samedi 19 septembre 2020

« PRÊCHER DANS LE DÉSERT[1] » : Fracture et relecture de Matt 3.1-4. Pour quelle perspective sotériologique aujourd’hui ?

Introduction

« Prêcher dans le désert » est une expression tant utilisée aujourd’hui qui suscite, à tort ou à raison, une frustration, une désolation, une déception. Elle s’emploie souvent quand une personne tente de se faire entendre dans la plus parfaite indifférence. En d’autres termes, il s’agit de ne parler pour rien ni personne, de tenter de se faire entendre ou de convaincre sans résultat et dans la plus grande indifférence, que les personnes à qui l’on s’adresse n’écoutent pas ou ne veuillent pas entendre.

Pourtant, l’expression telle que nous la connaissons aujourd’hui est bien éloignée de son sens originel. Il faut se replonger dans la lecture du Livre d’Esaïe pour en comprendre le contexte, et plus précisément dans la seconde des trois parties qui composent le livre, aussi appelée Livre de la consolation d’Israël ou second Esaïe.

Sens originel : « Prêcher dans le désert »

L'expression date du XVIIIe siècle. Elle ne veut pas dire que l'individu qui parle n'a personne autour de lui, mais simplement que ce qu'il dit n'est pas entendu, compris ou pris en compte par l'auditoire.

Elle est basée sur une double interprétation erronée d'abord dans la version des Septante de l'Ancien Testament, puis dans les Évangiles.
Au départ, il y a Esaïe dont il est dit dans le texte original : "Une voix crie : dans le désert, préparez la route de Yahvé". Esaïe réclame en effet à son auditoire (il n'est pas dans un endroit désertique) de préparer à travers le désert un chemin vers la Palestine. Une erreur de transcription aurait fait sauter la ponctuation et Esaïe est devenu "une voix clamant dans le désert" ("vox clamantis in deserto")[2].

Ensuite, dans les Évangiles, Jean le Baptiste, qui parle effectivement dans un endroit désertique au bord du Jourdain, est comparé à cet Esaïe mal compris. Toutefois,  lui,  Jean le Baptiste réussit à faire venir à lui tous ceux qui veulent être immergés dans le Jourdain pour se faire baptiser ("Jérusalem sortait vers lui, et toute la Judée, et tout le pays des environs du Jourdain"). Il est donc loin de parler dans le désert, au sens de notre expression d’aujourd’hui.

De même, le désert n'était alors pas considéré sous son aspect physique de grande aridité, mais comme le lieu très symbolique de la révélation divine.
Prêcher dans le désert veut donc dire, à l'origine, prêcher la bonne nouvelle, dans un espace spirituellement aride.

 

« Jean Baptiste prêchant dans le désert de judée » (v.1)

De ce fait, peut-on dire que Jean Baptiste a-t-il vraiment « prêché dans le désert » dans le sens de parler dans le vide ? Telle est la question qui se pose. Notons tout d’abord que le v.3 rejoint la tradition commune en citant Es.40.3 et ce passage caractérise bien la mission de Jean le Baptiste : autrefois, Israël était né du désert, lors de l’exode, puis du retour de l’exil, nouvel Exode. À présent, il fallait renaître, à l’écoute du prophète, et préparer la venue royale de Dieu.

Une voix crie : Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu. (Esaïe 40:3).

Il est là question de préparer une voie dans le désert et non d'y crier. La voie étant pour le Christ, le désert est celui du refus, du rejet, de l'incrédulité, et du mépris... mais, il pouvait être urbain et civilisé.

 En effet, Jean le Baptiste, le héraut annoncé, vit de nombreux gens venir de tout le pays l'écouter et se faire baptiser. On ne peut pas dire qu'il s'exprimait dans l'indifférence, car les propos qu'il tenait à certains ne pouvaient être qu'entendus. C’est ce que le narrateur matthéen dit :

 « Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain. Mais, voyant venir à son baptême beaucoup de pharisiens et de sadducéens, il leur dit:Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir? » (Matthieu 3:3).

Dit autrement, si Jean le Baptiste prêche dans le désert, il ne parle pas sans être écouté : ce sont de véritables foules qui viennent à lui pour être baptisées. Marc précise dans son évangile que « toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés » (Mc1.5). Ni indifférence, ni rejet, ni solitude : on est bien loin de l’image du désert telle que nous nous la représentons dans l’expression « prêcher dans le désert ».  

D’ailleurs, c'est quand il a quitté le désert que les choses se sont aggravées pour lui. Le prophète est tellement écouté que sa parole dérange, et il est jeté en prison pour avoir dénoncé la conduite d’Hérode qui a épousé sa belle-sœur Hérodiade. Usant d’un stratagème machiavélique, celle-ci le fera décapiter pour se venger.

 

Jean Baptiste, une « voix dans le désert » (v.2).

Les quatre évangiles canoniques rapportent finalement que Jean était la voix qui crie dans le désert. Mais un seul évangile (Mathieu) rapporte qu'il "prêchait" dans le désert. Marc, lui, rapporte que Jean "baptise" dans le désert, ce qui peut sembler paradoxal si on considère qu'il baptisait d'eau.

Enfin, la voix qui crie dans le désert est la formule rendue en latin par vox clamantis in deserto . Tandis que prêchant dans le désert est rendue par praedicans in deserto.  Il faudrait voir si les expressions prêcher dans le désert et crier dans le désert co-existent avec un sens différent, aujourd'hui. De même, il faut souligner que la citation de Jean rapportée dans les quatre évangiles canoniques  (vox clamantis in deserto ..) : « Moi, dit-il, je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Aplanissez le chemin du Seigneur, comme a dit Ésaïe, le prophète (Jean 1:23) est inspirée du livre d'Esaïe 40:3 (Ancien Testament) :  Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu.

Rappelons que c’était pendant l’exil, Jérusalem a été prise par les armées du roi Nabuchodonosor II et ses habitants ont été déportés à Babylone. C’était une période difficile pour le peuple hébreu retombé sous le joug d’une puissance étrangère et retenu captif hors de son pays[3]. Mais le prophète Esaïe, porte-parole de Dieu, assure ses compatriotes que le Seigneur continue à veiller sur eux, et les exhorte à se préparer pour l’accueillir : « Une voix proclame : “Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu“ » (Es40.3). C’est une erreur de transcription qui aurait détourné l’expression de son sens initial : si l’on enlève les guillemets après « Une voix proclame », la phrase devient : « Une voix proclame dans le désert, préparez le chemin (…) »[4].

En effet, l’on peut dire que les deux expressions expriment l’idée eschatologique de préparer la venue du Seigneur. Ce sont donc des paroles d'un prophète reconnu (Ésaïe) qui sont ici transférées à un nouveau prophète (Jean le Baptiste). Aussi, même si le désert renvoie à une terre hostile, stérile, il est considéré comme le lieu spirituel où Dieu parle au cœur de l’homme.

C’est dire que nous avons un Dieu qui vient vers nous en notre désert, un Dieu présent au cœur de nos souffrances, un Dieu qui accepte de mourir sur nos croix pour que nous puissions vaincre notre mort. En d’autres termes, se convertir, c’est se tourner vers cette parole inattendue dans notre désert, est là où se trouve le désert où Jean le Baptiste prêche. Dit autrement, notre désert spirituel est le terrain de l'action salvifique de Dieu dans et par le Message du Salut.

Esaie 40 :3 rappelle ainsi Mt 3 en évoquant les débuts du ministère de Jean le Baptiste prêchant le baptême de repentance : « C’est la voix de celui qui crie dans le désert : préparer le chemin du Seigneur…Et toute chair verra le salut » (Mt 3.3). Le message d’Esaïe que reprend Jean le Précurseur de Jésus est le message de la repentance et de la conversion pour le pardon des péchés.  Tous ceux qui venaient à Jean le Baptiste en toute droiture de cœur, confessant leurs péchés, étaient propres à recevoir le Seigneur, qui par ses souffrances à la croix, en ferait l’expiation. Mais il se trouvait là aussi des pharisiens et des sadducéens qui voulaient participer au royaume des cieux en vertu de leur position nationale et religieuse, croyant que, pour obtenir cette part, il suffisait d’appartenir à la race d’Abraham, sans que leur état de péché fût en jeu. Ils se trompaient entièrement, car ce n’est qu’en vertu de la grâce, par laquelle Dieu pardonne au pécheur, que le Juif, comme tout homme, peut jouir des bénédictions apportées par le Seigneur. Aussi Jean, indigné de leur manque de conscience et de leur mépris des droits et du caractère de Dieu, leur dit : « Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère qui vient ? » Il ne leur dit pas qu’ils sont trop mauvais pour éviter cette colère, mais : « Produisez donc du fruit qui convienne à la repentance », c’est-à-dire: «Reconnaissez avec droiture votre état de péché, confessez-le, et que votre marche réponde à vos paroles». Il faut des fruits qui prouvent la réalité de ce que l’on professe. C’était inutile de se vanter de sa position d’enfant d’Abraham ; l’épreuve que Dieu avait faite de ce peuple et, par lui, du cœur de tout homme, était à son terme et n’attirait sur lui que le jugement. Aussi Jean ajoutait : « Déjà la cognée est mise à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit est coupé et jeté au feu». Le jugement ne s’exécutait pas encore, la hache n’était pas encore levée ; elle était posée au pied de l’arbre, prête à frapper, si les fruits de la repentance ne se produisaient pas.

C’est dire que se convertir n’est pas dire ou penser des choses justes sur le vrai Dieu, mais faire ce que celui-ci attend de l’homme : qui fait la volonté de Dieu, voilà le vrai « fils d’Abraham » (v.9) et voilà , ajoutera Matthieu, le vrai disciple de Jésus (Mt 7.21). À la prétention d’un baptême qui sauverait automatiquement, Jean le Baptiste oppose donc l’exigence d’une conversion effective.

 

Jean le Baptiste et le « kerygme » dans le désert

Qu’est-ce que c’est le « kerygme »? Ce mot provient du grec kèrugma employé dans le Nouveau Testament pour désigner la proclamation de Jésus et des Apôtres. Le kérygme, c’est l’action publique du héraut qui proclame dans l’espace public un événement capital. Le verbe kerussein (proclamer, annoncer) est devenu si important dans le NT qu’il symbolise la mission chrétienne, kerygmatique par nature. Qui proclame et que proclame-t-on ? Ce sont Jean-Baptiste, Jésus, puis les disciples, enfin la future communauté qui proclament la bonne nouvelle ou la conversion. Le kérygme désigne alors l’acte d’annoncer et le contenu annoncé. C’est pourquoi, dans le vocabulaire chrétien des premiers siècles, le kérygme désigne la confession de foi des chrétiens. Il se compose de trois énoncés essentiels : Jésus-Christ est le Messie, le Fils de Dieu. Il est ressuscité, celui qui parle en rend témoignage personnellement. Au nom du Christ, le témoin appelle à la conversion

De ce fait, nul doute que le « kerygme » est fondamental pour l’évangélisation même encore aujourd’hui. C’est pourquoi, il est important de savoir quel a été le noyau de la prédication de Jean-Baptiste dans le « désert de judée », son contenu essentiel. Car, n’oublions pas qu’en reprenant Isaïe 40 et sa fameuse voix criant dans le désert, le message est bien clair :  Jean-Baptiste accomplit la prophétie d’Esaïe et ce qui a été écrit en Malachie. Il est à cet effet utile de comparer les textes évoqués :

- Ml 3, 1 :

« Voici que j’envoie mon messager et il fraiera un chemin devant moi et soudain il viendra dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez (…) »

Esaïe 40:3-5 :

« Une voix proclame: dans le désert, frayez le chemin de Y., aplanissez, dans la steppe, une route pour notre Dieu (...) et la gloire de Y. se révèlera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Y. a parlé. »

L’Évangéliste Jean confirme l’hypothèse, en plaçant ce passage d’Esaïe dans la bouche même de Jean le Baptiste, lorsque celui-ci se rend à lui-même témoignage :

« Ils lui dirent alors: ‘Qui es-tu, que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés? Que dis-tu de toi-même?’ - ‘Moi, dit-il [je suis la] ‘voix de celui qui proclame : dans le désert: aplanissez le chemin Seigneur’, comme l’a dit le prophète Isaïe’ » (Jn 1, 22-23)

 Autrement dit, le christianisme n’est pas la religion des promesses d’abord, elle est avant tout l’annonce des accomplissements. Ce qui était attendu arrive. Ce qui était espéré s’accomplit. Plus besoin de promettre que demain on sera sauvé, puisque le salut de Dieu est pour maintenant, vraiment gratuit. Ce qui doit se voir en actes dans la vie de l’Église. Ainsi, le narrateur matthéen présente le « kerygme » de Jean-Baptiste comme l’œuvre libératrice et salvifique de l’Alliance, un chemin du salut balisé par la repentance, la conversion, l'annonce du jugement imminent, l'exigence religieuse sans compromission (Mt. 3, 7-10). Pour y arriver, Jean-Baptiste s’y était préparé en trois moments formulés comme suit :

D’abord, il n’y a pas de création de voies nouvelles sans un travail de rénovation. Le prophète ne se contente pas d’annoncer, il fait en sorte que l’avènement soit possible et l’orientation autre qu’il prédit ne va pas sans interruption. Plus que continuité, le prophétisme est rupture. Jean-Baptiste assume une bifurcation nouvelle, déjà en portant par son nom la rupture qu’il énonce. En prenant le nom de Jean, nom donné par la mère, et non celui de son père, Zacharie, il rompt avec sa famille, et sa naissance contredit les lois biologiques de la filiation naturelle. Il rompt bien sûr aussi avec le monde en partant au désert où sa tenue est celle des prophètes. Suivant les Ecritures. Cette parole déléguée trouve des échos dans les discours tenus par l’auteur lui-même qui, suivant un principe analogique et typologique, révélateur d’une vision conservatrice du monde et de l’histoire humaine ;

Ensuite, suivant les Ecritures, le récit le présente vêtu à la manière d’Elie d’une ceinture et d’une peau de chameau, signe non de régression à l’état animal, mais de rupture ; la peau de bête s’opposant au tissu qui, par ses fibres végétales, est lien ténu, liaison rassurante et symbole de continuité.

Enfin, Jean ne se compromet pas avec le pouvoir en place, assumant vis-à-vis des membres de la société et du roi Hérode un rôle de remontrance qui a toujours été celui des prophètes. La figure d’Elie présente en filigrane dans le texte de Malachie revient en force. La parole du prophète se déploie dans des prêches où la langue métaphorique des évangiles se transforme en un message direct et virulent, dans lequel il met en garde le « peuple commun », les Publicains et les chevaliers contre l’irruption imminente de la colère de Dieu et prêche la conversion pour échapper au Jugement. Il dénonce la souveraineté politique et oppressive et l’accumulation des richesses. On touche là à l’essentiel du prophétisme : attention efficace aux faibles et aux petits, en matière de justice notamment, le respect de Dieu et le respect d’autrui étant deux commandements auxquels se ramène la Loi des prophètes.

La leçon retenue de la prédication audacieuse de Jean-Baptiste, dont l’enseignement éthique s’adapte aux divers états de la vie, est susceptible d’être actualisé dans n’importe quelle communauté. Jean-Baptiste démontre que le christianisme, quelles que soient les époques, ne peut faire l’économie du salut ou, en d’autres termes de la parole, dont le message est chargé des éléments sotériologiques.

Le message de Jean Baptiste est simple : "Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche." (v.2). Les conséquences de ce message ont à cet effet une grande portée. Dans le Nouveau Testament, dans l’original, lorsqu’il est question de se repentir, il s’agit de « se comporter autrement dans la vie, du fait que l’on a une autre conception du péché et de la justice »[5]. La personne qui se repent se rend compte qu’elle a péché – transgressé les lois saintes et bénéfiques de Dieu – et qu’elle doit changer. L’appel, et le désir de se repentir – de vivre autrement – vient de notre Père céleste (Jean 6:44).

Conscients du fait qu’un changement énorme a lieu dans notre façon de penser quand nous nous repentons de nos péchés, certains se sont mis à décrire cet événement comme un événement consistant à « donner son cœur au Seigneur ». S’il est vrai que notre cœur a énormément affaire avec ce processus, il faut bien comprendre que le repentir est loin de se limiter à l’émotion d’un moment. Quand nous nous repentons sincèrement, nous agissons aussi en conséquence – en vivant pieusement pour le restant de nos vies. Le vrai repentir n’est pas un événement isolé. C’est une manière de penser et de vivre continuellement, conformément aux instructions divines se trouvant dans la Bible.

L’action de se tourner vers Dieu, par exemple dans l’appel de Jean-Baptiste, signifie d’abord le rétablissement de la communion avec Dieu. Et c’est sur la base de cet appel que se fait entendre l’exigence de la sollicitude pour les hommes et pour Dieu dans la suite du Christ présent pour toujours dans sa communauté. Mais les membres de la communauté matthéenne vivent aussi dans l’attente de la venue du Fils de l’homme dans la gloire. Seuls entreront dans le Royaume ceux qui font la volonté de Dieu et le disciple chemine dans l’histoire avec une non-certitude de son salut.

Nous découvrons ainsi que le récit matthéen de « prêcher dans le désert » vise à faire comprendre que par sa vie, sa mort et sa Résurrection, Jésus est celui qui vient accomplir le plan divin de salut dont les prophètes de l’Ancien Testament s’étaient fait l’écho dans l’histoire d’Israël. Par la place qu’il donne aux enseignements et aux paroles de Jean le Baptiste, le narrateur invite ainsi à « s’approcher » de la personne de Jésus. Il nous semble cependant qu’une attention plus grande aurait pu être accordée au jeu de relation des personnages, et l’autorité de Jésus mise en valeur de manière plus juste. L’importance du schéma annonce/accomplissement est avec raison mise en valeur, mais il resterait à préciser davantage la forme que prend l’accomplissement en Jésus.

Au terme, le lecteur demeure avec une question. Quel est le lien entre le salut que Jésus réalise pour son peuple, Israël (cf. 1,21), et l’ouverture finale à la mission universelle ?

Urgence de la conversion : un défi d’aujourd’hui

La question du salut revêt  aujourd’hui une importance capitale. Car, le paradigme a changé : dans l’Église primitive, on était dans une société très majoritairement chrétienne où se transmettait naturellement le message du salut, tant sur le plan de la foi que sur celui de la vie chrétienne au sens large. À présent, notre société est plus séculière que chrétienne, en terme du salut ou de la véritable conversion. Le message du salut, de nos jours, n’a presque plus d’audience. Prêcher la repentance ou la conversion aujourd’hui, c’est « prêcher dans le désert » dans le sens contemporain que nous aimons en faire usage, c’est-à-dire, prêcher dans la plus grande indifférence, c’est là où les personnes à qui l’on s’adresse n’écoutent pas ou ne veulent pas entendre parce que cela ne répond pas à leurs attentes. Car, la plupart des Eglises, notamment en Afrique, attisent le désir de bonheur axé sur la richesse, la santé, le bonheur au détriment du véritable message de conversion. Si l'on regarde les thèmes, ceux de guérison, de miracle, de délivrance reviennent fréquemment et Jésus est plus souvent cité que Dieu (ce dernier étant parfois présenté comme terrifiant). Dans le contexte culturel africain, dominé par la peur et l'angoisse de la mort ou de la perte de la substance vitale de sa personne, la religion est souvent perçue et vécue comme l'instance qui 'guérit'; elle est aussi et surtout celle qui protège contre toutes les forces du mal (démon, Satan, sorcier, etc… ).

En effet, au lieu d’une christologie qui soit plus proche des récits évangéliques et qui dégage mieux la signification de la filiation divine de Jésus, de ses miracles et de sa mort par rapport à notre salut, les pratiques cultuelles sont souvent consommées « comme un opium qui adoucit les souffrances sociales »[6].

 Aujourd’hui, la question du salut revient avec force nous obliger à l’annonce, en retrouvant la situation des débuts de l’ère chrétienne, et en reprenant les fondamentaux de l’évangélisation. Celle-ci n’est pas la divulgation d’une idéologie ou d’un courant d’idées ; elle vise à permettre à chacun de rencontrer le Christ en vérité, personnellement déjà. Il s’agit donc d’une grâce reçue du Seigneur, dont l’Église a pour mission de témoigner et qu’elle doit annoncer ; son unique mission, conduire vers Dieu.

Ni théorie, ni discours, ni matraquage, ni marketing, ni forcing, non. Il nous faut prêcher la vérité de toujours dans les mots de tous les jours, plongés dans l’expérience de chaque jour, avec du concret, des exemples vivants, du vécu. Montrer la foi incarnée, en direct, pour annoncer le nom de Jésus dans le « désert » de tout un chacun.

Le fait que le Seigneur nous offre, une fois de plus, un temps favorable pour notre conversion, ne doit jamais être tenu pour acquis. Cette nouvelle opportunité devrait éveiller en nous un sentiment de gratitude et nous secouer de notre torpeur. Malgré la présence, parfois dramatique, du mal dans nos vies ainsi que dans la vie de l’Église et du monde, cet espace offert pour un changement de cap exprime la volonté tenace de Dieu de ne pas interrompre le dialogue du salut avec nous. En Jésus crucifié, qu’il « a fait péché pour nous » (2Co 5, 21), cette volonté est arrivée au point de faire retomber tous nos péchés sur son Fils au point de « retourner Dieu contre lui-même ».

En ce temps favorable, laissons-nous donc conduire comme Israël dans le désert (Os 2, 16), afin que nous puissions enfin entendre la voix de notre Époux, pour la faire résonner en nous avec plus de profondeur et de disponibilité. Plus nous nous laisserons impliquer par sa Parole, plus nous pourrons expérimenter sa miséricorde gratuite envers nous. Ne laissons donc pas passer ce temps de grâce en vain, dans l’illusion présomptueuse d’être nous-mêmes les maîtres du temps et des modes de notre conversion à lui.

 

Jimi ZACKA, PhD

Exégète

 

 


[1] Cet article est un exposé de Prof. Jimi ZACKA remanié à un colloque organisé sur le thème : Le Désert, espace paradoxal dans la Bible, 15 Avril 2018, Goma (RDC).

[2] Collectif universitaire, Jean-Baptiste : Le précurseur au Moyen Age, Presse universitaires de Provence, 2014

[3] Lire Schmitt Joseph. Le milieu baptiste de Jean le Précurseur. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 47, fascicule 2-4, 1973.

[4] Cf. André Paul, « Jean le baptiste : L'homme qui révéla le Christ », Le Monde des religions, no 74, novembre 2015

[5] J.P. Louw & Eugene Nida, Greek-English Lexicon of the New Testament Based on Semantic Domains, 1988

[6] Cheza Maurice. «Repenser le salut chrétien dans le contexte africain». XXIIIe Semaine théologique de Kinshasa (10-15 mars 2003). In: Revue théologique de Louvain, 34 année, fasc. 4, 2003. pp. 566-568;