samedi 27 avril 2013

DEUX FIGURES DE L'HOSPITALITE DANS LA BIBLE ( PREDICATION A L'OCCASION DU FORUM DEFAP_ : « Le monde est chez toi ! »). ROUEN 2012)


PREDICATION AU CULTE  DE FIN DU FORUM  (Prof. Jimi ZACKA)

Textes : Josué 2.1-14 ;  Lc  19.1-9  :  Deux figures de l’hospitalité dans la Bible

Introduction

Un proverbe centrafricain dit : « Qui croit savoir préparer un bon plat, donne d'abord à l’étranger pour en goûter la vraie saveur. ».  Ce proverbe me rappelle la citation d’un écrivain français, Pigault Lebrun, qui dit : « « Les devoirs de l’hospitalité  ne se bornent pas à fournir l’exact nécessaire ; il faut distraire, amuser ceux  qu’on a admis dans ses foyers ». Ces deux citations m’amènent à savoir qu’accueillir l’autre ou vivre avec lui n’est pas seulement un devoir, mais une nécessité. Une nécessité qui nous révèle que la proximité de Dieu se concrétise pour nous  dans notre manière d’agir, en tant qu’Eglise envers et avec celui que l’on accueille. C’est ainsi que  nos Eglises sont appelées à recevoir ce matin la Parole qui nous appelle à sortir de la mentalité qui nous enferme dans nos stéréotypes ou craintes ou pensées communes et les laisser être transformées.
Chers amis, où qu’on aille chercher,  dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, on trouve des récits parlant de personnages qui sont hospitaliers, accueillants, ouverts, réceptifs, envers le monde ou les gens.  Plus encore peut-être, on a des récits de personnages désireux de s’inviter chez d’autres, afin de révéler ainsi la présence de Dieu lui-même.
Nos deux textes lus ce matin nous présentent deux figures d’accueil  ayant des points communs. D’abord, ils ont tous les deux vécu à Jéricho. Ensuite, tous les deux ont une posture sociale commune : ce sont des exclus de leur société de l’époque (l’une prostituée, l’autre collecteur des impôts). Enfin, chacun d’eux a offert une part de « chez soi » à l’étranger, celui qui par définition n’est plus chez lui, n’a pas de « chez soi » à lui. Ce « chez soi », c’est la maison, mais c’est aussi le petit univers de valeurs, de morale, de convictions et aussi d’émotions que nous nous construisons.
Rahab et Zachée, deux figures exemplaires de l’hospitalité qui va au-delà des convenances sociales. Deux figures qui s’accordent sur un point : accueillir l’étranger, c’est découvrir l’autre, le découvrir pour me connaître, me mesurer et devenir véritablement moi-même. Deux figures qui nous invitent à nous souvenir que nous sommes tous des étrangers les uns par rapport aux autres. Une invitation qui nous fait découvrir « le Dieu tout autre » qui se présente à nous sous la forme de l’Etranger, et ce « Dieu tout autre » s’invite aussi chez nous en situation d’étranger. Il apparaît dans la déclaration de Jésus en Mt 25.35 : « J’étais étranger, et vous m’avez accueilli ». Parlons maintenant de nos deux personnages.

1.       Rahab

Jéricho est en alerte rouge. Le niveau de sécurité est élevé. La prise de Jéricho semble imminente. Ainsi,  Josué, le chef d’Israël, envoie des espions à Jéricho pour reconnaître le terrain.  Rahab, de manière imprévue, reçoit des visiteurs non invités. Elle reçut des espions ennemis.  Elle les reçut inconditionnellement. Nulle part, le texte du livre de Josué ne permet de penser qu’elle a négocié l’hospitalité qu’elle donnait. Une manière de dire que le véritable accueil de l’autre n’exige pas de conditions. Ce qui est aussi frappant, c’est la disponibilité de Rahab face à la visite inattendue des espions. Pourtant, Rahab a de vraies raisons de s’inquiéter. Elle vit en temps de guerre et elle accueille non seulement des étrangers, mais des ennemis qui s’invitent chez elle. Elle sait qu’elle risque sa vie face aux autorités de sa ville. Aujourd’hui, on appellera cela : « délit de solidariré ». Mais Rahab assume les risques. Elle va ainsi les héberger, les protéger et leur sauver la vie. Elle va  cacher ces deux étrangers et dire à leurs poursuivants : « Je ne sais pas où ils sont, ils sont sortis ». Et pendant que les poursuivants les cherchent dehors,  elle se tourne vers les étrangers et propose une alliance, un pacte de confiance : « Je vous ai traités avec bonté, à votre tour, traitez avec bonté la maison de mon père. ». Elle commence ainsi à proposer une alliance, un pacte avec ceux qu’elle pourrait considérer comme des ennemis, et  leur confie la sauvegarde de sa famille. D’une certaine manière, elle leur reconnaît des droits, mais elle leur propose des devoirs ! Nous parvenons ainsi à la dimension prophétique de l’histoire et de la personne de Rahab. Si les deux espions ont reconnu dans les paroles de Rahab la voix de Dieu, si dans son témoignage ils ont vu la réalisation des promesses divines, pourquoi ne pas considérer aussi l’attitude bienveillante, accueillante de Rahab comme une manifestation de la bienveillance de Dieu envers eux? Après tout, les deux Israélites étaient en danger de mort! Totalement dominés par les circonstances, leurs vies ne dépendaient plus que du bon vouloir d’une prostituée. Rahab ! Rahab est celle qui, par son action, évoque la main protectrice du Dieu de l’étranger. Une action qui fait d’elle une héroïne de la foi et ouvre une voie qui peut être considérée comme la voie de l’avenir. C’est ainsi que l’auteur de l’épître aux Hébreux donne Rahab en exemple : « Par sa confiance, Rahab la prostituée ne périt pas avec les incrédules parce qu’elle avait accueilli pacifiquement les éclaireurs. » (He 11, 31), 


2.       Zachée 

De même, Zachée appartient à la catégorie des pécheurs notoires et des publicains ; il est de ces hommes que Luc propose comme modèle du pécheur repenti. Mais d’un autre côté,  il est riche. Plus loin, il nous est dit que il est de petite taille. De ce portrait social, il faut esquisser un portrait qui implique une collaboration avec les romains et les autorités, il est craint, mais aussi méprisé voire haï. Les gens à qui il prélève l'impôt ne l'aiment pas et les élites intellectuelles ou religieuses le voient comme compromis avec l'occupant et jouissant de richesses pas propres. Il fait partie des exclus.
C'est dans ce contexte que la rencontre avec Jésus va être décisive. Le point central de cette rencontre, c'est le contraste entre le mépris de la foule vis-à-vis de Zachée — et par ricochet vis-à-vis de Jésus qui parle à Zachée — et le fait que Jésus choisit justement de s'inviter chez lui.
Remarquez bien, ce n'est pas Zachée qui invite Jésus chez lui, malgré son désir de voir Jésus, malgré son stratagème pour le voir en montant sur l'arbre au risque de voir se multiplier les quolibets à son égard. C'est Jésus qui s'invite chez Zachée. Après tout, celui-ci ne désirait pas seulement voir Jésus, mais voir qui il est. C'est Jésus qui prend l'initiative de s'inviter en disant : « Aujourd’hui,  Il me faut demeurer chez toi » (v.5).  L’aujourd’hui de cette visite contient d’autres informations théologiques de poids qui laissent présager un autre « aujourd’hui », celui même du salut adressé au brigand repenti à la croix : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras au Paradis » (Lc 23.43). Jésus s’invite, Jésus invite. Le brigand est aussi invité à pénétrer dans le paradis avec Jésus. Accueillir l’autre, c’est aujourd’hui.  A l’écoute de l’aujourd’hui de Jésus, Zachée  va se  décentrer de ses propres normes et valeurs et se laisser déplacer  vers Jésus pour mieux le comprendre et l’amener à le comprendre également. Il leur faut trouver un terrain d’entente, qui permette à chacun de trouver sa place. C'est là le point intéressant de ce texte, qui peut nous amener à réfléchir à notre place et à notre valeur dans la rencontre de l’autre  Rahab et Zachée nous adressent deux messages ce matin.


Vivre avec « le monde chez toi », c’est se rencontrer pour exister

Pour Rahab comme pour Zachée, c’est toujours dans la rencontre avec l’autre qu’on peut trouver ce qui fait vivre. La rencontre n’est pas toujours facile. Elle exige de s’exposer, de prendre des risques, de se laisser déplacer pour connaître l’autre. Pourtant, le grand défi de l’interculturalité dans les églises aujourd’hui est la peur, la peur de l’autre. Sortir de soi pour aller rencontrer l’autre n’est pas chose facile. Ceci est une insécurité pour le « moi », c’est pourquoi chaque rencontre constitue un combat. Pour sortir de ce défi, il faut considérer l’autre dans son altérité, non pas comme une menace, mais plutôt comme une grâce. Il faut de la patience pour y avancer progressivement. Encore faut-il accepter l’autre avec confiance ?
Pour que cette rencontre soit heureuse et effective, la connaissance et l’acceptation de soi sont exigées. Parce que pour s’apprécier les uns les autres, il faut d’abord se connaître. La connaissance de soi permet d’établir un équilibre d’abord en soi-même et ensuite dans les relations avec les autres. C’est dans la mesure où on se connaît soi-même et s’accepte qu’on est capable de s’ouvrir à l’autre. C’est un exercice non moins difficile parce qu’on s’affronte soi-même, on se regarde en face pour découvrir ses dons, ses limites qu’on doit accepter et les apprivoiser. C’est seulement de cette façon qu’on pourra se présenter devant l’autre en toute authenticité ; que l’autre me considère tel que je suis et lui tel qu’il est et on s’accepte l’un et l’autre en toute sincérité. « Ne jamais avoir honte de ce que je suis », tel est le grand principe pour être vrai avec moi-même et vivre heureux avec l’autre.

 Vivre avec le « monde chez toi », c’est le témoignage de la  foi

Aller à la rencontre de l’autre est un témoignage de la foi.  Pour cela, il faut dissocier sa propre culture pour la mettre en osmose avec celle des autres. Il s’agit de ne pas gommer les différences, mais d’en être curieux (l’engouement de mes étudiants à l’IPT). C’est ainsi que nous sommes appelés à vivre la rencontre dans l’Eglise locale en favorisant dialogue et solidarité entre les individus.
  Frères et sœurs en Christ, sachons que nos paroisses, nos communautés, les groupes que nous représentons sont comme des « îlots de refuge », dans un océan de fragilités et d’hostilités. Si elles ne sont pas bien évidemment des refuges absolus, elles sont des lieux d’hospitalité et de stabilité dans un monde devenu « indifférent ». Nos communautés, nos paroisses, nos groupes ont une carte à jouer dans cette hospitalité personnelle et communautaire. Aujourd’hui, nos églises n’ont qu’une seule mission : accepter les différences et unifier les ressemblances pour s’entendre sur une culture commune. Pour cela, nous avons besoin de communiquer, échanger, partager, accepter que l’autre n’est pas moi, que je suis pas lui, mais nous devons nous accueillir.  C’est le témoignage de la foi.


Conclusion

Aujourd’hui, nous sommes invités à repenser notre manière de vivre ensemble et de faire société, au niveau local et au niveau international. Car, au sein de ce monde qui cherche comment vivre la diversité culturelle, l’Eglise a sûrement quelque chose à signifier et à communiquer. L’appel vient de l’intérieur même de l’Eglise et de la société. 
Et cela ne doit pas rester un voeu pieux teinté d’exotisme et de condescendance, nous devons concevoir l’autre dans sa différence et le respecter. Cela demande de bien se connaître, d’être capable de se remettre en question et mettre ses jugements de valeur de côté pour percevoir ce qu’il y a de commun chez nous tous. Qu’il s’agisse de différences culturelles, ethniques, sociales, familiales, c’est cette diversité qui rend les choses certes pas faciles mais aussi passionnantes qu’enrichissantes.  Car, comme Montaigne l’a dit : « Il n’y a qu’une erreur dans ce monde : vouloir enfermer la diversité du monde dans des doctrines et des systèmes »

  AMEN !


Prof. Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue

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