mardi 28 décembre 2021

Célébrer le nouvel an en Afrique : Entre traditions et Foi chrétienne II (Jimi Zacka[1] )

Célébrer le Nouvel An en Afrique, notamment en Afrique Centrale[2],  est souvent empreint de nombreuses symboliques autour de la fraternité et la purification du corps et d’esprit. C’est l’occasion de se situer de façon très forte par rapport aux us et coutumes et d’affirmer sa foi aux dieux. Le passage d’une année à une autre est un rituel renvoyant ainsi l’africain à un rendez-vous avec les divinités.   C’est pourquoi, l’entrée dans une nouvelle année est placée sous le signe de restauration, de réparation, de réconciliation, de conjuration de malédiction sous toutes ses formes,  mais aussi de ruptures avec les mauvaises habitudes. C’est une forme cultuelle qui règle la plupart du temps la vie sociale, politique, et même économique d’un pays. Pour l’Africain, le pardon et la réconciliation font partie de la trame de l’existence humaine[3].

Et, le lieu par excellence de l’expérience de la réconciliation solidaire en Afrique est la palabre. C’est un lieu social favorisant le « vivre-ensemble », l’unité et l’harmonie dans la communauté. La palabre africaine est une coutume de rencontre, de création et de maintien des liens sociaux. Elle peut avoir lieu à tous les niveaux de la société, toute occasion étant propice pour faire advenir du sens par les mots[4]. La palabre est assortie des paroles qui montrent la complexité des problèmes toujours inépuisable et sujette à plusieurs interprétations ou conseils.

« La parole qui s’y déploie situe l’homme dans le groupe, lui assigne une place, lui octroie une fonction ou un rôle. La parole y a une valeur sociale et un pouvoir performant…La palabre permet à la communauté de refléter tant son ordre que son désordre, incitant les personnes impliquées dans les diverses ruptures à panser les liens interpersonnels et sociaux[5]. »  

Par conséquent, le nouvel an est le moment indiqué de réapproprier ces valeurs existentielles qui ne sont pas toujours à la mode. Dans certaines langues africaines, l’an et « l’eau » sont homonymes. Cela donne l’idée de la purification rituelle, dans l’imaginaire africain, lorsque le nouvel an (eau) arrive. On entre dans un processus où les conflits sont résolus, apaisés, pardonnés, oubliés et ils doivent l’être.

 La chance est ainsi donnée à la fraternité de se raffermir et c’est là aussi que la transmission se fait entre les anciens et les plus jeunes ; c’est l’occasion où les membres des mêmes familles qui ne se connaissent pas se rencontrent et tissent des liens.  Il faut notamment souligner que c’est  pendant le nouvel an que s’organise le grand repas familial qui est bien programmé dans un ordre donné et surtout ponctué de rituels.

Ceci se tient  de « grande maison par grande maison ». L'on entend ici  « grande maison », la famille, le clan ou la tribu. C’est-à-dire, tous les membres du clan se réunissent chez le chef du clan ou le plus sage de la tribu,  pour se partager le repas rituel. À cette occasion, les étrangers, les amis et les connaissances sont les bienvenus pour le partage de ce grand repas rituel. C’est l’esprit même de solidarité, d’amitié, de fraternité et de partage qui se manifeste. Et pour rien au monde, aucune famille ne doit déroger à la règle[6]. Car, même si l'africain ne s'inscrit pas dans un temps calendaire[7], le passage d'une année à une autre est, pour lui, une étape initiatique,  ritualisée,  porteuse du sacrée, de désenvoûtement et de restauration. C'est l’étape qui contient des éléments très utiles pour l'élaboration d'une spiritualité porteuse d'avenir de la famille, de la tribu, d'un clan. Cette spiritualité ne correspond pas à une zone isolée de l'existence, elle affecte l'ensemble des dimensions de la personne et des sphères de sa vie quotidienne.

Qu’il s’il s’agisse d’apaiser les courroux des ancêtres, ou de réparer une faute commise, on recourt à ce moment précis : la convocation de l’assemblée par le chef de clan ou de tribu revêt une importance. On se prépare à ce repas communautaire pour célébrer la vie et la communion retrouvée.

Les raisons sont bien évoquées par  Mveng en ces termes : « au sein d’un tel monde, l’être humain est vie. Il récapitule en sa personne la vie du cosmos. Sa destinée est d’être le garant de son propre devenir et de celui du cosmos. Il doit à cette fin…se rallier toutes les puissances de la vie qui existent. Il est, en effet, par sa nature, solidaire de ces dernières en tant qu’une vie dans et avec tous les êtres vivants du monde visible et invisible[8]».

         Célébrer  le  "nouvel an"  comme   fête de « mutation en soi »

      De ce fait, la fête de nouvel an, dans la société traditionnelle africaine,  véhicule toute une cohorte de pratiques culturelles, celle en tant que culture de rassemblement, celle en tant que culture de transmission et de conservation des traditions, des us et coutumes et celle de vivre ensemble, ou de gestion des conflits. C’est aussi, pour les chrétiens, l'ambivalence de la coutume et la foi chrétienne. D’où l’écho de 2 Co 5.17 : « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. ». Le v.17b souligne le caractère résurrectionnel du nouvel an chez le chrétien africain :  « ... Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. [9]» est un verset biblique souvent repris à tort ou à raison dans la rhétorique de l'arbre à palabre au moment où l'on tente de réconcilier les membres de la famille.

      En d’autres termes, pour le chrétien africain, le nouvel an est une résurrection, l'entrée dans une nouvelle vie nécessitant un changement de comportement, une mutation de mode de vie (du pire au meilleur). Par conséquent, en cette période, dans une attitude introspective, l'homme africain prend l’engagement  de renoncer à beaucoup de vices : refroidissement de sa foi envers Dieu, l'alcoolisme, la vie de débauche, etc...Bref,  c’est le vœu de renouer avec la vertu et de ne plus commettre le mal. C'est ce que l'on peut appeler ici "une mue éthique". Cette "mue éthique" ou le renouvellement de soi s’inscrit en effet dans la quête du bien-être, de bénédictions auprès de Dieu, mais c’est aussi solliciter les faveurs des ancêtres par des sacrifices, des parents vivants ou décédés par des offrandes afin de trouver la quiétude et le bien-être dans ce nouveau chapitre de vie qui débute. 
       C'est là où l'on voit que, pour l'africain, la spiritualité consiste en un travail de la  prise de conscience intérieure et de transformation de soi. C'est-à-dire, revenir vers soi, retourner à son centre, unifier son être divisé, ramener ses morceaux éparpillés, remodeler son humanité dénaturée : telle est l'œuvre spirituelle à accomplir pendant le nouvel an. Cette conception de la vie spirituelle peut s'appliquer aussi bien aux croyants de toute religion qu'aux incroyants[10].

          Célébrer le  "nouvel an" comme l’œuvre de Dieu  en Christ

      Ce rapide regard culturel, bien significatif, prend encore plus de relief sur un autre ton que l’apôtre Paul nous fait remarquer. Dire que «  Les choses anciennes sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. » renvoie à l'œuvre  du Christ qui nous a réconciliés avec Dieu en résorbant la faille que chacun connaît en son for intérieur, cet écart si pénible entre les intentions et les faits, entre la volonté et les effets, entre ce que nous pourrions être et ce que nous sommes à un moment donné. 

       Au début d’une nouvelle année, reconnaissons que le Christ Jésus nous révèle qu’il est possible d’être vraiment humain. Ce faisant, il nous  redonne confiance en nous, confiance en notre capacité à être profondément humain, confiance en notre capacité à résister à endosser les vieilles habitudes, confiance en notre capacité à nous parer de nouvelles habitudes comme des créatures restaurées dans leur nature authentique. En nous réconciliant avec  Dieu, il a aboli les clivages d’autrefois, réduisant les distances culturelles, transgressant les conventions établies, distinguer ceux de l’intérieur de ceux de l’extérieur. Le Christ Jésus nous a réconciliés de telle manière que nous participions tous à une même humanité portée à son incandescence, une humanité sans astérisque qui établirait des exceptions pour certains dont on ne veut pas entendre parler. 

     En effet, il nous donne la capacité à faire resplendir l’humanité, quitte à paraître hors de sens pour le commun des mortels qui ne voient d’intérêt que dans ce qui concourt à leur propre intérêt. Car, en Jésus-Christ, c’est la rédemption permanente de l’humanisme qui se joue : l’autre, celui qui croise mon regard, est ressuscité en tant qu’être humain à part entière. Plus personne n’est considéré comme un être de seconde zone ; personne n’est réduit à n’être qu’un ceci ou un cela,  un indigène ou un civilisé, un pauvre ou un riche. Il n’y a même plus ni homme ni femme, dans la réconciliation opérée par Jésus-Christ qui restaure l’intégrité de notre humanité. Celui-ci est mon frère, celle-là est ma sœur, qui s’inscrit dans la volonté du Père céleste, qui a trouvé sa place au sein d’une famille qui ne connaît ni le sang, ni la langue, ni la religion pour dire l’identité. 

     Le Christ Jésus a réconcilié notre humanité en la sauvant d’une fragmentation mortifère. C’est cela que nous pouvons célébrer de mille manières à l’occasion du nouvel an, aussi bien par le culte qui symbolise cette rédemption de la fraternité élargie, que par des actions concrètes, au quotidien, qui incarnent cette vérité évangélique dont nous sommes les ambassadeurs : comme Jésus nous l’a révélé, comme il l’a incarné, nous sommes capables d’être humain, pour nous-mêmes, et pour les autres au cours de cette nouvelle année.

C'est pourquoi, l'homme africain, conscient parfois de la perte de son sens humain, fait du nouvel an l’entrée dans une nouvelle ère, une occasion de faire sa mue éthique, de se restaurer en tant qu'être humain,  en se dépouillant ainsi de sa vieille nature et se muant en un autre soi.

______

Jimi ZACKA, PhD

Exégète,  Chercheur en Anthropologie culturelle

au CREIAF



[1] Jimi Zacka est chercheur au CREAF, auteur de plusieurs ouvrages et articles, exégète et Professeur de NT et d’Anthropologie culturelle à St Paul's University.

[2] Cette pratique festive et culturelle est très ancrée dans les traditions de certains pays d’Afrique Centrale tels que la RCA, le Tchad, le Congo Brazzaville.

[3] Cf. L. Basset, Le pouvoir de pardonner, coll. Spiritualités vivantes, Paris/Genève, Albin Michel/Labor et Fides, 1999, p. 11.

[4] Kasereka Pataya, Charles. « La dynamique du pardon et de la réconciliation dans le contexte des conflits en Afrique », Revue Lumen Vitae, vol. lxviii, no. 2, 2013, pp. 167-176.

[5] Idem

[6] Notons à cette occasion que  le pardon et la réconciliation sont compris comme des processus qui permettent de cerner le mal et de libérer l’homme ainsi que sa communauté de son emprise. Par le pardon et la réconciliation s’opère le redressement de l’amour et de l’entente entre tous les membres du clan. 

[7] La conception africaine du temps trouve son fondement dans l’anthropologie de la vie. Au sujet de cette relation entre la signification du temps et l’anthropologie de la vie, lire à cet effet MVENG, E. « La conception du temps », Ethiopiques 6, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?Article416 (consulté le 28 Décembre2021)

[8] Idem

[9] Trad. Bible Louis Segond

[10] Tout simplement parce que, comme Mveng l’explique,  en Afrique, « la personne est synonyme de vie et sa vocation de faire triompher la vie de la mort, il concentre sa pensée sur le conflit « mort-vie » et son dénouement. Il ne traite guère de ce qu’est radicalement cette vie en termes de ce qui justifie son existence et rend possible, en l’être humain et autour de lui, sa victoire sur la mort. » Mveng, https://id.erudit.org/iderudit/1014178ar.

 

jeudi 9 septembre 2021

LES FLEAUX DANS LA PENSEE HEBRAÏQUE

De nos jours, il n’est pas rare d’entendre le sentiment que la COVID-19 est un « fléau ». Maintenant, nous avons une mutation du virus, encore plus contagieuse que l’original, et les analogies de la peste continuent. Pour beaucoup de gens, une peste est quelque chose associé à une épidémie de maladie infectieuse. Mais qu’est-ce qu’une « peste » dans l’ancien contexte hébreu ? Bibliquement parlant, une peste peut être n’importe quelle affliction ou souffrance qui vient sur l’humanité.

Pour comprendre les « fléaux » bibliquement, nous devons penser au-delà de la maladie et de la mort. Par exemple, dans les célèbres dix plaies d’Égypte, Dieu a envoyé non seulement la mort, mais aussi des furoncles, de la grêle, des moucherons, des criquets, des grenouilles et des ténèbres. Oui, la grêle et les ténèbres étaient considérées comme des « fléaux » de Dieu, et non comme des événements météorologiques indésirables. La « peste » anglaise peut être une traduction non pas d’un, mais de plusieurs termes qui apparaissent dans la Bible hébraïque. Par exemple, נֶגַע (nega) est parfois traduit par « peste » mais aussi « infection » et « affliction ». Cela signifie littéralement une « grève » ou un « coup ». La logique hébraïque est qu’être « blessé » ou « frappé » doit être « tourmenté » à un certain niveau.

Un autre mot hébreu pour « blessure » ou « frapper » (מַכָּה; makah) est parfois rendu comme « plague » ou « affliction » dans les traductions anglaises. Un autre terme biblique commun pour « peste » est דֶּבֶר (dever), signifiant « peste », « peste » ou « mort ». Tous ces termes ont été utilisés pour décrire les dix afflictions que Dieu a envoyées sur les Égyptiens (voir Exode 11:1 ; 1 Samuel 4:8). Jérémie fait référence à une punition « par l’épée, la famine et la peste »(בַּחֶרֶב וּבָרָעָב וּבַדֶּבֶר; baherev u’vara’av u’vadever) pour décrire le châtiment divin d’Israël (Jérémie 14:12; 21:9). Et les traducteurs de la Bible hébraïque en grec utilisaient parfois le mot θάνατος(thanatos),qui signifie « mort », pour exprimer cette idée d’une peste.

Pourquoi le langage de la « peste » semble-t-il si effrayant et inquiétant pour les lecteurs modernes ? Peut-être parce qu’une simple maladie, une maladie ou même un virus peut être géré dans le monde moderne des médicaments, mais un fléau biblique ne peut pas être contrôlé. Et il est vrai que Dieu est généralement la source d’un fléau biblique, et on ne peut pas faire grand-chose pour arrêter la punition à moins de la miséricorde divine. Les anciens Israélites croyaient qu’absolument tout dans ce monde est sous le contrôle du Tout-Puissant : la pluie, le soleil, les récoltes, la durée de vie et même le nombre de cheveux sur votre tête ! (voir Matthieu 6:27, 10:30). 

Pourquoi devrions-nous traiter quelque chose comme la COVID-19, même quelque chose considéré comme un fléau, différent de toutes les autres afflictions? Apparemment, les anciens Israélites ne l’ont pas fait. La panique et la peur nous éloignent généralement de Dieu. Mais faire face à toute souffrance ou adversité avec foi nous bâtira toujours.

 Pinchas Shir