dimanche 15 novembre 2020

DONALD TRUMP ENTRE LE DÉNI, LA RUSE ET LE POUVOIR DE LA FORCE. À l’exemple de quelques figures bibliques Prof. Jimi ZACKA

Je me rappelle comme si c’était hier. Aussitôt, après l’élection controversée de Donald Trump en 2016, j’ai publié deux articles à ce sujet[1]. Ces deux publications évoquaient les situations de crise que pourrait provoquer le règne de Donald Trump. Nous voici aujourd’hui vers la fin de son mandat. Mais, il ne s’agit pas ici de parler de son bilan. L’élection présidentielle vient d’avoir lieu et celui qui a été élu selon les médias américains, est le démocrate Joe Biden. Malgré cette victoire annoncée par les grandes chaînes américaines : Joe Biden 306 et Donald Trump : 232, ce dernier refuse de concéder son échec.

Sans se tromper, l’on peut finalement dire que le mandat de Donald Trump s’achève comme il a commencé : dans une atmosphère de confusion et de récriminations entre démocrates et républicains, presque encore plus délétère que celle de la campagne électorale.

Pourtant, en 244 ans d’histoire de l’Amérique, il n’y a jamais eu un président qui a refusé de quitter la Maison Blanche après avoir perdu une élection. Le transfert normal, légal et pacifique du pouvoir est l’une des caractéristiques déterminantes de la démocratie américaine[2].

Pour cette raison, l’annonce par Donald Trump de refuser d’accepter sa défaite face à Joe Biden génère en ce moment une situation aussi inédite que déconcertante aux Etats-Unis. C’est un défi qui pousse les analystes politiques d’envisager des scénarios, auparavant impensables au cas où Donald Trump refuserait de quitter la Maison Blanche en dépit de sa défaite.  De même, cela fait réfléchir plus d’un sur la notion du pouvoir entre les mains d’un homme.  Que deviendra l’image des États-Unis, ce pays tant prôné comme paradigme incontestable de la grande démocratie ? Donald Trump conçoit-il le pouvoir de la même manière que ces dictateurs qui ont la propension à faire usage du pouvoir de la force pour régner ? Telles sont les questions qui, entre autres, interpellent tout un chacun à la réflexion. En effet, je vais essayer de répertorier quelques figures bibliques auxquelles la figure de Trump fait référence. Mais tout d’abord, quelles stratégies Donald Trump utilise-t-il pour faire résistance afin de se maintenir au pouvoir ?

Les stratégies de  Trump

En effet, j’en ai, entre autres, repéré trois :

1.      Le déni de l’échec 

La première stratégie adoptée par Trump est le déni de son échec. Trump, déterminé à ne pas faciliter la tâche à celui dont il n'a cessé de se moquer durant la campagne présidentielle et à propos duquel il lâchait, méprisant : « Vous imaginez, si je perdais contre un type pareil ?», n’a cessé d’attaquer la légitimité du scrutin. Il fait mine de croire que les actions en justice engagées par ses avocats pourraient, comme en Floride en 2000, renverser la tendance.  Pourtant, Joe Biden accumule des dizaines de milliers de voix d'avance dans plusieurs Etats. Mais Trump et ses alliés prétendent que rien n'est figé avant que les grands électeurs, désignés par le vote populaire, ne se retrouvent le 14 décembre pour élire le président. « À la Maison Blanche nous continuons à travailler en considérant que Trump va avoir un second mandat », a déclaré Peter Navarro, un des conseillers économiques du président sortant, sur Fox Business. C’est dire que Donald Trump n’a toujours pas reconnu sa défaite près d’une semaine après que les médias américains, sur la foi de projections basées sur le dépouillement des bulletins de vote dans la plupart des Etats, ont annoncé la victoire du démocrate Joe Biden. Il est toujours dans le déni, c’est-à-dire, ce sentiment de défense par lequel le sujet refuse de reconnaître la réalité ressentie comme menaçante ou traumatisante.  Tel un mur invisible construit autour de lui afin de se protéger du danger imminent.

Le déni a caractérisé plusieurs personnages bibliques. Entre autres, deux figures ont développé la stratégie du déni consistant à refuser d’obéir aux injonctions du pouvoir divin.  D’abord, le roi d'Égypte dans le récit d'Exode 5 est l’un des personnages le plus remarqué dans le déni en dépit de dix plaies subies en Egypte. Contrairement au pharaon qui connaissait Joseph, le pharaon de Moïse est cruel et vindicatif. Lorsque Moïse lui demande de libérer les Israélites, le Pharaon fait travailler encore plus dur les esclaves, leur enlevant la paille dont ils ont besoin pour fabriquer des briques de terre séchées au soleil, alors que le quota journalier de briques achevées reste inchangé (Exode 5:7-8). Pharaon, la tête et le cœur trop pris du vacarme de sa vie et du poids de son pouvoir va jusqu’à dire : « Qui est l'Eternel, pour que j'obéisse à ses ordres en laissant partir Israël ? Je ne connais pas l'Eternel et je ne laisserai pas partir Israël. » (Ex 5.2).  Ensuite, Saül fut le premier roi du peuple d'Israël, vers 1040 av. J.C. C'est Dieu qui l'avait choisi et il avait chargé le prophète Samuel de le consacrer comme roi ; mais après un bon début, Saül donna malheureusement raison aux pires craintes du prophète : son bon plaisir et l'amour du pouvoir et de la guerre l'emportèrent sur la fidélité à l'Alliance. Ce fut si grave que, sans attendre la fin de son règne, Samuel, sur l'ordre de Dieu, envisagea la succession et choisit déjà le futur roi : ce fut David, le petit berger de Bethléem; écuyer du roi, Saül fut formé à la cour ; il devint peu à peu un remarquable chef de guerre dont les succès se racontaient partout. Saül, d'abord enthousiaste - il fit même de David son gendre - conçut bientôt d'affreux soupçons et une jalousie féroce pour ce rival potentiel. À tel point que David dut s'enfuir à plusieurs reprises pour lui échapper jusqu'à ce jour mémorable dans le désert de Ziph : «Saül se mit en route avec trois mille hommes, l'élite d'Israël, pour traquer David dans le désert de Ziph». Mais voilà que le hasard renverse la situation au profit de David : pendant la nuit, il s'introduit dans le camp de Saül et trouve tout le monde endormi; ce pourrait être l'occasion de se venger. La première tentation pour David lui vient de son entourage qui voit dans cette aubaine le doigt de Dieu : Abishaï, son aide de camp se réjouit déjà de l'aubaine : «Aujourd'hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Eh bien, je vais le clouer à terre avec sa propre lance». Mais David, en refusant cette fausse image de Dieu, surprend tout le monde, y compris Saül qui n'en croira pas ses yeux quand il aura la preuve que David l'a épargné (1 Sm 24 1-12).

2.     La ruse, arme de manipulation

  La ruse a toujours été une réponse au désarroi populaire.  Les grecs l’appelaient la mètis, cette forme d’intelligence particulière, qui mêle tactique et esprit de finesse pour convaincre les naïfs et les faibles d’esprit. Difficile à définir, elle est pourtant présente partout : dans l’esprit du stratège, du chasseur ou du politicien. La première figure biblique à être dite rusée, ‘arûm, est le serpent de la Genèse [Genèse, 3, 1]. Et même si ce serpent déploie son intelligence pour tromper, on doit lui reconnaître, avec le narrateur, une finesse hors de pair. On le voit ainsi induire du faux tout en disant vrai[3]. « La femme vit que l’arbre était […] précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea », lit-on dans la Genèse. S’ensuit le bannissement éternel du Paradis. A noter que le serpent est décrit comme le plus rusé de tous les animaux des champs. « Or, être rusé, c’est avoir de la ruse, c’est-à-dire tromper, manipuler, être fourbe. C’est dire que l’intelligence est souvent plus du côté du diable que de celui de l’ange [4]». Plus encore qu’un luxe, l’intelligence pouvait même être un vice. L’être qui en est doué, par sa promptitude à tout remettre en question, constitue une menace pour toute société dont le fondement est la tradition plutôt que le changement.

Ainsi, la ruse a pour objectif d’influencer ou de contrôler la pensée, les choix ainsi que les actions d’une personne par un rapport de pouvoir.

Ainsi, se développe la stratégie de Trump. Il se présente en effet comme le candidat du bas-peuple contre le « système », l’establishment et les appareils politiques. En fait, son discours est empreint des définitions exclusives de « qui est le peuple » et « qui n’est pas le peuple », avec des critères variables excluant ainsi une frange de la population américaine. Et, pour lui, son propre peuple est dépositaire d’une identité particulière, d’une classe immuable.  Il se doit de défendre leurs droits tout en limitant la dimension universelle du peuple américain.

Il emprunte ainsi leur langage, du moins le croit-il, en étant grossier et vulgaire, brutal et menaçant, violent et emporté, menaçant et coléreux, agressif et querelleur. A cet effet, Trump se révèle être une figure charismatique, capable de galvaniser et d’encourager des forces néo-fascistes disparates : des suprématistes et nationalistes blancs et leurs milices, néo-nazis et membres du KKK, jusqu’aux Oath Keepers [milice anti-gouvernementale d’extrême droite], mouvement patriote, chrétiens fondamentalistes et groupes armés anti-immigrants tels que Proud Boys, QAnon qui est un mouvement complotiste se revendiquant pro-Trump[5].

 Par cette manipulation rusée, Trump a réussi à tromper tous les esprits faibles en leur faisant croire que, par cette élection, son échec est dû au complotisme d’un système gauchiste, communiste, anticapitaliste. Sa rhétorique complotiste ne cesse de prendre l’ampleur et parvient à convaincre une audience qui s’agrandit progressivement. D’ailleurs, dès son arrivée au pouvoir en 2016, il n’a pas hésité à remettre en cause de nombreuses informations et il en a fait un mode de gouvernement. Par exemple, Donald Trump affirmait ne pas pouvoir gouverner comme il le souhaitait à cause de pressions et de l’influence d’un « deep state » qui contrôlait le pays en coulisses.

3.     Le pouvoir de la force

 Une troisième stratégie de résistance de Trump se trouve dans sa velléité de s’imposer par coup de force afin de s’accrocher au pouvoir, au détriment des principes fondamentaux de la démocratie américaine. Cette mise en scène d’usage de force s’explique par trois faits :

Le premier, Trump, comme il a été souligné ci-haut, refuse de concéder son échec et organise avec l’aide de ses collaborateurs une obstruction systématique à son successeur Biden. Même, les démocrates dénoncent cette obstruction systématique comme une dangereuse dérive autoritaire du président Trump, et déplorent l’effet de ce précédent, mettant en garde contre les dégâts potentiels causés à la crédibilité de l’élection.

 Le deuxième, interrogé à Washington sur les mesures prises par le département d’État, un ministère-clé en matière de sécurité nationale, pour favoriser la transition avec les équipes du président élu, le chef de la diplomatie américaine Pompeo a refusé de reconnaître la défaite du sortant républicain.   « Il y aura une transition en douceur vers une seconde administration Trump », a lâché d’un ton neutre le plus fidèle des collaborateurs de Trump, avant d’esquisser un sourire. Un peu plus tard sur la chaîne Fox News, il n’a pas invoqué l’ironie ou le second degré, mais a semblé atténuer un peu la portée de son propos. « Nous verrons ce que les gens ont décidé » quand toutes les voix auront été comptées » a-t-il expliqué. « Dans un autre contexte, dans un autre monde, à un autre moment », ces propos auraient pu être drôles », a réagi l’ex-diplomate Richard Haass. « Mais pas dans ce contexte, dans ce monde, en ce moment. Les enjeux sont trop gros pour notre démocratie et notre rang. » a-t-il ajouté.

Le troisième, sont les violences verbales, les intimidations à l’égard de tous ceux qui tentent de le rendre conscient de son échec, la valse des limogeages et démissions au sein de l’administration américaine, la perspective de l’instabilité mondiale. L’Amérique semble aujourd’hui vivre aujourd’hui la mégalomanie d’un roi.

À L’apothéose du pouvoir  de Nebukadnetsar (Dan.2-4)

C’est ainsi qu’agit le roi de l’Euphrate envers ses sujets.  Nebukadnetsar. Ce roi mégalomane avait une ambition sans borne et son désir de s'élever toujours plus sont évidents dès le début du livre de Daniel. Mais il est instructif de voir que ce grand roi, malgré toute sa gloire terrestre, n'est qu'un jouet entre les mains du grand Dieu des cieux qui l'incline à ce qui Lui plaît (Jér. 27 : 6-8).

Malgré tout ce qu'il se targuait de posséder, Nebucadnetsar a seulement servi à faire prospérer - involontairement - le propos divin. Il a été une terrible verge dans la main de Dieu contre les derniers rois idolâtres de Juda.

Il a convoqué tout le peuple et déplacé l’orchestre philharmonique de Babylone. Il fallait adorer la statue au son de la musique. C’était obligatoire. Pour les contrevenants, la répression était dissuasive. Beaucoup de Babyloniens ont plié le genou sans adorer dans leur cœur. Un grand nombre d’Hébreux qui adoraient l’Éternel n’ont pas eu le courage, nous les comprenons, de désobéir au potentat. Seuls trois hommes, Schadrac, Méschac et Abed-Nego, ont mis leur confiance en Dieu et ont osé lui tenir tête. La suite du récit nous dévoile qu’ils ont bel et bien été jetés vifs dans la fournaise ardente, mais qu’ils n’ont même pas grillé un poil de moustache. Dieu les a secourus.

Les idéologies populistes épousent souvent des idées pseudo-religieuses et usent des mêmes méthodes en prouvant bien qu’au diable appartiennent la démagogie, l’autocratie, la liberté bafouée. Hitler a osé proclamer : « L’œuvre que Christ a entreprise, je l’accomplirai ! ». Doit-on s’étonner qu’il ait persécuté, premièrement les juifs parce qu’ils étaient le peuple de Dieu, mais aussi tous ceux qui ont préféré Auschwitz ou Buchenwald, plutôt que renier leur foi en Jésus-Christ ? Doit-on s’étonner que Staline et ses successeurs aient fait massacrer des milliers de chrétiens au nom de « leur » démocratie ? Doit-on s’étonner qu’en Afrique noire, des atrocités soient commises au nom de l’islam et du Christianisme et que les mass-medias n’en disent pas un mot ?

Beaucoup de chrétiens d’obédience évangélique ou autre soutiennent Donald Trump pour des raisons d’éthique chrétienne complètement biaisée, selon lesquelles, il est contre certaines anti-valeurs telles que : mariages homosexuels, avortement, etc mais ils semblent ignorer les déviances anti-chrétiennes quotidiennes de Trump.  Est-il difficile pour ceux-là d’être parmi les pharisiens qui lapidaient la femme adultère ?

Il semblait bien que pour Nébukadnetsar, tout fût irrémédiablement terminé. Il perdit la raison, il se prit pour une vache et se mit à brouter l’herbe des prés. Il marchait à quatre pattes, ne se lavait plus, se laissait pousser les cheveux et les sabots (pardon ! les ongles). Il fut destitué de sa royauté. Son destin serait certainement comparable à celui d’une reine impie, nommée Jézabel, et à laquelle l’Éternel avait réservé une fin sans gloire.

Finalement, que fait-on du pouvoir ?

Sans doute depuis que l’homme est l’homme et qu’il s’est organisé pour vivre en société, la question du pouvoir qu’exercent les uns sur les autres se pose. On ne peut manquer de se demander si l’existence d’un tel pouvoir est nécessaire, et si tel est le cas, à qui appartient le droit de décider, ce qui légitime ceux qui dirigent et comment le pouvoir doit être appliqué ? En outre, l’exercice du pouvoir soulève nécessairement la question des limites. Jusqu’où le pouvoir peut-il aller pour atteindre ses buts, et quelle est la limite entre un pouvoir utile et nécessaire et un pouvoir tyrannique et dangereux[6].

La définition d’Aristote pourrait peut-être nous amener à comprenfre ce que l’on fait du pouvoir:

Les véritables formes de gouvernement… sont celles dans lesquelles un seul, ou une minorité, ou une majorité gouvernent en vue de l’intérêt commun ; mais les gouvernements qui exercent le pouvoir en vue de l’intérêt privé, que ce soit d’un seul, ou d’une minorité, ou d’une majorité, sont des perversions. [...] Parmi les formes de gouvernement où un seul exerce le pouvoir, nous appelons « royauté » celle qui a en vue l’intérêt commun. [...] Parmi ces formes, la perversion de la royauté est la tyrannie [...] car la tyrannie est une forme de royauté qui n’a en vue que l’intérêt du monarque (Pol. III 7, 1279 a 28 - b 7).

 

 

Prof. Jimi ZACKA

Exégète, Chercheur en Anthropologie culturelle

 



[1] Cf. Donald Trump, figure du mauvais Roi, publié le 19 Janvier 2017, https://tephila.blogspot.com/2017/01/donald-trump-figure-du-mauvais-roi.html

[2] Cf. Donald Trump, Vox populi Vox Dei ? publié le 10 Novembre 2016, https://tephila.blogspot.com/2016/11/donald-trump-vox-populi-vox-dei-dr-jimi.html

[3] A.Wenin,  De la ruse de la raison, Dans Les raisons de la ruse (2004), pages 79 à 92

[4] Cf. P. Menard, Comment paraître intelligent, ed. Cherche Midi

[5]

[6] Lire J.D.Macchi, « le refus, la ruse ou la force : le rapport au pouvoir dans le livre d’Esther », Le Pouvoir, ed.CERF,2012, p. 195-206.

samedi 19 septembre 2020

« PRÊCHER DANS LE DÉSERT[1] » : Fracture et relecture de Matt 3.1-4. Pour quelle perspective sotériologique aujourd’hui ?

Introduction

« Prêcher dans le désert » est une expression tant utilisée aujourd’hui qui suscite, à tort ou à raison, une frustration, une désolation, une déception. Elle s’emploie souvent quand une personne tente de se faire entendre dans la plus parfaite indifférence. En d’autres termes, il s’agit de ne parler pour rien ni personne, de tenter de se faire entendre ou de convaincre sans résultat et dans la plus grande indifférence, que les personnes à qui l’on s’adresse n’écoutent pas ou ne veuillent pas entendre.

Pourtant, l’expression telle que nous la connaissons aujourd’hui est bien éloignée de son sens originel. Il faut se replonger dans la lecture du Livre d’Esaïe pour en comprendre le contexte, et plus précisément dans la seconde des trois parties qui composent le livre, aussi appelée Livre de la consolation d’Israël ou second Esaïe.

Sens originel : « Prêcher dans le désert »

L'expression date du XVIIIe siècle. Elle ne veut pas dire que l'individu qui parle n'a personne autour de lui, mais simplement que ce qu'il dit n'est pas entendu, compris ou pris en compte par l'auditoire.

Elle est basée sur une double interprétation erronée d'abord dans la version des Septante de l'Ancien Testament, puis dans les Évangiles.
Au départ, il y a Esaïe dont il est dit dans le texte original : "Une voix crie : dans le désert, préparez la route de Yahvé". Esaïe réclame en effet à son auditoire (il n'est pas dans un endroit désertique) de préparer à travers le désert un chemin vers la Palestine. Une erreur de transcription aurait fait sauter la ponctuation et Esaïe est devenu "une voix clamant dans le désert" ("vox clamantis in deserto")[2].

Ensuite, dans les Évangiles, Jean le Baptiste, qui parle effectivement dans un endroit désertique au bord du Jourdain, est comparé à cet Esaïe mal compris. Toutefois,  lui,  Jean le Baptiste réussit à faire venir à lui tous ceux qui veulent être immergés dans le Jourdain pour se faire baptiser ("Jérusalem sortait vers lui, et toute la Judée, et tout le pays des environs du Jourdain"). Il est donc loin de parler dans le désert, au sens de notre expression d’aujourd’hui.

De même, le désert n'était alors pas considéré sous son aspect physique de grande aridité, mais comme le lieu très symbolique de la révélation divine.
Prêcher dans le désert veut donc dire, à l'origine, prêcher la bonne nouvelle, dans un espace spirituellement aride.

 

« Jean Baptiste prêchant dans le désert de judée » (v.1)

De ce fait, peut-on dire que Jean Baptiste a-t-il vraiment « prêché dans le désert » dans le sens de parler dans le vide ? Telle est la question qui se pose. Notons tout d’abord que le v.3 rejoint la tradition commune en citant Es.40.3 et ce passage caractérise bien la mission de Jean le Baptiste : autrefois, Israël était né du désert, lors de l’exode, puis du retour de l’exil, nouvel Exode. À présent, il fallait renaître, à l’écoute du prophète, et préparer la venue royale de Dieu.

Une voix crie : Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides une route pour notre Dieu. (Esaïe 40:3).

Il est là question de préparer une voie dans le désert et non d'y crier. La voie étant pour le Christ, le désert est celui du refus, du rejet, de l'incrédulité, et du mépris... mais, il pouvait être urbain et civilisé.

 En effet, Jean le Baptiste, le héraut annoncé, vit de nombreux gens venir de tout le pays l'écouter et se faire baptiser. On ne peut pas dire qu'il s'exprimait dans l'indifférence, car les propos qu'il tenait à certains ne pouvaient être qu'entendus. C’est ce que le narrateur matthéen dit :

 « Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain. Mais, voyant venir à son baptême beaucoup de pharisiens et de sadducéens, il leur dit:Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir? » (Matthieu 3:3).

Dit autrement, si Jean le Baptiste prêche dans le désert, il ne parle pas sans être écouté : ce sont de véritables foules qui viennent à lui pour être baptisées. Marc précise dans son évangile que « toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui, et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés » (Mc1.5). Ni indifférence, ni rejet, ni solitude : on est bien loin de l’image du désert telle que nous nous la représentons dans l’expression « prêcher dans le désert ».  

D’ailleurs, c'est quand il a quitté le désert que les choses se sont aggravées pour lui. Le prophète est tellement écouté que sa parole dérange, et il est jeté en prison pour avoir dénoncé la conduite d’Hérode qui a épousé sa belle-sœur Hérodiade. Usant d’un stratagème machiavélique, celle-ci le fera décapiter pour se venger.

 

Jean Baptiste, une « voix dans le désert » (v.2).

Les quatre évangiles canoniques rapportent finalement que Jean était la voix qui crie dans le désert. Mais un seul évangile (Mathieu) rapporte qu'il "prêchait" dans le désert. Marc, lui, rapporte que Jean "baptise" dans le désert, ce qui peut sembler paradoxal si on considère qu'il baptisait d'eau.

Enfin, la voix qui crie dans le désert est la formule rendue en latin par vox clamantis in deserto . Tandis que prêchant dans le désert est rendue par praedicans in deserto.  Il faudrait voir si les expressions prêcher dans le désert et crier dans le désert co-existent avec un sens différent, aujourd'hui. De même, il faut souligner que la citation de Jean rapportée dans les quatre évangiles canoniques  (vox clamantis in deserto ..) : « Moi, dit-il, je suis la voix de celui qui crie dans le désert: Aplanissez le chemin du Seigneur, comme a dit Ésaïe, le prophète (Jean 1:23) est inspirée du livre d'Esaïe 40:3 (Ancien Testament) :  Une voix crie: Préparez au désert le chemin de l'Éternel, Aplanissez dans les lieux arides Une route pour notre Dieu.

Rappelons que c’était pendant l’exil, Jérusalem a été prise par les armées du roi Nabuchodonosor II et ses habitants ont été déportés à Babylone. C’était une période difficile pour le peuple hébreu retombé sous le joug d’une puissance étrangère et retenu captif hors de son pays[3]. Mais le prophète Esaïe, porte-parole de Dieu, assure ses compatriotes que le Seigneur continue à veiller sur eux, et les exhorte à se préparer pour l’accueillir : « Une voix proclame : “Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ; tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu“ » (Es40.3). C’est une erreur de transcription qui aurait détourné l’expression de son sens initial : si l’on enlève les guillemets après « Une voix proclame », la phrase devient : « Une voix proclame dans le désert, préparez le chemin (…) »[4].

En effet, l’on peut dire que les deux expressions expriment l’idée eschatologique de préparer la venue du Seigneur. Ce sont donc des paroles d'un prophète reconnu (Ésaïe) qui sont ici transférées à un nouveau prophète (Jean le Baptiste). Aussi, même si le désert renvoie à une terre hostile, stérile, il est considéré comme le lieu spirituel où Dieu parle au cœur de l’homme.

C’est dire que nous avons un Dieu qui vient vers nous en notre désert, un Dieu présent au cœur de nos souffrances, un Dieu qui accepte de mourir sur nos croix pour que nous puissions vaincre notre mort. En d’autres termes, se convertir, c’est se tourner vers cette parole inattendue dans notre désert, est là où se trouve le désert où Jean le Baptiste prêche. Dit autrement, notre désert spirituel est le terrain de l'action salvifique de Dieu dans et par le Message du Salut.

Esaie 40 :3 rappelle ainsi Mt 3 en évoquant les débuts du ministère de Jean le Baptiste prêchant le baptême de repentance : « C’est la voix de celui qui crie dans le désert : préparer le chemin du Seigneur…Et toute chair verra le salut » (Mt 3.3). Le message d’Esaïe que reprend Jean le Précurseur de Jésus est le message de la repentance et de la conversion pour le pardon des péchés.  Tous ceux qui venaient à Jean le Baptiste en toute droiture de cœur, confessant leurs péchés, étaient propres à recevoir le Seigneur, qui par ses souffrances à la croix, en ferait l’expiation. Mais il se trouvait là aussi des pharisiens et des sadducéens qui voulaient participer au royaume des cieux en vertu de leur position nationale et religieuse, croyant que, pour obtenir cette part, il suffisait d’appartenir à la race d’Abraham, sans que leur état de péché fût en jeu. Ils se trompaient entièrement, car ce n’est qu’en vertu de la grâce, par laquelle Dieu pardonne au pécheur, que le Juif, comme tout homme, peut jouir des bénédictions apportées par le Seigneur. Aussi Jean, indigné de leur manque de conscience et de leur mépris des droits et du caractère de Dieu, leur dit : « Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère qui vient ? » Il ne leur dit pas qu’ils sont trop mauvais pour éviter cette colère, mais : « Produisez donc du fruit qui convienne à la repentance », c’est-à-dire: «Reconnaissez avec droiture votre état de péché, confessez-le, et que votre marche réponde à vos paroles». Il faut des fruits qui prouvent la réalité de ce que l’on professe. C’était inutile de se vanter de sa position d’enfant d’Abraham ; l’épreuve que Dieu avait faite de ce peuple et, par lui, du cœur de tout homme, était à son terme et n’attirait sur lui que le jugement.

 

 Aussi Jean ajoutait : « Déjà la cognée est mise à la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit est coupé et jeté au feu». Le jugement ne s’exécutait pas encore, la hache n’était pas encore levée ; elle était posée au pied de l’arbre, prête à frapper, si les fruits de la repentance ne se produisaient pas.

C’est dire que se convertir n’est pas dire ou penser des choses justes sur le vrai Dieu, mais faire ce que celui-ci attend de l’homme : qui fait la volonté de Dieu, voilà le vrai « fils d’Abraham » (v.9) et voilà , ajoutera Matthieu, le vrai disciple de Jésus (Mt 7.21). À la prétention d’un baptême qui sauverait automatiquement, Jean le Baptiste oppose donc l’exigence d’une conversion effective.

 

Jean le Baptiste et le « kerygme » dans le désert

Qu’est-ce que c’est le « kerygme »? Ce mot provient du grec kèrugma employé dans le Nouveau Testament pour désigner la proclamation de Jésus et des Apôtres. Le kérygme, c’est l’action publique du héraut qui proclame dans l’espace public un événement capital. Le verbe kerussein (proclamer, annoncer) est devenu si important dans le NT qu’il symbolise la mission chrétienne, kerygmatique par nature. Qui proclame et que proclame-t-on ? Ce sont Jean-Baptiste, Jésus, puis les disciples, enfin la future communauté qui proclament la bonne nouvelle ou la conversion. Le kérygme désigne alors l’acte d’annoncer et le contenu annoncé. C’est pourquoi, dans le vocabulaire chrétien des premiers siècles, le kérygme désigne la confession de foi des chrétiens. Il se compose de trois énoncés essentiels : Jésus-Christ est le Messie, le Fils de Dieu. Il est ressuscité, celui qui parle en rend témoignage personnellement. Au nom du Christ, le témoin appelle à la conversion

De ce fait, nul doute que le  kerygme  est fondamental pour l’évangélisation même encore aujourd’hui. C’est pourquoi, il est important de savoir quel a été le noyau de la prédication de Jean-Baptiste dans le « désert de judée », son contenu essentiel. Car, n’oublions pas qu’en reprenant Isaïe 40 et sa fameuse voix criant dans le désert, le message est bien clair :  Jean-Baptiste accomplit la prophétie d’Esaïe et ce qui a été écrit en Malachie. Il est à cet effet utile de comparer les textes évoqués :

- Ml 3, 1 :

« Voici que j’envoie mon messager et il fraiera un chemin devant moi et soudain il viendra dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez (…) »

Esaïe 40:3-5 :

« Une voix proclame: dans le désert, frayez le chemin de Y., aplanissez, dans la steppe, une route pour notre Dieu (...) et la gloire de Y. se révèlera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Y. a parlé. »

L’Évangéliste Jean confirme l’hypothèse, en plaçant ce passage d’Esaïe dans la bouche même de Jean le Baptiste, lorsque celui-ci se rend à lui-même témoignage :

« Ils lui dirent alors: ‘Qui es-tu, que nous donnions réponse à ceux qui nous ont envoyés? Que dis-tu de toi-même?’ - ‘Moi, dit-il [je suis la] ‘voix de celui qui proclame : dans le désert: aplanissez le chemin Seigneur’, comme l’a dit le prophète Isaïe’ » (Jn 1, 22-23)

 Autrement dit, le christianisme n’est pas la religion des promesses d’abord, elle est avant tout l’annonce des accomplissements. Ce qui était attendu arrive. Ce qui était espéré s’accomplit. Plus besoin de promettre que demain on sera sauvé, puisque le salut de Dieu est pour maintenant, vraiment gratuit. Ce qui doit se voir en actes dans la vie de l’Église. Ainsi, le narrateur matthéen présente le « kerygme » de Jean-Baptiste comme l’œuvre libératrice et salvifique de l’Alliance, un chemin du salut balisé par la repentance, la conversion, l'annonce du jugement imminent, l'exigence religieuse sans compromission (Mt. 3, 7-10). Pour y arriver, Jean-Baptiste s’y était préparé en trois moments formulés comme suit :

D’abord, il n’y a pas de création de voies nouvelles sans un travail de rénovation. Le prophète ne se contente pas d’annoncer, il fait en sorte que l’avènement soit possible et l’orientation autre qu’il prédit ne va pas sans interruption. Plus que continuité, le prophétisme est rupture. Jean-Baptiste assume une bifurcation nouvelle, déjà en portant par son nom la rupture qu’il énonce. En prenant le nom de Jean, nom donné par la mère, et non celui de son père, Zacharie, il rompt avec sa famille, et sa naissance contredit les lois biologiques de la filiation naturelle. Il rompt bien sûr aussi avec le monde en partant au désert où sa tenue est celle des prophètes. Suivant les Ecritures. Cette parole déléguée trouve des échos dans les discours tenus par l’auteur lui-même qui, suivant un principe analogique et typologique, révélateur d’une vision conservatrice du monde et de l’histoire humaine ;

Ensuite, suivant les Ecritures, le récit le présente vêtu à la manière d’Elie d’une ceinture et d’une peau de chameau, signe non de régression à l’état animal, mais de rupture ; la peau de bête s’opposant au tissu qui, par ses fibres végétales, est lien ténu, liaison rassurante et symbole de continuité.

Enfin, Jean ne se compromet pas avec le pouvoir en place, assumant vis-à-vis des membres de la société et du roi Hérode un rôle de remontrance qui a toujours été celui des prophètes. La figure d’Elie présente en filigrane dans le texte de Malachie revient en force. La parole du prophète se déploie dans des prêches où la langue métaphorique des évangiles se transforme en un message direct et virulent, dans lequel il met en garde le « peuple commun », les Publicains et les chevaliers contre l’irruption imminente de la colère de Dieu et prêche la conversion pour échapper au Jugement. Il dénonce la souveraineté politique et oppressive et l’accumulation des richesses. On touche là à l’essentiel du prophétisme : attention efficace aux faibles et aux petits, en matière de justice notamment, le respect de Dieu et le respect d’autrui étant deux commandements auxquels se ramène la Loi des prophètes.

La leçon retenue de la prédication audacieuse de Jean-Baptiste, dont l’enseignement éthique s’adapte aux divers états de la vie, est susceptible d’être actualisé dans n’importe quelle communauté. Jean-Baptiste démontre que le christianisme, quelles que soient les époques, ne peut faire l’économie du salut ou, en d’autres termes de la parole, dont le message est chargé des éléments sotériologiques.

Le message de Jean Baptiste est simple : "Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche." (v.2). Les conséquences de ce message ont à cet effet une grande portée. Dans le Nouveau Testament, dans l’original, lorsqu’il est question de se repentir, il s’agit de « se comporter autrement dans la vie, du fait que l’on a une autre conception du péché et de la justice »[5]. La personne qui se repent se rend compte qu’elle a péché – transgressé les lois saintes et bénéfiques de Dieu – et qu’elle doit changer. L’appel, et le désir de se repentir – de vivre autrement – vient de notre Père céleste (Jean 6:44).

Conscients du fait qu’un changement énorme a lieu dans notre façon de penser quand nous nous repentons de nos péchés, certains se sont mis à décrire cet événement comme un événement consistant à « donner son cœur au Seigneur ». S’il est vrai que notre cœur a énormément affaire avec ce processus, il faut bien comprendre que le repentir est loin de se limiter à l’émotion d’un moment. Quand nous nous repentons sincèrement, nous agissons aussi en conséquence – en vivant pieusement pour le restant de nos vies. Le vrai repentir n’est pas un événement isolé. C’est une manière de penser et de vivre continuellement, conformément aux instructions divines se trouvant dans la Bible.

L’action de se tourner vers Dieu, par exemple dans l’appel de Jean-Baptiste, signifie d’abord le rétablissement de la communion avec Dieu. Et c’est sur la base de cet appel que se fait entendre l’exigence de la sollicitude pour les hommes et pour Dieu dans la suite du Christ présent pour toujours dans sa communauté. Mais les membres de la communauté matthéenne vivent aussi dans l’attente de la venue du Fils de l’homme dans la gloire. Seuls entreront dans le Royaume ceux qui font la volonté de Dieu et le disciple chemine dans l’histoire avec une non-certitude de son salut.

Nous découvrons ainsi que le récit matthéen de « prêcher dans le désert » vise à faire comprendre que par sa vie, sa mort et sa Résurrection, Jésus est celui qui vient accomplir le plan divin de salut dont les prophètes de l’Ancien Testament s’étaient fait l’écho dans l’histoire d’Israël. Par la place qu’il donne aux enseignements et aux paroles de Jean le Baptiste, le narrateur invite ainsi à « s’approcher » de la personne de Jésus. Il nous semble cependant qu’une attention plus grande aurait pu être accordée au jeu de relation des personnages, et l’autorité de Jésus mise en valeur de manière plus juste. L’importance du schéma annonce/accomplissement est avec raison mise en valeur, mais il resterait à préciser davantage la forme que prend l’accomplissement en Jésus.

Au terme, le lecteur demeure avec une question. Quel est le lien entre le salut que Jésus réalise pour son peuple, Israël (cf. 1,21), et l’ouverture finale à la mission universelle ?

Urgence de la conversion : un défi d’aujourd’hui

La question du salut revêt  aujourd’hui une importance capitale. Car, le paradigme a changé : dans l’Église primitive, on était dans une société très majoritairement chrétienne où se transmettait naturellement le message du salut, tant sur le plan de la foi que sur celui de la vie chrétienne au sens large. À présent, notre société est plus séculière que chrétienne, en terme du salut ou de la véritable conversion. Le message du salut, de nos jours, n’a presque plus d’audience. Prêcher la repentance ou la conversion aujourd’hui, c’est « prêcher dans le désert » dans le sens contemporain que nous aimons en faire usage, c’est-à-dire, prêcher dans la plus grande indifférence, c’est là où les personnes à qui l’on s’adresse n’écoutent pas ou ne veulent pas entendre parce que cela ne répond pas à leurs attentes. Car, la plupart des Eglises, notamment en Afrique, attisent le désir de bonheur axé sur la richesse, la santé, le bonheur au détriment du véritable message de conversion. Si l'on regarde les thèmes, ceux de guérison, de miracle, de délivrance reviennent fréquemment et Jésus est plus souvent cité que Dieu (ce dernier étant parfois présenté comme terrifiant). Dans le contexte culturel africain, dominé par la peur et l'angoisse de la mort ou de la perte de la substance vitale de sa personne, la religion est souvent perçue et vécue comme l'instance qui 'guérit'; elle est aussi et surtout celle qui protège contre toutes les forces du mal (démon, Satan, sorcier, etc… ).

En effet, au lieu d’une christologie qui soit plus proche des récits évangéliques et qui dégage mieux la signification de la filiation divine de Jésus, de ses miracles et de sa mort par rapport à notre salut, les pratiques cultuelles sont souvent consommées « comme un opium qui adoucit les souffrances sociales »[6].

 Aujourd’hui, la question du salut revient avec force nous obliger à l’annonce, en retrouvant la situation des débuts de l’ère chrétienne, et en reprenant les fondamentaux de l’évangélisation. Celle-ci n’est pas la divulgation d’une idéologie ou d’un courant d’idées ; elle vise à permettre à chacun de rencontrer le Christ en vérité, personnellement déjà. Il s’agit donc d’une grâce reçue du Seigneur, dont l’Église a pour mission de témoigner et qu’elle doit annoncer ; son unique mission, conduire vers Dieu.

Ni théorie, ni discours, ni matraquage, ni marketing, ni forcing, non. Il nous faut prêcher la vérité de toujours dans les mots de tous les jours, plongés dans l’expérience de chaque jour, avec du concret, des exemples vivants, du vécu. Montrer la foi incarnée, en direct, pour annoncer le nom de Jésus dans le « désert » de tout un chacun.

Le fait que le Seigneur nous offre, une fois de plus, un temps favorable pour notre conversion, ne doit jamais être tenu pour acquis. Cette nouvelle opportunité devrait éveiller en nous un sentiment de gratitude et nous secouer de notre torpeur. Malgré la présence, parfois dramatique, du mal dans nos vies ainsi que dans la vie de l’Église et du monde, cet espace offert pour un changement de cap exprime la volonté tenace de Dieu de ne pas interrompre le dialogue du salut avec nous. En Jésus crucifié, qu’il « a fait péché pour nous » (2Co 5, 21), cette volonté est arrivée au point de faire retomber tous nos péchés sur son Fils au point de « retourner Dieu contre lui-même ».

En ce temps favorable, laissons-nous donc conduire comme Israël dans le désert (Os 2, 16), afin que nous puissions enfin entendre la voix de notre Époux, pour la faire résonner en nous avec plus de profondeur et de disponibilité. Plus nous nous laisserons impliquer par sa Parole, plus nous pourrons expérimenter sa miséricorde gratuite envers nous. Ne laissons donc pas passer ce temps de grâce en vain, dans l’illusion présomptueuse d’être nous-mêmes les maîtres du temps et des modes de notre conversion à lui.

 

Jimi ZACKA, PhD

Exégète

 

 


[1] Cet article est un exposé de Prof. Jimi ZACKA remanié à un colloque organisé sur le thème : Le Désert, espace paradoxal dans la Bible, 15 Avril 2018, Goma (RDC).

[2] Collectif universitaire, Jean-Baptiste : Le précurseur au Moyen Age, Presse universitaires de Provence, 2014

[3] Lire Schmitt Joseph. Le milieu baptiste de Jean le Précurseur. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 47, fascicule 2-4, 1973.

[4] Cf. André Paul, « Jean le baptiste : L'homme qui révéla le Christ », Le Monde des religions, no 74, novembre 2015

[5] J.P. Louw & Eugene Nida, Greek-English Lexicon of the New Testament Based on Semantic Domains, 1988

[6] Cheza Maurice. «Repenser le salut chrétien dans le contexte africain». XXIIIe Semaine théologique de Kinshasa (10-15 mars 2003). In: Revue théologique de Louvain, 34 année, fasc. 4, 2003. pp. 566-568;