lundi 28 novembre 2011

LA PAROLE FAITE CHAIR Par Dr Jimi P. ZACKA

LA PAROLE FAITE CHAIR
La parole a été faite chair et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité. Et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique, venu du Père.  Jean 1 : 14

La parole est la qualité qui définit l’homme. Aucune autre créature n’a la capacité  de communiquer de manière réfléchie, articulée, créative et sensible. Comme nous le verrons, les paroles de l’homme sont investies d’un pouvoir de façonner l’univers de la même manière que Dieu donna originellement existence au monde par la parole. Nos paroles ont même la capacité de changer la réalité du temps, ainsi que le statut des personnes. C’est dire combien la parole est le fondement de l’être humain. Je ne parle pas seulement de la parole verbale mais de toutes les formes de langage que nous connaissons.
D’ailleurs, l’évangéliste Jean a une façon bien à lui de nous introduire son évangile. Rien à voir avec les autres récits de la vie de Jésus dans les trois évangiles. Jean nous invite à connaître un autre Jésus. Celui qu’il appelle la Parole.  Au départ, rien. Si ce n’est la Parole et Dieu (Jn 1.1-3). Jean différencie Dieu et la Parole sans pourtant les dissocier. Une Parole qui vient remplir l’espace vide. Tout se passe comme si, d’emblée, ces quelques mots : commencement, parole, Dieu, existence, vie, lumière, trouvent un écho immédiat en nous en tant qu’être humain. Un écho qui nous révèle que tout commence avec une parole. Avec un cri, le premier souffle d’un nouveau né. Toutes nos histoires commencent avec une parole, par une parole. Un oui, un non. La parole se donne, se partage, se reçoit. Avec la parole, nous commençons une vie, une histoire : nous construisons, nous détruisons. Nous disons et nous contre-disons. La parole a d’inévitables conséquences dans nos vies. Elle nous met toujours en mouvement, suscite en nous de multiples émotions. Avec la parole, nous bénissons et nous maudissons. Nous aimons et nous haïssons. Avec la parole, on reconnaît l’autre et on est reconnu par l’autre. Rien n’est plus insoutenable que le silence ou que de rester suspendu à une parole que l’on attend et qui ne vient pas. L’évangile de Jean vient ainsi nous rappeler que c’est Dieu qui a choisi le vecteur de la parole pour se révéler à l’homme. Il a choisi en l’homme ce qu’il y a de plus humain pour y révéler sa part la plus divine. Le Dieu de Jean est un Dieu qui parle. C’est un Dieu qui se révèle par la parole. Mais ce Dieu ne parle pas à n’importe quelle créature. Il nous parle à nous humains. Dieu parle à nous qui possédons cette faculté de pouvoir exister dans l’échange, dans la relation, par la parole. C’est ce que veut nous signifier Jn 1.14 : « La Parole est devenue un homme et il a habité parmi nous » (v.14).
C’est dire que si Dieu nous parle, cette Parole doit se vivre. Cette Parole doit grandir en nous pour devenir notre parole, une réalité palpable dans notre vie et pour nos prochains. Autrement dit, notre parole doit être empreinte de Sa Parole. En effet, la parole se doit d’être un vecteur de vie entre les hommes. La parole doit doter l’homme de la capacité de donner vie à l’autre. Car, parler c’est accepter de prendre le risque d’être. Pas  seulement d’être, mais de devenir quelqu’un tourné vers l’autre pour exister. 
Par Sa Parole Dieu invite l’homme à prendre lui-même la parole. Notons que dans le jardin d’Eden, Dieu ne place pas des paroles « toutes faites » dans la bouche d’Adam. « Il attend pour voir » quelles paroles l’homme va imaginer et, ensuite, va prononcer, paroles indispensables pour mener à bien sa responsabilité de maître de la terre. Le langage auquel Dieu invite l’homme dépasse une simple fonction utilitaire. Dieu provoque aussi chez l’homme des paroles d’émerveillement, d’enthousiasme, d’admiration : Quand Dieu présente Eve à Adam, celui-ci s’écrie: « Voici bien cette fois celle qui est os de mes os, chair de ma chair. » (Gn2.23). De même, Il propose à l’homme d’assumer des responsabilités importantes.  Il les précise au verset 15: « Dieu établit l’homme dans le jardin pour le cultiver et le garder. » Et, un peu plus loin, au verset 19: « Dieu fait venir les animaux vers l’homme pour voir comme il les nommerait, afin que tout être vivant porte le nom que l’homme lui donnerait. » Dieu ne fait pas tout pour l’homme. Il l’invite à assumer ses propres responsabilités. Par cette parole, Dieu montre à quel point il est sensible aux besoins sociaux de l’homme. Dieu sait qu’Adam a besoin de lui, mais il reconnaît aussi que sa propre présence et sa propre parole ne lui suffisent pas! Adam a également besoin d’une compagnie humaine: quelqu’un qui serait à la fois comme lui et différent de lui. Dieu comble ce besoin par la création d’Eve.
Dans la tradition africaine d’où je viens, la parole du sage est créatrice et constitue la force vitale, et le souffle humain en dépend. C’est pourquoi, parler à l’autre ou de l’autre, c’est renouveler la création elle-même, lui redonner la vie et lui assurer la pérennité. Les mots sont empreints de puissance créatrice et du sacré. En outre, les sociétés africaines, dans leur diversité, considèrent la parole comme élément essentiel de cohésion communautaire. La parole, dans sa fonction sociale, revêt un pouvoir vital. Ainsi, le corps et la parole sont étroitement liés et considérés comme des éléments constitutifs de l’homme. Les conceptions de la parole comme puissance et de la parole comme essence et réalité impliquent celle de la parole créatrice.  Voilà pourquoi l’arbre à palabre occupe une place de choix dans les sociétés africaines. Devant des problèmes sérieux de l’existence : la naissance, le mariage, la mort, les africains se retrouvent pour réfléchir, causer ensemble afin de se soutenir mutuellement en face de l’événement heureux ou malheureux.
Mais la parole, en tant que principe de vie, primauté, prévalence d’un système social, ouvre aujourd’hui un pan de voile à une situation qui s’impose. Il s’agit ici, de dire si l’on peut encore être valablement « maître de sa parole » à l’heure de la mondialisation.  Bien plus, à l’heure des échanges tous azimuts, à l’heure où l’on parle de civilisation universelle, à l’heure où la planète tout entière est engagée au rendez-vous d’une «pensée unique »,  pouvons-nous demeurer encore valablement « propriétaire » de notre parole ? Dans un sens, non. Dans un sens, oui. Oui, parce que la parole humaine contient potentiellement, depuis l’origine, la possibilité d’être au service de plus d’humanité, d’un lien social plus symétrique, plus respectueux de l’autre et plus doux à vivre  S’il est des vérités qui restent éternelles, s’il y est des essences qui restent immuables, il est du reste possible d’affirmer que l’homme est la parole. Elle fait partie de son être et n’a de sens qu’à travers l’homme. Elle et lui sont donc, consubstantiels et se présupposent bilatéralement. Mais, pour que la parole humaine soit efficiente, il faut qu’elle s’imprègne de la Parole de Dieu. C’est pourquoi, il est absolument important pour nous chrétiens, nous qui voulons chercher Dieu de nous poser la question suivante : quelle place la Parole de Dieu occupe-t-elle dans ma vie ?  
Si nous faisons entrer en nous la Parole de Dieu, elle nous envahit pour nous juger, et pour nous soutenir. Et à travers cette double action, -- jugement et soutien—nous entrons de plus en plus dans une relation intime, d’amour avec Celui qui est la Parole pleine de grâce et de vérité. 

 Dr  Jimi ZACKA

dimanche 27 novembre 2011

L'enchantement religieux dans nos Eglises d'Afrique

L’enchantement religieux
Il est indéniable que dans ce foisonnement l’ivraie côtoie allègrement le bon grain. Le discernement s’impose donc à tous. Car la question de la foi en Afrique aujourd’hui relève plus de l’enchantement que de la conversion réelle. La différence entre les deux phénomènes étant que, dans le premier cas, les personnes sujettes à l’enchantement ne sont ni changées, ni transformées ; leur foi n’est ni plus radicale ni plus ferme. Elles sont, dans le meilleur des cas, simplement éblouies, émerveillées et à la recherche de plus grands miracles ; elles peuvent, dans certains cas être soulagées de telle ou telle affliction, de tel ou tel trauma, sans autre conséquence que l’accroissement de leur admiration pour leur thaumaturge. C’est la raison pour laquelle les miracles, généralement, se multiplient et les temples poussent comme des champignons à la ronde, sans entraîner de transformations individuelle profondes et des mutations sociales visibles. Dans le cas de véritables conversions, le miracle n’est pas un absolu et la condition de la foi ; en tout cas, la foi préexiste au miracle et les problèmes auxquels l’individu fait face sont des épreuves de cette foi.
 Dans une publication récente,(Possessions démoniaques et exorcisme dans les églises pentecôtistes d’Afrique Centrale, Yaoundé, CLE,2010,347 p.) fruit d’un travail de recherche en vue d’une thèse de Doctorat en théologie soutenue à la Faculté libre de théologie de Montpellier, le centrafricain Jimi Zacka souligne la différence fondamentale entre le Christ et tous les faiseurs de miracles, vrais ou supposés qui se réclament de Lui. Les exorcismes et les guérisons pratiqués par le Christ, «sont des actes libérateurs qui changent la compréhension de soi et du monde» ; les récits qu’en font les Evangiles «luttent à la fois contre la vision du monde déterminée par la fatalité désespérante du cours des événements, et contre un ailleurs imaginaire et parallèle auquel donne accès la magie et les dieux guérisseurs. En ce sens, l’activité de Jésus[...]n’est comparable ni à celle des magiciens ni à celle des marchands de bonheur dont la pratique, au lieu de libérer l’individu, le resserre dans ses chaînes en le maintenant dans un état de dépendance vis-à-vis des puissances asservissantes de ce monde dont le guérisseur est alors le représentant plus ou moins volontaire.» Il y a une rationalité de la foi qu’il faudrait atteindre. Au coeur de cette rationalité se trouve la notion de liberté. Les religions sont méprisables si elles servent à autre chose qu’à l’affranchissement de l’Homme.