mardi 29 novembre 2016

LA HAINE, L'ODIEUSE PASSION DU CHRETIEN (Dr Jimi Zacka)


Qu’est-ce que la haine? Est-ce, «une feinte sagesse qui ne veut rien savoir»? Quel comportement adopter face à celle-ci? Faudrait-il haïr en retour cette «odieuse passion»? Ou bien tenter de comprendre le haineux, lui qui se dispense de tout effort de compréhension et de vérité? Lanalyse théologique de la haine proposée ici nous ramène à ce qu’en dit la Bible tout en faisant résonner certaines problématiques contemporaines, comme le rejet de l’autre, la violence ou l’exclusion. Démission de l’intelligence, négation de la vérité, la haine serait aussi une tentative auto-protectrice difficilement blâmable de reprise de pouvoir sur le réel. 

  Les expériences vécues dans de différents pays, m’ont appris une chose : la haine n’est l’apanage ni des païens, ni des incroyants, ni des incrédules, ni des athées,  mais plutôt elle se vit confortablement en/avec et parmi les chrétiens, ou plutôt parmi ceux/celles qui prétendent croire en Jésus-Christ. 

     Elle est devenue une passion très actuelle dans nos Églises. À la différence des époques où Jésus parlait de l’amour à ses contemporains, la haine semble aujourd’hui faire son grand retour dans les milieux chrétiens. Elle est  même devenue le principe d’une nouvelle vie morale chrétienne. Elle est omniprésente, banale, donnée en spectacle par les différentes communautés  religieuses. Aujourd’hui, la haine s’affirme et s’affiche parmi les croyants : « je hais, donc je suis chrétien ». Nous passons ainsi  aisément de l’amour à la haine, et notre ambiva­lence à l’égard d’autrui nous semble parfois inextricable.  

     En effet, la haine se répand comme une traînée de poudre ou un incendie dans les communautés chrétiennes. Ce qu’elle traduit, ce sont des flambées de violence incontrôlables, des conflits, des injustices, des exclusions, des indifférences, des mépris, etc. Tout cela au nom de quelques versets bibliques choisis, isolés, mal interprétés.
 Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de s’interroger sur la signification même de la haine. Que veut-elle dire? Pourquoi fait-elle l'objet de tant de passions ? Est-elle vraiment compatible avec la foi chrétienne ?

La haine telle que définie

     Définir la haine, c’est la définir généralement comme un affect qu’un sujet ressent, éprouve, manifeste envers quelqu’un. La haine peut être une émotion, un sentiment, mais elle peut constituer aussi une passion. Classiquement, on distingue deux formes de haine : premièrement, il y a la haine d’aversion, de répulsion et l’intention qui la guide, c’est l’évitement, le rejet, la séparation d’avec quelqu’un. C’est aussi détester une personne sans dire mot, sans extérioriser ses émotions ; deuxièmement, il y a la haine d’agression dont l’intention est d’éliminer, de détruire ou de tuer quelqu’un. Dans les deux cas, il s’agit d’une intentionnalité négative. 

     Aristote définissait la haine comme le contraire de l’amour et de l’amitié. Être ami, c’est souhaiter à son ami tous les bienfaits possible. Haïr, c’est souhaiter pour quelqu’un des maux et des souffrances, voire tous les malheurs du monde. Ainsi, il disait : « Admettons que haïr, c’est souhaiter pour quelqu’un ce que l’on croit être des maux, pour lui et non pour nous, et aussi être, dans la mesure de son pouvoir, enclin à ces méfaits». Descartes, lui, dans son ouvrage, « Passions de l’âme », soulignait que si dans l’amour, le mouvement est de chercher l’union, dans la haine le mouvement est de chercher la désunion ou le détachement. Il donnait en effet cette définition : «L’amour est une émotion de l’âme, causée par le mouvement des esprits, qui l’incite à se joindre de volonté aux personnes qui paraissent lui être convenables. Et la haine est une émotion qui incite l’âme à vouloir être séparée des personnes qui se présentent à elle comme nuisibles.». Pour Kant, haine et colère ont un point commun: faire ou souhaiter le malheur à son prochain. La haine découle souvent de la colère. Qu’est ce qui déclenche alors notre colère pour aboutir à la haine? 

     Ce sont des actions d’autrui qui nous nuisent, qui suscitent en nous la jalousie ou qui nous déplaisent. Pendant que l’affect de colère s’exprime dans la précipitation, la haine au contraire prend son temps pour s’enraciner profondément. C’est une passion lente. Il y a une temporalité propre à la haine. Le "haineux" n’est pas pressé. La haine a une mémoire, elle se souvient, la haine est fidèle, plus peut-être que l’amour, qui souvent oublie. Sartre, dans Réflexions sur la question juive, écrira que les hommes, quand ils haïssent, «veulent être massifs et impénétrables, ils ne veulent pas changer». C’est pourquoi la haine est une passion profonde, elle est le contraire de la légèreté ou de l’insouciance. La Bible en parle tant.

Ce qu’en dit la Bible

     Comme sur tant d'autres sujets, on ne s'étonnera pas de trouver dans la Bible des arguments pouvant convenir aux idéaux pacifistes aussi bien qu'aux stratégies plus ou moins extrêmes des gens qui prônent la haine et le recours à la violence. Dans l'Ancien Testament, il y a de nombreuses dénonciations de la haine faites par les prophètes et, pour le Nouveau Testament, la non-violence de Jésus et son discours inaugural proclamant la béatitude des " doux " et des " artisans de paix ", de même que ses innombrables invitations au pardon. Quant aux partisans de la haine, ils n'auront aucune difficulté à trouver des récits ou des législations qui semblent dénoncer sans réserve leur option. Le discours biblique sur la haine est donc tranchant et présente deux registres de la haine et ses conséquences : 

     Le premier registre révèle que la Bible est saturée des gens  qui ont la palme de la haine. De la Genèse à l'Apocalypse, du meurtre de Caïn aux assauts sanguinaires de la Bête, en passant par la mise à mort de Jésus et celle d'Etienne, on ne compte plus les pages qui sont tachées de sang à cause de la haine. Rares, en effet, sont les livres bibliques qui sont complètement affranchis de toute trace de la haine et ses conséquences : le Cantique des Cantiques et Ruth pour l'Ancien Testament et la plus grande partie des Evangiles, ainsi que certaines épîtres de Paul et de Jean pour le Nouveau Testament. En dehors de ces quelques exceptions, il faut bien reconnaître que la haine est inscrite pratiquement partout dans la Bible, jusque dans les Psaumes et certains passages de l'Evangile. On peut donc parler de son omniprésence, et de son caractère multiforme enclenchant des conséquences négatives : meurtres fratricides, violences domestiques (sexuelles ou autres), guerres de conquête, peine capitale, manigances et représailles politiques, vengeances diverses, etc.

     Le deuxième registre nous présente un tableau sombre de ceux qui, dépassés par la haine d’aversion ou d’agression, ont finalement abouti à des exactions meurtrières. On peut déjà en prendre la mesure dans quelques exemple :  la haine des frères de Joseph en Gen 37.4 : « Ses frères virent que leur père l'aimait plus qu'eux tous, et ils le prirent en haine. Ils ne pouvaient lui parler avec amitié. » ; le cri sauvage de Lamek : " Oui, j'ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois. " (Genèse 4, 24). L'instauration de la loi du talion (" œil pour œil, dent pour dent... ", Exode 21, 24 et Lévitique 24, 20), plaidant pour la retenue quand il s'agit d'obtenir réparation, ne fait que confirmer l'existence de débordements et de dérives en matière de représailles que, de toute façon, la loi en question n'arrivera pas à empêcher. C'est bien de débordement dont il faut parler à propos, par exemple, de la réaction de Siméon et de Lévi qui, pour venger l'affront fait à leur sœur Dina, tuent l'ensemble de la population mâle de Sichem (Genèse 34), et des exploits successifs de Samson, de Saül et de David qui tuent les Philistins par milliers et par dizaines de milliers (Juges 15-16 et 1 Samuel 18, 7). Débordement aussi, sur le mont Carmel, du prophète Elie qui égorge les quatre cent cinquante prophètes de Baal (1 Rois 18, 40), et enfin des juifs de Suse qui, après avoir échappé aux projets funestes de Haman, exécutent plus de soixante-quinze mille ennemis (Esther 9). Même si les chiffres sont nettement exagérés, la haine violente racontée, réelle ou imaginaire, dépasse toute mesure et ne saurait recevoir l'assentiment du lecteur. 
     Les incidents décrits ci-haut  parlent principalement des actes de violence dus à la haine et de leurs auteurs. Mais qu'en est-il des victimes de ces actes ? Là-dessus, il faut reconnaître que la Bible réserve une part plus qu'importante à leur point de vue. C'est le cas des Psaumes, qui déclinent la violence subie par les justes, les pauvres et les petits, qui font appel à la justice de Dieu ou en célèbrent l'accomplissement : " Vois mes ennemis si nombreux, leur haine et leur violence. Garde-moi en vie et délivre-moi ! " (Psaume 25, 19-20) ; " Tu me fais triompher de mes agresseurs, et tu me délivres d'hommes violents " (Psaume 18, 49) ; " Et mes ennemis sont pleins de vie, pleins de force; Ceux qui me haïssent sans cause sont nombreux." (Ps 38.9).

     Dans tous les cas, tous les actes odieux mentionnés ci-dessus laissent entrevoir que la haine est incurable, elle ne s’éteint pas. Elle perd le sens de la fin, de l’issue. Même la mort de la personne haïe  ne suffit pas à l’éteindre. Car même si le projet haineux aboutit, il échoue devant ce fait que l’autre ait existé, que des actes et des jugements aient été posés. D’où l’insatisfaction du haineux. Cette ténacité de la haine, qui ne s’éteint pas, contribue à distinguer la haine de l’envie. Certes, dans la haine comme dans l’envie, il nous arrive de dénigrer systématiquement autrui, de nous réjouir de ses échecs, de nous affliger de ses succès. Cependant, lorsque dans l’envie,  la personne enviée tombe dans le malheur et l’infortune et alors cesse l’envie. L’envie s’éteint, puisqu’elle n’a plus de motif. Par contre, dans la haine, il en va tout autrement. Les malheurs, les échecs de l’ennemi, même sa mort ne font pas cesser la haine. Elle a une rancune tenace qui poursuit la victime jusque dans sa tombe.

Dénonciations de la haine dans la Bible
    
     C'est pourquoi, d'ailleurs, dans la Bible, tous les prophètes sont unanimes à dénoncer la haine, aussi bien celle des ennemis que celle sévissant à l'intérieur des communautés d'Israël et de Juda : "Si un homme pousse son prochain par un mouvement de haine,  ou s'il jette quelque chose sur lui avec préméditation, et que la mort en soit la suite…c’est un meurtrier…" (Nb 35.20) , On notera aussi que l'idéal de sagesse proposé dans les Proverbes exclut tout acquiescement à ces actes : " La haine (sina’h) excite des querelles mais l’amour couvre les fautes" (Pr 10. 12) ; "Celui qui dissimule la haine a des lèvres menteuses…" (Pr 10.18 ; voir aussi 15.17).

     Dans le Nouveau Testament, on voit Jésus s'opposer à la haine : "Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. ..Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent," ( Mt 5.43-48). Il faut redire aussi toute la noblesse de l'idéal proposé dans le Sermon sur la montagne (Matthieu 5-7) qui proclame le bonheur des doux et des pacifiques, invite au pardon des ennemis et prescrit la règle d'or : " Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est la Loi et les Prophètes. " (Matthieu 7, 12).

En 1 Jn 3.15, l’apôtre Jean nous montre ensuite les conséquences extrêmes de la haine, en contraste avec la plus grande expression de l’amour : " celui qui hait son frère est un meurtrier". C’est dire que la haine, si elle n’est pas réprimée, peut conduire au meurtre. Celui qui hait est animé de l’esprit d’un meurtrier, et aucun meurtrier n’a la vie éternelle demeurant en lui. En contraste, nous voyons en Christ l’expression parfaite de l’amour, en ce que son amour l’a conduit à laisser sa vie pour nous. Ayant son exemple parfait devant nous, nous devrions être prêts, dans la puissance de la vie nouvelle, caractérisée par l’amour, à laisser nos vies pour les frères. En termes simples, haïr c'est ôter la vie de l'autre, aimer c'est donner sa propre vie pour l'autre. Cela ne signifie pas nécessairement la mort effective, mais la perte de la vie d’ici-bas pour l’amour de Christ (Matt. 16:25).
 Ainsi dans ce passage, il nous est rappelé que l’homme déchu est sous la sentence de la mort, qu’il est caractérisé par l’iniquité, la haine et la violence. L’homme inique est toujours égoïste, ne cherchant qu’à se satisfaire lui-même en faisant sa propre volonté, sans aucune contrainte. Cela conduit nécessairement à la haine de quiconque contrarie sa volonté ; et la haine mène à des actes violents qui peuvent se traduire, à la limite extrême, par le meurtre.
Conclusion
     Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens ont choisi la haine parce que la haine est devenue une forme de foi, au sens dogmatique du terme. Ils ont choisi la fermeture contre l’ouverture, l’hostilité contre la paix, le rejet contre la communion, ils sont dans la permanence de la « pierre de haine ». Pourtant, le dernier mot que le Christ a prononcé pour qualifier nos relations avec lui et avec nos frères dans l’Église était AMOUR. Le premier qu’il prononce quant à nos relations avec le monde, c’est la HAINE. Quel contraste!  « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n’êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c’est à cause de cela que le monde vous hait. » (Jn 15:18-19).

     La marque de l’Église, c’est l’amour; la marque du monde, de ceux qui ne sont pas renouvelés par le Saint-Esprit, c’est la haine de l’amour, c'est la capacité de haïr. La haine implacable du monde pour les « amis » de Jésus est le signe de la vérité, de l’authenticité de cette amitié. Notre initiation au mystère de la mort du Christ implique que nous soyons également initiés à la haine puissante du monde qui décida sa mort. L’amour de Dieu et la haine du monde doivent l’un et l’autre nous être révélés. Ce sont les deux mystères de notre existence. L’amitié pour Jésus déclenche l’inimitié du monde. Le monde hait le Christ, il ne peut donc que haïr ses amis; l’esprit du monde n’accepte et ne reçoit que ce qui vient du monde, ce qui lui semble homogène avec sa manière d’être, de penser et d’agir: tout ce qui lui est hétérogène, il le rejette, il le hait. Car le monde est perdu
Paradoxalement, il est plus facile aujourd'hui pour les gens du monde de pardonner que pour les chrétiens de procéder à une démarche du pardon. En d'autres mots, l'amour a déserté l'Eglise et la haine s'y est installée. Les prétendus chrétiens préfèrent les gens du monde à leurs frères et soeurs en Christ.

     Pourtant, l’œuvre du Christ est très exactement de choisir les siens, ses disciples « du milieu du monde » (15:19); c’est « du milieu du monde » (17:6) également que le Père les « donne » à son Fils. Cet appel et ce choix, ce don au Christ déclenchent la haine du monde et font des disciples des « objets de haine » (15:19). « C’est à cause de cela que le monde vous hait », dit Jésus. Le Maître n’étant pas du monde, ceux qu’il choisit ne sont pas non plus du monde (17:14-16); ils sont envoyés « dans le monde ». S’ils étaient encore du monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Le monde ne pourrait les haïr, comme il ne pouvait pas haïr les propres frères du Christ qui ne croyaient pas en lui (7:5-7).

     In fine, être chrétien – tiré du monde, séparé – et, en même temps, être du monde, être aimé de lui, est une contradiction. L'on ne peut pas être à la fois chrétien et celui  qui déteste  ses frères et soeurs en Christ. Car, Christ a témoigné que les œuvres  du monde, y compris la haine,  étaient mauvaises (7:7). C’est pourquoi, d’ailleurs, en 1 Jn 3.12, il nous est recommandé "de ne pas ressembler à Caïn, qui était du malin, et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises et celles de son frères étaient justes". 
      En d'autres termes,  " Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" (1Jn 4.20). 
          A la lecture de ce passage ci-dessus, pourrions-nous nous poser cette question taraudant la conscience : par rapport à la haine qui sévit dans nos Eglises, qui anime nos relations, qui nourrit notre âme,  quel type de chrétiens pourrions -nous être dans notre intimité avec le Seigneur

Dr Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue


jeudi 17 novembre 2016

L’ARROGANCE DE LA FOI : APPROCHE EXEGETIQUE DE Lc 18.9-14.


Il y a des attitudes qui corrompent nos bonnes mœurs, notamment notre vie chrétienne et passent inaperçues. En effet, nous nous offrons une autosatisfaction qui nous porte préjudice et détruit notre foi chrétienne (Prov.16.18). L’une d’elles, c’est l’arrogance. L'arrogance, c'est quoi? C'est une attitude hautaine, c'est penser qu'on sait tout mieux que tout le monde et on le fait ressentir aux autres.

L'arrogance peut se manifester de diverses manières, telles que le sentiment d’être le plus riche, le plus génial, le meilleur, le plus intelligent, voire le plus religieux ou le plus spirituel, etc. 

Je ne sais pas si l’arrogance fait partie de notre éducation, mais beaucoup de personnes ont tendance à devenir arrogants dès qu'ils se trouvent dans une certaine posture sociale, religieuse élevée. Pourquoi ? Parce que l’arrogance procure un agréable et confortable sentiment de bien-être.  Par exemple, la parabole du Pharisien au Temple en dit long (Lc 18.11). C’est dans cette parabole que nous découvrons que l’arrogance est non seulement un obstacle à la prière, mais freine aussi la croissance ou la maturation spirituelle et surtout nous efface de la présence de Dieu. 

Aussi, l’arrogance est l'un des plus grands obstacles à la sagesse ou à l'acquisition d'autres connaissances. Il est impossible à l'arrogant d’apprendre des autres. Comme les Sages nous l’enseignent, "Qui est sage ? Celui qui apprend de tous" (Talmud – Pirkei Avot 4:1). L'arrogant absorbé par son narcissisme vit toujours au dépens des flatteries des autres. Il exhibe sa foi comme la meilleure.

En lisant Luc 18.9-14, on s'aperçoit que la parabole est adressée à certains qui étaient persuadés d'être eux-mêmes des justes.  C'est ce que reprochait Jésus aux pharisiens en Lc16.15 et c'est bien ce que va illustrer le comportement du pharisien du récit. L'attitude décrite ici est un travers qui se retrouve chez des croyants qui s'érigent en "meilleurs chrétiens".  
 
En fait, comme signification éthique que Luc entend donner au récit: le lecteur est invité "à voir l'attitude du publicain,  un exemple proposé à l'initiation et dans celle du pharisien un contre-exemple" (J.Schlosser).

Le pharisien adresse à Dieu une action de grâce où il dresse le catalogue des vertus : les fautes qu'il ne commet pas, puis les deux prescriptions qu'il accomplit allant plus loin que ne l'exige la Loi (Jeûne et dîme : cf.Lc11.42). Le portrait n'a rien d'une caricature.  Notre homme sait ce qu'il doit à Dieu et ne s'attribue pas le mérite d'être juste--c'est un point sur lequel Luc fait silence dans son introduction du v.9. Même la façon dont il se démarque des voleurs, injustes et adultes est un écho de la prière des psaumes . Et pourtant, c'est cette aversion pour les pécheurs et leur rejet, pourtant inscrit par exemple en Ps26, que Dieu retiendra contre lui: ce juste sait sa supériorité et méprise (v.9) les autres humains. Conscient de son état de pécheur, le publicain , pour sa part, n'ose pas lever les yeux au ciel et sa prière est un appel au secours: il se reconnaît pécheur et invoque la miséricorde de Dieu. Mais le récit ne nous dit pas qu'il promet de réparer ses torts comme le fera Zachée (Lc19.8). Malgré tout, le publicain  nous enseigne ici une grande leçon doctrinale  qui échappe à tous: "croire en Dieu", qu'est-ce que c'est ? 
 
Bien que beaucoup de gens croient en Dieu, la plupart d’entre eux ne comprennent pas ce qu’est la vraie foi en Dieu. Il est possible que beaucoup de croyants ne soient pas d’accord avec ce mot et disent : « Avez-vous si peu d’estime pour nous ? Étant donné que nous avons cru en Dieu pendant de nombreuses années, est-il possible que nous ne comprenions pas ce qu’est la foi en Dieu ? » Certains disent : « Croire en Dieu, c’est admettre qu’il y a un Dieu, et je crois que Dieu a créé les cieux, la terre et toutes choses, et que Dieu existe vraiment. N’est-ce pas croire en Dieu ? » Certains disent : « Je lis souvent la Bible, je prie, j’assiste à des rassemblements et je répands l’évangile. Cela ne compte-t-il pas comme une vraie foi en Dieu ? » Certains disent : « Je peux réciter les chapitres et les paroles célèbres de la Bible. Alors qui ose dire que je ne suis pas un vrai croyant en Dieu ? » Certains disent : « Je suis capable de sacrifier pour le Seigneur, et je travaille, prêche et répand l’évangile depuis de nombreuses années, et je regarde et soutiens toujours mes frères et sœurs. Ne crois-je pas vraiment en Dieu ? » Les gens utilisent de nombreux dictons comme ceux-ci pour prouver qu’ils croient vraiment en Dieu. Cependant, avons-nous déjà réfléchi à la question de savoir si ces points de vue sont justes ?

En effet, bien que les gens soient familiers avec le mot “Dieu” et des expressions telles que “ l’œuvre de Dieu”, ils ne connaissent pas Dieu, encore moins Son œuvre. Pas étonnant donc que tous ceux qui ne connaissent pas Dieu aient une croyance confuse, une "arrogance de la foi". 
 
Les gens ne prennent pas la croyance en Dieu au sérieux parce que croire en Dieu est trop inconnu, trop étrange pour eux. De cette façon, ils ne répondent pas aux exigences de Dieu. En d’autres termes, si les gens ne connaissent pas Dieu et ne connaissent pas Son œuvre, alors ils ne sont pas aptes à être utilisés par Dieu, encore moins peuvent-ils réaliser le désir de Dieu. “La croyance en Dieu” signifie croire qu’il y a un Dieu ; c’est le plus simple concept de la foi en Dieu. De plus, croire qu’il y a un Dieu n’est pas la même chose que croire véritablement en Dieu ; au contraire, c’est une sorte de foi simple avec de fortes connotations religieuses. 
 
La vraie foi en Dieu signifie faire l’expérience de la parole et de l’œuvre de Dieu sur la base d’une croyance que Dieu est souverain sur toutes choses. Ainsi tu seras libéré de ton tempérament corrompu, satisferas le désir de Dieu et connaîtras Dieu. Ce n’est qu’au long d’un tel parcours que l’on peut dire que tu crois en Dieu 

C'est ainsi qu'avec autorité, Jésus tire alors la leçon totalement inattendue, de la situation du point de vue de Dieu (v.14a). Dieu a déclaré juste l'un d'eux , a exaucé sa prière et l'a pardonné; mais non l'autre qui n'avait rien demandé. Les situations sont renversées. Cette nouvelle situation que dévoile Jésus publiquement , invite ses auditeurs à comprendre le comportement de Dieu, avant même de les inviter à imiter le publicain. Le caractère paradoxal du message a de quoi faire sursauter: le publicain est pardonné sans avoir au préable réparé ses torts et s'être réconcilé avec son prochain. 
 
Luc rappelle ici la loi du renversement qui est provoquée par l'arrogance du pharisien. Être trop sûr de soi génère une situation de renversement. En d'autres mots, l'arrogance nous fait déplacer à notre insu loin de la volonté de Dieu. 
 
Par exemple, dans la Bible, les arrogants font légion et se constituent en ennemis de Dieu. Quelques-uns font la UNE : Pharaon était arrogant et se passait pour Dieu (Ex.5, 2). Il a fallu une intervention musclée de la part de Dieu pour qu’il se plie à Sa volonté. En 1 S 17.42, il est aussi dit que Goliath, plein d’arrogance, « regarda, et lorsqu'il aperçut David, il le méprisa, ne voyant en lui qu'un enfant, blond et d'une belle figure » et la situation fut renversée en faveur de David.

Dans les Évangiles, outre le cas flagrant du Pharisien en Luc, il y a, entre autres, celui de Marthe, sœur de Marie, qui s’affichait en présence de Jésus dans une attitude arrogante vis-à-vis de sa sœur (Lc 10. 38-42). Et Jésus lui dit paradoxalement que c'est sa soeur qui a pris la " bonne part".  Au regard de tout cela, nous constatons que l'arrogance place toujours l'homme dans une posture de condescendance, c'est-à-dire considérer tout le monde moins que lui et le met in fine dans une situation inverse.  Ce vice est subtil et ne se fait jamais découvrir en nous. Il nous donne l'assurance d'être avec Dieu pourtant il nous éloigne de Dieu.

C'est dire qu'il n’y a que Dieu qui nous justifie par la foi en Jésus-Christ. Il convient d’être prudent lorsque nous parlons de Dieu, car nous avons toujours tendance à ramener la majesté divines à nos limitations humaines.
Pensez-vous être arrogant? Croyez-vous que c'est quelque chose de négatif ou au contraire, cela est positif et compréhensible? Faire ressentir à son interlocuteur qu'on est supérieur à lui, qu'on a raison, qu'il a tort, qu'il ne comprend rien, que c'est nous qui sommes dans le vrai, est-ce une stratégie pour essayer de faire passer nos idées ou de se faire valoir ? Est-ce un trait de caractère qu'on ne pourra jamais changer? Est-ce quelque chose qu'on hérite des personnes qui nous ont éduqué ou est-ce quelque chose qu'on développe tout seul au fil des années, en d'autres termes en fonction de notre évolution sociale, est-ce une question d'éducation, de culture ou pas?
 
Retenons une leçon. Se prévaloir arrogant, parler seulement de nous-mêmes et raconter en long et en large l’histoire de nos succès ne mettra pas les autres dans de bonnes dispositions à notre égard. Laissons plutôt nos actes parler à notre place et nous serons davantage appréciés. 

Si nous ne faisons que nous vanter à propos de notre travail sans rien prouver, nous serons vite catalogués comme quelqu’un de peu fiable. Les gens se moqueront de nous et parleront derrière notre dos. L’arrogance n’a jamais fait bon menage avec de bons témoignages, il s’agit donc de bien savoir distinguer entre confiance et arrogance pour ne pas créer une image négative de nous-mêmes. C’est ce que la Bible nous recommande en Prov.27,2 : « Qu'un autre te loue, et non ta bouche, Un étranger, et non tes lèvres. ».

In fine, l'arrogance est l'un des pires maux qui détruisent notre vie chrétienne et surtout détruit notre proximité avec Dieu.

Prof.  Jimi ZACKA 
           Exégète