17.

[11] D. Zagore, « Le dépassement du tribalisme, un défi pour l’Église en Afrique », in Agenzia Fides, 20 Février 2018.

[12] Mgr Stephen Ameyu Martin a fait cette déclaration lorsqu’il présidait la messe à la paroisse Our Lady of Sorrow du diocèse de Torit au Soudan du Sud

[13] Cf. J. Zacka, Fonctions et Défis du Pasteur dans l’Afrique Contemporaine, Paris, l’Harmattan, 2015, p. 132-133

[14] L'enseignement de l'Église est clair, mais où en est sa pratique ? En Afrique comme partout, les actes parlent bien plus fort que les paroles. Si le style de vie des chrétiens se distancie de plus en plus de celui du citoyen ordinaire, l'Église en Afrique pourrait perdre sa crédibilité.  

[15] Mt 5.23-25

[16] Dt 1.16-18 ; Lv19.15

[17] M. Luther King, Minuit, quelqu’un, Paris, Bayard, 2000, pp. 89-90.