jeudi 7 janvier 2016

LES QUALITES D'UN DIRIGEANT CHRETIEN, A L'EXEMPLE DE L’APÔTRE PIERRE



On le surnommait Céphas, Petros, en grec roc ou pierre. Fût-ce à cause de son tempérament assez impulsif, son caractère fonceur, sa tendance à diriger les autres, sa capacité de créer une entreprise? Entrepreneur, il l'était. Jusqu'à ce ce que son frère et compagnon professionnel André l'ait mis en contact avec un certain Jésus de Nazareth.
C’est alors que commença un processus de transformation profonde. La pierre brute qu’était Simon, se faisait tailler sous l’influence du Maître et sous les coups parfois durs de son enseignement. Au fil des années, il est devenu un entrepreneur d’un autre style dans le Royaume de Dieu, une pierre taillée pour un ministère qui a fait de lui l’un des pères fondateurs de l’Église.
Nous les pasteurs, nous avons l’habitude de le montrer en exemple aux fidèles dans nos Églises - oh combien de messages lui sont-ils consacrés! Dans cet article, je vous invite à vous placer vous-mêmes devant ce personnage, comme devant un miroir. Apprenons de lui quelques qualités requises pour ceux et celles qui exercent un ministère de direction dans l’œuvre de Dieu. Quand je réfléchis, moi, à son parcours, à son ministère, et surtout au développement de son caractère, je vois six qualités se profiler.
1. Oser l’inconnu et prendre des risques, dans la foi

Matthieu nous relate, au chapitre 14 de son évangile, une expérience vraiment extraordinaire qui en dit long sur la première qualité de Pierre: il était toujours prêt à oser l’inconnu, quelque chose de nouveau, et à prendre des risques, dans la foi.
La scène nous flanque la frousse. Une tempête féroce s’est abattue sur le lac de Tibériade, et ceux qui connaissent ce phénomène particulier à cet endroit, savent à quel point il peut effrayer même les pêcheurs les plus expérimentés. Quelques disciples se trouvent dans un bateau, ballotté sur les vagues. Soudain, ils voient un homme s’approcher, marchant sur les eaux déchaînées. Certains pensent que c’est un fantôme, mais quand ce personnage élève sa voix: «faites confiance, je suis, n’ayez pas peur» Pierre n’a plus aucun doute: c’est le Maître. Et il le dit, ouvertement.
C’est déjà audacieux de confesser sa foi dans une telle situation de visibilité réduite et d’anxiété totale, mais il va plus loin encore.
Je ne sais pas ce que vous auriez fait, mais moi, j’aurais attendu jusqu’à ce que Jésus vienne dans mon bateau. C’est très évangélique ça : accueillir Jésus comme Sauveur et Seigneur. Lui ouvrir la porte. Sans pour autant quitter les lieux. Comme ça on ne risque pas grand-chose.
Pour Pierre, cela ne suffit pas. Lui s’écrie: «Comme c’est toi, Seigneur, ordonne-moi de venir à toi».
Beaucoup de traductions portent: «si c’est toi, Seigneur…» Autrement dit, Pierre n’est pas sûr. Ou pas encore. Est-ce que c’est vraiment le Seigneur capable de maîtriser la situation effrayante? Qu’il me permette alors de marcher avec lui sur les eaux. Ce qu’il demande serait une preuve, une vérification de ce qu’il suppose.
Or, la phrase en grec (e sù eí) peut aussi bien vouloir dire: «comme c’est toi». Du point de vue grammatical, cette traduction est préférable(1). Elle donne un sens tout autre. La demande de Pierre n’émane pas d’un doute, mais d’une certitude. Ce qu’il demande n’a pas pour objectif de vérifier si c’est vraiment le Seigneur, quitte à constater le contraire, mais de vivre ce que Jésus est en train de vivre à ce moment précis. Marcher comme Jésus marche. Partager la dynamique du Royaume de Dieu qui se déploie devant lui.
Bien sûr, ce qu’il demande est inédit. Les hommes ne marchent pas sur les eaux, surtout pas lors d’une tempête. (Ils ne sont pas créés pour cela, ajouteront les théologiens). Or, Jésus le fait. Avec Jésus, c’est possible pour moi aussi, se dit Pierre. Faisant confiance, surmontant sa peur, il ose quelque chose de nouveau, dans la foi.
En plus, il est prêt à prendre des risques. Et les risques, il y en avait. Une fois sorti de la barque, il n’était plus sûr de rien. Tout pouvait lui arriver. Il pouvait se noyer. Malgré cela, il a osé, quitte à vivre un échec, et être la risée de la bande de disciples.
Si Pierre avait demandé conseil aux autres dans la barque, je ne suis pas du tout sûr qu’il eût entendu : «oui, vas-y». Et sûrement pas : « bonne idée, on y va avec toi ». En général, les gens ont peur de l’inconnu. Ils ne sortent pas de la zone de sécurité. Faut voir d’abord si ça marche pour Pierre. Et puis, le miracle demandé par Pierre ne semble pas servir à grand-chose. « Faut pas tenter Dieu, mon frère ».

On le fait pour les autres
Voilà une qualité essentielle d’un vrai leader. Oser l’inconnu. Imaginer quelque chose de nouveau et oser l’entreprendre. Aller au-delà des chemins battus. Sortir des ornières. Actionner la foi en Dieu contre vents et marées. Tester de nouvelles possibilités. Battre en brèche les murs qui s’appellent «on a toujours fait comme ça».
Si certains disposent de cette qualité déjà dans une certaine mesure en talent naturel, comme Pierre par exemple, d’autres se l’approprient plutôt par apprentissage et expérience. Dans tous les cas, elle se développe. Chez Pierre comme chez nous, elle doit également être sanctifiée. Mise au service du Seigneur, purifiée d’orgueil et d’irresponsabilité.
Cette qualité, elle est importante, voire décisive. Pourquoi? Parce qu’un dirigeant n'œuvre pas pour lui-même, voilà ce qui le distingue d’un aventurier, et d’un égocentriste assoiffé d’acclamations. Il agit pour les autres, confiés à sa charge. Il cherche l’intérêt de la communauté, le troupeau qui a besoin de pâturage. C’est un travail vraiment pastoral. En conduisant les autres, il suivra, non pas automatiquement des modèles de management dernier cri, sortis de la volonté charnelle des hommes, mais avant tout le Seigneur, berger et batteur en brèche par excellence (cf. Mi 2.12-13).
Rappelons notre appel
Quand nous avons décidé de servir le Seigneur, d’être pasteur ou missionnaire, nous avons pris beaucoup de risques. Dans le ministère, rien n’est gagné. On paye un prix, on fait des sacrifices, renonce à une carrière. On s’expose aux moqueries des athées, à l’incompréhension totale de la société, aux plaintes récurrentes des fidèles, et à l’insécurité financière. On risque d’être envoyé dans les endroits dangereux, dans des Églises difficiles. Sans parler de la persécution qui est une réalité douloureuse pour beaucoup de nos «collègues» dans le monde.
C’est vrai, le pire peut arriver aux serviteurs de Dieu. Mais comme Jésus est là, on peut y aller. Et on y va, effectivement, dès que Jésus l’ordonne.
On connaît la prudence des blessés, les hésitations des gens en échec, le scepticisme des désabusés, la mélancolie de ceux qui pensent avoir tout vu, les préjugés des gardiens de la tradition. Ils peuvent être de très mauvais conseillers.
Bien sûr, être téméraire n’est pas un prétexte pour agir comme un aveugle débridé qui ne poursuit que ses propres ambitions.
N’empêche qu’un dirigeant dans l’œuvre de Dieu est invité à tracer un chemin de foi. La foi qui déplace les montagnes. Qui vise l’invisible. Qui imagine le règne de Dieu dans des situations où il semble être totalement absent. Qui agit là où même les sages baissent les bras.
Ce n’est pas toujours évident pour un dirigeant. Je vous souhaite toutes les périodes tranquilles possibles, et le Seigneur nous en accorde, fort heureusement. Mais la tentation est là d’opter définitivement pour un fonctionnement moins hasardeux, plus sécurisé. Nous la connaissons tous.
Rappelons notre appel : qu’avons-nous fait en prenant l’engagement d’un ministère pastoral, missionnaire ou autre sinon d’oser l’inconnu, dans la foi? Nous étions persuadés que, quelle que soit la situation qui nous attend, le Seigneur est déjà là, marchant sur les eaux sans se noyer, maître de la situation. En dépit des risques, et sans calculer les effets collatéraux.
Dans un autre lieu
Ne perdons pas cette qualité. Cultivons-la. Nous en avons besoin tout au long de notre vie, comme le montre le parcours de Pierre.
Lui a continué à oser l’inédit. Franchir des frontières. Élargir le champ d’action de l’Évangile.
En Actes 12, par exemple. À peine libéré de son emprisonnement, Pierre «s’en alla dans un autre lieu» écrit Luc, sèchement (v.17). À première vue, le récit de Luc donne l’impression que l’apôtre s’éclipse discrètement de la scène de Jérusalem, et qu’il ne joue plus un rôle important dans le développement de l’église, sauf encore une fois, lors du concile de Jérusalem (Ac 15).
Désormais, Luc passe de Pierre et la mission auprès des Juifs, à Paul et la mission auprès des nations, disent les exégètes. Mais moi, je m’intéresse à Pierre.
Il a quitté l’Église de Jérusalem. Cela devait être une décision difficile à prendre. Pendant des années, Pierre a exercé un ministère extrêmement fructueux. Soudainement, un coup de tête, Hérode va assassiner l’apôtre Jacques et emprisonner Pierre. Après sa libération miraculeuse, il décide de ne pas rester. Peut-être que les anciens lui ont conseillé de se cacher tant que le roi Hérode le faisait chercher. Après quoi, il pourrait reprendre son ministère. La persécution s’annonçait de courte durée. En plus, Pierre et les autres dirigeants avaient déjà fait face à des situations difficiles. Et puis, l’Église avait encore besoin de lui. Que deviendrait-elle sans lui ? Les possibilités d’évangélisation autour de Jérusalem commençaient à s’ouvrir. Bref, il y avait encore énormément à faire.
Souvent, des pasteurs et des missionnaires, une fois dépassé un certain âge (au lecteur de constater lequel à peu près), s’accrochent à l’œuvre qu’ils ont créée, ou aidée à développer. On a tendance à poser ses bagages et de rester, même si le travail est devenu dur, rébarbatif, pour ne pas dire épuisant. À une nouvelle perspective qui s’ouvrirait si on levait à nouveau l’ancre pour prendre le large, on préfère tourner en rond. Certes, la fidélité et la persévérance sont en soi de bonnes qualités qui sont tout à fait à l’honneur d’un dirigeant. Mais elles perdent leur sens, à mon avis, quand elles deviennent des prétextes pour accepter, selon les cas, le calme plat ou la guerre de tranchées - «je ne quitte pas mon poste, advienne que pourra». Là, on commence à se sentir indispensable, du moins sur le moment. Et en plus : que faire d’autre? On n’a pas nourri l’esprit entrepreneur, on est devenu craintif face à l’inconnu, et des effets collatéraux.
C’est l’âge, dit-on.
On pense ne plus pouvoir apprendre une autre langue. Ne plus pouvoir s’adapter à une autre culture.
Eh bien, Pierre, quadragénaire, presque quinquagénaire, a osé tout cela. Il n’a pas attendu jusqu’à ce que la situation se calme pour faire sa réapparition et reprendre son ministère tant béni. Non, il a laissé tout derrière lui pour «s’en aller dans un certain lieu».
Comprenne qui pourra; cette phrase sort directement d’Ézéchiel 12.1-3, où Dieu donne l’ordre au prophète de partir de Jérusalem avec un «équipement de déporté» vers «un autre lieu», à savoir Babylone. En effet, un peu plus tard, Pierre va envoyer une lettre depuis «Babylone»(2). Selon certains, ce nom signifie effectivement la ville de Babylone, d’autres pensent qu’il fait allusion à Rome. Quoi qu’il en soit, Pierre se lance dans une nouvelle aventure, si je puis m’exprimer ainsi. Il entame des voyages missionnaires. Il va servir différentes églises, où il n’a pas de réputation ni de statut, notamment celle de Corinthe(3), celle d’Antioche - pendant sept ans, selon les sources anciennes - et d’autres encore. Finalement, il va arriver à Rome pour y servir l’Église. En 67, il est crucifié, comme le Seigneur l’avait déjà prédit juste après la résurrection, au bord du lac de Tibériade: «Quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te l’attachera et te mènera où tu ne voudras pas», ce qui fut compris comme étant un indice « de quelle mort Pierre glorifierait Dieu» (Jn 21.18-19)(4).
Survivants de risques
Pour conduire les autres, un dirigeant doit être en mouvement lui-même, prenant fait et cause pour le Seigneur. Oser le chemin risqué, pour le bien d’autrui. À ce propos, j’aimerais citer Klaus Müller, missionnaire allemand et professeur en missiologie à la faculté de Louvain. Il écrit ceci :
«Dans la mission, il ne s’agit pas tellement d’hommes très forts qui accomplissent beaucoup, mais plutôt de ce que l’on garde les yeux fixés sur les objectifs de Dieu, et de ce que l’on se laisse motiver par l’amour du Seigneur Jésus Christ et par l’amour pour un monde pas encore réconcilié avec Dieu, et de prendre les risques de la foi. Même ceux qui doutent, sont impliqués dans l’œuvre de Dieu… La plupart des personnes dont on écrit des biographies, sont des survivants des risques…Ce ne sont pas seulement les jeunes, d’ailleurs, qui doivent exercer la foi et qui doivent faire face à leurs limites. Les vieux doivent également s’entraîner dans le domaine de la foi. Là, il n’y a pas d’intérêt à tirer d’un passé…Pauvre foi, qui ne veut plus tester ce que Dieu veut encore accomplir par elle»(5).
Oser dans la foi n’est pas une garantie pour la réussite. Il y aura des blessures, voire des échecs. Bien souvent, on perd confiance, de peur que l’on se heurte à nouveau à la même pierre, et on a du mal à motiver les autres. Je cite à nouveau Klaus Müller :
«C’est risqué de conseiller aux jeunes de prendre des risques, quand on a échoué. Mais si l’on a échoué, cela ne veut pas dire que les autres ne devraient plus rien oser. Seulement celui qui est ressuscité des cendres des risques de sa foi et qui constate que Dieu est vivant, et que la promesse de sa présence s’applique encore, est capable d’encourager les autres d’oser, eux aussi, quelque chose de nouveau»(6).
2. Se laisser «tailler» aux travers des aléas de son ministère

Cet épisode, justement, nous montre une deuxième qualité d’un dirigeant. Pierre était prêt à se laisser « tailler » aux travers des aléas de son ministère.
Est-ce que Pierre avait un caractère qui le prédisposait, de façon naturelle à devenir un apôtre fondateur de l’Église ? Dans la littérature sur le « leadership », thème "tendance" dans le monde évangélique aujourd’hui, on affirme souvent qu’il faut avoir un certain profil pour devenir un « leader », que l’on développera par la suite. Sinon, on ne réussira jamais, donc ce n’est même pas la peine de se laisser former à cela(7).
Certes, les uns y sont plus aptes que les autres, de par leur personnalité. Mais je ne crois pas au prédéterminisme en la matière. Regardez par exemple Pierre. S’il avait des traits de caractère requis pour être un dirigeant, il avait également pas mal de défauts qui le disqualifiaient. Il avait besoin d’être taillé, et d’apprendre. Et c’est cela que son Maître a fait, tout au long de sa vie.
Idem pour nous. Nul n’est déjà apte au ministère de dirigeant de par ses seuls dons naturels, aussi impressionnants soient-ils. En revanche, personne n’est condamné à rester sur la touche à cause de ses défauts ou ses péchés, aussi nombreux soient-ils. Ce qui importe, c'est de se laisser tailler au travers des aléas de son ministère.
Facteur salutaire
Dans son étude sur la vie des apôtres, William McBirnie décrit le caractère de Pierre comme suit:
«Pierre était une combinaison rare de courage et de lâcheté, de grande force et d’instabilité regrettable. Aucun des disciples ne fut si souvent réprimandé par notre Seigneur comme Pierre, aucun des disciples n’a jamais osé réprimander notre Seigneur comme Pierre. Et pourtant, au fur et à mesure d’être sous l’influence de l’exemple et la formation du Christ, le caractère ouvertement tempétueux fut mis sous contrôle, jusqu’à ce que, finalement, après la Pentecôte, il devienne la personnification de la fidélité au Christ»(8).
Et d’ajouter un constat de la plus haute importance :
«Il y avait un facteur salutaire dans le caractère de Pierre, c’était d’être extrêmement sensible au péché»(9).
Dans la nuit pascale, Pierre a échoué. Si Judas a trahi son Maître, Pierre l’a maudit. Normalement, de telles fautes graves signifient la fin d’un ministère.
Il en est de même pour nous. Soit on tombe dans le péché. Soit on accumule les erreurs et les maladresses. Soit on se met toute la communauté à dos par un comportement autoritaire. Ou bien, tout simplement, on n’arrive plus à rester fidèle au Seigneur. Nul n’est à l’abri de ces choses-là. Elles amènent des échecs, parfois même ce que l’on appelle « la mort du ministère ».
Est-ce la fin de l’exercice? Pas forcément. Cela dépend de nous. De ce que nous reconnaissions le péché et que nous laissions le Seigneur travailler les sources du problème, dans le plus profond de notre cœur.
Pierre avait cette qualité. C’est ce qui a «sauvé» son ministère.
Pendant cette nuit pascale où il tomba si bas, Jésus l’a regardé, et Pierre n’a pas fui son regard. Il ne s’est pas durci, il n’a pas rejeté la faute sur les autres, les circonstances, son éducation, sa jeunesse. Pas de facteurs atténuants. Non, il a assumé. Et il a pleuré des larmes de remords. Il a pleuré amèrement.
Cette nuit là, Jésus a vu la sincérité de son cœur, entendu le cri de quelqu’un qui avait tout perdu. Et il l’a réhabilité en lui posant l’unique question qui importe quand on vit la mort de son ministère: «Simon, m'aimes tu?» Dans ces quelques mots, tout est dit.
Mais attention. Si Pierre fut réhabilité, il n’a pas tout simplement repris son ministère. Désormais, il servait le Seigneur autrement. Plus humblement.
Si un dirigeant n’arrive pas à avouer ses méfaits ni à en assumer les conséquences, si la repentance lui est trop difficile, trop humiliante, comment saura-t-il conduire les autres dans ces domaines-là?
3. Savoir changer d’opinion

Quand on dirige une Église ou une œuvre, on s’expose à des critiques. Quelqu’un à qui cela fait peur, ferait mieux de chercher un autre métier pour glorifier Dieu. Parfois, les critiques sont fondées, ce qui arrive d’ailleurs plus souvent que l’on ne pense. C’est là où l’on doit avoir la largesse de se mettre en question, de demander pardon si nécessaire. Je viens d’en parler.
Mais parfois, les critiques ne sont pas vraiment justifiées, ce qui arrive d’ailleurs moins souvent que l’on ne croit. Alors, que faire ?
En Matthieu 16, Pierre fait une confession de foi audacieuse, mais il est tout de suite repris par Jésus quand il conteste l’idée que le Messie devrait mourir. Ce qui m’intéresse maintenant, ce ne sont pas les aspects théologiques suscités par le différend qui l’opposait au Seigneur, mais sa capacité de changer d’opinion, quoi que les autres puissent en penser. De toute évidence, il avait du mal. Ce n’est pas chose facile pour quelqu’un qui est à la tête du troupeau, et qui vient de définir la doctrine christologique de toute la communauté de disciples, de revenir sur ses propos et d’avouer: j’ai mal compris.
 Et pourtant, c’était inéluctable, et bien nécessaire.
Pierre a dû revoir sa copie. Après la résurrection, il l’a compris et il le dit ouvertement, le jour de Pentecôte: c’est selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu que le Christ fut livré et crucifié (Ac 2.23).
Attends, lorsque Pierre fut repris par le Seigneur, allez-vous me dire, il était encore en formation. C’est normal pour un étudiant en théologie de revoir des opinions mal fondées qu’il s’est faites au début de sa vie chrétienne. C’est vrai. En formation, on s’ouvre à d’autres opinions, on étudie en profondeur, on apprend à toujours apprendre. Or, cela ne doit pas s’arrêter là mais devenir une attitude pour le reste de la vie, cette ouverture d’esprit, cette humilité académique. Malheureusement, on constate trop souvent le contraire. Une fois pasteur, une fois responsable des études bibliques, on a tendance à redire ce que l’on a appris, répéter ses opinions. Et de camper sur sa position quand on est confronté à d’autres points de vue.
Ceci n’est toutefois pas une qualité qui fera de nous de bons dirigeants. Ceux qui ont du mal à revenir sur leurs opinions, deviennent inflexibles, autoritaires, difficiles à aborder. Pas difficile d’en trouver des exemples concrets.
Ainsi va la culture française. Plus on monte en grade, plus on est sûr de soi. Plus on a des responsabilités, moins on affiche ses incertitudes, ses doutes. Un patron sait ce qu’il fait et où il va, il est en tout cas censé le savoir, puisque c’est lui qui donne des ordres.
Se remettre en question et revenir sur ses opinions, dans la culture française, c’est fatal.
Mais pour un dirigeant dans l’œuvre du Seigneur, c’est vital.
Sortir de la barque
En Actes 10, nous voyons Pierre, l’apôtre accompli, le leader incontestable de l’Église de Jérusalem, celui dont l’ombre suffisait déjà pour que les malades soient guéris, ce Roc dans l’œuvre de Dieu, changer publiquement d’avis sur une question très importante à l’époque : un Juif peut-il être fidèle aux commandements de Dieu et entrer dans la maison impure d’un païen, lui serrer la main impure, et partager le repas impur avec des gens impurs?
Pierre ne l’avait jamais fait depuis le jour de Pentecôte, plusieurs années en arrière déjà. Il fallait une vision et une voix du ciel pour que l’homme qui avait marché sur les eaux, sorte de sa barque juive et se lance dans les eaux troubles de la culture païenne d’un militaire gradé romain, etc. Vous connaissez la suite de l’histoire.
Pierre a eu l’audace de le faire. Après cela, il s’est défendu face aux critiques auxquelles il pouvait s’attendre. Actes 11 est un bel exemple de ce qu’un dirigeant puisse se remettre en question et se montrer prêt à changer d’opinion. En tant que dirigeants, nous allons certainement nous trouver dans des circonstances où telle démarche s’impose, selon que le Seigneur nous montre des choses auxquelles nous n’avions pas encore pensé. Sinon, comment voulons-nous que ceux qui sont confiés à notre conduite, reviennent sur leurs erreurs à eux?
Avouer un tort, revenir sur une opinion qui s’est avérée erronée, dire que l’on ne comprend pas encore tout à fait un certain point, ce n’est pas une défaite. Pas un signe de faiblesse. C’est une qualité d’un dirigeant dans l’œuvre du Seigneur, et tout à fait à son honneur.
4. Comment gérer la diversité? Le "Non prophétique" et le "Oui pastoral"
En Galates 2, Paul décrit un moment délicat, pour ne pas dire douloureux dans l’Église d’Antioche ; la confrontation entre lui et les apôtres Pierre et Barnabé. Vous connaissez l’histoire. Dans un premier temps, Pierre mange avec les croyants non Juifs, mais quand une délégation de l’Église de Jérusalem vient voir ce qui se passe, Pierre change de compagnie, rejoignant les croyants Juifs. Alors, Paul s’indigne. Selon lui, c’est condamnable, et il le dit sans mâcher ses mots. «Tout apôtre que tu es, Pierre, tu agis comme un hypocrite qui a peur du jugement des Juifs. En plus, tu veux imposer la tradition juive aux païens».
Moi, j’ai longtemps pensé que ce fut là un moment de faiblesse de la part de Pierre. On la lui pardonne volontiers, sachant que nous sommes tous faits de la même pâte que lui.
Une autre lecture ?
Mais une lecture plus attentive au contexte culturel de cet épisode, m’a amené à voir les choses un peu différemment.
D’abord, on n’a que l’interprétation de Paul. Au moment de rédiger sa lettre aux Galates, il est persuadé que le comportement de Pierre revient à imposer un style de vie judaïque à tous les chrétiens. Et ça, c’est condamnable, effectivement. Mais était-ce vraiment l’intention de Pierre de «judaïser» les païens? Quel est le point de vue de Pierre, et de Barnabé d’ailleurs? Dans le NT, ils ne s’expliquent pas. En tout cas pas explicitement.
Deuxièmement, il faut savoir comment l’Église d'Antioche s’est développée pour comprendre ce qui s’est passé. Fondée par des réfugiés Juifs venus de la Judée, cette Église va accueillir des Juifs de la Diaspora, et plus tard aussi des non-Juifs. Aujourd’hui on dirait qu’elle était devenue multiculturelle. Elle était le champ de travail de Paul. Son enseignement avait ceci de particulier, qu’il ne demandait pas aux Gentils de suivre toutes les coutumes juives basées sur la Loi de Moïse. En revanche, les croyants Juifs pouvaient les suivre, ce qu’ils faisaient, en effet. Donc à une diversité culturelle s’est ajoutée une diversité théologique.
Probablement, les deux principaux groupes se réunissaient séparément pour manger. C’est ce que Galates 2.12 laisse penser. Peut-être dans différentes maisons. C’est à cause, justement, des règles alimentaires et de purification, observées par les croyants Juifs, ou la plupart d’entre eux, mais non pas par les autres.
Dans l’exégèse, il est coutumier de rapprocher cette situation du concile de Jérusalem dont Actes 15 nous donne le résumé. La question qui préoccupait le concile était de savoir si les Gentils dans l’Église seraient obligés ou non de pratiquer toutes les lois de Moïse dans la même mesure que les croyants Juifs. On connaît la décision. À Antioche, il y avait certainement un certain nombre de fidèles qui essayaient de «judaïser» les païens, puisque la décision du concile lui fut communiquée spécialement par missive «apostolique».
Or, la question est de savoir, si Pierre (et Barnabé) se sont rangés à cette position, eux aussi. Paul en était persuadé, en effet, d’où sa réaction véhémente. Mais il est possible qu’il y ait eu là un malheureux malentendu entre lui et Pierre. Une façon différente de gérer la diversité dans l’Église.
Regardons de plus près. Le concile n’a pas traité de la situation décrite en Galates 2.12: différents groupes dans l’Église ont leurs repas séparés. Dans l’Église d’Antioche, ils avaient le droit d’exprimer leur spécificité culturelle, aussi dans le domaine important de la communion de table. Tant qu’ils n’imposaient pas leur façon de faire aux autres, la décision d’Actes 15 ne s’appliquait pas à eux. Effectivement, d’après ce que Paul rapporte, Pierre ne semble pas avoir obligé les païens à le suivre et à rejoindre les Juifs dans l’Église. Mais Paul voyait le danger: le chemin que vous empruntez est mauvais, puisqu’il va certainement aboutir à cela.
Troisièmement, j’ai du mal à comprendre comment Pierre, qui a défendu, lors du concile, la liberté prônée par Paul, puisse vraiment «judaïser» peu avant ou peu après(10). D’autant plus que c’est lui qui était le premier à entrer dans une maison païenne, celle de Corneille, pour y communiquer l’évangile et vivre un moment de fraternité (Ac 10).
Un jour, Pierre arrive dans cette Église. Il est nouveau, tandis que Paul, lui, est l’un des «leaders». C’est lui qui exerce l’autorité, non pas Pierre. Dans un premier temps, Pierre rejoint les convertis non Juifs. Ainsi soutient-il la mission parmi les Gentils et leur inclusion dans l’Église. Mais il semble y avoir une sorte d'accord qui stipule que Pierre devrait s’occuper de l’évangélisation d’Israël et des croyants Juifs, tandis que Paul devrait s’occuper de la mission auprès des autres peuples (Ga 2.8-9). Une délégation de chez Jaques arrive. Pourquoi? Théoriquement, il est possible que les dirigeants veuillent rappeler Paul et Barnabé à l’ordre. C’est ce que l’on lit le plus souvent dans les commentaires.
Et si leur «cible» n’était pas Paul mais Pierre? C’est bien aussi possible. Moi, je suis enclin à le penser. À Jérusalem, on voyait d’un mauvais œil le comportement de Pierre à Antioche, dans la mesure où ceci pouvait être interprété comme une négligence de sa responsabilité vis-à-vis des Juifs. Comme une prise de position en faveur de la lignée théologique de Paul.
Conscient de leur pensée, Pierre quitte les repas des croyants non-Juifs pour manger désormais avec les croyants Juifs. Selon Paul, il agit par peur. Il «esquivait» les délégués.
Mais de quoi, Pierre, réputé pour son audace, pourrait-il bien avoir peur? Selon Carsten Thiede, il avait peur d’une confrontation qui entraînerait la scission de l’Église en deux Églises. Notons, au passage, que la solution protestante évangélique aux tensions suscitées par la diversité culturelle, théologique et liturgique, à savoir la création d’une variété toujours croissante de dénominations et d’Églises autonomes, n’existait pas encore à l’époque de la confrontation à Antioche. Là, il fallait à tout prix trouver pour tous un modus vivendi. Sinon, un schisme semblait inévitable.
Pour éviter un tel drame, Pierre fit un geste de conciliation. Il voulait montrer que dans une Église aussi diverse que celle d’Antioche, on peut manger avec les Juifs en respectant leurs coutumes, et avec les Gentils sans s’en tenir aux règles du cachrout. Histoire de donner aux responsables un exemple de direction flexible(11).
Aux yeux de Paul, c’est une manière de ménager la chèvre et le chou. Un compromis face aux exigences des « judaïsants », et donc une entorse à la liberté en Christ. Si Paul défend bec et ongles la position théologique prise par le conseil de Jérusalem, Pierre semble se soucier davantage des conséquences pratiques.
Pierre, lui, se trouve pris en tenaille entre deux positions. J’imagine, je sais très bien que ce n’est pas écrit explicitement, mais c’est ma lecture de ce qui nous est rapporté, que Pierre avait peur que les délégués de Jérusalem et Paul restent aussi intransigeants les uns comme les autres. Peur que les uns ne fassent qu’enfermer le courant juif dans un mode de vie strictement judaïque et de l’isoler du reste de l’Église. Et peur que Paul, lui, ne pousse trop loin le bouchon de la liberté en Christ.
Un « clash » entre deux visions de « leadership »
Si cette lecture est juste, on a affaire à un «clash» entre deux visions de «leadership». Celle du prophète et celle du berger.
Je le pense, effectivement, d’autant plus que ce n’est pas Paul qui reste et Pierre qui quitte l’Église, mais l’inverse. Paul part en mission et ne reviendra jamais, sauf pour une escale très brève («quelque temps»), quand il est en route vers Jérusalem (Ac 18.23). Je ne vais pas jusqu’à dire avec James Dunn que «finalement, c’est Pierre qui a gagné»(12), mais j’ai l’impression que l’approche de Pierre n’a pas été écartée du terrain. Bien au contraire.
Dans un premier temps, Pierre est dénoncé par Paul pour son comportement taxé trop flexible. Par la suite, ce dernier semble toutefois avoir adopté, lui-aussi une position plus conciliaire, plus flexible, plus «pastorale». Quelques années plus tard, il écrit aux Corinthiens: «bien que je sois libre à l’égard de tous, je me fais le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre. Avec les Juifs j’ai été comme Juif… avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi, et pourtant je ne suis pas moi-même sans la loi de Dieu» (1 Co 9.19-23). Il est intéressant de lire Tertullien qui évoque, justement, ce passage pour «prendre la défense de Pierre»(13).
Carsten Thiede en arrive à la conclusion que «le style de leadership de Pierre s’est avéré acceptable pour les chrétiens à Antioche. Et Paul l’a appris, lui aussi, ce qui est la marque de sa grandeur»(14).
Si ma lecture de cet épisode est juste, et si on a affaire à deux visions de leadership, j’aimerais ajouter que les approches de Paul et de Pierre ne s’excluent pas mutuellement. En tout cas, pas toujours. Le «non prophétique» est indispensable et fort nécessaire, mais le plus souvent il a besoin d’être complété par un «oui pastoral». Et inversement. Un dirigeant doit savoir prononcer les deux, et savoir quand il faut mettre l’accent sur l’un plutôt que sur l’autre.
5. Savoir apprécier le talent des autres
Une cinquième qualité que Pierre a cultivée est son appréciation des personnes talentueuses, plus compétentes que lui dans certains domaines, plus douées par le Saint-Esprit à certains égards. Souvent, un dirigeant à peur de ceux qui pourraient lui voler la vedette. De telles personnes constituent une menace à son autorité. Il a du mal à leur laisser la place dans l’Église, puisqu’il sait très bien qu’il ne peut pas les traiter comme des auxiliaires, des aides, des porteurs de ses valises.
Voilà un grand problème dans le «leadership» aujourd’hui. Sous l’ombre d’un grand chêne rien ne pousse, dit-on. Sous l’ombre d’un pasteur qui se veut grand non plus.
C’est pourquoi on voit des gens compétents quitter l’assemblée, souvent après une ou plusieurs confrontations. Ceux qui trouvent telle assemblée trop étroite, et le pasteur trop ceci et trop peu cela, vont ailleurs, rejoindre une autre Église où l’histoire risque fort de se répéter, tôt ou tard, et ainsi de suite. Ou ils créent une nouvelle Église dont ils peuvent être le chef incontesté. Ou bien, ils rejoignent une œuvre. Autre option : partir en mission. Ou encore: se concentrer sur la carrière professionnelle et se désengager de l’œuvre du Seigneur. On ne compte pas ceux qui s’immobilisent «dans la nature», après avoir été rebutés par les traditions d’une Église. C’est un véritable drame.
Pierre était un grand homme. Un véritable révérend. On lui donnerait le titre de docteur «honoris causa». Mais il ne vivait pas son statut comme quelque chose à lui. Quelque chose qu’il fallait défendre, mettre en sécurité, et affirmer à tout bout de champ. Non, son ministère était pour lui une grâce. Comment pourrait-il en être autrement, après sa déconfiture pendant la nuit pascale, et après être gracié par le Seigneur ressuscité?
Regardez comment il donne l’honneur aux autres dans ses épîtres.
Au lieu de décrire lui-même le message qu’il annonçait et l’enseignement qu’il dispensait, il l’a laissé à Marc. Sans doute parce que Marc était meilleur écrivain que lui. Par conséquent, c’est Marc l’auteur de l’évangile de Pierre(15).
Au lieu de formuler son testament spirituel lui-même, il laisse la place à Sylvain, sans doute parce qu’il avait une belle plume. C’est pourquoi, Sylvain a rédigé l’épître qui porte le nom de Pierre, et Pierre tient à le remarquer (1 P 5.12).
Et écoutez bien les paroles bienveillantes qu’il consacre à Paul, celui qui n’avait pourtant pas été très tendre avec lui dans l’Église d’Antioche. Paul l’a ouvertement traité d’hypocrite (Ga 2). De son côté, Pierre n’a pas médité la revanche. Au contraire, il a reconnu que sur le plan théologique, Paul avait une meilleure connaissance de certaines choses. Et il rend hommage à la sagesse qui a été donnée, non pas à lui-même, mais à Paul (2 P 3.15).
Un dirigeant qui se sent menacé par des collaborateurs plus compétents que lui dans certains domaines, va jouer son autorité et étouffer le potentiel. Il va finir par être entouré de médiocrité.
Un vrai dirigeant connaît ses limites et sait apprécier le capital humain dont il est entouré. Sous sa direction, les talents des autres peuvent éclore. Ceux qui ont envie de servir selon leurs qualités seront encouragés.
6. Axer le ministère sur le caractère

Pour la sixième et dernière qualité que je déduis du parcours de Pierre, je peux être très bref, tellement elle parle de soi. Dans ses épîtres, Pierre transmet ce qu’il a appris au fil des années. En matière de ministère pastoral ou autre, il souligne que le dirigeant doit servir de bon cœur, et qu’il doit diriger en étant un modèle du troupeau (1 P 5.1-4). Un modèle de quoi? Dans la seconde épître, il s’explique: un modèle de croissance spirituelle, dont l’aspect le plus important est l’amour – écho de la question de Jésus au bord du lac: Pierre, m’aimes-tu? Et sa mission: Fais paître mes brebis. Tout cela revient à dire que le ministère, pour porter du fruit qui demeure, doit être axé sur le caractère.
En fin de compte, les gens que nous servons dans l’Église et à qui nous communiquons l’Évangile en dehors de l’Église, de près ou de loin, ne retiendront que très peu de ce que nous avons dit ou fait. Mais ils se souviendront souvent, presque toujours, de la manière dont nous l’avons dit ou fait. C’est le caractère, exprimé au travers du ministère, qui laisse l’impression la plus durable. Pour le meilleur ou pour le pire.
Pierre nous exhorte: «faites tous vos efforts pour joindre à votre foi la vertu, la connaissance, la maîtrise de soi, la persévérance, la piété, la fraternité et l’amour. Elles ne vous laisseront pas sans activité ni sans fruit…» (2 P 1.4-8).
 Je cite, enfin, encore une fois, Klaus Müller:
«Ce qui importe, ce n’est pas ce que nous pensons faire pour Dieu, mais ce que Dieu opère en nous et au travers de nous. C’est cela qui demeure en éternité. Au lieu de nous construire des monuments à notre mémoire, nous devons construire le Royaume de Dieu. Et quand nous ne sommes plus là, d’autres vont poursuivre ce travail»(16).

Bibliographie
 (1) Cf. Blass/Debrunner/Rehkopff, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht), 1984, § 360 et 372. Selon les auteurs, e? suivi d’un indicatif présent signifie, en règle générale une réalité. On doit le traduire par «quand» ou «par conséquent» (implication de ce qui précède). Très souvent, le sens est proche de la conjonction causale «comme» (p.302, § 372, point 1).
(2) Sa première (1 Pi 5.13). Si la date de cette lettre est incertaine, elle doit se situer, de toute évidence entre le départ de Pierre de Jérusalem en 42 apr. J.C. et peu avant sa mort à Rome en 67 apr. J.C.
(3) Ce qui explique l’existence d’un courant « de Céphas » dans cette église, 1 Co 1.12.
(4) Nombreuses sont les reconstructions du parcours de Pierre après qu’il a « quitté » le récit des Actes. Je me suis référé, notamment à Oscar Cullmann, Petrus : Jünger - Apostel - Märtyrer, Munich (Siebenstern), 1960, et, plus récent, Carsten Thiede, Simon Peter : From Galilee to Rome, Exeter (Paternoster), 198
(5) Klaus Müller, "Glaube, Risiken und Nebenwirkungen", Evangelikale Missiologie, 2006, n°1, p.3.
(6) Ibid., p.5.
(7) Ce genre de propos, on le trouve, par exemple, chez John G. Maxwell, auteur évangélique, dans son ouvrage assez connu, Developing the Leader Within You, Nashville (Thomas Nelson), 1993.
(8) William Steuart McBirnie, The Search for the Twelve Apostles, Wheaton (Tyndale), 1972, p.51.
(9) Ibid., p.51.
(10) Quant à la question si l’épisode en Galates 2 ait eu lieu avant ou après ce concile, les spécialistes avancent différentes réponses, mais cela ne change pas grand-chose à mon interrogation.
(11) Carsten Thiede, op. cit., p.166s.
(12) James G. Dunn, Unity and Diversity in the New Testament, London (SCM), 1977, p.254.
(13) I will put in a defence, as it were, for Peter, to the effect that even Paul said that he was “made all things to all men - to the Jews a Jew,” to those who were not Jews as one who was not a Jew - “that he might gain all.”
Tertullien, Adversus Marcionem, 1.23. Source de la citation : Ante Nicene Fathers, Grand Rapids (Eerdmans), 1975, Vol. III, tome II.
(14) Carsten Thiede, op. cit., p.166.
(15) Toutes les sources post-apostoliques s’accordent à dire que l’évangile de Marc constitue en fait le message et l’enseignement de Pierre. Marc écrit ce que Pierre lui a transmis. Mais il le fait avec une certaine liberté de plume, selon sa propre composition.
(16) Klaus Müller, op. cit., p.4.

mardi 5 janvier 2016

LE PASTEUR ET L'ARGENT : ELEMENTS D'UNE DEONTOLOGIE


L’Église a longtemps prôné l’idéal de pauvreté pour ses ministres. À l’inverse, on entend parler aujourd’hui de pasteurs qui ont bâti une véritable fortune. Comment définir une relation saine entre le pasteur et l’argent ? Quelles sont les attitudes à proscrire, à éviter, à encourager ? En cinq grands principes, ce texte, issu d’une intervention de son auteur à l’École Pastorale, essaie de tracer les éléments d’une déontologie qui concerne aussi bien le pasteur en tant que responsable que le pasteur en tant que personne.

Parce que le Seigneur a mis en garde ses disciples contre les possessions en disant « Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » (Mt 6.24), nous ne pouvons ni ne devons, en serviteurs de la Parole, nous croire immunisés contre le pouvoir qu’exerce l’argent. Les uns, craignant d’en manquer, seront tentés de s’accrocher au peu qu’ils reçoivent au point d’en devenir pingres. Les autres, convaincus que la bénédiction de Dieu passe aussi par leur porte-monnaie, n’hésiteront pas à en demander toujours plus au risque d’exercer le ministère de façon intéressée. Entre ces deux extrêmes, il existe d’autres formes d’attachement à l’argent, souvent marquées par nos origines sociales et culturelles qui, pour être plus acceptables, n’en sont pas moins coupables ! L’une d’elles consiste, en s’apitoyant indûment sur sa situation matérielle, à envier les possessions de ses proches. On est alors partagé entre la convoitise et le ressentiment. La convoitise, parce que nous aimerions aussi avoir leur train de vie et les facilités qui l’accompagnent. Le ressentiment, parce que nos proches n’ont pas toujours conscience des limites de nos moyens et nous imposent, à l’occasion de rencontres familiales, des dépenses difficilement supportables. La sanctification passe donc alors par un recentrage dans ce domaine. Et nous avons à l’esprit cette prière si pertinente de l’Écriture (Pr 30.8b-9) :
« Ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre, car dans l’abondance, je pourrais te renier et dire : "Qui est l’Éternel" ? Ou bien, pressé par la misère, je pourrais me mettre à voler et déshonorer ainsi mon Dieu ».
Voici cinq grands principes de ce qui pourrait constituer les éléments de base d’une déontologie pastorale à l’égard de l’argent. Y sont évoqués aussi bien l’attitude du pasteur en tant que responsable – qu’est-il appelé à faire et enseigner dans le cadre de la communauté ? – que son attitude en tant que personne – qu’est-il appelé à vivre en tant que croyant sous le regard de Dieu 
Oser parler d’argent
Daniel Marguerat, à la suite d’Ellul, dit que les chrétiens sont appelés à profaner Mamon en introduisant dans cette société qui lui est asservie la sphère du don et de la gratuité : reçu comme un don de Dieu, l’argent n’est plus destiné à être l’oasis de nos peurs, mais un signe de gratuité, créateur de vie et d’amitié – de telle sorte que l’emploi de nos biens illustre, non plus le caractère illimité de nos convoitises, mais l’amour donateur de Dieu(1).
Profaner ou renverser Mamon, c’est d’abord oser parler d’argent dans l’Église. Les banques le font, c’est leur métier ; les commerces s’y emploient, c’est leur gagne-pain ; et quelques associations se sont lancées dans la collecte de sommes considérables pour défendre des causes charitables. Pourquoi l’Église serait-elle seule à se taire sur le sujet, laissant à d’autres, moins bien inspirés, le monopole du discours sur cette réalité quotidienne ? Reconnaissons que, si l’argent n’est pas au cœur de la vie d’Église, il y joue malgré tout un rôle important (édification d’un lieu de culte, rémunération d’un pasteur, soutien d’un projet missionnaire …) et secouons le double joug qui entrave nos Églises en la matière : le silence gêné du tabou culturel (ici, c’est l’influence du catholicisme qui est toujours à l’œuvre) et le silence forcé du soupçon (ici, c’est l’accusation de secte qui nous effraie). Nous devons secouer ces jougs et rompre le silence pour ôter à Mamon le pouvoir occulte de ces choses que l’on ne nomme jamais mais auxquelles on pense toujours.
Ne nous laissons pas abuser par les fausses et paresseuses distinctions qui voudraient que l’argent relève du domaine seulement matériel et qu’il s’agit d’une question secondaire. Non, l’usage que nous faisons de l’argent relève du domaine spirituel. Nous l’offrons certes pour subvenir aux besoins de la communauté, mais aussi pour dire concrètement que Dieu est le Seigneur de nos vies, qu’il est le maître de nos possessions et qu’il est digne de recevoir les prémices de notre revenu. Comme le dit Craig Blomberg dans son livre Ne me donne ni pauvreté ni richesse :
« Le processus de rédemption à l’œuvre dans une vie humaine doit se manifester par des transformations dans le domaine de la gestion de l’argent. La vie tout entière devrait en fin de compte être consacrée à Dieu, mais les finances sont un domaine particulièrement révélateur de l’engagement religieux d’une personne(2) ».
Voici quatre propositions pratiques pour parler d’argent dans l’Église :
  1. Enseignez régulièrement la communauté sur le sens du don et la place de l’argent dans la vie du croyant. Cet enseignement devrait être intégré à la formation de base dispensée aux nouveaux croyants, mais aussi abordé régulièrement au niveau de toute l’Église dans la mesure où, en raison de la mobilité des gens, des croyants venant d’autres villes ou Églises s’ajoutent régulièrement à la nôtre.
    NB : quand le pasteur est rémunéré par l’Église, il est utile que le trésorier partage cette tâche avec lui pour éviter qu’on prête au pasteur des motivations personnelles dans cet aspect de l’enseignement

  2. Informez régulièrement l’Église des besoins financiers et des sommes recueillies pour les couvrir. Cela commence par un temps régulier consacré aux finances lors de la réunion du conseil de l’Église. Ce souci de bonne gestion de la part des responsables se fera sentir au niveau de la communauté et ce d’autant plus qu’il sera l’objet d’une saine communication. Voici quelques suggestions :
    - Affichez sur le tableau d’information de l’Église un tableau ou un graphique qui fasse apparaître l’évolution mensuelle des ressources et des charges au regard du budget adopté.
    - Faites une annonce orale chaque mois qui reprend les informations reportées sur le tableau avec un mot d’analyse. Souvenez-vous que tout le monde ne regarde pas le tableau d’information et que, parmi ceux qui le regardent, certains ne le comprennent pas.
    - Reportez éventuellement les mêmes informations dans le bulletin de nouvelles si vous en éditez un.
    - N’hésitez pas à faire connaître les besoins ponctuels (travaux imprévus, soutien d’une cause missionnaire non budgété…) ou permanents (retard dans les offrandes par exemple) lors des cultes.
    - Ne tardez pas à encaisser les chèques remis lors de l’offrande. Cela vaut bien des discours. Quand un trésorier laisse traîner des chèques plusieurs semaines avant de les remettre en banque, il fait passer le double message que les choses ne sont pas bien gérées et que l’Église n’a pas vraiment besoin d’argent !

  3. Éduquez l’Église à débattre des questions matérielles en prenant la saine habitude de préparer un projet de budget pour l’exercice à venir et de le soumettre au vote de l’assemblée générale. Il faut savoir que cette pratique n’est pas obligatoire sur le plan juridique (seule l’adoption des comptes de l’exercice clos l’est), mais qu’elle est profitable sur les plans spirituel et communautaire. En effet, un budget consiste à prévoir d’une part les charges qu’engendreront la vie de l’Église et ses projets, et d’autre part les ressources nécessaires pour couvrir ces charges. Les prévisions de charges se font de deux manières complémentaires : en prenant en compte les évolutions prévisibles (augmentation des salaires, augmentation du coût de la vie, intégration d’un nouveau poste de charge décidé précédemment…) et en faisant des choix « politiques » qui consistent soit à investir dans un nouveau projet (d’où une augmentation globale des charges), soit à redéployer les moyens existants pour mettre l’accent sur un aspect de la vie de l’Église (retarder les investissements matériels – renouvellement de la photocopieuse ou des ordinateurs par exemple – au profit d’une campagne d’évangélisation). L’établissement d’un budget est à la fois un exercice de gestion et de foi. La gestion est en fait au service de la foi, elle traduit budgétairement ce que la foi a discerné quant à la volonté du Seigneur. S’il s’agit de poursuivre ce qui se fait déjà, elle se contente de prévoir l’évolution normale des charges ; s’il s’agit de développer de nouveaux projets, elle propose des scénarios permettant d’y parvenir (redéploiement de charges ou augmentations des ressources). Le volet ressources du budget est dans la même mesure un exercice de gestion et de foi. La gestion se contente de traduire en ressources à trouver les charges précédemment décidées. La foi consiste à décider individuellement et communautairement de relever le défi présenté soit en acceptant d’augmenter nos contributions, soit en cherchant des ressources extérieures à l’Église (souvent les deux quand il s’agit de gros projets).
    NB : chercher des ressources à l’extérieur peut très bien consister soit à identifier des donateurs potentiels que l’on va solliciter, soit à croire que Dieu pourvoira d’une manière miraculeuse parce qu’il nous en a convaincu. Ainsi, il n’y a pas de contradiction entre gestion rigoureuse et confiance dans la providence divine.

  4. Osez aborder les questions matérielles qui vous concernent : cela fait aussi partie du processus utile de profanation de Mamon dans l’Église. Il est important qu’une Église prenne soin de ses conducteurs (Hé 13.7,17) pour sa propre santé spirituelle. Il est d’ailleurs question d’un double salaire (ou honneur) « pour ceux qui se dévouent au ministère astreignant de la prédication et de l’enseignement » (1 Tm 5.17). Dans ce domaine, le silence résigné, ou pire, le surfonctionnement (je donne à la place de l’Église qui ne peut ou ne veut donner) ne contribuent pas à l’édification du corps. Le silence aboutit souvent à l’amertume au point d’empoisonner(3) la vie de celui qui s’est résigné sans vraiment accepter la situation de bon cœur. Et le surfonctionnement en matière financière n’est pas une vraie générosité, mais une façon de compenser les manquements de l’Église sans la conduire à grandir dans la foi et la consécration. Le fait d’appartenir à une union d’Églises qui a une grille des rémunérations et un certain nombre de pratiques codifiées en matière de prise en charge des dépenses est d’une grande aide pour discuter sur une base objective. Le recours à un aîné ou un responsable de l’Union peut être utile aux plus timorés.
Vivre le don comme un acte d’adoration
Dans la mesure où, comme nous l’avons vu, l’usage que nous faisons de notre argent est éminemment spirituel, il est important d’accorder au don financier sa juste signification. L’histoire de la pauvre veuve qui, avec ses deux petites pièces, a mis dans le tronc plus que les riches avec leurs fortes sommes devrait toujours rester gravée dans notre esprit. Jésus n’a-t-il pas dit d’elle (Mc 12.43ss) :
« Vraiment, je vous l’assure, cette pauvre veuve a donné bien plus que tous ceux qui ont mis de l’argent dans le tronc. Car tous les autres ont seulement donné de leur superflu, mais elle, dans sa pauvreté, elle a donné tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre » ?

Au fond, Jésus va plus loin que l’Ancien Testament et ne nous interpelle pas d’abord sur la manière dont nous utilisons l’argent, mais sur ce qui fonde notre existence(4). La question n’est pas de savoir si nous allons donner 8% ou 15% de nos revenus, mais qui est notre Dieu ! C’est pourquoi je plaide pour que les dons que nous faisons soient d’abord vécus comme un acte d’adoration. Cela nous évitera de tomber dans un légalisme stérile, toujours prompt à se manifester dans ce domaine particulier. Et puisque cela est appelé à se traduire de façon concrète dans notre vie, il est indispensable d’établir un budget personnel qui traduise notre attachement à Dieu. Je vois deux manières complémentaires de le faire : 1) mettre de côté la première partie de notre ou de nos revenus pour l’œuvre de Dieu(5), 2) décider d’un pourcentage significatif, et éventuellement progressif (voir plus loin), qui traduise notre engagement.
Sur le plan de la vie de l’Église, il est important d’intégrer la réalité du don et d’en faire un acte cultuel. Pour cela, il est nécessaire de mettre en valeur le temps de l’offrande et de lui donner une dimension de reconnaissance et d’adoration. Voici quelques suggestions qui vont dans ce sens :
  1. Préparez soigneusement ce moment lorsque vous préparez le temps de culte et donnez-lui une place de choix dans le déroulement de la rencontre. Évitez de procéder à l’offrande en dernier comme si ce moment vous semblait gênant ou pire parce que vous alliez l’oublier. Une collègue m’a fait observer que, très souvent, l’offrande était placée après le départ des enfants ce qui n’était pas pédagogique. Elle m’a rappelé que lorsque nous étions nous-mêmes enfants nous participions à l’offrande en mettant la pièce que notre mère nous avait donnée et que cela nous avait encouragés à donner une part de nos revenus à l’œuvre du Seigneur une fois devenus adultes !

  2. Ne parlez pas de collecte, qui a une connotation passive proche de l’impôt, mais plutôt d’offrande, qui a une connotation plus participative et plus joyeuse.

  3. Dites quelques mots pour présenter ce moment de telle sorte que chacun prenne conscience de ses dimensions spirituelles et pratiques. Plusieurs textes bibliques peuvent être cités pour appuyer vos propos :

    « De même que vous excellez en tout, en foi, en parole, en connaissance, en empressement de tout genre, et en votre amour pour nous, faites en sorte d'exceller aussi en cette œuvre de grâce. […] Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-[Christ] qui pour vous s'est fait pauvre de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis ». (2 Co 8.7, 9)

    « Que chacun donne comme il l'a résolu en son cœur, sans tristesse ni contrainte ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. Et Dieu a le pouvoir de vous combler de toutes sortes de grâces, afin que, possédant toujours à tous égards de quoi satisfaire à tous vos besoins, vous ayez encore en abondance pour toute œuvre bonne ». (2 Co 9.7-8)

    « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». (Ac 20.35)

    « Honore le Seigneur en lui offrant une part de tes revenus, donne-lui le meilleur de tes récoltes. Alors tes greniers seront remplis de blé et tes tonneaux déborderont de vin ». (Pr 3.9)

  4. Rappelez aux membres leur engagement en matière de soutien de l’Église et mettez à l’aise les visiteurs pour qu’ils ne se sentent pas contraints lors du passage des paniers.

  5. Prenez le temps d’accompagner ce geste d’un moment de reconnaissance par le chant et/ou la prière. Quand vous intercédez ou demandez à une personne de le faire, évitez à tout prix de donner l’impression que l’on procède à la bénédiction des offrandes. Nous n’avons pas une conception magique de la prière. Ce que nous demandons, c’est le discernement et la sagesse pour faire un bon usage des fonds, c’est le regard bienveillant du Seigneur sur le projet ou la personne concerné(e) par l’offrande.

  6. Enfin, agissez avec célérité et discrétion en fin de culte pour compter l’offrande. Il est indispensable de compter à deux pour éviter que des erreurs soient mal interprétées ensuite.
Faire preuve d’intégrité
Si l’intégrité est le « caractère, [la] qualité d'une personne intègre, incorruptible, dont la conduite et les actes sont irréprochables(6) », c’est une vertu indispensable pour celui ou celle qui exerce un ministère dans l’Église. Il me semble que l’apôtre Pierre l’exige des anciens quand il leur demande d’être les « modèles du troupeau » et de prendre soin de lui « non comme si vous y étiez forcés, mais de plein gré comme Dieu le désire,… non pour un profit matériel (ou un gain sordide BC, ouhonteux NBS), mais par dévouement (ou de bon cœur, BC) ». Si l’on s’en tient à la question de l’argent, cela devrait se traduire de la manière suivante :
  1. Montrer l’exemple : même si c’est parfois lourd à porter, le pasteur doit rester conscient de son rôle de modèle et donc faire ce qu’il dit et enseigne. Cela vaut pour trois choses liées entre elles :
    - La consécration en matière d’offrande,
    - La générosité en matière d’hospitalité et d’entraide,
    - La rigueur en matière de gestion de ses propres affaires.

    Même si le pasteur n’a pas à se vanter de ce qu’il fait, cela finit toujours par se savoir ou au moins se deviner ; et surtout le Seigneur bénit l’obéissance et la cohérence de son serviteur. A contrario, s’il n’est pas libre à l’égard de l’argent et ne sait pas se montrer généreux pour l’œuvre du Seigneur, il est peu probable qu’il conduise la communauté à être généreuse.
  2. Ne pas s’impliquer directement dans la collecte et la gestion de l’argent dans l’Église : le pasteur doit refuser obstinément de compter l’offrande en fin de culte, même avec une autre personne, pour au moins trois raisons :
    - Éviter de prêter le flanc au soupçon d’enrichissement personnel par détournement des offrandes et donc se mettre hors de cause en cas de malveillance ou de vol d’argent dans l’Église,

- Ne pas savoir qui sont les donateurs principaux de l’Église afin de rester libre dans l’exercice du ministère et éviter de faire acception de personne,
- Se consacrer pleinement aux soins du troupeau en fin de culte et ne pas se laisser distraire par une tâche que d’autres peuvent accomplir. 
 Dans le même ordre d’idée, ce n’est pas à lui de porter le souci des finances au sein du conseil de l’Église. Il doit, certes, s’intéresser à la santé financière de la communauté comme tous les membres du conseil, encourager de bonnes pratiques au sein du conseil et de la communauté, stimuler le trésorier par des questions pertinentes ou dérangeantes, mais pas délaisser le ministère de la Parole pour y consacrer de l’énergie.

NB : il me paraît utile de dire un mot sur le choix du trésorier dans l’Église. La tâche de trésorier est une tâche importante pour laquelle il faut plus que des compétences de gestionnaire mais aussi une vraie assise spirituelle. Le trésorier voit beaucoup de choses (certaines sont édifiantes, d’autres pas), son pouvoir est juridiquement grand et sa parole a du poids. Il est donc préférable de confier cette tâche à un ancien dont les qualités spirituelles sont reconnues quitte à ce qu’il se fasse aider d’un comptable pour enregistrer les recettes et les dépenses. Je rappelle que la fonction d’un trésorier est distincte de celle d’un comptable : pour faire simple, le comptable enregistre avec exactitude la réalité financière qu’elle soit bonne ou mauvaise tandis que le trésorier analyse cette réalité pour alerter quand il y a des écarts avec le budget, faire des propositions pour corriger les dérives et préparer les discussions concernant le budget futur. Il n’est donc pas indispensable que le trésorier connaisse tous les secrets de la comptabilité(7), mais bien qu’il ait une certaine hauteur de vue et une bonne capacité d’analyse.
  1. Gérer avec sagesse et prudence les dons qui lui sont faits directement : l’exercice du ministère pastoral dans et hors de l’Église expose à diverses gratifications en nature ou en numéraire qu’il faut accueillir avec reconnaissance, mais sans naïveté. Il n’est pas rare que des personnes tentent de mettre le pasteur dans leur poche en le couvrant d’attentions généreuses. Les accepter sans se poser de questions peut conduire à de sérieuses déconvenues. Je ferai trois recommandations à ce propos :

    - Acceptez les dons en nature avec simplicité, mais s’ils vous mettent mal à l’aise par leur fréquence, leur importance ou les commentaires qui les accompagnent, parlez-en ouvertement avec les donateurs.
 - Acceptez les dons en numéraire avec retenue s’ils viennent de la part de membres ou de sympathisants de l’Église. Rappelez-leur que vous êtes rémunéré par la communauté et que cette dernière a besoin des dons de chacun pour parvenir à boucler son budget. S’ils insistent, prenez ce qu’ils vous donnent et annoncez que vous le reverserez à l’Église. Cela tuera dans l’œuf toute velléité de manipulation qui pourrait exister.

- Acceptez les dons en numéraire avec simplicité s’ils viennent d’une autre communauté que vous avez visitée. Mais ayez le réflexe, soit d’en informer le trésorier de votre Église, soit de reverser ces dons à votre Église. Elle a la charge de votre rémunération et, si vous méritez votre salaire, elle ne mérite pas que vous profitiez de certaines circonstances pour vous enrichir « dans ou sur son dos ». Cette discipline vous évitera certaines tentations : arrondir vos fins de mois en multipliant les « sorties », répondre aux sollicitations pour des raisons purement financières, ne pas aborder la question d’une rémunération insuffisante en trouvant des « arrangements ».
Viser la simplicité
Il s’agit ici de viser à la fois dans l’Église et dans nos vies un idéal de simplicité qui me semble en phase avec la règle apostolique. Je pense en particulier à cette parole de Paul qui dit à Timothée (1 Tm 6.6-12, BFC) :
« Certes, la foi en Dieu est une grande richesse, si l'on se contente de ce que l'on a. En effet, nous n'avons rien apporté dans ce monde, et nous n'en pouvons rien emporter. Par conséquent, si nous avons la nourriture et les vêtements, cela doit nous suffire. Mais ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, ils sont pris au piège par de nombreux désirs insensés et néfastes, qui plongent les hommes dans la ruine et provoquent leur perte. Car l'amour de l'argent est la racine de toutes sortes de maux. Certains ont eu une telle envie d'en posséder qu'ils se sont égarés loin de la foi et se sont infligé bien des tourments.
Mais toi, homme de Dieu, évite tout cela. Recherche la droiture, l'attachement à Dieu, la foi, l'amour, la patience et la douceur. Combats le bon combat de la foi ; saisis la vie éternelle, car Dieu t'a appelé à la connaître quand tu as prononcé ta belle déclaration de foi en présence de nombreux témoins ».
Dans son testament(8), Ruben Saillens écrivait :
« Je supplie humblement tous mes amis, tous ceux sur lesquels ma parole a pu avoir quelque action, à cultiver la simplicité chrétienne, soit dans les formes du culte, soit dans la vie de famille, soit dans leur vie privée. L’Évangile est pour les simples. L’amour de l’argent, du luxe, des formes esthétiques dans le culte ont été les grands scandales du pauvre peuple, et ont motivé son éloignement de la maison de Dieu (…). Ceux qui portent la Parole de Dieu devraient toujours avoir devant les yeux de leur esprit les enfants et les ignorants. En parlant pour ceux-ci, on atteint les autres aussi pourvu qu’ils soient humbles ».
Ce qui est vrai pour le message l’est aussi pour le messager. À rebours d’un évangile qui vise la prospérité du croyant et plus encore celle du prédicateur, nous sommes appelés à vivre simplement, c’est-à-dire à ne pas nous encombrer de tant de biens que leur acquisition et leur préservation fassent obstacle à l’exercice du ministère que Dieu nous a confié. Je pense à deux ou trois choses en disant cela :
  1. Au refus de l’endettement pour satisfaire à un besoin, non d’investissement, mais de consommation,
  2. À l’engagement de rester mobile quand le Seigneur nous permet d’investir dans un bien immobilier,
  3. À la capacité à faire profiter autrui des biens que j’acquiers, qu’il s’agisse de ma résidence ou de ma voiture.
NB : lors du congrès baptiste mondial à Birmingham en 2005, j’ai entendu Tony Campollo fustiger avec véhémence le luxe dans lequel se complaisent ses compatriotes et frères en Christ en roulant dans des voitures toutes plus rutilantes, encombrantes et onéreuses les unes que le autres. Et de leur dire que le WWJD (what would Jesus do ? Que ferait Jésus ?) devrait aussi s’entendre what would Jesus drive ? (Que conduirait Jésus ?).
Dans un intéressant témoignage rapporté en conclusion de son livre sur la question des possessions matérielles dans l’Écriture(9), le professeur Craig Blomberg écrit que les familles chrétiennes américaines doivent pouvoir faire mieux que de donner un peu moins de 3 % de leurs revenus. Voici des suggestions tirées de son expérience :

Relever des défis pour grandir
  1. Aucune organisation humaine, de quelque nature qu’elle soit, ne se développera si elle n’a des objectifs précis ou des défis à relever. C’est aussi vrai pour une Église locale, même si la nature des objectifs en question lui est tout à fait propre. Dans l’expérience acquise à la tête de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France, je n’ai vu aucune Église se développer sans accepter de relever des défis financiers. Je voudrais en mentionner quelques-uns par ordre décroissant d’importance : 

  2. S’engager à donner une partie significative de ses ressources pour l’annonce de l’Évangile ailleurs que dans la zone d’influence de l’Église, en d’autres termes pour la mission. J’ai la conviction que si une Église veut encourager ses membres à donner généreusement, elle doit elle-même donner généreusement. Et donner généreusement, c’est donner pour des causes dont nous ne tirerons aucun bénéfice. Selon une estimation que je crois juste, 97 % de ce que donnent les membres d’Églises leur reviennent directement ou indirectement : édification du local cultuel où ils se réunissent, rémunération du pasteur qui les sert, vidéoprojecteur qui améliore le déroulement de leur culte… Même les contributions qui finalement vont dans les caisses de l’Union servent finalement l’Église locale et ses membres. Lorsque nous donnons pour l’évangélisation des banlieues difficiles où nous n’irons a priori jamais, ou pour les populations du bout du monde qui ne pourront nous le rendre ici-bas, alors, et alors seulement, nous commençons à être généreux pour l’œuvre du Seigneur.

  3. Soutenir ceux qui ont un appel à un ministère particulier (pasteur, évangéliste, docteur…) à se former. Trop souvent, nous rechignons à nous séparer de ceux qui sont prometteurs pour le service du Seigneur et nous ne comprenons pas qu’il soit nécessaire que leur vocation mûrisse et qu’elle s’accompagne d’une solide formation. Nous les mettons vite à l’œuvre et parfois nous les « grillons » prématurément. Il nous faut apprendre à viser le long terme et à investir pour l’œuvre de Dieu, même si les fruits de cet investissement peuvent se faire attendre (Moïse n’est-il pas devenu « utile » entre les mains du Seigneur après 40 ans dans le désert de Madian ? Et Jésus, n’a-t-il pas attendu l’âge de 30 ans pour exercer son très bref ministère ?) et souvent échapper à l’Église locale où il a pris naissance.
  4. Apprendre à rémunérer ceux qui « président bien… surtout ceux qui se donnent de la peine à la prédication et à l’enseignement » (1 Ti 5.17). Qu’on l’appelle pasteur, responsable, frère à l’œuvre, il me paraît important que, dans son développement, une Église locale mette à part une ou plusieurs personnes pour se consacrer pleinement au ministère. J’ai observé que les Églises qui ne se résolvent pas à relever ce défi stagnent souvent dans leur croissance. Parallèlement, je me suis rendu compte que ceux qui auraient dû se consacrer davantage à la communauté, mais hésitaient à franchir ce pas qui les mettait dans une situation matérielle de dépendance, voyaient parfois aussi une « stagnation » dans leur ministère. Ce ne sont pas là des lois spirituelles, mais des observations qui peuvent nous encourager à être plus déterminés dans nos choix financiers.

  5. Investir dans des locaux adaptés aux besoins de la communauté et de son développement. Ce type d’investissement demande à être fait avec sagesse, car il engage la communauté pour quinze à vingt ans en termes d’emprunt. J’ai vu plusieurs communautés s’engager dans des projets « pharaoniques » avec les meilleures intentions du monde et se retrouver paralysées par des emprunts trop lourds qui empêchaient toute autre action de développement (campagnes d’évangélisation, engagement d’un pasteur, essaimage…). Il me paraît indispensable dans ce domaine de s’entourer de conseillers, de rechercher une conviction commune lors d’une assemblée générale et d’avoir une vision claire des priorités : il faut toujours privilégier les pierres vivantes aux pierres mortes.
  6. Ne pas oublier l’entraide. Toute Église a aussi pour mission de prendre soin des pauvres en son sein et autour d’elle. L’Église de Jérusalem qui prenait soin des veuves et la collecte que Paul a organisée en faveur des chrétiens de Jérusalem sont autant d’exemples qui nous encouragent dans ce sens. La difficulté à laquelle nous avons à faire face en France, c’est que la loi de 1905 ne permet pas à une association cultuelle de couvrir juridiquement une activité de bienfaisance. Il est donc indispensable de fonder une association loi 1901 pour encadrer cette action. Cela n’empêche pas d’organiser des offrandes spécifiques lors des cultes pour alimenter cette activité.

  7. Relever des défis pour nous-mêmes en matière de consécration financière. Ce qui est vrai de l’Église l’est aussi pour nous, nous sommes appelés à grandir dans notre consécration financière. Et pour cela, nous avons aussi besoin de défis. Craig Blomberg signale l’existence d’une notion de dîme progressive suggérée par Ron Sider (graduated tithe)(10). Pour faire simple, le principe consiste à augmenter la part des revenus consacrés à l’œuvre du Seigneur au fur et à mesure de leur croissance. La base de départ est de 10 %, mais chaque augmentation significative de revenus donne lieu à une part croissante de don. Selon ce principe, si vous touchez 18 000 € de revenus annuels, vous mettez à part pour l’œuvre du Seigneur 10 %, soit 1 800 €. Mais pour chaque tranche d’augmentation de vos revenus annuels de 1 000 €, vous augmentez aussi de 5 % le pourcentage de la part que vous donnez à l’œuvre du Seigneur sur cette augmentation. Ainsi vous donnez 10 % sur les 18 000 € de base, 15 % sur les 1 000 € suivants, 20 % sur les 1 000 € suivants et ainsi de suite. Cela donne la progression suivante :

Craig Blomberg est ainsi arrivé à donner 30 % des revenus annuels de son foyer à son Église, à des organisations para-ecclésiales et à des individus impliqués dans le ministère chrétien(11).
Sans imiter servilement ce modèle, il y a là de quoi inspirer notre consécration financière.
Reste, pour conclure, à vous raconter l’histoire d’un homme à qui Dieu donne dix bananes(12) :
Il était une fois...
Un homme qui n’avait rien…
Et Dieu lui donna dix bananes.
Il lui en donna trois pour sa nourriture.
Il lui en donna trois qu’il puisse vendre afin de se procurer un abri contre le soleil ou la pluie.
Il lui en donna trois afin qu’en les monnayant, il ait de quoi se vêtir.
Il lui en donna une qu’il puisse rendre à Dieu en signe de reconnaissance pour les neuf autres.

L’homme mangea trois bananes.
Il en vendit trois en vue de se trouver un abri contre le soleil ou la pluie.
Il en échangea trois contre les vêtements nécessaires.
Puis il regarda la dixième et elle lui parut plus belle et plus savoureuse que toutes les autres. Il savait que Dieu la lui avait donnée afin de pouvoir lui prouver sa gratitude en la lui rendant. Mais la dixième banane semblait tellement plus belle et plus savoureuse. Il se dit qu’après tout, Dieu possède déjà toutes les bananes du monde. Aussi mangea-t-il la dixième banane et rendit-il à Dieu… la peau !

Dieu vous a donné assez de « bananes » pour pourvoir à vos besoins, plus une avec laquelle vous pouvez lui exprimer votre gratitude. Il vous reste à choisir :

Allez-vous lui redonner la plus belle et la plus savoureuse de vos bananes ou bien voulez-vous lui rendre la peau simplement ?

1. Daniel Marguerat, « Entre Dieu et Mamon », Parlons argent, sous dir. Daniel Marguerat, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 41.
2. Craig Blomberg, Ne me donne ni pauvreté ni richesse, coll. Terre Nouvelle, Cléon d’Andran, Excelsis, 2001, p. 282.
3. Hébreux 12.15 : « Veillez à ce que personne ne passe à côté de la grâce de Dieu, qu’aucune racine d’amertume ne pousse et ne cause du trouble en empoisonnant plusieurs d’entre vous ».
4. Daniel Marguerat, op. cit., p. 36.
5. Cela correspond à ce que dit Paul aux Corinthiens à propos de la collecte en faveur des pauvres de Jérusalem : « Que chacun de vous, le premier jour de la semaine, mette à part chez lui ce qu'il pourra selon ses moyens, afin qu'on n'attende pas mon arrivée pour faire les collectes ». (1 Co 16.2).
6. http://www.cnrtl.fr/lexicographie/intégrité, consulté le 12 octobre 2014.
7. Avec des outils comme « Caleb », logiciel de comptabilité destiné aux Église, de l’association Actes 6 (http://www.actes6.com), un trésorier peut aujourd’hui se mettre à la comptabilité sans trop de difficulté.
8. Cité par Jacques Blocher, Sur la simplicité évangélique, Les Cahiers de l’Institut Biblique de Nogent, avril 2013, n°159, p.18.
9. Craig Blomberg, Ibid, p. 287ss.
10. Craig Blomberg, ibid., p. 286.
11. Ibid.
12. Calendrier Vivre aujourd’hui, 21 février 2001, avec la mention « Reproduit avec autorisation : Centre de Publications Évangéliques, 08 BP 900 Abidjan, République de Côte d’Ivoire ».