mercredi 11 septembre 2019

LE "SOUVIENS -TOI DE MOI" DU BRIGAND A L' "AUJOURD'HUI" DE JESUS SUR LA CROIX : LUC 23. 32-43


Arrière-plan du récit
Tous les évangiles affirment que Jésus n’est pas mort seul, mais qu’il fut crucifié à côté d’autres hommes. Mais ils ne nous disent pas qui ils étaient. Marc et Matthieu disent que c’étaient des «bandits» (en grec lestés). Luc les appelle des «malfaiteurs» (kakúrgos). Seul Jean parle de «deux autres», sans plus de détails. Quel délit ces hommes ont-ils commis? Quand furent-ils arrêtés? Pourquoi le Nouveau Testament a-t-il tu leurs noms, alors qu’ils avaient partagé la fin tragique de Jésus?
La tradition les a toujours considérés comme des «larrons», raison pour laquelle on a pensé qu’ils avaient commis des vols et que le hasard a fait qu’ils soient condamnés à mort le même jour que Jésus, sur ordre de Ponce Pilate. Pourtant, il ne semble pas que ce soit là ce que l’on peut déduire des textes des Évangiles. La crucifixion était un châtiment que les Romains n’appliquaient qu’aux rebelles politiques, aux révolutionnaires sociaux et aux éléments subversifs. Nous savons que, durant la domination romaine sur la province de Judée, seuls des séditieux ou ceux qui sympathisaient avec eux ont été crucifiés; jamais aucun voleur. En droit romain, le vol, simple ou accompagné de violence, ne constituait pas un crime capital. Pourquoi alors, ce jour-là, a-t-on crucifié deux «voleurs» avec Jésus?
Flavius Josèphe nous donne la réponse. Dans son ouvrage La guerre des Juifs, il relate que le mot lestés, au milieu du Iersiècle, (traduit par «bandits» dans la Bible) avait acquis un nouveau sens. Il écrit: «Un nouveau genre de bandits apparut à Jérusalem: les sicaires» (2,254). Donc, au moment de la rédaction des évangiles, le terme lestés ne désignait pas n’importe quel bandit, mais les sicaires, c’est-à-dire les juifs en révolte contre Rome. Par conséquent, les «bandits» crucifiés avec Jésus ne seraient pas des voleurs, mais des agitateurs sociaux.
Peu importe l’identité des brigands ou la nature de leur culpabilité. L’Évangile rapporte tout simplement que le Christ a été crucifié en compagnie de deux malfaiteurs.
La mise en croix du crucifié
 Ainsi, la mise en croix (v.32-34), sur une colline  rappelant la forme d’un crâne n’est mentionnée que d’un mot : elle n’est pas racontée. On ne sait pas,  par exemple, si le condamné fut cloué ou attaché avec des cordes. Luc ne conserve que des traits qui en livrent le sens caché. La présence des malfaiteurs accomplit une première écriture, citée prophétiquement par Jésus à la fin du discours après le souper (Lc22.27) : « avec des sans-loi, il a été compté » (Es53.12). Luc va donc jusqu’à parler de deux autres malfaiteurs avec Jésus, crucifié entre eux. Le partage des vêtements, en second lieu, qui accomplit le Ps22.19. Les moqueries qui viennent ensuite prennent la forme d’une triple tentation (v.35-43) . Mais auparavant, il est fait mention du peuple  -- qui regarde – un trait qui accomplit le Ps22.8, tout comme les moqueries. Les uns comme les autres somment donc Jésus de prouver sa messianité en se faisant en se faisant lui-même bénéficiaire du bien messianique par excellence : le salut. N’a-t-il pas voulu établir sa messianité en sauvant naguère d’autres humains ?  Mais si Jésus succombait à cette épreuve , il ruinerait le plan divin de salut qui passe par la Passion du Fils de l’homme (Lc 9.22). Comme autrefois au désert, il refuse en outre d’user de son pouvoir pour son propre bénéfice : Il repousse les tentateurs par son silence. L’un des malfaiteurs, à son tour, reprend le même refrain : mais « au sauve-toi, toi-même », il ajoute : « et nous avec ! ».
Le Christ peut-il refuser de sauver autrui ? Il y a là cette fois un problème, car Jésus ne peut montrer qu’il est le Christ qu’en exerçant son pouvoir de sauver.
La conversion du brigand sur la croix
Mais l’autre brigand a une tout autre attitude. Il reconnaît sa faute (v.41a), exprimant ainsi implicitement sa conversion et s’ajoute à la liste des « témoins » de l’innocence de Jésus (v.41b) . S’adressant à Jésus, il prête foi, lui, à ce qu’indique l’écriteau de la croix/ Il confesse sa messianité, mais pense que son pouvoir de sauver ne se manifestera qu’à la fin des temps, lors de la Parousie (v.42).
Ainsi, alors que l’un des brigands blasphème, l’autre brigand  le reprend et défend Jésus. Il se tourne vers lui au-delà des apparences. Ce n’est pas l’action d’un homme désespéré mais celle d’un être lucide qui reconnaît sa culpabilité, la justice de Dieu et l’innocence de Jésus. Il a conscience de mériter ce châtiment cruel.
La justice humaine le met à mort mais lui, il s’adresse au Fils de Dieu. Il ne le supplie pas, ne l’implore pas, mais dit simplement avec sincérité et humilité: «Jésus, souviens–toi de moi, quand tu viendras comme roi».
Le cri du brigand « Jésus, souviens–toi de moi, quand tu viendras comme roi» n’est pas au milieu d’un monde tranquille, ni au milieu d’enfants de Dieu,  où si souvent même on a honte de nommer le Seigneur Jésus. Non.  Jésus, ici, condamné par les puissances ecclésiastiques et civiles, est proclamé Seigneur par un pauvre malfaiteur, avec une simplicité de foi et une confiance parfaites. Le brigand attend Jésus dans son règne, quoiqu’il ne le voie que sur la croix. Il a compris la gloire à venir de Jésus. Son cœur et ses affections sont à Jésus. Il oublie ses souffrances, il ne songe qu’au Seigneur ; il le confesse ; il a la force qui reprend l’autre brigand, qui oublie ses souffrances corporelles.
En effet, de ce cri, s’expriment toutes les valeurs catéchétiques chrétiennes : Crainte de Dieu « Ne crains-tu pas Dieu ?», (v.40), connaissance de soi-même «  Pour nous, c’est Justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes » (v.41) :  connaissance de Jésus « mais celui-ci n’a rien fait de mal » (v.42), foi en lui et en son règne « souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne » (v.42). De même, au-delà de ce cri, le brigand se révèle comme le catéchète de l’orthodoxie doctrinale sans le savoir et sans même l’avoir désiré. De ce « souviens-toi de moi » sur la croix, il réfute par avance au moins quatre erreurs doctrinales qui allaient se développer dans les siècles à venir. Examinons-les un peu plus en détails :
1.      Le « souviens-toi de moi » du brigand dénie la doctrine du sommeil de l’âme
La doctrine du sommeil de l’âme prétend que, lorsqu’une personne meurt, son âme “dort“ jusqu’à la résurrection et au jugement final. Cette position trouve son origine dans une compréhension littérale du verbe “dormir“, lorsqu’il est appliqué aux morts (cf. par exemple Daniel 12:21 Corinthiens 15:6). Cependant, elle est absolument inconciliable avec la promesse que Christ fait au brigand : “aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis“. Pas un seul instant Christ ne semble envisager que l’âme du brigand puisse attendre avant de jouir de la présence de Christ dans les cieux éternels. Et cela est cohérent avec l’ensemble des Ecritures. C’est au moment même de la mort que les hommes et les femmes sont confrontés au jugement de Dieu (Hébreux 9:27). Pour le croyant véritable, quitter son enveloppe charnelle c’est entrer dans la présence de Dieu (2 Corinthiens 5:6-8 ; Philippiens 1:23).
Pour l’incroyant au contraire, la mort signifie le châtiment éternel en enfer (Luc 16 : 22-23). Lorsque le terme « dormir » est utilisé pour désigner la mort, il s’agit d’une métonymie : l’apparence d’un mort (qui, en l’occurrence, semble dormir) est utilisée pour désigner son état.
2.     Le « souviens-toi de moi » du brigand dénie  la doctrine de la descente aux enfers de Christ
L’un des plus anciens textes chrétiens, le Symbole des Apôtres, déclare que Christ “a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli, est descendu aux enfers. Le terme original rendu par “enfer“ dans le Symbole des Apôtres a été l’objet de bien des discussions. Faut-il le prendre littéralement, comme certains le font, ou lui donner un sens davantage figuratif, comme d’autres le préfèrent ?
Faut-il y voir une référence au “séjour des morts“ en général (sens que 
la version des Septantes tend parfois à lui donner, comp. Actes 2:2731 et Ps. 16:10) ?
Certains sont allés plus loin dans la spéculation, imaginant que ce texte fait référence à une possibilité de salut après la mort, offerte par Christ venant faire une visite dans le lieu de perdition éternelle.
Quel que soit ce que le Symbole des Apôtres entend par cette formule, la promesse de Christ au brigand est sans équivoque : “aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. Cette promesse est double :
·         la réunion avec Christ dans le paradis de Dieu : le brigand allait, dès après sa mort, rencontrer celui-là même qui venait de lui faire la promesse
·         l’immédiateté de son accomplissement : aujourd’hui“, dit Christ, “tu seras avec moi dans le paradis“. Il n’est pas question de différer : la réunion du brigand avec Christ allait avoir lieu immédiatement après leurs morts respectives. La doctrine de la descente aux enfers de Christ est parfois appuyée – bien à tort – sur 1 Pierre 3:19.
Mais la promesse précédant mort du brigand sur la croix ne laisse aucune place au doute : Christ n’est aucunement descendu dans un lieu de damnation après sa mort sur la croix.
3.     Le « souviens-toi de moi » du brigand dénie la doctrine de la régénération baptismale
En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.“ déclare Jésus à Nicodème, lorsque ce dernier vient de nuit le consulter (Jean 3:3). Cette parole de Christ, plus que tout autre, met en évidence l’absolue nécessité d’être né de nouveau (régénéré) pour être sauvé et jouir éternellement de la présence de Christ dans le paradis.
C’est un principe spirituel normatif : “si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature“ (2 Corinthiens 5:17). Il est impossible d’appartenir à Christ sans avoir été régénéré, sans avoir reçu le Saint-Esprit : “Si quelqu’un n’a pas l’Esprit de Christ, il ne lui appartient pas.“ (Romains 8:9)
Le brigand sur la croix ne pouvait faire exception : “Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis“ revient à dire “Aujourd’hui, tu es passé de la mort à la vie. Aujourd’hui tu es une nouvelle créature. Aujourd’hui tu es né de nouveau.
Cependant, comment concilier cette réalité biblique avec la doctrine de la régénération baptismale, qui enseigne que c’est au travers des eaux du baptême que se produit la nouvelle naissance ? Les débats théologiques autour de cette doctrine, s’ils veulent être exhaustifs, nécessitent de prendre en compte  certains éléments. Mais relevons simplement ici que le brigand sur la croix a été sauvé sans avoir été baptisé : sa nouvelle naissance n’a donc pas procédé de quelque eau que ce soit, mais uniquement de l’action de l’Esprit, conformément à ce qu’enseigne le texte de Jean 3:1-21.
4.     Le « souviens-toi de moi » du brigand dénie la doctrine des oeuvres méritoires
Qui était ce brigand ? Nous ne savons, au final, que bien peu de choses sur lui. Luc en parle comme un kakourgos (κακοργος), un criminel,  tandis que Matthieu et Marc utilisent le mot lēstēs (λστής) qui peut également avoir le sens de révolutionnaire.
Faisait-il partie de la bande de Barabbas, comme quelques-uns le pensent (cf. Marc 15:7) ? Difficile de l’affirmer avec certitude.
Cependant, une chose est sure : sous des vues humaines, il était loin d’avoir le profil de l’homme vertueux.
Les termes sont sans équivoque : il était un criminel, un homme de mauvaise vie méritant la mort, comme il le reconnait d’ailleurs lui-même : “pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes“ (Luc 23:41). La doctrine des oeuvres méritoires pour le salut est tenue avec quelques variations par différents groupes se revendiquant du christianisme. Mais la grâce obtenue par le brigand sur la croix ne laisse aucune place au mérite selon ce que Paul écrit en Ephésiens 2:8-9 :
"Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie."
«Comment ce brigand peut-il être sauvé? » diront certains. « Il n’était pas religieux ni chrétien et il n’a rien fait pour le mériter ».  Effectivement, c’est ce que l’Évangile nous apprend: nos efforts ou nos œuvres ne servent à rien. La grâce de Dieu comble notre insuffisance, notre impuissance. C’est un don pour tous, qui doit être accepté avec reconnaissance.

Le salut du brigand converti sur la croix : C’est « aujourd’hui »

Au moment même où, solennellement, Jésus dit :  « En vérité, je te le dis… », il va acquiescer à cette prière et il rectifie le dernier point (v.43). C’est aujourd’hui même que  la mort du Christ va inaugurer le salut messianique.
Jé­sus ac­corde ainsi à ce pé­cheur sauvé bien plus qu’il n’a­vait de­mandé. Non pas un simple sou­ve­nir dans un ave­nir plus ou moins loin­tain ; mais « aujourd’hui, lui dit-il, avant que la nuit tombe sur la terre, je t’in­tro­dui­rai dans le sé­jour des bien­heu­reux, où tu seras avec moi ». Jé­sus pro­met­tait aussi cette su­prême conso­la­tion à ses propres disciples at­tris­tés au mo­ment de la sé­pa­ra­tion en Jean 14.2-3 : « Dans la Maison de mon Père, il y a plusieurs demeures…Je vais vous préparer une place. Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi « .
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ‘paradis’ est un mot rare dans la Bible. Il n'apparaît que trois fois dans le Nouveau Testament. Et, dans les Septante et l'Ancien Testament, le mot paradeisos traduit seulement une dizaine de fois l'expression “jardin d'Eden”, ou “jardin en Eden”.
Le mot paradis si­gni­fiait d’abord parc, verger, jardin arrosé. On le trouve dans ce sens lit­té­ral dans Ecclésiaste 2.5 ; Cantique 4.13. Les Sep­tante dé­si­gnent par ce mot le jar­din d’Éden (Genèse 2.8). Il est ainsi de­venu sy­no­nyme du ciel, étant ap­pli­qué au sé­jour de l’homme sauvé. Dans 2 Corinthiens 12.4, Paul ra­conte qu’il «fut enlevé dans le paradis, où il en­ten­dit des pa­roles inef­fables, qu’il n’est pas per­mis à l’­homme d’ex­pri­mer». Im­mé­dia­te­ment avant, il avait rendu la même idée en di­sant quil «fut ravi jus­quau troi­sième ciel». (2 Corinthiens 12.4). Les deux termes sont donc synonymes.
Dans Apocalypse 2.7, le Sei­gneur pro­met «à ce­lui qui vain­cra de lui don­ner à man­ger de larbre de vie qui est dans le paradis de mon Dieu», nom­mant ainsi l’Éden re­trouvé, le sé­jour de la fé­li­cité éter­nelle, qui est ce­lui de Dieu même. Il nous pa­rait inad­mis­sible de don­ner au mot paradis un sens dif­fé­rent dans notre pas­sage.
Ainsi, le malfaiteur croyant et repenti va pénétrer avec Jésus dans le Paradis (cf. Gn2.8). Ce lieu marqué par l’arbre de Vie, dont à leur mort, héritent ceux que Dieu a trouvés justes. L’essentiel, c’est d’être avec le Christ. 
Jésus a à cet effet répondu au défi qui lui était lancé : il a sauvé un homme, non pas en le préservant de la mort temporelle, mais en faisant de cette mort le passage à la vraie vie et au vrai bonheur.

Prof. Jimi Zacka
Exégète, Anthropologue