lundi 12 janvier 2015

TRAITS MAJEURS DE LA THEOLOGIE AFRICAINE : FAITS, ECUEILS ET ATTENTES. (Conférence de Prof Jimi ZACKA, à la Faculté de Théologie, Montpellier, 2012)



INTRODUCTION 

Avant de mener une réflexion sur la théologie africaine, qu’il me soit permis de souligner d’emblée que l’Afrique est un continent marqué par une grande pluralité ethnique, culturelle et religieuse, tant pour l’Eglise que pour la société. La théologie en Afrique se présente très différemment d’un pays à l’autre. Même au sein d’un même pays, elle est différente, voire opposée d’une église à l’autre. A l’évidence, évoquer les questions  théologiques aujourd’hui, implique la prise en compte des situations spécifiques aux différentes zones du continent africain. Ainsi, j’estime nécessaire d’apporter des précisions sur l’Afrique Francophone à laquelle je vais faire allusion dans mon intervention. Elle comprend des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest dont la langue officielle est le Français, et qui ont joué un grand rôle théologique pour l’existence d’une théologie authentiquement africaine. Ceci ne veut pas dire que je vais occulter l'importance du rôle joué par les théologiens anglophones dans la théologie africaine. Leurs apports ont été non négligeables, que ce soit du côté catholique ou évangélique.

Toutefois, la grande question qui se pose, est de savoir où en est-on aujourd'hui avec la théologie africaine. 

1.      Essoufflement de la théologie africaine ?

Il n’y a pas bien longtemps, j’étais avec  certains collègues occidentaux en train de parler de la théologie africaine et l’un d’eux disait : « la théologie africaine n’a plus rien à donner ». L’entendre dire cela m’a rendu à la fois médusé et dubitatif. Et,  cela me  rappelle  l'anecdote, racontée par le prêtre congolais  André KABASELE, que je reprends ici : « Il y a quelques temps, à bord d’un avion régulier de Kenya Airways, j’ai rencontré un prêtre mariste français, travaillant au Tchad, qui provenait de Naïrobi et se rendait à Douala. Il me posa, amusé, la question suivante: "qu’est devenue la théologie africaine?" Et il précisa le sens de son interrogation: "dans les années 70-80, c’était une mode, mais aujourd’hui on n’en entend plus parler". Et pourtant, je venais de sortir d’un colloque organisé par la Faculté de Théologie des Facultés Catholiques de Kinshasa, où, sur le thème de l’eucharistie, nous avions prétendu faire de la théologie africaine, en pratiquant résolument la méthode inductive qui caractérise toute théologie contextuelle, en intégrant à la réflexion théologique systématique les données culturelles africaines (comme la conception africaine du repas) et les interrogations spécifiques (telles que les questions sur les matières eucharistiques), en associant dans la mesure du possible, les différentes couches de la population chrétienne et en soignant, par le contact avec la presse, l’écho de nos travaux auprès d’un large public». Qu’y a-t-il derrière ces constats ?  On doit y voir peut-être l’essoufflement, la stagnation de la théologie africaine. Ce que le théologien congolais Kä Mana considère comme l’échec et la mort de la théologie africaine. A son avis, il n’y est plus sortie depuis plus de dix ans une seule  idée novatrice ni un seul mouvement de pensée vraiment mobilisateur dans les débats de fond sur les sociétés africaines. Son jugement est même d’une sévérité extrême lorsqu’il parle d’une sorte de léthargie et d’immobilisme de l’esprit qui a frappé ses débats intellectuels et ses requêtes essentielles. En d’autres termes, les discours de la théologie africaine semblent répétitifs, monotones, comme de simples bavardages. Face à une critique de ce genre on éprouve parfois un certain malaise de parler de la théologie africaine francophone donnant l’apparence d’être dans une sorte de stagnation. Mais, de fait, il est juste d’avouer que la théologie africaine francophone en est encore au stade où, non seulement, elle se cherche encore, mais se trouve confrontée à de nouveaux enjeux. Tout au début, son but était de s’engager pour la libération du colonialisme,  du néo-colonialisme, ou, plus généralement, de la dominance extérieure. Aujourd’hui, tout le monde sait que  les enjeux ont changé.  L’Afrique est aujourd’hui mise en défi par de multiples problèmes : famine endémique, instabilité politique, guerres fratricides, exclusion sociale, indigence sociale, corruption effrénée, marginalisation politique et économique, analphabétisme, tribalisme, Sida, etc…etc… Du coup, d’autres questions de fond se posent à la théologie en Afrique : faut-il avant tout parler de la théologie universitaire et de celle qui se pratique dans les Instituts et Centres théologiques ou devra-t-on faire plutôt cas de la théologie qui émerge des communautés ? La théologie étant un discours, un logos, faut-il s’en tenir au discours publié, édité, ou prêter également oreille au discours oral, qu’il soit public ou privé, qu’il émane des pasteurs ou du peuple ? La théologie doit-elle être débattue par une petite minorité d’intellectuels ou bien doit-on s’investir dans un travail théologique qui rejoint les hommes là où ils sont, dans leur univers propre, pour les aider à réfléchir sur la relation entre l’Evangile et leur vie concrète, avec toute sa complexité, ses dimensions et ses exigences ?
En d’autres termes, le travail théologique se doit-il d’aider les Africains à mener une réflexion sur la possibilité que Dieu leur offre en Jésus-Christ de répondre à son appel à vivre en plénitude, compte tenu des problèmes fondamentaux de l’Afrique d’aujourd’hui ? C’est ce que le Père Meinrad Hebga appelle la théologie de la responsabilité. Cette théologie, comme prise de responsabilité autant socio-politique que religieuse qui doit être le maître-mot de la théologie en Afrique aujourd’hui.
Ainsi, on peut dire que l’apparent essoufflement de la théologie africaine n’est pas une léthargie, mais plutôt la traduction de sa diversité, de sa maturité, voire de sa vitalité. C’est peut-être pour cela qu’il ne faudra plus parler de la théologie africaine mais plutôt de l’émergence des  théologies en Afrique, faisant ainsi allusion à l’impact du christianisme et la diversité des réactions africaines à la théologie.
Bref, le but de mon intervention n’est pas question ici de m’attarder au débat sur la théologie africaine, mais de porter plutôt un regard sur les réalisations qui ont eu lieu en ce domaine en milieu francophone. 

2.      L’émergence de la Théologie Africaine francophone

La théologie africaine en milieu francophone a connu trois déplacements majeurs : l’émergence de la théologie africaine, l’émergence de méthodologies théologiques (l’inculturation, la libération ou la reconstruction) et le moment actuel d’une théologie préoccupée par la nouvelle évangélisation en Afrique.
 En cette période, des pionniers africains francophones aussi illustres que les camerounais  E.  Mveng,  F. Eboussi Boulaga,  M. Hebga,   J.M. Ela, et O. Bimwenyi  aussi bien que des  Congolais, Tharcisse Tshibangu,  Alphonse Ngindu Mushete se sont battus pour doter la théologie africaine d’outils conceptuels et la hisser au niveau scientifique. Ensuite, les débats ont été menés pour savoir si  la théologie africaine devait être une théologie de l’inculturation ou une théologie de la libération. Alors que les tenants de l’inculturation voulaient que la théologie prenne pour point de départ les cultures et les traditions ancestrales africaines, les tenants de la libération voulaient prendre au sérieux le contexte sociopolitique et économique de l’Afrique traversée par la modernité. Un autre courant, la théologie de la reconstruction, née sous la plume du théologien congolais Kä Mana, a tenté d’arbitrer le débat en invitant les Africains à quitter le face à face entre la tradition et la modernité, pour se fier au Christ, mesure de l’humain et Seigneur de nos vies. Ce débat dominera la réflexion théologique en Afrique francophone jusqu’au milieu des années 90.  Depuis 1994, un troisième déplacement semble s’opérer. Les protagonistes du débat sur l’inculturation, la libération et la reconstruction semblent observer un cessez-le-feu. Même si d’aucuns se définissent plus dans un courant que dans un autre, leurs ouvrages révèlent qu’ils portent tous un souci missiologique : rendre la foi chrétienne pertinente dans l’Afrique d’aujourd’hui. Il faut souligner que les événements dramatiques en Afrique tels que le génocide au Rwanda et les conflits de la République Démocratique du Congo ont fortement secoué l’irénisme culturel des uns et l’utopie libérationniste des autres. Tous sont d’accord pour dire que toute théologie s’adressant au contexte africain doit prendre au sérieux les traditions culturelles et religieuses africaines ainsi que la crise actuelle que traverse l’Afrique du fait de mutations sociopolitiques et culturelles en contexte de mondialisation. Le souci fondamental est partout le même : comment faire du christianisme un ferment de promotion humaine pour le continent ? Quel type de discours théologique mettre en œuvre pour la nouvelle évangélisation aujourd'hui ?

              2.1. Contexte de la Théologie Africaine francophone

Il n’est pas aisé de parler de la théologie africaine francophone sans tenir compte du contexte historique de sa naissance, raison pour laquelle je présente comme toile de fond deux types de théologies missionnaires de l’époque coloniale, à savoir la théologie de l’implantation de l’Eglise et la théologie de l’adaptation et de pierre d’attente.

                           2.1.1.      La théologie de l’implantation de l’Eglise (1920-1950)

   En effet, le nœud du problème qui semble être à la base de la théologie africaine francophone est le fait que la mission héritée du 19°s se présente essentiellement comme une théologie d’implantation de l’Eglise en terre africaine. Les Africains sont perçus comme des « âmes » à convertir, à gagner. Ainsi,  le rôle essentiel de la mission a été de convertir et de gagner au Christ les âmes déchues des indigènes afin qu’elles ne meurent pas dans la misère la plus abjecte qu’est l’enfer. Malgré certains conseils judicieux de respect de « l’âme africaine » et les efforts louables de nombreux missionnaires pour connaître la langue et les coutumes locales, l’évangélisation se trouve marquée par cette « théologie de l’implantation ». Elle manifeste ainsi une préoccupation fermement ecclésiocentrique : il s’agit d’insérer les Africains et l’Afrique dans l’Eglise. Et pour les sauver, il fallait transposer en Afrique l’Eglise d’Europe ou d’Amérique dans ses structures, ses pensées, ses rites. Il s’agit donc d’ériger, d’implanter l’Eglise ou, mieux encore, de reconstituer, dans les territoires de mission, des dépendances des Eglises occidentales avec leurs structures administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, etc. D’où la conclusion suivante: «La réalité d’indigénisation consiste en une espèce d’habillage de l’Eglise d’un manteau africain
 Mais les destinataires vont  finir  par réagir contre cette théologie jugée paternaliste. Pour les Africains,  l’évangélisation doit tenir compte de leur personne, de leur culture, de leurs religions. Ils se veulent partenaires et non objets de l’évangélisation. Ils vont ainsi revendiquer le droit de penser et de vivre le christianisme en Africains[2]. Le point focal de cette revendication est constitué par l’ouvrage Les prêtes noirs s’interrogent qui, publié en 1957, fit grand bruit en son temps. Des prêtres noirs exigeaient le droit à la parole et à une participation dans le processus d’évangélisation. L’avant-propos de ce livre indique déjà la perspective générale:
«On a assez longtemps pensé nos problèmes pour nous, sans nous, et même malgré nous… Sans vouloir faire du tapage… il nous semble bon de jeter aussi notre mot dans le débat ouvert depuis si longtemps sur l’Afrique. Le prêtre africain doit aussi dire ce qu’il pense de son Eglise en son pays pour faire avancer le royaume de Dieu21
Etant le premier manifeste de la théologie africaine en terre africaine, l’ouvrage collectif va attester que la théologie africaine proprement dite a vu le jour. En fait, onze théologiens courageux de la première génération – nous y avons déjà fait allusion – n’ont à cœur que de poser la question de l’adaptation du christianisme en terre africaine tout occupée à sélectionner telle croyance, tel rite, à les déclarer acceptables, et à éliminer les autres comme vaine observance. La préoccupation est celle d’une adhésion intime et profonde de l’Afrique au Christ, pour que la vérité chrétienne, dans ce milieu, éclate dans toute sa splendeur et illumine tous les cœurs d’une manière qui, pour nouvelle qu’elle soit, n’aliène pas pour autant l’esprit nègre. Il est très significatif que l’article de Vincent Mulago se préoccupe, dès le début, de la méthode d’adaptation, qui, selon lui, est la seule méthode susceptible de donner un résultat durable. En voici le contenu: « Ayant pénétré la mentalité, la culture, la philosophie du peuple à conquérir, il faudra ‹greffer› le message chrétien sur l’âme du prosélyte
. C’est dans cette perspective qu’ils vont rechercher des correspondances entre les religions traditionnelles et le christianisme. Il s’agit d’adapter le mieux possible les pratiques de l’Eglise d’Occident aux réalités socio-culturelles de l’Afrique, de pénétrer la mentalité africaine pour y greffer le message chrétien et de rendre les dogmes chrétiens accessibles aux africains.
Les pionniers de cette théologie se sont interrogés sur la signification des cultures et des traditions africaines pour la théologie. C’est la contribution considérable de l’école de Kinshasa – Tharcisse Tsibangu, Alphonse Nguindu Mushete, Vincent Mulago, Oscar Bimwenyi, Charles Nyamiti, François Kabasélé, Bénézet Bujo – qui cherche à formuler un discours théologique véritablement africainet en dialogue avec l’héritage chrétien universel. Dans ce mouvement, il faut nommer les Ouest-Africains, Sidibé Sempore, Eugène Uzukwu, John Mbiti. Les camerounais se distinguent aussi dans cette dynamique. Le regretté Engelbert Mveng (1930-1995) a eu le courage de forger le concept de « paupérisation anthropologique » de l’homme africain. Il a en quelque sorte obligé les théologiens africains à poser la question : où était Dieu des chrétiens quand l’Occident réduisait les Africains à la non humanité à travers l’esclavage et la colonisation ? Où est le Dieu des chrétiens quand, en collaboration avec l’occident, les élites et les dictatures africaines post-coloniales continuent d’exploiter leurs frères ? Les héritiers de ce discours sont Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga et d’une certaine manière Eloi Messi Metogo. De même, ce discours se prolonge dans un travail de remise en valeur des cultures africaines menacées par l’impérialisme de la modernité qui se poursuit aujourd’hui sous la forme de la mondialisation.

                                      2.1.2.      La théologie de l’adaptation ou de « pierre d’attente » (1950-1965)

Une seconde théologie sera connue à partir de 1950. C’est la théologie de l’adaptation ou des « pierres d’attente ». Elle préconise, contrairement à la théologie précédente, une Eglise à couleur africaine, d’un christianisme à visage africain. Tel est d’ailleurs le titre d’un ouvrage parfaitement expressif et significatif de cette tendance de l’abbé Vincent Mulago, l’un des grands inspirateurs et promoteurs de la théologie africaine. Cette théologie de l’adaptation se préoccupe davantage de prendre en compte l’originalité du destinataire de l’Evangile. Ceci suppose un contact plus étroit avec la Bible et la tradition, une analyse méticuleuse des traditions africaines afin d’en  repérer les valeurs véritables et significatives, spécifiquement africaines, à partir desquelles il sera possible d’accueillir le Christ. La théologie de l’«adaptation» nous rappelle le problème de l’incarnation du message évangélique dans les cultures autres que l’européenne. Elle résulte de la théorie dite des «pierres d’attente». Cette dernière théorie cherche et découvre chez le destinataire, singulièrement dans sa tradition culturelle et religieuse, des éléments «positifs» et «bons», compatibles avec le christianisme, qui pourrait, éventuellement, les assumer moyennant «purification» et «transfiguration».  
 Néanmoins, progressivement, les théologiens africains prennent conscience qu’il faut aller plus loin, même si leur initiative a eu un impact assez important sur l’africanisation du personnel ecclésiastique, la liturgie et la catéchèse.
Ainsi, une attention particulière est accordée à deux positions nettement opposées dans ce qu’on appelle le «débat de principe» qui a débuté en 1960 et a continué jusqu’en 1977. La première position, représentée par Th. Tshibangu, prônait une théologie de couleur africaine. La seconde, soutenue par A. Vanneste, préconisait une certaine africanisation de la théologie. Tshibangu stipule qu’«en Afrique l’Eglise doit devenir et être africaine dans tous les domaines de la vie ecclésiale y compris l’esprit même du christianisme… Si on admet dans la culture africaine un système et un cadre de pensée propre, originaux par certaines accentuations du moins, une théologie de couleur africaine paraît possible.»  La position de Vanneste comporte deux paliers différents: un niveau pratique constituant une concession à une certaine africanisation («tout le monde reconnaît l’importance d’élaborer une théologie pratique et casuistique adaptée aux circonstances locales»); et un niveau scientifique, où est défendue ladite «théologie universelle» comme un défi à la «théologie africaine». «… toute particularité tend vers une autodestruction en vue de ressusciter sous une forme plus universelle… Nous devons lutter contre la théologie occidentale, contre la théologie orientale, contre la théologie africaine… Pas question donc d’une ‹nouvelle› théologie chrétienne profondément originale eu égard à la pensée chrétienne traditionnelle.». D’ailleurs, comme va l’affirmer un jeune théologien catholique nigérian Bede « la théologie doit se garder d’enfermer le Dieu des chrétiens dans des déterminations culturelles. Si nous arrachons Dieu à l’emprise des cultures occidentales, ce n’est pas pour l’emprisonner à nouveau dans les cultures africaines, asiatiques ou latino-américaines ».
Ainsi, l’opposition à l’idée de l’adaptation commença à se développer. Il serait désormais question de trouver une méthode nouvelle, une méthode qui s’appuie sur la théologie des religions, sur une base biblique solide qui ne consiste pas seulement en allusions et sur une base  anthropologique et historique sérieuses.

2.2. La Théologie Africaine en quête de méthodes nouvelles

Il faut dire que l’originalité de la théologie africaine résidera dans sa capacité à  être en quête de méthodes nouvelles. C’est dans cette perspective que lors de la conférence panafricaine d’Accra en 1977[3], des théologiens africains ont saisi l’occasion de s’interroger sur la méthodologie des approches des thèmes théologiques. A l’issue de ce colloque,  l’option libération a été retenue comme une nouvelle voie de la réflexion théologique. Il n’est pas sans intérêt de souligner que le communiqué final de cette conférence précise que la théologie africaine, par rapport à l’avenir envisagé (la libération), se posera «en théologie en situation, comme une expérience de lutte contre toutes les formes d’oppression et de ségrégation, comme un lieu d’engagement d’où toute tendance sexiste est exclue». 
En marge de cette conférence, l’Association œcuménique des théologiens africains (AOTA) a été créée. Cette nouvelle association – ayant pour objectif principal d’encourager et de resserrer la coopération entre les théologiens de différentes langues, régions et confessions chrétiennes d’Afrique et adoptant une méthodologie interdisciplinaire – a donné une nouvelle voie à la théologie africaine. Divisés en tendances «libérationniste[4]» et «culturaliste[5]», les théologiens « libérationnistes » vont nettement se démarquer en prenant conscience que les crises religieuses, sociales, politiques et culturelles de l’Afrique ont une importance théologique.  Il faut donc s’interroger sur de nouvelles orientations théologiques pouvant résoudre ces crises. Ainsi, les quatre théologiens camerounais : Mveng, Ebboussi Boulaga, Hebga et Ela vont se placer dans la perspective de la théologie de la libération : Mveng œuvre pour une libération de la pauvreté anthropologique, Jean-Marc Ela pour une auto libération socio-économique des pauvres, des causes structurelles de leur paupérisation croissante, Eboussi Boulaga pour l’émergence d’une église affranchie de la tutelle idéologique de l’Occident mais aussi locale, P. Hebga pour la libération des forces spirituelles mortifères en particulier la sorcellerie. 

Dans la même optique, plutôt que de parler de la théologie de libération,  Kä Mana[6], en Afrique francophone, et Jesse Mugambi, en Afrique anglophone vont prôner la théologie de la reconstruction, ou encore de la renaissance[7]. En 1998, le thème a dominé les débats du Conseil Oecuménique des Eglises. Plus près de nous, en 2001, une réunion de la Fraternité Théologique Africaine a cherché, lors d’une conférence à Grand Bassam, à élaborer une vision chrétienne de la renaissance africaine. L’enjeu de cette théologie était de mobiliser les Eglises contre la crise globale qui frappait la société africaine trente ans après les indépendances.  Le mouvement de la théologie de la reconstruction a ainsi, en quelques années, changé le paysage de la théologie en Afrique et fournit aujourd’hui aux communautés chrétiennes une nouvelle grille de lecture de leur situation et de leurs responsabilités dans la société. Après les grandes quêtes de l’identité culturelle et le combat pour la libération, ce mouvement montre qu’il est nécessaire de penser notre présent en termes de nouveaux choix économiques, politiques, sociaux et culturels à faire et en termes de nouvelles fondations morales et spirituelles à poser et d’invention de nouvelles stratégies pour bâtir l’avenir. Sans renier les préoccupations passées, il s’agit de les intégrer dans la perspective de l’invention du futur, la reconstruction étant en fait le commencement d’un processus de restructuration des mentalités et des attitudes. Les enjeux de ce mouvement sont éminemment missionnaires: l’intégration de l’évangile dans tous les domaines décisifs pour l’avenir du continent. C’est pourquoi on pense la nouvelle évangélisation en termes de reconstruction africaine: une reconstruction fondée essentiellement sur le socle de l’évangile[8].
 
2.3. Les Eglises indépendantes africaines

Les Eglises indépendantes africaines constituent aussi une source importante pour la théologie  africaine  francophone. Elles sont appelées tantôt sectes ou groupes syncrétistes, tantôt Eglises séparatistes ou dissidentes, tantôt encore mouvements messianiques ou prophétiques. Comme le théologien Tanzanien Laurenti Magesa l’affirme : « les Mouvements Religieux Indépendants Africains ne sont pas des « suppôts de Satan » comme les considèrent souvent certains responsables des Eglises officielles. Il soutient que les Eglises indépendantes se sont démarquées des Eglises missionnaires par une plus grande adaptation aux réalités et à la sensibilité africaines, par une réhabilitation de l’Ancien Testament dans le culte et dans la morale, par une sobriété et une souplesse dans l’énoncé dogmatique, par une indépendance vis-à-vis des Eglises occidentales et il va les repartir selon trois tendances principales :
1.      Tout d’abord, les mouvements néo-traditionnels ou « Revivalistes » cherchant à refondre les pratiques et valeurs des religions traditionnelles avec des éléments tirés des enseignements chrétiens. Magesa développe particulièrement l’exemple de l’Eglise des ancêtres de Malawi, la Fraternité Nigériane réformée d’Ogboni.
2.      La seconde catégorie des Mouvements Indépendants Religieux Africains trouve son foyer presque uniquement dans l’Ancien Testament. Il s’agit d’une identification particulière avec l’Ancien Israel et de ses relations avec Yahweh telles que les ont comprises les Ecritures de l’Ancien Testament. Cette catégorie se trouve plus particulièrement en Afrique du Sud (Les Israélites de Enoch Mgijima)
3.      La troisième catégorie est celle des néo-chrétiens. Les mouvements compris dans cette catégorie peuvent être répertoriés à la suite de l’implantation des principales Eglises chrétiennes. Ce sont des mouvements synthétistes recherchant une forme composite soigneusement sélectionnée des valeurs de la religion traditionnelle africaine et des religions missionnaires chrétiennes. Cette catégorie comprend l’Eglise Kimbanguiste du Congo (RDC), l’Eglise du Seigneur (Aladura) et l’Eglise Harrist du prophète Harrist en Côte d’Ivoire.

Quatre traits majeurs caractérisent leur doctrine :

1.      Tout d’abord, protestation et quête d’identité. Ce sont des mouvements contre le deni de la personne africaine.
2.      En second lieu, l’ethnocentrisme. De nombreux mouvements tendent à définir leur identité selon un sens exclusif comme le « nouvel Israel », « les élus de Dieu », « les sauvés du Seigneur ». L’adhésion est généralement limitée au groupe ethnique (ethnocentrique).
3.      En troisième lieu, les tendances pentecôtistes du millénaire. L’attente d’un nouvel ordre social, d’un nouveau paradis, être aimé des mouvement, en constituent les éléments forts.
4.      En quatrième lieu, pour les derniers mouvements, la guérison signifie la restauration du pouvoir d’achat par expulsion des forces du mal autant que du mal lui-même.
Parmi tous les grands prophètes de ces mouvements, il y a deux grandes figures  dont les actions ont eu un impact important et durable sur le christianisme africain. La première figure est celle de William Wade Harris, de nationalité libérienne. Il est connu pour sa grande campagne d’évangélisation de 1913 à 1915 sur le littoral de la Côte d’Ivoire actuelle. La deuxième figure est celle de Simon Kimbangu, de nationalité congolaise. Pendant six mois, durant l’année 1921, ses prédications accompagnées de miracles ont secoué toutes les couches sociales du Congo Belge et ont changé le visage du christianisme de son pays. Ces deux grandes figures, notons-le, sont bien différentes l’une de l’autre par leur ministère et leur personnalité. Mais elles ont, chacune à sa manière, marqué l’histoire du protestantisme en Afrique Francophone.

                                                       2.3.1.  Le Harrisme

Le prophète Harris se présente dans ses prédications comme celui qui inaugure une nouvelle vie pour le peuple africain ; une vie comparable à celle des blancs. Le colonisateur est en effet perçu par l’Africain de façon ambivalente. Il est à la fois redoutable et séduisant. Il est l’homme du mal et du bien, celui qui est critiqué et admiré. L’homme blanc est sans aucun doute un mystère. Il est un mystère qui attire, fascine, interroge. D’où lui vient sa force ? Quel est le secret de son pouvoir ? Comment, en somme, percer le secret de l’homme blanc ?
Pour le prophète Harris, l’homme blanc est fort parce qu’il a bénéficié de la force de Jésus. Mais Jésus n’est pas venu en Afrique. Dieu l’a envoyé aux Blancs parce que Jésus était lui-même Blanc. Ainsi, de même que Dieu a envoyé Jésus aux Blancs, de même il a envoyé Harris aux Africains. Harris est donc une chance pour les Africains. Reconnaître le prophète Harris et écouter sa parole, c’est ouvrir la voie de la prospérité et d’une vie semblable à celle des blancs. « Dans sept ans, les Noirs seront comme les Blancs » dira le prophète Harris. La prospérité de la région côtière sera ainsi  vue comme un signe de l’efficacité de lz mission d’Harris. Mais pour espérer avoir part à la vie des Blancs, il faut d’abord se convertir. Harris appelle ainsi la population toute entière  à la conversion qui passe par la lutte contre la sorcellerie et la destruction systématique des fétiches pour servir et adorer le Dieu unique et vrai.  Ainsi, il propose le baptême. Le baptême est l’instrument de la lutte contre les fétiches et la sorcellerie. Il est généralement précédé d’une exhortation à la conversion et un appel à jeter les fétiches.  
En fait, c’est longtemps après la mort du prophète Harris, le 23 Avril et avec l’institutionnalisation du mouvement harriste que l’enseignement du prophète se structure pour devenir une véritable doctrine, avec l’édition, en 1956, d’un catéchisme. Il s’agissait de fixer l’enseignement du prophète ainsi que l’organisation de la vie de la nouvelle Eglise. Cet enseignement doctrinal est résumé dans les dix commandements de la foi Harriste (cf.).
Harris a posé en somme des jalons qui seront repris, augmentés et commentés par l’Eglise harriste et toutes Eglises néo-harristes.

                                                                  2.3.2. Le Kimbanguisme
L’Eglise kimbanguiste fut fondée par Simon Kibangu au Congo démocratique (dont le nom officiel est " l’Eglise de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu")[9]. Cette Eglise est issue de la British Missionary Society, l’une des toutes premières sociétés missionnaires protestantes des temps modernes qui sont venues au Congo belge.
C’est pour servir en tant que catéchiste qu’il reçoit l’appel de Dieu en 1918. « Mon peuple est infidèle, je t’ai choisi pour être mon témoin et pour le diriger sur le chemin de la vérité et du salut », lui dit Dieu. Kimbangu résiste à cet appel jusqu’au 6 avril 1921, date où il guérit une femme du nom de Nkiantondo à Nkamba, son village natal. Cette femme témoigne de sa guérison et l’interprète comme la délivrance d’une malédiction. La nouvelle fait le tour du Congo. Des foules nombreuses viennent de toutes parts pour rencontrer le prophète. Des hommes et des femmes laissent leur travail pendant plusieurs jours pour venir écouter sa prédication et assister aux miracles qu’il opère. Des malades sont en effet guéris. De nombreux témoignages se répandent alors : « Le Saint-Esprit est descendu sur Simon Kimbangu », disent certains. Pour d’autres, le Christ est apparu à travers Kimbangu.

 Le Christ délivre du péché et de Satan. Il délivre des maladies et des souffrances. Le prophète dénonce le fétichisme, l’idolâtrie sous ses diverses formes, les immoralités et la polygamie. Le salut qu’il prêche est pour tout l’homme, corps et âme. Simon Kimbangu se fait des adversaires et des ennemis qui le critiquent et l’attaquent avec acharnement. Les autorités belges apparaissent comme les plus virulentes. Elles s’inquiètent de l’impact que ce prophète a sur les populations. L’Église catholique, de son côté, manifeste un profond désaccord sur ses activités. Les missionnaires protestants ne parviennent pas à comprendre son ministère. Ils ne sont pas disposés à le soutenir moralement et encore moins spirituellement. Le 3 octobre 1921, Simon Kimbangu est condamné à mort par un tribunal militaire. Cette condamnation sera commuée plus tard en détention à perpétuité. Désormais, le prophète n’aura plus de contact avec le peuple de Dieu. Il communiquera avec l’extérieur par l’intermédiaire de ses fils et s’éteindra en prison le 12 octobre 1951. Ainsi, il aura vécu 30 ans en prison et suite à 6 mois d’activités prophétiques. L’Église de Jésus-Christ sur terre par le Prophète Simon Kimbangu (EJCSK), créée pendant qu’il était en prison, s’est développée et est devenue l’une des plus grandes Églises indépendantes africaines13. La question est de savoir si l’EJCSK est restée fidèle à son enseignement. Force est de constater que certaines affirmations du prophète ont été mal comprises ou déformées. Par exemple, certains des membres de l’Église croient que Kimbangu est lui-même le Saint-Esprit. Ayant été mis en prison après seulement 6 mois de ministère, le prophète n’avait pas eu le temps d’enseigner ses disciples de vive voix. La doctrine de tendance baptiste qu’il avait reçue était bien différente de la doctrine de l’Église qui porte son nom. Cependant, son impact sur le protestantisme congolais d’aujourd’hui n’est plus à démontrer.
Sur un certain nombre de  points importants, ces églises interpellent vigoureusement les Eglises missionnaires d’Afrique, du simple fait qu’elles n’ont cessé d’attirer les chrétiens catholiques et protestants déçus ou défaits par un christianisme ayant pris des formes aliénantes. Elles ont particulièrement une volonté d’africanisation se manifestant par un messianisme attribué au fondateur vénéré comme un envoyé de Dieu, investi de la mission d’apporter le salut aux noirs dans un contexte historique précis[10]. Ces églises surgies du génie africain, même si elles recèlent encore des ambiguïtés et des limites, ont su répondre partiellement aux aspirations profondes de l’Africain en adoptant un certain nombre de mythes, de croyances et d’attitudes venus aussi des religions traditionnelles. Dans ce contexte, quelques courants dans ces Eglises indépendantes sont au service de la libération humaine. Les courants de libération sont signalés comme :
1.      Libération culturelle
2.      Libération religieuse
3.      Libération structurelle
4.      Libération psycho-spirituelle
Mais, il faut noter aussi parmi ces Eglises indépendantes quelques écueils les plus subtils comme le biblicisme, l’extrême spiritualisation de la vie humaine, l’etnocentrisme et l’extrême dépendance du miraculeux.

3. Quelques grandes figures contemporaines  de la Théologie Africaine francophone

Après une brève présentation historique et thématique de la théologie africaine francophone, je vais consacrer le reste de mon intervention à trois figures de cette théologie : Meirad P. Hebga, Jean-Marc ELA et Bénézet Bujo.

      3.1.  Meinrad P.Hebga : La théologie de  « Jésus le thérapeute »

Dans une Afrique marquée par la souffrance, la maladie est un important lieu théologique et pastoral. Dans ce contexte, on comprend l’engouement général pour tous les groupes guérisseurs, chrétiens ou non. Hebga ne parle seulement en théoricien, il est expérimenté dans le ministère des malades et de la délivrance. Sa pastorale s’appuie sur une théologie de la guérison et de la maladie sous toutes ses formes, sur les sciences psycho-médicales, sur une recherche du sens et de l’expérience de la maladie dans la société, qui intègre la croyance en la sorcellerie.
Pour lui, nier de manière globale et catégorique le fait de la sorcellerie, relève de l’irresponsabilité voire de l’hypocrisie. Ne pas en tenir compte, c’est livrer les gens aux charlatans, féticheurs et sectes de toutes sortes. La solution, c’est la prière de délivrance. Par elle, les victimes se placent sous la protection de Jésus-Christ plus puissant que Satan et ses adeptes, les sorciers et les magiciens africains ou occidentaux. Il ne suffit pas seulement de s’attaquer aux causes externes de la maladie, il faut, selon la perspective africaine et afin de pouvoir la combattre, considérer le phénomène de la sorcellerie comme une réalité.
Ainsi, pour ce théologien, les prêtres et pasteurs devraient reprendre ce ministère de foi, d’amour et de puissance légué par le Seigneur. Dieu guérit toujours lorsqu’on  l’implore. Il guérit physiquement ou intérieurement, ou les deux, il guérit celui pour qui l’on prie ou quelqu’un d’autre, selon le mystère de son Amour[11].

   3.2. Jean-Marc ELA : La théologie du « Jésus le libérateur »

La contribution de J.M. ELA en théologie africaine francophone si substantielle et si importante que c’est souvent lui seul qui sera mentionné comme père de la théologie qui prône le « Jésus libérateur ». Pour Ela, la question de la libération est fondamentale dans la foi véritable au Dieu de Jésus-Christ. Cette libération se fait par un auto-développement socio-économique qui exige une vraie conversion à l’Evangile afin que l’homme retrouve sa dignité d’homme. Pour être effectif, ce développement doit passer par une désacralisation des réalités terrestres. Rien en dehors de lui-même ne doit être déifié y compris césar, c’est-à-dire le pouvoir politique de notre monde. « La foi remet Dieu à sa place et évacue tout ce qui n’est pas lui ». C’est à partir que, à la suite des Prophètes de l’Ancien Testament, il sera possible de dénoncer toute injustice et oppression du pauvre comme acte incompatible avec le culte rendu à Dieu. Ce faisant, Ela considère que parler pour les pauvres et les opprimés n’implique pas nécessairement de passer par la voie hiérarchique mais que tout baptisé a le droit d’être la voix des sans voix. 

      3.3.Bénézet Bujo : La Théologie de « Jésus le proto-ancêtre »

Bujo part d’une question simple, dans cette Afrique qui embrasse la postmodernité avec ses aléas à savoir le pluralisme et le relativisme, l’une des questions essentielles est celle de savoir : Qui est Jésus pour nous aujourd’hui dans ce monde pluriel? Y a-t-il une voie ou plusieurs voies du salut ? En effet, la question du salut unique en Jésus Christ est devenu un sujet de débat dans la théologie africaine, dans les années 60 et au début des années 70. Parmi les théologiens africains, le débat fut animé par BOLAJI IDOWU, John MBITI dans le souci d’indigéniser le Christianisme, et bien d’autres. Tandis que BYANG KATO et TOKUNBOH ADEYEMO, réfléchissent autour du thème de la Religion traditionnelle Africaine et le Christianisme, et donnent la primauté à la révélation biblique, qui est supraculturelle, mais n’ignorent pas pour autant la nécessité de communiquer l’évangile au coeur de l’Afrique.
Le débat est encore au coeur de discussion au sein des penseurs africains. Bien évidemment, aujourd’hui l’esprit de l’homme africain reste marqué par la peur des ancêtres méchants, des sorciers du clan, d’où l’obligation de vénérer des ancêtres pour les apaiser, et la superstition parmi les christianisés d’Afrique même dans les grandes villes. L’Afrique partage en commun, cette réalité historique, sociale, religieuse, géographique, et alimentaire. Nous sommes conscients de mutation et transformation qui change l’Afrique traditionnelle, des conditions pour le maintien d’une culture qui ne sont pas réunies telles que la langue, les agglomérations traditionnelles en village, suite à l’urbanisation et les phénomènes de la mondialisation mais nous restons encore  quelque part attaché à nos racines. S’agit-il d’un culte des ancêtres ou d’une simple vénération dans la Religion Traditionnelle Africaine ?. BUJO pense que c’est aussi une manière de rendre culte à nos ancêtres,  lorsqu’il affirme que : «Dans le culte ancestral, il n’y a pas un temps fixe pour adorer Dieu, l’individu n’a pas besoin de réunir les autres, avec lui pour vénérer les ancêtres. C’est dans le vécu quotidien que la personne vénère les ancêtres [à travers les gestes, les paroles et les éloges faits à ces ancêtres.] C’est, en se souvenant des ancêtres, et en les vénérant, que l’on peut jouir de la vie dans sa plénitude.». BUJO mélange ainsi la vénération de l’ancêtre et celle de Christ proto-ancêtre.

4.      La Théologie africaine comme théologie en situation  

Nous pensons que la théologie africaine doit être comprise dans le contexte de la vie et de la culture africaine et de l’effort créateur des peuples d’Afrique pour constituer un nouvel avenir différent du passé colonial et du présent néo-colonial. La situation africaine requiert une nouvelle méthodologie différente des méthodologies dominantes de l’occident. La théologie africaine doit rejeter dès lors, les idées préfabriquées de la théologie venant de l’extérieur en se définissant elle-même en relation aux luttes du peuple dans sa résistance aux structures de domination. Ainsi, les problèmes de contextualisation, d’inculturation, de reconstruction, de renaissance et de féminisme sont de vrais défis lancés à la théologie africaine et qu’on ne saurait sous aucun pretexte. En effet, la tâche du théologien africain est aujourd’hui de créer une théologie qui vient du peuple africain et qui soit comptable devant lui. Ainsi, la théologie qui découle de cet engagement doit avoir trois caractéristiques.

1. Une théologie africaine ne peut prétendre être une théologie de la vie et de la culture africaine que si elle correspond au contexte dans lequel le peuple vit. Au théâtre aussi, comme dans les contes et la poésie, les Africains mettent en évidence l’importance d’une production théologique en situation. Le thème de la mise en situation de la théologie est manifestement la libération de notre peuple d’une espèce de captivité culturelle et de l’assaut de nouveaux défis.

 2 Comme l’oppression n’est pas seulement dans la culture mais aussi dans les structures politiques et économiques et dans les mass média dominantes, la théologie africaine doit être aussi une théologie de la libération. En mettant l’accent sur les autres théologies du tiers monde. Comme la théologie noire en Amérique du Nord, nous ne pouvons ignorer le racisme, cette distorsion entre les personnes humaines. Comme les théologie d’Amérique latine et d’Asie, nous avons à être libérés de l’exploitation  socio-économique. Une forme analogue mais différente d’oppression se rencontre souvent aussi dans les rôles marginaux réservés aux femmes dans les Eglises. Il y aussi oppression dans l’exploitation du peuple par les institutions nationales et multinationales. Dans tous ces cas de captivités, nous avons à nous libérer.
     
3. Nous sommes contre toutes oppressions parce que l’Evangile de Jésus-Christ exige notre participation à la lutte pour libérer les gens de toute forme de déshumanisation. Dès lors la théologie africaine doit s’intéresser à mettre en œuvre nos richesses, nos matières premières théologiques qui se trouvent sur notre sol africain. Nous n’irons pas ailleurs pour les chercher. Car, ce qui est pour l’Afrique un défi théologique majeur ne l’est pas pour l’Occident. 

Au final, l’enracinement de notre foi chrétienne, la maturité de nos Églises et l’immersion dans les réalités africaine dépendront du sérieux avec lequel nous aborderons les questions théologiques de notre continent. En réalité, ces grandes figures de la théologie africaine pré-citées  n’ont fait que déblayer le terrain jusqu’à présent. La vraie tâche théologique commence aujourd'hui et nous devons nous y mettre sans hésitations. Pour cela, la théologie africaine ne doit plus qu'être une affaire réservée aux théologiens africains, elle ne doit pas, non plus, être dissociée de la communauté. Il est temps que les théologiens africains sortent de leur dogmatisme à théories afin d'aller à la rencontre du vrai vécu de l'homme africain.



Prof.  Jimi ZACKA

Exégète, Anthropologue, Chercheur



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[2] Cf.  Benezet , p83
[3] Ce colloque s’est donné comme perspectives d’avenir en somme l’engagement pour la libération du peuple en souffrance à travers une théologie ayant comme caractéristiques : une théologie en situation, une théologie libération et une théologie de lutte contre le sexisme. Cf. K. Appiah et al, Libération ou adaptation ? La Théologie africaine s’interroge. Le colloque d’Accra. Paris : L’harmattan, 1977, p. 230-232.
[4] La tendance « libérationiste » est dominée par Jean-Marc Ela. Cette tendance tente de replacer l’Eglise au coeur des questions sociopolitiques. Pour J.M. Ela, Le cri de l’homme africain. Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris : L’harmattan, 1980, p.150, 153., la mission de la théologie, dans ce contexte, « n’est autre chose qu’une réflexion à partir de l’expérience vécue…La théologie est un travail de déchiffrage du sens de la Révélation dans le contexte historique où nous prenons conscience de nous-mêmes et de notre situation dans le monde ».   
[5] La tendance « culturaliste » est prônée par E. Mveng qui part du principe que toute théologie est contextuelle. Ainsi, la libération, telle qu’elle est envisagée en Amérique Latine, n’a rien à voir avec la réalité africaine. L’africain, dépouillé de son âme, apparaît, dans son contexte, comme un « non-être ». Autrement dit, « l’africain est pauvre parce qu’il n’est pas et non pas parce qu’il n’a pas. Alors que la pauvreté dont il est question en Amérique latine est matérielle, celle qu’on vit en Afrique est, d’abord et surtout anthropologique ». Lire E.Mveng, « Eglises et solidarité pour les pauvres en Afrique : la paupérisation anthropologique », dans

jeudi 8 janvier 2015

FONCTIONS ET DEFIS DU PASTEUR DANS L'AFRIQUE CONTEMPORAINE

(Exégèse, Anthropologie, Théologie pastorale)

 (190 p.)

RESUME DU LIVRE



Pr Jimi ZACKA 
   Théologien, Anthropologue, Auteur