lundi 20 avril 2015

RÔLES ET TÂCHES DU THEOLOGIEN EN AFRIQUE. HOMMAGE AU Dr ISAAC ZOKOUE (Par Pr Jimi ZACKA)



Pasteur, Théologien, Écrivain centrafricain, Professeur Isaac Zokoué nous a quittés dans la plus grande discrétion depuis quelques temps. En sa mémoire, notre réflexion qui suit, voudrait mettre en exergue, entre autres, quelques points théologiques qu’il prônait de son vivant



Il y a suffisamment de postures théologiques, de nos jours, pour alimenter le soupçon et la peur de voir un théologien s’engager dans une action visant à instituer une alternative et un ordre social économique et politique juste. Pour preuve, nous avons de fréquents avertissements concernant le danger de réduire l’évangélisation aux sphères politique, sociale et culturelle, et les dangers d’une politisation excessive du rôle du théologien dans la société. Du coup, l’on se confronte à cette question récurrente: c’est quoi la théologie ? 


La théologie comme l’acte de foi[1]

     La théologie est un discours sur Dieu (theo-logos) mais il ne s’agit pas de n’importe quel discours. C’est un discours rationnel qui prend sa source dans l’acte de foi. En cela, la théologie se distingue du propos philosophique général sur l’étude du phénomène religieux, où la question de Dieu est abordée de l’extérieur. Si la foi est l’acte premier de la relation entre l’homme et Dieu, la théologie permet à l’homme de ne pas limiter sa foi au cadre strict de la piété et du rite. La foi vivante est un acte humain qui concerne l’homme tout entier : son cœur, parce que Dieu est source de tout amour, son corps, parce que la foi s’exprime par des gestes concrets, et enfin, son intelligence, parce que Dieu donne à l’homme, à travers la liberté et la faculté de juger, les moyens de l’annoncer et de le faire connaître. La foi ne saurait donc exister sans une forme cognitive, même sommaire, de relation à Dieu. Le parti pris de la théologie est de prendre au sérieux l’acte de foi en ne le limitant pas au seul domaine de la dévotion personnelle ou communautaire. En effet, puisque la foi cherche à comprendre, il serait donc insensé d’opposer foi et théologie. Car,  une foi vivante et partagée ne saurait exister indépendamment d’une forme d’expression théologique et que, réciproquement, toute théologie prend sa source à l’intérieur d’une foi vécue[2]
     C’est dire que la théologie ne peut avoir sens et contenu que dans et sous la lumière de la foi. Chaque époque, compte tenu de ses problèmes et de sa manière d’appréhender Dieu, essaie de définir la théologie. Dans ce sens, toute religion comporte une ou plusieurs théologies, une ou plusieurs définitions de la théologie. Ainsi, la théologie chrétienne n’est pas un discours flou; elle doit être une compréhension humaine et une interprétation de la révélation de Dieu dans un contexte bien défini. Quel est donc alors le rôle que doit jouer le théologien? 

Le rôle du théologien saisi par la vérité et par la foi

     Il convient de rappeler que la théologie est née lors de la rencontre de la culture grecque notamment avec la philosophie néo-platonicienne où les pères de l’Eglise ressentirent le besoin de justifier la foi de façon rationnelle. Elle acquit donc son rôle premier : L’intelligence de la foi. Selon les mots de l’apôtre Pierre « justifier les raisons de notre foi » 1P 3 :15. Le théologien pour cela est chargé d’approfondir l’intelligence de la foi et de vérifier la cohérence de la communauté dans ses diverses modes d’expression de la foi, par rapport à la vérité qu’elle confesse. Il est, à cet effet, un croyant interpellé et saisi par Dieu lui-même qui s’est révélé en Jésus-Christ. Interpellé, le théologien est donc envoyé pour rendre compte de cette vérité. C'est pourquoi, toute Église a besoin de théologiens qui l'aident à penser les données de la foi. La théologie exerce une fonction critique par rapport à la manière dont la foi est vécue et comprise dans une Eglise. Elle ne peut se contenter de justifier, elle doit aussi contester et proposer. En effet, le théologien a pour mission de rendre compte ou rendre raison de la foi dans une communauté chrétienne, située dans une société donnée car « la théologie jaillit de la vie et reflète la lutte d’un peuple pour donner un sens à la vie »[3]. La foi dont le théologien rend compte, c’est la foi de sa communauté, elle-même saisie par Dieu. La théologie devient ainsi un événement communautaire. Ce qui apporte une coloration particulière au travail du théologien, ce sont les questions auxquelles il doit faire face dans sa communauté et les moyens qu’il va mobiliser pour permettre l’intelligence de la foi à la fois de s’interroger et s'affirmer. Ce travail du théologien nécessite pour cela une méthode systématique en fonction des tâches théologiques qui s'imposent.

L’élaboration des tâches du théologien

       Écouter  le peuple pour discerner ses attentes est une exigence de vérité qui se cherche au cœur de la vie. Le théologien est voué à ce travail de recherche pour tâcher de répondre au dynamisme de la foi qui, par nature,  tend à l’intelligence, car elle ouvre l’homme à la vérité concernant sa destinée et la voie pour l’atteindre .  L’exigence de vérité éviterait donc de faire une théologie au sens « utilitaire ». Car ce à quoi aspire le peuple est évidemment le minimum vital, mais cela ne peut pas constituer la seule occupation théologique. Au service du peuple, la théologie n’est-elle pas davantage un questionnement dans la manière de dire Dieu au cœur des attentes humaines ? Peut-on affirmer en effet que la théologie est une interrogation de la foi face aux situations concrètes des individus et des peuple?, peut-on dire qu'elle est une mise en jugement de l’homme et de ses valeurs face à l’Evangile?. De toutes les façons, nous estimons que c’est son rôle prophétique. La théologie apparaît en effet, non comme un travail de dilettante étranger à l’homme réel, mais comme la forme la plus exaltante de la foi vécue dans toutes ses dimensions[4].
C’est dans cette démarche que s’était inscrit Isaac Zokoué. Pour lui, la tâche théologique est comme une corrélation critique et mutuelle entre l’interprétation de la tradition chrétienne et l’interprétation de notre expérience humaine contemporaine.
   En tant que théologien avisé, réfléchissant sur la formation théologique en Afrique, lors du Conseil des Institutions Théologiques en Afrique Francophone qui s’est tenu à Lomé en 2008, il n'a cessé de souligner la nécessité d’immersion théologique dans les réalités africaines. En d’autres termes, le travail du théologien en contexte africain doit être un travail de collaboration avec le peuple, travail qui articule le désir de vie avec la régulation de la foi en Jésus-Christ. Ce travail pose en fait le problème méthodologique majeur, celui de la transmission authentique et fidèle du Message de Dieu aux fidèles des cultures africaines, en respectant leurs croyances, leurs conditionnements socio-culturels.  

Le professeur Zokoué attestait cette thèse en termes clairs : 

L’Afrique " connaît des situations qu’il faut vivre de l’intérieur pour comprendre. Un proverbe africain dit bien que seuls les habitants d’une case connaissent les fuites par où le toit coule. Les observateurs de l’Afrique, y compris les Africains de la diaspora, devraient avoir la modestie de reconnaître, que même s’il leur est possible d’appréhender certaines situations de l’extérieur – et beaucoup y parviennent admirablement bien, ils restent malgré tout déconnectés de ces autres réalités que l’autochtone vit dans sa chair et dans son âme, quotidiennement, et qui constituent la trame de sa société. Or, c’est au contact permanent de ces réalités-là que les théologiens africains devraient écrire leurs théologies. Les problèmes d’adaptation, de contextualisation, d’inculturation, de reconstruction, de renaissance, de féminisme…sont de vrais défis lancés à la théologie africaine, et qu’on ne saurait ignorer sous aucun prétexte[5] ».
      Dans la même perspective, il poursuivait son analyse comme quoi : « la parole de Dieu est toujours une parole incarnée et située. Par conséquent, le lieu de son incarnation fait partie du dessein de Dieu. Il est donc juste d’affirmer que l’Afrique est aussi une terre d’incarnation de la parole de Dieu, et qu’elle ne mérite pas le sort qui lui a été réservé [6]». En conséquence, il est temps que « le christianisme africain tire profit de sa jeunesse et de son héritage ancestral  pour ouvrir de nouveaux chantiers théologiques [7]». En d’autres termes, « l’enracinement dans la foi chrétienne de nos membres et la maturité de nos églises dépendra du sérieux avec lequel nous traiterons ces questions[8] ». À cet effet,  « L’Afrique doit développer sa théologie, comme le font l’Amérique Latine, l’Amérique du Nord, l’Asie, l’Europe. L’Afrique a également le devoir d’apporter sa contribution à la chrétienté universelle comme le font les autres continents[9] ».  Car, « le moment est venu pour les Africains non pas de formuler des revendications, parce que la réponse au problème n’est pas d’abord dans des restitutions à faire par les Occidentaux, mais de prendre conscience de l’existence de cet héritage au sein de la chrétienté, de se l’approprier moralement, spirituellement et, dans des conditions qui resteraient à définir matériellement[10] ».
     Au final, l’enjeu du travail théologique exige une concertation avec le peuple. Le rôle du théologien peut être alors significatif dans la mesure où, en tant que croyant, il « a reçu une vive conscience des problèmes posés par l’exercice de la foi à une époque ou dans une culture donnée, et qui est capable de les lire, de les interpréter et de les articuler, et cela en communion avec le peuple de Dieu, seul sujet adéquat de la théologie comme de la foi[11] ». 
     La portée sociale de la théologie est certes importante, mais elle ne devra pas s'enduire d'une théologie utilitariste, comme si le principe de base qui fonderait la théologie dans le contexte africain serait l’"utile". De même, il y aurait danger de pratiquer une théologie intéressée aux besoins matériels immédiats. Ne faudrait-il pas s’interroger par exemple sur le pourquoi de la crise ? Quels en sont les enjeux, les voies et moyens d’en sortir pour ne pas seulement vivre ici et maintenant ? Dans cette ligne de recherche, on n’oubliera pas que l’africain est plus marqué par la pauvreté spirituelle plus profonde que la pauvreté matérielle. C'est ainsi que celui que nous pleurons aujourd'hui, estimait qu'au stade actuel de son développement, la théologie africaine n'a pas encore intégré dans son déploiement la tranche de l'histoire de l'Afrique qui nous préoccuppe. Ne faut-il pas lui donner raison ?
     Homme de conviction, Isaac Zokoué  avait toujours vécu sa mission théologique comme une critique confessante. Il ne s’était jamais réfugié dans les arcanes des dogmes et des opinions reçues. Il n’a jamais perdu de vue le fait que le travail du théologien était d’affirmer l’existence d’un Dieu, mystère du monde ; Mystère qui se donne à connaître dans la faiblesse de la Croix, du Dieu-Homme. Mystère qui nous saisit et nous renvoie dans nos cultures. Dans une certaine mesure, dans l'un de ses ouvrages, il ne cessait de prendre position pour dire que les cultures et traditions africaines devraient participer à dire la beauté de ce Mystère[12]
     Par ses écrits, ses réflexions, ses prises de parole et son engagement multiforme, Isaac Zokoué prouvait que la théologie devait être comprise comme une activité vivante, non acquise une fois pour toutes, mais qui naît du cœur de la foi de l’Eglise, et dont l’objectif consiste à tisser des liens entre la foi de toujours et la vie d’aujourd’hui. 
      En effet, les théologiens africains, qui ne sont ni meilleurs ni pire que les autres ont un rôle tout particulier à jouer, selon lui. Ils se doivent "de répondre à des préoccupations actuelles" parce que "tout est urgent et prioritaire", disait-il.
    Puisse le flambeau porté jusqu’au bout par cet illustre homme de Dieu être relayé  ! 

Prof. Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue

20/04/2015 

Quelques publications récentes de Prof. Jimi ZACKA

1. http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45684
2. http://www.edilivre.com/auteurs/jimi-zacka-9224.html 


P.S. : La rédaction thephila.com prévient les lecteurs contre toute utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de l’article comme cela a pu arriver.
 


[1] Cf. Dourweber, « La théologie comme science de la foi », http://dourweber.over-blog.com/article-la-theologie-comme-science-de-la-foi-118044456.html
[2] M.D. Chenu, La théologie est-elle une science ? Librairie Arthème Fayard,  Paris, 1957, p.22

[3]J. Cone, La noiceur de Dieu,  Labor et Fides, Genève, 1989, p. 64.
[4] E. Mveng, Théologie et langages, dans RAT, 10, 1986, p. 191
[5] I. Zokoué, « Annexe I :  Plaidoyer pour une nouvelle vision du Doctorat en Théologie dans le contexte Africain »,  Rapport du Septième Rencontre des Institutions de Formation biblique et théologique de l’Afrique Francophone, CITAF, du 14-18 Juillet 2008 à Lomé (République du Togo), p.6.
[6] Ibid, « Annexe 2 : La pépinière africaine du Christianisme occidental : Une histoire presque oubliée ? », p.9.
[7] Ibid, « Annexe 1… »,  p.7.
[8] Ibid.
[9] Ibid, «  Annexe 1… », p.8
[10] Ibid, « Annexe 2… », p.10.
[11] R. de Haes, Le rôle du théologien dans la lecture des langages de notre temps, dans Foi chrétienne et langage humain. Actes de la Septième Semaine Théologique de Kinshasa. Kinshasa, Facultés catholiques, 1972, p. 35-36.
[12] Lire son ouvrage, I. Zokoué, Jésus Christ Sauveur : le mystère des deux natures : perspective africaine, Edition CLE, 2004.

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