samedi 28 juin 2014

LES PENSEURS D'AFRIQUE ET LA MODERNITE

Analyse et réflexion


Le troisième repère que j’aimerais mettre en lumière est constitué par une galaxie d’hommes de pensée dont les réflexions ont dominé les débats sur les relations entre tradition et modernité en Afrique. Universitaires de renom pour la plupart, ils ont donné à leur pensée une articulation logique implacable d’où se dégage une grande vision d’une tradition africaine à redécouvrir et d’une modernité africaine à inventer, en relation avec l’évolution de l’idée et de la réalité de la modernité en Occident.167

L’homme clé 

L’homme clé dans cette galaxie, c’est Valentin Yves Mudimbel, un universitaire congolais qui a consacré son énergie à penser l’Afrique dans ses relations avec la modernité occidentale.
Son idée centrale sur la tradition africaine est que celle-ci n’est pas derrière nous, mais en nous. Cela veut dire qu’elle ne constitue pas une objectivité d’idées, de pratiques ou de valeurs à contempler ou à capturer dans une analyse distante et sereine, mais une force d’intériorité structurante à comprendre à partir de l’aujourd’hui de notre existence.
Cette force place tout le passé africain dans la dynamique de la construction de l’identité africaine à partir des défis de notre temps, particulièrement du défi de l’Occident. Comme la tradition, l’Occident dont nous parlons n’est pas en face de nous comme une extériorité purement dominatrice et destructrice. Selon Mudimbe, il est aussi en nous et fonctionne à son tour comme un pouvoir de structuration intérieure.

Tradition africaine et modernité occidentale sont donc au cœur même de l’Homme africain et creusent dans sa personnalité des questionnements dont dépend l’invention d’une nouvelle destinée. Le problème n’est donc pas de vouloir se débarrasser de la tradition ou de la modernité occidentale pour l’invention d’une Afrique totalement coupée de cette double dynamique, mais de rester dans l’intériorité africaine et d’y saisir les vrais enjeux de la tradition et de la modernité.
Quel est le statut de la tradition qui est en nous et quelle est la signification de la modernité occidentale qui, elle aussi, est en nous? 


Sur ces points, la pensée de V.Y. Mudimbe permet d’ouvrir une double perspective.

- Elle permet d’imaginer que la tradition qui est en nous peut subir tout un travail de dépoussiérage qui 1a soumette à une sorte de réduction de type phénoménologique, si l’on peut dire. D’abord une réduction de type eidétique qui la débarrasse de tout le fatras des choses inessentielles pour ne conserver que le fondamental: l’idée régulatrice qui rend cette tradition féconde en nous. Ensuite une réduction, c’est-à-dire phénoménologique, c’est-à-dire libération d’un espace nouveau pour un travail d’invention et de créativité qui fasse acquérir à la tradition la plénitude de son sens, comme dirait Nathalie Depraz. V.Y. Mudimbe n’a pas clairement défini l’idée régulatrice et la plénitude du sens que comporte la tradition en nous, mais un recours à d’autres penseurs africains permettra de combler cette lacune.
- Il en est de même pour la modernité occidentale qui est en nous. Mudimbe y voit à la fois l’impact, dans notre être même, d’une force dominatrice qui donne à l’Occident le statut de Père symbolique dont la présence nous obsède. Il y voit aussi la force d’un bouleversement radical de nos sociétés et de notre personnalité. Le Père et sa force nous fascinent et nous révulsent en même temps, nous plaçant ainsi en situation d’ambiguïté existentielle, entre les eaux. Nous pouvons vouloir nous débarrasser de son odeur, mais vouloir nous couper de lui exige de bien mesurer ce qu’il nous en coûte de nous en débarrasser et s’il ne s’agit pas d’un piège qu’il nous tend et au bout duquel il nous attend, immobile et ailleurs ».
A Partir de la pensée de V. Y. Mudimbe, on peut aussi tenter d’opérer une double réduction de la modernité au sens phénoménologique. Une réduction eidétique où l’idée régulatrice de la dynamique vitale de l’Occident moderne apparaîtrait clairement, et une réduction phénoménologique qui dégagerait un espace de libération pour donner à la modernité la plénitude de son sens. V.Y. Mudimbe ne s’est pas attelé à ce travail phénoménologique, mais nous pouvons l’opérer à partir des recherches entreprises par d’autres penseurs. 


LES HOMMES DE LA REFERENCE PHARAONIQUE

Quand je parle des hommes de la référence pharaonique, je pense particulièrement aux grandes figures de l’Egyptologie africaine contemporaine: Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, Fabien Kange Ewane et Guillaume Bilolo Mubabinge. 


Sur la question de la relation entre notre tradition et la modernité occidentale, ces universitaires sont conscients du fait qu’ils parlent à partir du sol de l’homme africain contemporain. Un homme déchiré entre d’une part une tradition qu’il ne connaît ni ne maîtrise parce qu’il est coupé des sources de son histoire, et d’autre part une modernité qu’il ne comprend pas parce qu’elle lui est tombée sur la tête comme une machine de destruction et de déshumanisation. 


L’intériorité africaine, qui est à saisir du point de vue de la tradition comme du point de vue de la modernité, est une intériorité problématique: désemparée, troublée, écartelée, déchirée et même pulvérisée en tant qu’instance donatrice de sens à la destinée des personnes et des peuples en Afrique.

Pour la reconstruire, il lui faut un horizon historique vers les sources de la vie africaine et vers les générations futures. Cheikh Anta Diop et Théophique Obenga ont défini les sources: l’Egypte pharaonique. Fabien Kange Ewane a dégagé l’horizon: l’Afrique du troisième millénaire réenracinée dans toute la trame de son histoire. Guillaume Bilolo Mubabinge a tracé le cadre actuel: la construction d’une nouvelle Afrique sur la base de la référence pharaonique. Je schématise à outrance, mais les accents que je dégage rendent compte des orientations vraies chez chacun de ces auteurs, même si chez eux toutes les dynamiques de fond rassemblent tous ces accents en même temps, à des degrés divers et suivant des pondérations différentes. 
 
Chez eux tous, on perçoit ce que la tradition veut dire: la conscience actuelle de ce qui a fait la force de l’Egypte pharaonique et des grands empires historiques africains dans leurs valeurs de vie et dans leurs pratiques sociales. La conscience aussi, de ce que cette tradition permet de construire comme avenir pour nos peuples aujourd’hui. Ainsi perçue, la tradition est un immense capital symbolique et mental que la science égyptologique redonne à l’homme africain et à ses civilisations maintenant.
Mais ce capital n’a de sens qu’en fonction du grand enjeu d’aujourd’hui: notre relation avec le monde occidental dans sa modernité. Il est destiné à nous décomplexer en faisant de nous la source de l’humain où l’Occident a puisé son énergie primordiale. Il est aussi destiné à nous libérer de l’humiliation que nous avons subie depuis les temps coloniaux jusqu’à ce jour. Il est enfin destiné à nous redonner confiance et à promouvoir nos énergies créatives dans tous les domaines, c’est-à-dire à entrer dans la modernité sans complexe pour en maîtriser les enjeux et en juguler les méfaits: inventer une modernité africaine plus dynamique et plus humaine.
Cela veut dire que la modernité dans ses slogans les étincelants : la technologie, l’organisation démocratique, les idéaux libertaires, la bonne gouvernance, la confiance dans le progrès et dans la raison, n’est pas l’apanage de l’Occident. Elle est un patrimoine commun de l’humanité à partir duquel tout peuple peut bâtir aujourd’hui son avenir, sans complexe, A condition de ne pas s’engluer dans le non-sens que l’Occident a fait peser sur cette modernité en l’instrumentalisant au service des pouvoirs de la mort et de la destruction. 

UN ECLAIRAGE UTILE PAR TROIS PENSEURS IMPORTANTS

Je ne peux pas parler de la galaxie des penseurs d’Afrique sur la question de la tradition et de la modernité sans invoquer l’œuvre de Fabien Eboussi Boulagal. Dans une verve critique et caustique, ce penseur camerounais a planté le décor: il a dénoncé le recours naïf à une tradition folklorisée et onirique alors que la modernité se joue à l’échelle et sur le terrain de la maîtrise scientifique, politique, économique et militaire du monde, dans des rapports concrets actuels entre dominants et dominés, entre maîtres et esclaves, dans un système mondial féroce, cruel, qui ne souffre aucun onirisme béat. Pour lui, on n’oppose pas à une telle modernité le cadavre des traditions évoquée à coup de rêveries et d’incantations. On entre dans des champs de bataille concrets: la recherche fondamentale, la libération des sciences, la construction des économies fortes, et, ajouterais- je, des armées puissantes. Ce sont, comme dirait Eboussi lui-même, là des lignes de résistance réelles face à une modernité conquérante et oppressive. 
 
Nous le savons d’ailleurs depuis le mot célèbre de Wolé Soyinka: le tigre ne se pavane pas en proclamant sa tigritude, le tigre saute sur sa proie... Pour l’Afrique, la seule tradition qui compte est donc celle qui permettrait au tigre africain de sauter. Mais en quoi consisterait une telle tradition?
C’est à cette question que me semblent répondre deux théologiens, de renom: Oscar Bimwenyi-Kweski et Jean-Marc Ela : scion des perspectives très différentes, mais avec le même souci de la libération des énergies africaines créatives. Oscar Bimwenyi-Kweski saisit la tradition dans son point d’ancrage radical: le bosquet initiatique, c’est-à-dire le cœur de la dynamique du devenir humain de l’homme africain. Là où se configurent les valeurs spirituelles fondamentales qui donnent sens à la vie. Ce sont, dans l’ensemble, des valeurs de liens vitaux: avec Dieu, avec les humains, avec le monde.
Quant à Jean-Marc Ela, il ne se réfère à cette tradition des valeurs qu’en vue de leur fécondité possible dans les lieux actuels de vie: les rapports sociopolitiques concrets où la re-capturation des énergies de la culture crée et forge l’homme africain nouveau, dans le contexte d’une modernité dévoyée, qui produit pauvreté et inégalité, mort et désolation, indigence et déréliction, en Afrique. L’enjeu ici, c’est de se libérer de tout ce qui, dans la modernité comme dans la tradition, réduit l’être humain à rien, anéantit sa force de créativité et le livre, pieds et poings liés, aux structures monstrueuses des politiques africaines ou aux griffes meurtrières des maîtres de l’économie mondiale. 
 
On peut continuer les investigations et présenter aussi des auteurs qui, à l’instar de Daniel Etounga-Manguelle et Axelle Kabou, exigent un ajustement culturel ou un pur et simple changement de culture en Afrique. Cela ne me paraît pas important pour la problématique qui nous concerne ici. Ceux qui n’ont pas foi dans notre génie culturel africain n’entrent pas dans l’horizon qu’il est nécessaire d’ouvrir pour l’interfécondation de la tradition et de la modernité sur nos terres. Je me dispense de parler d’eux ici. 

LES ENJEUX D’UNE PENSEE UTILE 

Que pouvons-nous tirer, comme lignes directrices utiles, de toute la pensée africaine à laquelle je viens de faire recours pour féconder mes analyses? Globalement, nous y disposons d’une clarification sur la manière dont 1a tradition et la modernité apparaissent à notre conscience actuelle en Afrique: à la fois comme des réalités internes à nous et comme des nœuds de questions posées à notre être-au-monde. Ces réalités nous renvoient autant aux sources de notre histoire et de notre esprit qu’au cœur de nos préoccupations actuelles pour que nous soyons de plain-pied dans un ordre du monde où nous sentons que notre destin est bouleversé et qu’il nous faut le repenser, le réimagner, le redéployer et l’élever à la hauteur des enjeux du monde pour maintenant et pour l’avenir. 
 
Nous sommes, dans cette situation qui est la nôtre, conduits à concevoir une double tâche: - réinventer une archéologie féconde de notre être en sculptant fermement et en construisant résolument une identité historique à la dimension du rôle que nos cultures et nos civilisations ont assumé dans l’histoire de l’humanité; - conférer une téléologie à notre destinée en nous pensant comme une figure spirituelle spécifique dans les relations avec les autres civilisations.
Tradition et modernité deviennent dans ce sens deux pivots dans le travail de réflexion de fond sur l’esprit que nous avons à promouvoir pour proposer dès maintenant à notre continent la nouvelle idée qu’il devra avoir de lui-même: une nouvelle sorte d’attitude des individus à l’égard du monde environnant, comme aurait dit Husserl, une figure culturelle systématiquement cohérente où tradition et modernité s’articuleraient selon des principes d’interfécondation qui donneraient un sens nouveau à notre avenir dans le monde, en fonction des défis actuels et des enjeux à venir de notre destinée: la constitution d’un nouvel être africain, d’un monde qui soit notre monde parce qu’il correspondrait à notre être redécouvert et réinventé. 
 
Le problème étant ainsi clarifié, il nous reste à dire selon quelles méthodes nous devons le résoudre et de quelles ressources nous disposons pour mener à terme l’articulation entre tradition et modernité. Il nous reste aussi à voir comment la religion en général et le christianisme en particulier peuvent être utiles face aux problèmes que nous posent la tradition et la modernité. 

 par Kä Mana, Philosophe et Théologien Congolais

Tiré de «La mission de l’Eglise africaine», CIPCRE

vendredi 20 juin 2014

VIVONS-NOUS POUR ÊTRE HEUREUX ?


Ce sujet soulève une problématique assez classique sur le bonheur : celle de savoir quelle place nous devons/pouvons lui accorder dans nos existences. Le bonheur constitue d'une part une fin légitime et même universelle. On ne peut reprocher à personne de vivre pour être heureux, c'est-à-dire de chercher à atteindre le bonheur, et l'on peut même donner à cette affirmation une portée universelle : oui, nous vivons tous, universellement, pour être heureux, tant il est vrai que la définition du bonheur est suffisamment relative à chacun pour que l'on puisse dire que tous les hommes veulent être heureux, quelqu'en soit la manière. 
Mais dans le même temps, le bonheur est une fin incertaine. Vivre pour être heureux, cela signifie aussi chercher le bonheur à tout prix, ne vivre que pour ça. Or, pouvons-nous ainsi tout sacrifier pour le bonheur? Le bonheur constitue-t-il la seule et unique fin de notre existence? Il y a en effet d'autres buts que l'homme, en tant qu'être raisonnable, peut poursuivre et qui peuvent aller à l'encontre de leur bonheur individuel : la vertu, la connaissance, la citoyenneté, la liberté.... Ainsi le bonheur est-il bien la seule fin de notre existence, au détriment de toutes les autres, où notre humanité se joue aussi?


Le bonheur est une fin universelle. 

On pouvait développer dans un premier temps l'idée que nous vivons bien pour être heureux et que cette affirmation a une portée universelle. Cela tient en effet à la définition du bonheur. S'il s'agit d'un état de satisfaction totale et durable, celui-ci peut être atteint de différentes manières selon les individus. Le bonheur est donc relatif, individuel. Dès lors, chacun va, à sa manière, poursuivre celui-ci dans son existence. On peut ainsi considérer le bonheur comme une fin universelle, comme l'explique par exemple Aristote dans "L'Ethique à Nicomaque" en définissant le bonheur comme la fin suprême : tout ce que nous faisons ou poursuivons (l'argent, les honneurs, l'amour...), nous le faisons pour être heureux et le bonheur est la seule fin en soi de l'existence (on veut être heureux pour être heureux et non pour autre chose).
Il est donc légitime de chercher à être heureux et c'est là aussi un des aspects du problème. Vivons-nous pour être heureux? cela signifie aussi : est-ce bien le sens de notre existence dans le monde? Or, à cette égard, la poursuite du bonheur est conforme à notre nature d'être sensible ce qui implique que nous cherchions à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour être heureux. Le bonheur est en effet fonction de ce qu'il nous est possible de faire, d'obtenir et de notre liberté comme capacité d'action, comme pouvoir. On pouvait ici se référer par exemple aux propos tenus par Calliclès dans le "Gorgias" de Platon.
Donc le bonheur est une fin universelle et légitime de nos vies. Nous vivons en effet tous pour être heureux. Toutefois, en tant qu'état de satisfaction totale et durable, le bonheur semble difficile voire impossible à atteindre. Dès lors, pouvons-nous ne vivre que pour être heureux? Notre existence n'a-t-elle pas de sens ailleurs que dans un bonheur sensible, individuel et incertain?

Le bonheur ne peut pas être la seule fin de notre existence.

On pouvait donc enchaîner dans cette deuxième piste sur l'idée que le bonheur ne peut pas être la seule fin de notre existence. On peut aborder la question d'un point de vue moral en arguant que notre devoir, qui va bien souvent à l'encontre de notre bonheur, est cependant nécessaire à la réalisation de notre humanité raisonnable : il nous faut donc savoir renoncer au bonheur si le devoir l'exige. On pouvait s'appuyer sur Kant, "Fondements de la métaphysique des mœurs" ou encore Mill, "L'utilitarisme". Le bonheur comme fin en soi de nos existences pose aussi problème en tant que fin individuelle. Chercher son bonheur à tout prix, n'est-ce pas aussi être prêt à sacrifier celui des autres pour obtenir notre propre bonheur? La question se pose donc aussi de savoir dans quelle mesure nous ne devons pas nous soucier des autres avant notre bonheur individuel. C'est la description que donne Hegel du grand homme qui n'est, nous dit-il, pas heureux parce que son existence a un sens qui dépasse cette simple préoccupation. Ainsi, le bonheur agit comme une forme de leurre et ce que nous sacrifions si nous le cherchons à tout prix risque de nous dénaturer en nous amenant à renoncer à des aspects essentiels à notre humanité. Voir pour cela par exemple la critique du despotisme éclairé dans "La lettre à Helvétius" de Diderot, puisque précisément le bonheur procuré par le despote éclairé aux hommes agit comme une séduction qui les transforme en bétail.
Nous devons donc nous méfier du bonheur, soit qu'il ne soit qu'un leurre impossible à atteindre, soit qu'il agisse comme un somnifère qui nous conduit à renoncer à ce qui est essentiel à notre nature d'homme. Toutefois, comme nous l'avons aussi vu, nous ne sommes pas que des êtres raisonnables mais aussi des êtres sensibles pour qui le bonheur est essentiel. Ne peut-pas alors chercher le bonheur sans pour autant renoncer à ce qui nous définit?

 Vivre pour être heureux n'est pas incompatible avec le reste de nos devoirs

Dans cette troisième piste on pouvait développer l'idée que vivre pour être heureux n'est pas nécessairement incompatible avec le reste de nos devoirs, et même que la recherche du bonheur n'a de sens que dans le respect de ceux-ci. Si l'on définit le bonheur comme un état de satisfaction totale dans lequel nous sommes parfaitement nous-mêmes, cet état ne peut de toute façon être atteint que dans le respect de ce que nous sommes comme être sensible et raisonnable. On ne saurait être heureux en renonçant à ce qui nous constitue. Ainsi, dans le "Second discours", Rousseau explique en quoi le contrat social doit permettre de retrouver le bonheur et l'harmonie naturels de l'homme, c'est-à-dire en quoi, en faisant son devoir de citoyen, l'homme retrouve un bonheur qui ne peut de toute façon plus être purement individuel. De la même manière, par exemple chez Kant, le bonheur peut être poursuivi comme une fin secondaire, c'est-à-dire comme un moyen pour accéder à la vertu.
Ainsi, vivre pour être heureux ne signifie pas nécessairement se lancer dans une course frénétique à la satisfaction de tous nos désirs, mais plutôt trouver l'équilibre nous permettant d'atteindre un état durable d'absence de trouble, comme le propose l'éthique épicurienne par exemple.

Conclusion.

Nous vivons bien pour être heureux. Cela ne signifie pas que nous pouvons tout sacrifier pour notre satisfaction personnelle. Le bonheur est certes une fin légitime de l'existence, mais ne peut être atteint qu'à la condition que nous le construisions sans renoncer aux traits essentiels de notre humanité raisonnable. Nous vivons ainsi pour être heureux dans le sens où le bonheur constitue la fin à partir de laquelle nous construisons notre existence pour l'atteindre, sans pour autant tout lui sacrifier de manière aveugle.

jeudi 12 juin 2014

LE PASTEUR ET LA POLITIQUE : UN COUPLE COMPATIBLE ?




Un sujet sensible


Depuis des lustres, le débat sur l’engagement du pasteur en politique, suscite tant de passions et fantasmes. 

Dès la naissance de l’Eglise chrétienne, on a maintes fois soulevé ces questions : Quel est le rôle du chrétien en politique ? Un membre d’Eglise et l’Eglise elle-même peuvent-ils faire de la politique ? Quelles devraient être leurs relations avec l’Etat et avec les autorités politiques en place ? Quelle doit-être l’attitude du pasteur face à la politique ? Toutes ces questions soulèvent le problème de l’engagement des pasteurs en politique demeurant  ainsi un sujet très sensible. 

Certains optent pour la non-participation du chrétien en général et du pasteur en particulier à la politique. Ils se disent presque toujours apolitiques, c'est la position traditionnelle des chrétiens protestants centrafricains. Pour cette catégorie de chrétiens, la politique, c'est l'affaire des mondains, des païens, le chrétien authentique doit s'en écarter. C'est même inconcevable, selon la grande majorité des chrétiens, pour un pasteur de s'engager en politique. En effet, pour eux, l’Eglise n’a aucun rôle à jouer en politique, et que le chrétien, pris individuellement, n’y a qu’une part minuscule tout au plus. Cette opinion est basée sur la notion selon laquelle le royaume du Christ n’est pas de ce monde. D’autres soutiennent que les individus et l’Eglise ont incontestablement des responsabilités socio-politiques en vue d’améliorer les conditions de vie des citoyens. D'autres chrétiens vont encore plus loin et prétendent que le but essentiel du christianisme est de travailler à la création d’un ordre politique chrétien qui amènera le royaume de Dieu sur terre. Entre les deux, on a toute une variété d’opinions et l'on ne sait à quel saint se vouer.

Ce débat concerne aussi l'intervention des Eglises dans le champ politique. Certains pensent qu’il est normal, souhaitable voire nécessaire que les Églises, en tant que partie du corps social, prennent part, par la voix de leurs responsables, aux débats de la société et s’engagent dans la vie politique. D’autres, au  contraire, contestent la légitimité de toute intervention des autorités ecclésiales dans le champ temporel souvent assimilé à « la politique. Ils y sont opposés par principe, affirmant que les Églises doivent s’en tenir à leur mission spécifique qui est d’ordre spirituel. Ainsi, réagissait par exemple  un homme politique  : 



"Que les évêques fassent leur travail d’évêque, qu’ils laissent les politiciens faire leur travail de politiciens. Nous ne discutons pas de pouvoir avec eux"

Enfin, il y a ceux qui considèrent que les Églises devraient, d’une manière générale, se taire ou rester discrètes dans l’espace public, et ne prendre position que face aux situations intolérables, quand la vie des humains et celle du monde sont gravement menacées.
 
Malgré tout, depuis 2004, plusieurs pasteurs en Centrafrique, notamment ceux des Eglises dites de « réveil »,  montrent un intérêt inaccoutumé pour la politique. Lors des échéances présidentielle et législative de 2004, le pasteur Josué Binoua a présenté sa candidature à la présidentielle, d'autres se sont présentés aux législatives afin d’être élus Députés ou autres. En 2016, l"apôtre Kapou a eu à manifester le même désir. Sur la recommandation du Saint-Esprit, selon lui, Dieu lui demande de se présenter aux élections présidentielles. Pour tout ce que nous avons constaté, ces pasteurs au goût politique  ont fait piètre figure dans leur nouvelle expérience. Ils n'ont connu aucune victoire. Ils n'ont pas, non plus, montré qu'ils étaient « sel et lumière » pour assaisonner le monde corrompu et ténébreux de la politique centrafricaine. Et beaucoup de questions taraudent, aujourd’hui l'esprit des citoyens: est-ce vraiment Dieu qui suscite en ces serviteurs de Dieu l'envie du pouvoir? L'équation  « pasteur/politique » est-il possible ? En d’autres termes, l’engagement du pasteur en politique est-il compatible dans le cadre de l’éthique pastorale ? Un pasteur peut-il exercer un mandat électif ? Ou en termes simples: un pasteur peut-il faire de la politique? 
Il est évident qu'avant d’aborder toutes ces questions, il serait mieux de définir ce que l’on entend par le terme « politique ».

Le terme « politique »

La politique recouvre au moins trois sens : d’abord, la politique en son sens plus large, celui de civilité ou Politikos, indique le cadre général d'une société organisée et développée ; ensuite, la politique, au sens de Politeia, renvoie à la constitution et concerne donc la structure et le fonctionnement (méthodique, théorique et pratique) d'une communauté, d'une société, d'un groupe social. Elle porte ainsi sur les actions, l’équilibre, le développement interne ou externe de cette société, ses rapports internes et ses rapports à d'autres ensembles. Elle est donc principalement ce qui a trait au collectif, à une somme d'individualités et/ou de multiplicités ; enfin, dans une acception beaucoup plus restreinte, la politique, au sens de Politikè, ou d'art politique se réfère à la pratique du pouvoir, soit donc aux luttes de pouvoir et de représentativité entre des hommes et femmes de pouvoir, et aux différents partis politiques auxquels ils peuvent appartenir, tout comme à la gestion de ce même pouvoir (cf. Wikipédia).
Cela dit, un citoyen peut participer à l'exercice du pouvoir directement ou indirectement par son vote. Directement, l'on peut être un homme ou une femme politique et, indirectement l'on peut décider par son vote quel homme ou quelle femme politique doit être élu (e) pour gérer les affaires publiques. Car, les chrétiens sincères font face au dilemme de la double citoyenneté. Ils appartiennent au royaume de Dieu d’une part, et sont citoyens de leur pays d’autre part. Ils font partie de la « nouvelle humanité » et ils vivent au milieu de la « vieille humanité ». Y a-t-il là un conflit inhérent ? Les chrétiens doivent-ils choisir une citoyenneté et renoncer à l’autre ? Il n’y a pas de doute qu’en certaines occasions, il peut y avoir conflit quand les devoirs ou exigences de l’une s’opposent à ceux de l’autre. Dans de tels cas, l’Ecriture est claire : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Actes 5 : 29.).

Cependant, le royaume de Dieu n’est pas isolé en dehors de notre monde ; il est « au milieu de nous » (Luc 17 : 21). En d’autres termes, le royaume de Dieu est une sphère, un engagement, une attitude, et un mode de vie et de pensée qui pénètre notre existence entière et donne à notre citoyenneté un sens tout spécial. C’est la souveraineté de Dieu imprégnant la vie de l’être humain.

L'attitude du pasteur face à la politique de son pays

    Ainsi, en tant que citoyen chrétien, le pasteur doit certainement obéir aux lois de son pays, payer les taxes, prier pour ceux-là qui dirigent la nation, la communauté; participer, en supportant tout bon gouvernement qui travaille pour le bien-être généralisé de la  communauté. Cependant, l'on se demande jusqu'à quel niveau un pasteur peut-il s'engager dans la politique politicienne de son pays ?

     La Bible enseigne implicitement que les deux institutions, "l'Eglise" et "l'Etat" doivent être séparées: "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" (Matt.22:21).  Ce passage trace ainsi une ligne de démarcation entre le temporel et l’intemporel, une nette distinction entre les affaires de Dieu et les affaires civiles. Cela laisse à l’Église ou au pasteur la possibilité de servir d’institution critique vis-à-vis du pouvoir politique et conforte l’image de l’Eglise militante, « sel de la terre » et « lumière du monde ».
    C’est dire que la mise en place d’un ordre politique dans notre société est une mesure providentielle de Dieu pour l’humanité déchue. Dieu ne demande pas aux gens « biens » de la société de rester en dehors du processus politique du gouvernement, ni de laisser aux « méchants » le contrôle économique et socio-politique. Les chrétiens se doivent d'être « le sel et la lumière » du monde et de la société. Ainsi,  ils ne peuvent pas s’abstenir du processus politique. En effet, une telle abdication est en soi une action politique qui ouvre la porte du contrôle politique à ceux qui soutiennent des valeurs non chrétiennes. 
    « Ne rien faire », c’est une prescription assurée pour permettre au péché de devenir maître de la société. En effet, les chrétiens ont à la fois le droit et le devoir d’utiliser leur citoyenneté terrestre pour permettre à l’Eglise de remplir son mandat divin, et de participer individuellement au soulagement des besoins sociaux affligeants.
Toutefois, l’on a le droit de s’interroger si le pasteur peut, en tout bon jugement, se porter comme candidat à un poste politique ou s'engager activement dans une campagne politique. Cette interrogation nous conduit à deux volets.

Les dangers de la politisation des Eglises 

 Premièrement, il convient de noter que les politiciens chrétiens sont sur la corde raide: soit ils sont du côté du diable dans l'exercice de leur fonction, soit ils se conduisent selon l'éthique chrétienne et apportent la lumière du Christ dans la pénombre politique. Ils doivent ainsi éviter l’influence de l’activisme politique qui essaie de dévaluer leurs efforts à un point où il semble qu’il n’y a pas de Dieu qui s’implique dans les affaires des hommes.
Deuxièmement, il existe un danger croissant de politisation des Églises. Cela a entraîné non seulement l’implication d’Églises dans l’activité politique, mais aussi l’interprétation de la foi et de l’Evangile chrétiens en termes de valeurs politiques. Dans de nombreuses Églises, il semble que l’intérêt soit passé de la moralité individuelle à la moralité sociale. Le résultat est que dans certains segments de la société ecclésiastique, on a permis à des idées séculières de modeler les valeurs chrétiennes, au point qu’on ne constate plus  guère de différence entre le séculier et le sacré. Il est triste de voir que les dispositions des chrétiens sont souvent les mêmes que celles de la société en général.
 
    Aussi, on remarque malheureusement que certains pasteurs se sont érigés aujourd’hui beaucoup plus en politiciens qu’en hommes de Dieu. Historiquement, l'honneur revient à certains pasteurs Protestants ont servi, soit par nomination ou par élection dans des postes politiques sans pour cela perdre leur statut de pasteur et n'ont pas failli à leur mission : c'était le cas de Jean Calvin en Suisse, de William Tolbert au Liberia, d'Abel Muzorewa au Zimbabwe; sans compter d'autres pasteurs ou prêtres qui ont occupé plusieurs fonctions politiques dans certains pays et qui sont restés pasteurs en même temps (dans le cas d'Haïti avec Jean Bertrand Aristide). 
 
    Parmi ces cas, certains ont fait de leur foi une arme contre l'injustice et d'autres en ont fait un tremplin pour être du côté obscur de la politique. Depuis lors, Vatican a pris une loi interdisant les prêtres à prendre un poste politique. 
Par ailleurs, en Centrafrique, il convient de noter que Barthélémy Boganda, premier prêtre oubanguien, a eu le courage de faire un choix clair et précis d’enlever sa soutane et de s’engager dans la vie politique.

La responsabilité socio-politique du Pasteur

En général, ce qui caractérise la responsabilité socio-politique du pasteur est l’ensemble de ses interventions dans l’espace public, exprimant une passion profonde pour la justice et l’affirmation constante d’un lien explicite entre la foi et les affaires politiques et économiques de la cité. C’est ce courage dont les trois Ministres de Dieu, Mgr Nzapalainga Dieudonné, Pasteur Guerekoyamé Nicolas et l’Imam Omar Kobina Layama, formant en effet une figure oecuménique et interreligieuse, ont toujours fait preuve, pour affirmer leurs convictions et réveiller les consciences assoupies, en dépit de l’incompréhension des uns et de la pusillanimité des autres dans un ultime but de ramener la paix en Centrafrique. 

  Il y a aussi un autre bel exemple de la théologie politique, dont on parle beaucoup aujourd’hui en évoquant avec nostalgie Barth, Bonhoeffer ou Don Helder Camara, mais qui n’est hélas plus guère pratiquée. Il s'agit de combattre par la dénonciation des injustices sociales, des violences et des inégalités ethniques. Ce n’est pas de compassion dont il s’agit, mais d’affrontement et de lutte politique, menés à armes inégales. Avec obstination, malgré les revers et les critiques. 



    Et la question qui taraude l'esprit est celle-ci: L’ecclésiastique a-t-il vocation à prendre part à la vie politique ?  Oui, en éclairant les consciences. Les pasteurs ont le droit et le devoir d’exprimer des principes moraux qui gouvernent la vie sociale.

    Quelques grandes figures pastorales en sont les paradigmes : Martin Luther King, Desmond Tutu en Afrique du Sud, au Congo Simon Kibangu, Joseph Malula, et tout récemment le Cardinal Monsengwo qui dénonçait les dérives dictatoriales du pouvoir congolais, traitant les hommes politiques de "médiocres". Ces hommes de Dieu ont lutté contre les oppressions avec une totale détermination, avec un courage à toute épreuve et n’ont cherché nullement le pouvoir pour eux-mêmes ni un quelconque avantage. 
 
    C’est dire que le pasteur se doit de se garder de s'engager dans une action socio-politique pour des avantages matériels ou pour des raisons politiques personnelles mais ne doit pas se dérober de son rôle de celui qui veille sur la société. De plus, il ne serait pas sage pour lui de se servir de son titre de pasteur ou de sa posture ecclésiastique pour mener une campagne subtile en vue d'accéder, à l'avenir, à un poste électif. Son objectif doit être de faire en sorte que les principes moraux de justice, de bien-être social soient observés. Que la communauté devienne non pas une jungle, mais "une communauté d'amour" pour répéter le Dr. Martin Luther King Jr.; une communauté où règnent la justice, la paix, la bonne vie et tout ce qui est bon.
 
 Le Serviteur de Dieu n’a pas besoin d’être célèbre, ni un Politicien ni un Chef d’Etat pour dénoncer et combattre une ignominie comme celle que nous subissons aujourd’hui en Centrafrique ou dans d'autres pays africains.  

L’exemple de Jésus 

Jésus n’a fait que rarement allusion au type de société politique auquel ses disciples devraient aspirer. Il n’a pas prétendu être un croisé ou un réformateur socio-politique. Et pourtant, la situation politique de la Terre sainte de son temps était si troublée que son message ne pouvait pas ne pas avoir des répercussions politiques. Des paroles comme "Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent" ou "Heureux les assoiffés de justice" demeurent subversives pour toute société bâtie sur la course au pouvoir. De même, ses diatribes contre l'hypocrisie des chefs religieux et politiques avaient une dimension politique, car le Temple était l'institution économique la plus importante du pays.  De même, les tentations au désert avaient clairement une dimension politique mais il y a résisté (tentation d'avoir une suprématie politique). Bien qu’il ait eu plus d’une occasion de s’emparer du pouvoir par une sorte de coup d’Etat (cf. la multiplication des pains et l’entrée triomphale à Jérusalem), il n’a pas choisi cette option. 

Cependant Jésus lui-même n'était pas un agitateur politique, même si son message était inconfortable et dérangeait, car il défiait le pouvoir religieux et politique et provoquait les consciences. Pourtant, comparé à d'autres juifs de son temps,-- les zélotes -- il apparaît plutôt respectueux de l'ordre établi. Par exemple, il reconnaissait l'autorité des prêtres et des gouvernants politiques, il suivait le calendrier du Temple, il enseignait même les bonnes conditions pour y offrir un sacrifice . Même, Pilate l'interrogea : "Es-tu le roi des Juifs? Jésus lui répondit: Tu le dis." (Mc 15;2). 

  Toutefois, ce qu'il a de "révolutionnaire", si on tient à ce mot, c'est justement la volonté de ne pas tout céder à la politique. Dit autrement, de se soumettre pieusement aux autorités politiques et de les laisser faire. 

 Sa fameuse sentence "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu" marquait un tournant : la relation à Dieu qu'il instaure transcende toutes les circonstances extérieures. En d'autres termes, César n'est pas Dieu et Dieu n'est pas César. Jésus était ainsi contre celui qui se servait du pouvoir au profit de son désir d'être dieu. Dans l'optique de la déité du pouvoir politique, Jésus s'y opposait clairement. Ceux qui voulaient déifier la politique, se heurtaient à la volonté de Jésus.

Se soumettre aux autorités politique ne veut pas dire s'inféoder à leurs injonctions déviantes ni les cautionner dans leurs exactions, ni solliciter une faveur dans un espace politique. Le pasteur se doit de mettre une certaine distance entre le politique et lui-même afin de jouer son rôle de "sentinelle" de la société. 

 C'est ce que le Maître a fait. Jésus vise la conscience personnelle de chacun, sur laquelle il prétend avoir la plus grande autorité. L'histoire du christianisme le montre dès le début, Paul ne demandera pas même aux esclaves de se libérer de force. La "voie de Jésus" consiste à suivre sa conscience éclairée jusqu'à se libérer sous la pire oppression.

Conclusion

    En définitive, récupérer toutes les affirmations de la foi pour faire de la politique au nom de Dieu, c'est substituer une reconstruction artificielle au seul lien concret et réel à la vie de Jésus-Christ. Contredire systématiquement les affirmations de la foi pour trahir la vie de Jésus en s’engageant dans une course effrénée au pouvoir politique, c'est scier la branche sur laquelle on est assis et produire une "théologie de la gloire" pour remplacer ainsi la "théologie de la croix", celle que Jésus lui-même a conçue à Golgotha .

     C’est dire que "faire de la politique" n’est pas la mission d’un pasteur. Le rôle du Pasteur est de prêcher l’Evangile, afin que des vies soient sauvées, de dénoncer les injustices sociales, économiques ou politiques, de faire libérer un peuple opprimé des chaînes du diable et non de se mêler de la politique pour assouvir ses besoins personnels. Car, le guide religieux qui fait la politique, n’est pas assez lucide pour dire la vérité. Le Pasteur, dans son rôle prophétique, a une posture bien définie dans la société. Celle d"être porte-parole de Dieu, d'être prophète de Dieu. Son rôle n'est pas, comme le souligne l'apôtre Paul,  de se conformer au siècle présent (Rm 12.2), mais de faire "transformer "  son peuple par le renouvellement de l'intelligence afin que celui-ci discerne la volonté de Dieu.

Par exemple, en Ez. 14. 1-5,  il est démontré que le prophète devait avoir le courage de reprendre les gouvernants sur des choses cachées. Même s'ils étaient des amis, il fallait les confronter. Tout prédicateur doit savoir redresser ses amis, les gens riches, les hommes politiques, etc... Persévérants malgré l'opposition et la persécution (Hb 11. 32, 36-39), les prophètes apparaissaient toujours dans des moments de crise, ce qui accentuait leur manque de popularité (Jr 37. 2). La classe politique cherche le compliment, la gloire mais les prophètes n'en donnaient pas souvent.

De même que le prophète de l'Eternel dénonçait l'injustice sociale et rappelait le Roi à l'ordre, le pasteur doit toujours travailler pour la justice. Il peut le faire en dénonçant le mal, en formant des citoyens honnêtes qui peuvent chercher à briguer le pouvoir, ou à élire la personne qu'il faut pour instaurer la justice et le droit; en éduquant et mobilisant les chrétiens dans des actions sociales ordonnées.

In fine, les échéances électorales ne doivent pas devenir des appâts de gain pour les pasteurs. Car, souvent, à cette occasion,  la question du rapport entre l'Eglise et la politique se mue en  une tentation de voir certains pasteurs se présenter au mandat électif.
 
  Il est temps de leur rappeler que  s’ériger en homme politique au lieu d'être un homme de Dieu compromet la vocation première de l’Eglise, celle de mettre l’accent sur  le côté moral et social: la justice, l'équité et la paix  qui sont, du point de vue eschatologique,  des ingrédients du royaume de Dieu sur la terre. 

Car, l'Eglise, c'est à la fois dire la vérité au pouvoir, aux hommes politiques et être la voix des sans-voix dans n'importe quelle société donnée. Comme Luther l'a si bien dit: "le fait d'être un Ministre de Dieu (pasteur) m'engage à exhorter un homme politique si, séduit par le diable, car il ne peut pas voir l'injustice qu'il commet...".



Et, le théologien congolais Kä Mana l’a si bien ainsi résumé : «  Dans un contexte de crise, les Eglises et les chrétiens d'Afrique ont à se penser comme force anti-crise animée par l'Evangile; à vivre selon cette dynamique qui manifestera leur présence réelle dans le champ politique, dans la vie économique, dans la créativité culturelle et dans les exigences morales et spirituelles. Seule une Eglise évangélisée en elle-même peut prétendre évangéliser le monde et la société. »


 Pour une lecture complète, lisez mon dernier ouvrage : "Fonctions et Défis du Pasteur dans l'Afrique Contemporaine" (L'Harmattan, 2015).

Voulez-vous le découvrir? Allez sur ce lien : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp…

 Prof.  Jimi  ZACKA
 Théologien, Anthropologue, Auteur


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