Sans se tromper, l’on peut finalement dire que le mandat de Donald Trump s’achève comme il a commencé : dans une atmosphère de confusion et de récriminations entre démocrates et républicains, presque encore plus délétère que celle de la campagne électorale.
Pourtant, en 244 ans d’histoire de l’Amérique, il n’y a jamais eu un président qui a refusé de quitter la Maison Blanche après avoir perdu une élection. Le transfert normal, légal et pacifique du pouvoir est l’une des caractéristiques déterminantes de la démocratie américaine[2].
Pour cette raison, l’annonce par Donald Trump de refuser d’accepter sa défaite face à Joe Biden génère en ce moment une situation aussi inédite que déconcertante aux Etats-Unis. C’est un défi qui pousse les analystes politiques d’envisager des scénarios, auparavant impensables au cas où Donald Trump refuserait de quitter la Maison Blanche en dépit de sa défaite. De même, cela fait réfléchir plus d’un sur la notion du pouvoir entre les mains d’un homme. Que deviendra l’image des États-Unis, ce pays tant prôné comme paradigme incontestable de la grande démocratie ? Donald Trump conçoit-il le pouvoir de la même manière que ces dictateurs qui ont la propension à faire usage du pouvoir de la force pour régner ? Telles sont les questions qui, entre autres, interpellent tout un chacun à la réflexion. En effet, je vais essayer de répertorier quelques figures bibliques auxquelles la figure de Trump fait référence. Mais tout d’abord, quelles stratégies Donald Trump utilise-t-il pour faire résistance afin de se maintenir au pouvoir ?
Les stratégies de Trump
En effet, j’en ai, entre autres, repéré trois :
1. Le déni de l’échec
La première stratégie adoptée par Trump est le déni de son échec. Trump, déterminé à ne pas faciliter la tâche à celui dont il n'a cessé de se moquer durant la campagne présidentielle et à propos duquel il lâchait, méprisant : « Vous imaginez, si je perdais contre un type pareil ?», n’a cessé d’attaquer la légitimité du scrutin. Il fait mine de croire que les actions en justice engagées par ses avocats pourraient, comme en Floride en 2000, renverser la tendance. Pourtant, Joe Biden accumule des dizaines de milliers de voix d'avance dans plusieurs Etats. Mais Trump et ses alliés prétendent que rien n'est figé avant que les grands électeurs, désignés par le vote populaire, ne se retrouvent le 14 décembre pour élire le président. « À la Maison Blanche nous continuons à travailler en considérant que Trump va avoir un second mandat », a déclaré Peter Navarro, un des conseillers économiques du président sortant, sur Fox Business. C’est dire que Donald Trump n’a toujours pas reconnu sa défaite près d’une semaine après que les médias américains, sur la foi de projections basées sur le dépouillement des bulletins de vote dans la plupart des Etats, ont annoncé la victoire du démocrate Joe Biden. Il est toujours dans le déni, c’est-à-dire, ce sentiment de défense par lequel le sujet refuse de reconnaître la réalité ressentie comme menaçante ou traumatisante. Tel un mur invisible construit autour de lui afin de se protéger du danger imminent.
Le déni a caractérisé plusieurs personnages bibliques. Entre autres, deux figures ont développé la stratégie du déni consistant à refuser d’obéir aux injonctions du pouvoir divin. D’abord, le roi d'Égypte dans le récit d'Exode 5 est l’un des personnages le plus remarqué dans le déni en dépit de dix plaies subies en Egypte. Contrairement au pharaon qui connaissait Joseph, le pharaon de Moïse est cruel et vindicatif. Lorsque Moïse lui demande de libérer les Israélites, le Pharaon fait travailler encore plus dur les esclaves, leur enlevant la paille dont ils ont besoin pour fabriquer des briques de terre séchées au soleil, alors que le quota journalier de briques achevées reste inchangé (Exode 5:7-8). Pharaon, la tête et le cœur trop pris du vacarme de sa vie et du poids de son pouvoir va jusqu’à dire : « Qui est l'Eternel, pour que j'obéisse à ses ordres en laissant partir Israël ? Je ne connais pas l'Eternel et je ne laisserai pas partir Israël. » (Ex 5.2). Ensuite, Saül fut le premier roi du peuple d'Israël, vers 1040 av. J.C. C'est Dieu qui l'avait choisi et il avait chargé le prophète Samuel de le consacrer comme roi ; mais après un bon début, Saül donna malheureusement raison aux pires craintes du prophète : son bon plaisir et l'amour du pouvoir et de la guerre l'emportèrent sur la fidélité à l'Alliance. Ce fut si grave que, sans attendre la fin de son règne, Samuel, sur l'ordre de Dieu, envisagea la succession et choisit déjà le futur roi : ce fut David, le petit berger de Bethléem; écuyer du roi, Saül fut formé à la cour ; il devint peu à peu un remarquable chef de guerre dont les succès se racontaient partout. Saül, d'abord enthousiaste - il fit même de David son gendre - conçut bientôt d'affreux soupçons et une jalousie féroce pour ce rival potentiel. À tel point que David dut s'enfuir à plusieurs reprises pour lui échapper jusqu'à ce jour mémorable dans le désert de Ziph : «Saül se mit en route avec trois mille hommes, l'élite d'Israël, pour traquer David dans le désert de Ziph». Mais voilà que le hasard renverse la situation au profit de David : pendant la nuit, il s'introduit dans le camp de Saül et trouve tout le monde endormi; ce pourrait être l'occasion de se venger. La première tentation pour David lui vient de son entourage qui voit dans cette aubaine le doigt de Dieu : Abishaï, son aide de camp se réjouit déjà de l'aubaine : «Aujourd'hui Dieu a livré ton ennemi entre tes mains. Eh bien, je vais le clouer à terre avec sa propre lance». Mais David, en refusant cette fausse image de Dieu, surprend tout le monde, y compris Saül qui n'en croira pas ses yeux quand il aura la preuve que David l'a épargné (1 Sm 24 1-12).
2. La ruse, arme de manipulation
La ruse a toujours été une réponse au désarroi populaire. Les grecs l’appelaient la mètis, cette forme d’intelligence particulière, qui mêle tactique et esprit de finesse pour convaincre les naïfs et les faibles d’esprit. Difficile à définir, elle est pourtant présente partout : dans l’esprit du stratège, du chasseur ou du politicien. La première figure biblique à être dite rusée, ‘arûm, est le serpent de la Genèse [Genèse, 3, 1]. Et même si ce serpent déploie son intelligence pour tromper, on doit lui reconnaître, avec le narrateur, une finesse hors de pair. On le voit ainsi induire du faux tout en disant vrai[3]. « La femme vit que l’arbre était […] précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea », lit-on dans la Genèse. S’ensuit le bannissement éternel du Paradis. A noter que le serpent est décrit comme le plus rusé de tous les animaux des champs. « Or, être rusé, c’est avoir de la ruse, c’est-à-dire tromper, manipuler, être fourbe. C’est dire que l’intelligence est souvent plus du côté du diable que de celui de l’ange [4]». Plus encore qu’un luxe, l’intelligence pouvait même être un vice. L’être qui en est doué, par sa promptitude à tout remettre en question, constitue une menace pour toute société dont le fondement est la tradition plutôt que le changement.
Ainsi, la ruse a pour objectif d’influencer ou de contrôler la pensée, les choix ainsi que les actions d’une personne par un rapport de pouvoir.
Ainsi, se développe la stratégie de Trump. Il se présente en effet comme le candidat du bas-peuple contre le « système », l’establishment et les appareils politiques. En fait, son discours est empreint des définitions exclusives de « qui est le peuple » et « qui n’est pas le peuple », avec des critères variables excluant ainsi une frange de la population américaine. Et, pour lui, son propre peuple est dépositaire d’une identité particulière, d’une classe immuable. Il se doit de défendre leurs droits tout en limitant la dimension universelle du peuple américain.
Il emprunte ainsi leur langage, du moins le croit-il, en étant grossier et vulgaire, brutal et menaçant, violent et emporté, menaçant et coléreux, agressif et querelleur. A cet effet, Trump se révèle être une figure charismatique, capable de galvaniser et d’encourager des forces néo-fascistes disparates : des suprématistes et nationalistes blancs et leurs milices, néo-nazis et membres du KKK, jusqu’aux Oath Keepers [milice anti-gouvernementale d’extrême droite], mouvement patriote, chrétiens fondamentalistes et groupes armés anti-immigrants tels que Proud Boys, QAnon qui est un mouvement complotiste se revendiquant pro-Trump[5].
Par cette manipulation rusée, Trump a réussi à tromper tous les esprits faibles en leur faisant croire que, par cette élection, son échec est dû au complotisme d’un système gauchiste, communiste, anticapitaliste. Sa rhétorique complotiste ne cesse de prendre l’ampleur et parvient à convaincre une audience qui s’agrandit progressivement. D’ailleurs, dès son arrivée au pouvoir en 2016, il n’a pas hésité à remettre en cause de nombreuses informations et il en a fait un mode de gouvernement. Par exemple, Donald Trump affirmait ne pas pouvoir gouverner comme il le souhaitait à cause de pressions et de l’influence d’un « deep state » qui contrôlait le pays en coulisses.
3. Le pouvoir de la force
Une troisième stratégie de résistance de Trump se trouve dans sa velléité de s’imposer par coup de force afin de s’accrocher au pouvoir, au détriment des principes fondamentaux de la démocratie américaine. Cette mise en scène d’usage de force s’explique par trois faits :
Le premier, Trump, comme il a été souligné ci-haut, refuse de concéder son échec et organise avec l’aide de ses collaborateurs une obstruction systématique à son successeur Biden. Même, les démocrates dénoncent cette obstruction systématique comme une dangereuse dérive autoritaire du président Trump, et déplorent l’effet de ce précédent, mettant en garde contre les dégâts potentiels causés à la crédibilité de l’élection.
Le deuxième, interrogé à Washington sur les mesures prises par le département d’État, un ministère-clé en matière de sécurité nationale, pour favoriser la transition avec les équipes du président élu, le chef de la diplomatie américaine Pompeo a refusé de reconnaître la défaite du sortant républicain. « Il y aura une transition en douceur vers une seconde administration Trump », a lâché d’un ton neutre le plus fidèle des collaborateurs de Trump, avant d’esquisser un sourire. Un peu plus tard sur la chaîne Fox News, il n’a pas invoqué l’ironie ou le second degré, mais a semblé atténuer un peu la portée de son propos. « Nous verrons ce que les gens ont décidé » quand toutes les voix auront été comptées » a-t-il expliqué. « Dans un autre contexte, dans un autre monde, à un autre moment », ces propos auraient pu être drôles », a réagi l’ex-diplomate Richard Haass. « Mais pas dans ce contexte, dans ce monde, en ce moment. Les enjeux sont trop gros pour notre démocratie et notre rang. » a-t-il ajouté.
Le troisième, sont les violences verbales, les intimidations à l’égard de tous ceux qui tentent de le rendre conscient de son échec, la valse des limogeages et démissions au sein de l’administration américaine, la perspective de l’instabilité mondiale. L’Amérique semble aujourd’hui vivre aujourd’hui la mégalomanie d’un roi.
À L’apothéose du pouvoir de Nebukadnetsar (Dan.2-4)
C’est ainsi qu’agit le roi de l’Euphrate envers ses sujets. Nebukadnetsar. Ce roi mégalomane avait une ambition sans borne et son désir de s'élever toujours plus sont évidents dès le début du livre de Daniel. Mais il est instructif de voir que ce grand roi, malgré toute sa gloire terrestre, n'est qu'un jouet entre les mains du grand Dieu des cieux qui l'incline à ce qui Lui plaît (Jér. 27 : 6-8).
Malgré tout ce qu'il se targuait de posséder, Nebucadnetsar a seulement servi à faire prospérer - involontairement - le propos divin. Il a été une terrible verge dans la main de Dieu contre les derniers rois idolâtres de Juda.
Il a convoqué tout le peuple et déplacé l’orchestre philharmonique de Babylone. Il fallait adorer la statue au son de la musique. C’était obligatoire. Pour les contrevenants, la répression était dissuasive. Beaucoup de Babyloniens ont plié le genou sans adorer dans leur cœur. Un grand nombre d’Hébreux qui adoraient l’Éternel n’ont pas eu le courage, nous les comprenons, de désobéir au potentat. Seuls trois hommes, Schadrac, Méschac et Abed-Nego, ont mis leur confiance en Dieu et ont osé lui tenir tête. La suite du récit nous dévoile qu’ils ont bel et bien été jetés vifs dans la fournaise ardente, mais qu’ils n’ont même pas grillé un poil de moustache. Dieu les a secourus.
Les idéologies populistes épousent souvent des idées pseudo-religieuses et usent des mêmes méthodes en prouvant bien qu’au diable appartiennent la démagogie, l’autocratie, la liberté bafouée. Hitler a osé proclamer : « L’œuvre que Christ a entreprise, je l’accomplirai ! ». Doit-on s’étonner qu’il ait persécuté, premièrement les juifs parce qu’ils étaient le peuple de Dieu, mais aussi tous ceux qui ont préféré Auschwitz ou Buchenwald, plutôt que renier leur foi en Jésus-Christ ? Doit-on s’étonner que Staline et ses successeurs aient fait massacrer des milliers de chrétiens au nom de « leur » démocratie ? Doit-on s’étonner qu’en Afrique noire, des atrocités soient commises au nom de l’islam et du Christianisme et que les mass-medias n’en disent pas un mot ?
Beaucoup de chrétiens d’obédience évangélique ou autre soutiennent Donald Trump pour des raisons d’éthique chrétienne complètement biaisée, selon lesquelles, il est contre certaines anti-valeurs telles que : mariages homosexuels, avortement, etc mais ils semblent ignorer les déviances anti-chrétiennes quotidiennes de Trump. Est-il difficile pour ceux-là d’être parmi les pharisiens qui lapidaient la femme adultère ?
Il semblait bien que pour Nébukadnetsar, tout fût irrémédiablement terminé. Il perdit la raison, il se prit pour une vache et se mit à brouter l’herbe des prés. Il marchait à quatre pattes, ne se lavait plus, se laissait pousser les cheveux et les sabots (pardon ! les ongles). Il fut destitué de sa royauté. Son destin serait certainement comparable à celui d’une reine impie, nommée Jézabel, et à laquelle l’Éternel avait réservé une fin sans gloire.
Finalement, que fait-on du pouvoir ?
Sans doute depuis que l’homme est l’homme et qu’il s’est organisé pour vivre en société, la question du pouvoir qu’exercent les uns sur les autres se pose. On ne peut manquer de se demander si l’existence d’un tel pouvoir est nécessaire, et si tel est le cas, à qui appartient le droit de décider, ce qui légitime ceux qui dirigent et comment le pouvoir doit être appliqué ? En outre, l’exercice du pouvoir soulève nécessairement la question des limites. Jusqu’où le pouvoir peut-il aller pour atteindre ses buts, et quelle est la limite entre un pouvoir utile et nécessaire et un pouvoir tyrannique et dangereux[6].
La définition d’Aristote pourrait peut-être nous amener à comprenfre ce que l’on fait du pouvoir:
Les véritables formes de gouvernement… sont celles dans lesquelles un seul, ou une minorité, ou une majorité gouvernent en vue de l’intérêt commun ; mais les gouvernements qui exercent le pouvoir en vue de l’intérêt privé, que ce soit d’un seul, ou d’une minorité, ou d’une majorité, sont des perversions. [...] Parmi les formes de gouvernement où un seul exerce le pouvoir, nous appelons « royauté » celle qui a en vue l’intérêt commun. [...] Parmi ces formes, la perversion de la royauté est la tyrannie [...] car la tyrannie est une forme de royauté qui n’a en vue que l’intérêt du monarque (Pol. III 7, 1279 a 28 - b 7).
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Chercheur en Anthropologie culturelle
[1] Cf. Donald Trump, figure du mauvais Roi, publié le 19 Janvier 2017, https://tephila.blogspot.com/2017/01/donald-trump-figure-du-mauvais-roi.html
[2] Cf. Donald Trump, Vox populi Vox Dei ? publié le 10 Novembre 2016, https://tephila.blogspot.com/2016/11/donald-trump-vox-populi-vox-dei-dr-jimi.html
[3] A.Wenin, De la ruse de la raison, Dans Les raisons de la ruse (2004), pages 79 à 92
[4] Cf. P. Menard, Comment paraître intelligent, ed. Cherche Midi
[6] Lire J.D.Macchi, « le refus, la ruse ou la force : le rapport au pouvoir dans le livre d’Esther », Le Pouvoir, ed.CERF,2012, p. 195-206.