lundi 29 août 2016

LA CRAINTE DE DIEU


Plusieurs mots du vocabulaire biblique sont équivalents du mot « crainte de Dieu », mais nous ne gardons que ce dernier mot, dans le cadre de cet article forcément très limité. Le verbe craindre (yaré') et ses dérivés sont largement utilisés dans les textes bibliques de l'Ancien Testament (435 fois). Le substantif: crainte (yir'a) apparaît 45 fois, dont 27 fois dans les Psaumes Proverbes et Job et 14 fois pour le livre des Proverbes seul. C'est donc dans ce livre qu'il apparaît le plus souvent.

     Sans doute, les notions comprises dans ce vocabulaire de la crainte - et spécialement de la crainte de Dieu - sont-elles multiples et variées, selon les livres de l'Ancien Testament et selon les époques. Si le verbe craindre peut parfois s'appliquer à la peur, ou à la terreur du sacré, comme réalité, redoutable (l'adjectif redoutable, en hébreu, est un dérivé du verbe craindre: nora'), ce sens est relativement rare dans la Bible (Exode 20.20). Le verbe ou le substantif, surtout lorsqu'ils ont Dieu comme complément, n'ont pas ce sens de terreur, mais - d'après ceux qui ont spécialement étudié cette notion  - ont plusieurs sens proches l'un de l'autre: un sens cultuel (la fidélité au Dieu de l'Alliance, et la vénération du culte), un sens moral (un comportement personnel), et un sens nomiste  (l'obéissance à la loi).

     Or le substantif « crainte du Seigneur », dont I' emploi est surtout fréquent dans le livre des Proverbes, a pour ainsi dire toujours le sens moral. La crainte du Seigneur est le comportement de celui qui a une conduite conforme à la volonté du Seigneur. C'est en somme l'obéissance à la volonté de Dieu: "Le commencement de la Sagesse est la crainte de l'Eternel" (Prov.9.10). Ce serait donc une erreur de comprendre cette expression comme une peur de Dieu. C'est au contraire un sentiment et une volonté de respecter la volonté de Dieu et de lui obéir. On pourrait dire – si I' on veut parler de peur - que la crainte de Dieu est la peur de désobéir au Seigneur et de lui déplaire. Dans ce sens, cette expression contient aussi un élément de respect, de fidélité, d'attachement et de confiance en Dieu.

     Ainsi, « ne pas craindre » les dieux des autres nations, c’est certes ne pas en avoir peur, mais c’est surtout les rejeter, refuser de leur rendre un culte (Jg 6,10).  A l’inverse, « craindre » Yahvé, c’est ne pas en avoir peur ni trembler devant lui, mais le reconnaître et l’adorer comme seul Dieu, c’est le « servir » (voir le parallèle « craindre//servir » dans le texte que je viens de citer) et lui « obéir » (ob-audire), sachant que « l’obéissance » n’est jamais synonyme d’abdication de la liberté de conscience, ni synonyme de « soumission ».

     Il est regrettable qu'en français le mot crainte soit toujours employé dans la traduction de ces textes, créant ainsi dans I' esprit de certains lecteurs une idée fausse ; aussi est-il indispensable d'en donner une explication qui soit plus conforme au sens réel du texte biblique.

     Faire une étude d'ensemble de tous les textes relatifs à la « crainte de Dieu », dépasserait les limites de notre étude ici-même. On y verrait que la crainte du Seigneur est la haine du mal (Prov. 8. 13), qu'elle prolonge la vie (10. 27), qu'elle est une source de vie (14.27), qu'elle a plus de valeur qu'un grand trésor (15. 16), qu'elle détourne du mal (16. 6), qu'elle est richesse honneur et vie (22.4), etc. En dehors du livre des Proverbes, cette étude s'élargirait bien davantage encore.

     C’est pourquoi, la  crainte de Dieu, dans le Nouveau Testament, prend tout son sens sur le plan spirituel ou éthique.  En effet,  la crainte du Seigneur est un don de l’Esprit saint. Ce même don s’appelle aussi humilité. Craindre le Seigneur, c’est reconnaître en lui la source de tout bien. Cette transparence était au cœur de la vie de Jésus : « Je ne fais rien de moi-même … mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres. » (Jean 8,28 et 14,10).

     L’apôtre Paul écrit : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut, car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et l’opération même. » (Philippiens 2,12-13) Puisque Paul affirme que le salut vient par la foi, « travailler avec crainte et tremblement à son salut » doit ici exprimer un aspect de la foi. La foi n’est pas une assurance à la légère, mais une confiance toute tremblante : confiance vive, étonnée, agissante, vigilante. Notre salut est un miracle que Dieu « opère en nous », c’est pourquoi il demande toute notre attention. « Travailler avec crainte et tremblement » c’est prendre conscience que chaque instant est une rencontre avec Dieu, car à tout moment, Dieu est à l’œuvre en nous.

     Malheureusement, nous vivons aujourd’hui une époque marquée par le manque de la « crainte de Dieu » et cela se ressent jusque dans l’Église. Nous semblons revivre le temps dont parle l’apôtre Paul :

Sache que dans les derniers jours surgiront des temps difficiles ...Car les gens seront égoïste, amis de l’argent, fanfarons, orgueilleux, blasphémateurs, rebelles envers leurs parents, ingrats, sacrilèges, insensibles, implacables, médisants, sans maîtise de soi, cruels, ennemis du bien, traîtres, emportés, aveuglés par l’orgueil, amis du plaisir plus que Dieu…  1 Timothée 3. 1-5.
     Un passage très révélateur de nos jours. Beaucoup de chrétiens s’affranchissent aujourd’hui  de toute autorité, des règles du civisme, de la bonne conduite  et au final de toute crainte de Dieu. Alors souvent pour manifester leur refus des autorités morales, sociales et spirituelles, ils ont une manière bien à eux de se comporter  en tronquant l’Évangile par la manière de l’interpréter, par leur comportement, par leur tenue vestimentaire, par leur mode de vie.  

        Les chrétiens d’aujourd’hui se conforment à la mentalité d’une génération incrédule et rebelle, d’un monde sans Dieu. Ils se forgent ainsi un mode de vie dit "saint" qu'ils imposent à la volonté de Dieu. Pourtant,  la "crainte de Dieu" implique l'acceptation de l'autorité souveraine de Dieu, le désir de faire sa volonté en toutes choses (Dt 4.10; 6.13), le souci de lui plaire et la haine du mal (Prov 8.13).
     Du coup la question fondamentale s’imposant est celle de savoir à quel niveau se trouve la crainte de Dieu dans les Églises et dans la société d’aujourd’hui.  Et surtout, « Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'Il trouvera la foi sur la terre ? » (Luc 18.8).

Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue
    


dimanche 28 août 2016

SAGESSE


La question de la « sagesse » fait couler beaucoup d’encre et incite autant de théologiens que de philosophes à écrire. Ainsi, de tout temps comme encore aujourd’hui, cette thématique suscite autant de débats. D’où la question : qu’est-ce que c’est la sagesse dans la perspective biblique ? Sagesse: hokmah en hébreu; sophia en grec d'où le mot philosophie; sapientia en latin d'où le mot sapientiel. La définition que l'on donne de la « sagesse » est habituellement établie en référence à une personne que l'on considère comme sage. Un enfant est sage quand il est gentil ou tranquille. « Sage comme un ange », dit-on. 

     Un adulte est sage quand il est avisé, mesuré, réfléchi, modéré, prudent, équilibré, sérieux, raisonnable. On reconnaîtra aussi la sagesse d'une personne à l'expérience acquise, à sa capacité de discernement, à son jugement droit sur les situations de la vie. En Afrique, on attribue souvent la sagesse aux personnes avancées en âge, bien que cette qualité ne leur soit pas exclusive. En théologie, la sagesse est une connaissance inspirée des choses divines et humaines, une vertu et aussi l'un de sept dons de l'Esprit Saint.

     La notion biblique de « sagesse » comprend toutes ces définitions quand il s'agit de la sagesse naturelle acquise par l'être humain. Mais la sagesse est également un attribut de Dieu et une qualité spirituelle qu'il peut accorder aux croyants. Selon la tradition africaine, la sagesse est liée à la connaissance, au savoir, à un comportement avisé en toute situation. La vraie sagesse n’est pas une vertu qui s’exhibe, elle est discrète, intérieure, s’adresse au cœur autant qu’à l’intellect et réconcilie les personnes au même titre que les peuples à condition de réciprocité. C’est un savoir très particulier, qu’aucune science n’expose, qu’aucun diplôme ne sanctionne. C’est qu’il s’agit non de théorie mais de pratique. Non de preuves, mais d’épreuves. Non de science, mais de vie. C’est une manière de vivre. 

Personnifiée ou non, la sagesse est finalement  identifiée à Dieu lui-même. Dieu seule est sage. Dieu seul peut donner la sagesse aux hommes. La sagesse pourrait être comme une sorte d’aspect  particulier de Dieu, comme une « hypostase », selon le mot employé par les théologiens. C'est-à-dire une manière d'être de Dieu, comme la Parole de Dieu, la Loi de Dieu. Un seul texte, dans le livre des Proverbes, peut donner lieu à une interprétation de cette nature, c’est celui de Proverbes 8.22-31, avec la difficulté de traduction du v. 30, où l'on parle de la sagesse créée comme la première des œuvres  de Dieu (v.22), enfantée avant que le monde existe (v. 24) et « maître d’œuvre » à côté de Dieu, lors de la création. Il y a donc une participation de la Sagesse à la création de Dieu, comme il y en a une pour le Verbe, d'après Jean 1. 1-3.



En Afrique, détenir la sagesse est d’abord l’homme qui est parvenu à un grand âge, ayant accumulé avec la longévité une profonde expérience des hommes et des choses. On l’oppose ainsi aux personnes peu avancées en âges, à celles que la crédulité et l’inexpérience de la vie classent dans la catégorie des enfants ou des jeunes ; à ceux-là habituellement on n’accorde pas des funérailles exceptionnelles et ils ne recevront jamais un culte. En second lieu, est définitivement rayé de la liste des ancêtres, l’individu qui a un comportement déviant. Ce dernier ne peut, semble-t-il,  obtenir des hommages des vivants qu’à la condition d’avoir une fin conforme aux règles exigées par la société.
 
C’est dire que le manque de sagesse interdit l’accès à l’ancestralité et vu comme une punition effective. Si le vieillard est généralement considéré comme le sage dans certains milieux africains, il est remarquable de constater que ses actes sont beaucoup plus observés dans d’autres situations. C'est la seule raison  pour laquelle  l'on puisse définir le vieillard comme l'homme incarnant la sagesse.





Prof. Jimi ZACKA
  Exégète, Anthropologue