dimanche 28 mai 2017

LA FORCE DE LA FAIBLESSE : 2 Co 12.10


« … quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.» (2Co 12.10)



La force de la faiblesse

     La faiblesse a-t-elle une force ? A-t-elle un pouvoir de nous rendre fort ?  Est-elle-même une force ? Telles sont les questions qui taraudent l’esprit. Car, force et faiblesse sont deux mots un peu antagonistes. La faiblesse est un manque de force. La force peut, elle,  être une faiblesse. Mais, la faiblesse ne peut pas être une force.  La force et la faiblesse sont dialectiques et cycliques. On est tantôt fort, tantôt faible. Si l’on a dépassé et vaincu cette faiblesse, si on en a fait quelque chose alors elle peut devenir une force. C’est dire que force et faiblesse sont dans la nature humaine. La force des faibles est la faiblesse que l’on a à leur égard. Il faut utiliser ses forces pour aider les faibles et s’intéresser à la force au service des faibles. « La force du plus fort me fera toujours passer du côté du plus faible » affirmait Châteaubriand. On peut également utiliser la faiblesse comme une séduction pour attirer l’autre pour qu’il sauve, pour attirer à soi une protection ou un sauvetage. Le risque c’est une stratégie de manipulation. La faiblesse apparente peut alors être une force. Mais la faiblesse est une force dans le rapport à soi-même. C’est une ouverture quand on arrive à une transformation intérieure. Mais, lorsque l’apôtre Paul dit : « …quand je suis faible, c’est alors que je suis fort.» (2Co 12.10), qu’est-ce à dire ? 
     Dans la Bible, le "faible" est avant tout celui dont il faut se préoccuper et qu’il faut respecter. "Opprimer le faible, c’est outrager ton Créateur" (Pr. 14, 31). Dieu s’identifie aux plus faibles de ses créatures. "Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mat.25, 40). C’est "le langage de la croix", car "ce qui est folie de Dieu est plus sages que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes" (1 Co 1, 18 et 25).  La Bible semble prendre à contre-pied la conception mondaine de la « faiblesse ». Car, nous vivons dans une société de compétition entre les individus, avec méritocratie, motivation, performance, qui tend à éliminer, marginaliser les plus faibles. C’est un principe naturel de sélection économique et sociale. Ainsi, l’homme aspire souvent  à être « super puissant » ou de plus en plus fort.  Et, nous avons tous tendance à couvrir nos faiblesses et la question est de savoir si on peut un jour arriver à dire comme Paul : « …quand je suis faible, c'est alors que je suis fort » (2 Cor 12 :10).

Non seulement Paul dit que la puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse (2 Co 12.9), mais il va encore plus loin en disant qu’il se glorifie de ses faiblesses (2 Co12.10). La raison pour laquelle il se glorifie de ses faiblesses se trouve dans le même verset : « afin que la puissance de Christ repose sur moi ». Que cela peut-il signifier ? Nous retenons deux formes d’interprétations.

La force de la faiblesse comme langage d’humilité

     Paul, frappé dans son orgueil à cause de ses révélations,  voulait à tout prix que Dieu lui enlève l'écharde qui l'affaiblissait, mais la réponse de Dieu mit fin à toute discussion : "Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse ». Pourtant, Paul voyait en cette maladie quelque chose d’humiliant et gênant, qu’il ne supportait pas, et surtout pour lequel  il priait sérieusement pour en être délivré,  mais Dieu considérait cela comme une force. Dit autrement, reconnaître ou accepter sa propre faiblesse apparaît comme un passage inévitable de la force de Dieu. Ce passage peut être crucifiant, au plan personnel, communautaire ou ecclésial, mais il s’agit de suivre le Christ dans son mystère, prendre sa faiblesse pour qu’il rejoigne la mienne. Pour Dieu, ce que vous considérez comme une "faiblesse" peut devenir l'une de vos plus grandes forces si vous y voyez une certaine humilité. 
     Autrement dit, Jésus, Dieu devenu homme, rejoint notre faiblesse "naturelle" en la partageant. Il prend et transfigure toute la faiblesse humaine. Il s’en sert pour révéler à tout homme l’œuvre de son amour. Ce sont les "faibles" qui comprennent le mieux le langage de Dieu : "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits" (Lc 10, 21).
     Une telle attitude nous transforme et nous invite à renoncer à toute prétention, à tout orgueil  dans la rencontre de l’autre, si faible soit-il, et à aller à lui sans avoir peur de ses faiblesses physiques, morales ou spirituelles. Je change mon regard sur l’autre et je ne cherche pas à lui en imposer : toute force autre que celle de l’Esprit est vaine. Cette attitude nous invite à ne pas craindre la rencontre de l’autre ou de l’événement, si "fort" soit-il, mais à aller à lui dans la force de la faiblesse, en nous appuyant sur Dieu seul. "Quand je suis venu chez vous, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je vous ai annoncé le mystère de Dieu.(...) Ma parole et ma prédication... étaient une démonstration faite par la puissance de l’Esprit, afin que votre foi soit fondée non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu" (1 Co 2, 1-5), dit l’apôtre Paul.

La force de la faiblesse comme langage de la croix 

     L'assertion de Paul dénote également  le refus d’une théologie de la gloire, aussi bien présente dans l’épître aux Philippiens qui chante un Christ Jésus qui n’a pas cherché à se prévaloir de sa condition divine pour surpasser son monde (ch. 2), qui se révèle chez Paul. Jésus a pris une forme de serviteur, devenant semblable aux hommes, jusqu’à la mort. Ce thème de la mort et plus précisément de la mort sur une croix est présente chez Paul qui affirme qu’il a prêché le Christ crucifié (1 Co 1.23) et un peu plus loin qu’il n’a « pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus -Christ, et Jésus-Christ crucifié (1 Co 2.2). Cela s’accorde, évidemment, avec l’attitude de Jésus rapportée par les évangélistes, qui ne s’est pas révolté d’être mis au nombre des malfaiteurs (Luc 22.37). 

Jésus n’a donc tiré aucune gloire personnelle, ce qui est la marque du messie, serviteur souffrant dans la veine de ce qu’en dit le prophète Esaïe : « Il n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pour nous plaire. (Es 53.2) ». Et nous pourrions remonter à la figure de Joseph, dans le livre de la Genèse, pour constater que celui par lequel le salut arrive est la figure de l’humble, de celui qui n’a aucune superbe, à l’image de David dont personne ne soupçonne qu’il est l’élu de l’Eternel. Celui qui fait la volonté de Dieu n’est pas reconnaissable à son apparence glorieuse.
La gloriole n’est pas dans la tradition chrétienne. Quand ce fut malencontreusement le cas, cela a provoqué des réformes, avec ses risques d’austérité. On a peut-être compris 2 Co 12 à l’excès au XVIème siècle, Martin Luther s’astreignant à une discipline de fer pour plaire à Dieu. Beaucoup croient encore aujourd'hui que servir Dieu, c'est chercher à devenir le plus fort, le plus acclamé, le plus glorifié.
Pourtant, la gloire est à Dieu, pas à ses serviteurs. C’est la raison pour laquelle Paul va disqualifier les « super apôtres » auxquels il fait face. Paul récuse le spectaculaire, l’ostensible comme attestation d’une proximité avec Dieu. A vrai dire, nous pourrions tous nous vanter de quelque chose, nous pourrions tous participer au grand concours de celui qui a bénéficié d’une grâce divine. Chacun a son expérience du paradis, chacun a sa part d’ineffable. Dieu accorde ses dons à tous, mais tous n’en font pas étalage. Dieu aime chacun, mais tous n’en font pas un motif de fierté personnelle ni leur fonds de commerce. La force de l’humilité se concentre ainsi dans cette attitude de céder sa propre place à Dieu. 

Paul refuse ainsi clairement la gloire et la vantardise au profit d’une théologie qui s’exprime à travers la faiblesse, ce que le texte grec nomme l’asthénie. La faiblesse est, selon Paul, le lieu où le divin s’exprime par excellence. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » car la « puissance [de Dieu] s’accomplit dans la faiblesse » : Dieu vient à nous sous les traits d’un nouveau-né qui n’a même pas de place pour naître convenablement. Dieu vient à nous sous les traits de prophètes qui, comme Jean Le Baptiste, devaient faire peur. Dieu vient à nous par Moïse le balbutiant (qui ne sait pas parler), par Jacob le fourbe ou l'usurpateur, par Jonas le lâche, par des disciples qui ont trahi et abandonné de Jésus au pied de la croix. Le salut entre par ce voleur de Zachée. Le paradis est promis au brigand condamné à mort avec Jésus. C’est cela la force de la faiblesse. Ce ne sont pas des surhommes qui manifestent le divin, mais ce que notre monde compte de moins glorieux. 

Les textes bibliques développent une option préférentielle pour les faibles. Jésus, dira, selon les évangélistes : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs (Lc 5.31-32). » Le christ Jésus n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades, les nuls, les exclus, les faibles. Il y a aussi dans la perspective biblique une option préférentielle pour les faibles, pour ce qui a le moins de poids dans la société, ce qui s’affirmait déjà avec Abel, qui aura une postérité malgré sa fragilité constitutive et la violence qu’il subira. Cela se confirmera par la suite : l’Eternel prend soin de ceux qui sont menacés de famine, de stérilité, d’extinction. Dieu ramène à la vie ce qui est menacé, ce qui est desséché, fut-ce un peuple qui ne valait pas plus que des ossements secs.  
L’Eternel fait advenir ce qui n’a que peu d’intérêt pour le regard superficiel des hommes. Ainsi se manifeste la force de Dieu dans ce qui est compté comme faible, fragile ou insignifiant

Pour Dieu, tout ce qui se glorifie, ne mérite pas sa volonté.


Dr. Jimi ZACKA
Théologien, Chercheur en Anthropologie