mardi 5 novembre 2024

DIALECTIQUE DE L'ÊTRE ET DU NON-ÊTRE SELON L'APÔTRE PAUL (Prof.Jimi ZACKA)

    L'apôtre Paul, figure centrale du christianisme primitif et théologien profond, aborde la question de l'être et du non-être d'une manière qui dépasse les simples considérations philosophiques pour toucher à la réalité spirituelle, théologique et morale.

     Dans ses épîtres, la dialectique de l’être et du non-être se manifeste non seulement à travers des réflexions sur la nature de Dieu et de l'humanité, mais aussi à travers les tensions entre la vie charnelle et la vie spirituelle, la réalité de la rédemption, et l’attente d’un salut futur. Cette dialectique est à la fois un enjeu théologique fondamental et une manière de structurer la vie chrétienne.

1. L'être et la création selon Paul

    L’être, dans la pensée paulinienne, se réfère avant tout à l'existence en Dieu, à la création et à la relation entre l’humanité et Dieu. Dans l’Épître aux Romains, Paul affirme que Dieu est l'origine et la fin de l'être : "Car de lui, par lui et pour lui sont toutes choses" (Romains 11:36). L'être, tel qu'il se manifeste dans la création, est bon, mais il est aussi marqué par la chute. Cette chute, selon Paul, a introduit le non-être dans la réalité humaine.

    L’être humain, créé à l’image de Dieu, a été fait pour vivre en communion avec Lui, mais par le péché, cette relation est brisée. Paul décrit la condition humaine comme étant dominée par le péché, ce qui introduit le non-être dans l’existence humaine : "Le salaire du péché, c'est la mort" (Romains 6:23). La mort, dans ce contexte, n’est pas seulement la fin biologique de l’être humain, mais également l'état spirituel de séparation d'avec Dieu. Le non-être s’invite ainsi dans la réalité humaine, car le péché prive l'homme de la vie véritable, celle en Dieu.

2. Le non-être du péché et la rédemption en Christ

    La dialectique de l’être et du non-être se fait particulièrement visible à travers la doctrine du péché et de la rédemption. Le péché est vu par Paul comme une forme de non-être, une force qui déforme la nature de l'homme, le rendant esclave de son propre déclin spirituel. En Romains 5:12, Paul explique que "le péché est entré dans le monde par un seul homme", et que ce péché a conduit à la mort, marquant l’humanité de manière universelle. L’existence humaine, avant la rédemption en Christ, est donc marquée par une relation avec un "non-être" ontologique : l’homme vit sous l’emprise du péché, qui le sépare de la vie véritable en Dieu.

    Mais cette condition de non-être, selon Paul, n'est pas une fatalité. Le Christ, en sa mort et en sa résurrection, introduit un "nouvel être", un chemin de réconciliation avec Dieu. Il est celui qui rétablit l’être véritable dans l’humanité. En 2 Corinthiens 5:17, Paul déclare : "Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle création ; les choses anciennes sont passées, voici toutes choses sont devenues nouvelles." La rédemption par le Christ inaugure ainsi un passage du non-être au véritable être, du péché à la vie, du déclin à la gloire.

    La croix de Christ devient donc le lieu où cette dialectique se joue. Par la crucifixion, le Christ subit le non-être (la séparation d'avec Dieu, la mort) pour restaurer l’être (la vie en Dieu, la résurrection). Il porte le péché de l’humanité afin que l’homme, unifié à Lui par la foi, puisse vivre dans la plénitude de son être en Dieu. La victoire du Christ sur la mort et le péché renverse le non-être ontologique et spirituel en une nouvelle existence, fondée sur la réconciliation avec Dieu.

3. L’être du chrétien et la tension entre le déjà et le pas encore

    La dialectique de l’être et du non-être chez Paul ne se résume pas à un acte unique de rédemption, mais inclut également une tension eschatologique, celle entre le "déjà" et le "pas encore". Le chrétien, bien que réconcilié avec Dieu par la foi en Jésus-Christ, vit encore dans un monde marqué par le péché, où la pleine manifestation de l'être véritable en Dieu n'est pas encore accomplie. Paul parle ainsi de l'attente de la "révélation des fils de Dieu" (Romains 8:19), où les chrétiens, libérés de la corruption du péché, vivront pleinement dans l’être auquel Dieu les a destinés.

    Dans ce cadre, l’être chrétien est marqué par une double réalité : l'homme "nouveau" en Christ vit déjà une forme de rédemption, mais il attend encore la plénitude de cette rédemption. Cette tension est exprimée dans la théologie paulinienne par l’opposition entre "l'homme ancien" et "l'homme nouveau" (Éphésiens 4:22-24). L’homme ancien, l’homme pécheur, appartient au non-être, tandis que l'homme nouveau, renouvelé par l’Esprit, appartient à l’être véritable. Mais cette transformation n’est pas encore complète, car l’achèvement de l’être chrétien se réalise dans l'eschaton, à la parousie (le retour du Christ).

 4. La dialectique de l’être et du non-être dans la vie morale du chrétien

    Enfin, la dialectique de l’être et du non-être trouve également une application dans la vie morale du chrétien. Le croyant, tout en étant réconcilié avec Dieu, doit vivre dans un monde marqué par le péché et le non-être. Il est donc appelé à combattre le péché dans sa propre vie, à s’efforcer d’être conforme à l’image du Christ. Dans l’Épître aux Galates, Paul exhorte les chrétiens à marcher "selon l'Esprit" et non selon la chair (Galates 5:16-17), car la chair conduit au non-être, tandis que l'Esprit mène à l’être véritable.

    Le chrétien, dans sa lutte contre le péché, cherche ainsi à manifester, dans sa propre existence, le passage du non-être à l’être. Cette lutte est celle de la transformation intérieure, qui se poursuit tout au long de la vie terrestre du chrétien. Il est un "déjà" sauvé, mais il vit dans l'attente de la plénitude de l’être dans la gloire à venir.

 Conclusion

    La dialectique de l’être et du non-être chez l’apôtre Paul s’inscrit dans une vision théologique qui dépasse les frontières de la philosophie pour toucher aux dimensions profondes de la vie chrétienne. L'être véritable est en Dieu, et le non-être réside dans le péché, la séparation et la mort. La rédemption en Christ inaugure un passage du non-être à l'être, tout en plaçant le croyant dans une tension eschatologique entre le "déjà" de la réconciliation avec Dieu et le "pas encore" de la pleine rédemption. Cette dialectique n'est pas seulement un concept théologique, mais une réalité vivante qui structure la vie morale, spirituelle et eschatologique du chrétien.

Prof. Jimi ZACKA

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