« Le
pouvoir est une drogue en Afrique », a-t-on coutume de dire.
Cet adage populaire s’apparente aujourd’hui à une triste réalité en
Centrafrique. Depuis l’indépendance jusqu’à présent, la classe politique centrafricaine
s’obstine encore dans ses errements dont le seul objectif est la conquête du
pouvoir. Et l’interrogation du citoyen lambda est de savoir à quel saint se
vouer dans ce marécage politique où s’opposent de féroces piranhas assoiffés du
pouvoir.
L'actuelle crise dévoile le vrai visage de la classe politique centrafricaine. Tout
citoyen avisé, peut maintenant comprendre que toutes les instabilités
politiques — qui secouent la Centrafrique — proviennent des querelles de
personnes, des ambitions démesurées, de l’égoïsme
et de l’égocentrisme d’hommes politiques qui, pour accéder au pouvoir et s’y maintenir,
trouvent souvent mieux de créer des conflits et d’attiser des haines entre les
centrafricains. Cette addiction au pouvoir a été excellemment dénoncée par le Monseigneur
Nzapalainga : « C’est la
recherche du pouvoir, il faut avoir le courage de le dire ! On ne se bat pas
pour être plus proche de Dieu ou bien pour défendre sa foi. On se bat pour être
au pouvoir. On se bat pour montrer qu’on est le plus fort”, a-t-il dit sur Radio
Vatican, dénonçant “les hommes politiques véreux” qui manipulent les jeunes.
Ce constat permet de se
demander si les hommes politiques centrafricains aiment vraiment leur peuple.
Voient-ils vraiment les misères qu’ils infligent à leurs compatriotes? Ont- ils
vraiment des idées pour sauver ce pays ?
Toutes ces
questions me rappellent ce que disait un compatriote : « Il
va falloir faire un jour le bilan de tous ces hommes politiques pour savoir ce
qu’ils ont fait du bien pour ce pays si ce n'est que s’enrichir illicitement et
en toute impunité au détriment du peuple qui souffre et qui survit au jour le
jour. Lorsqu'il y a des guerres et des rebellions dues à leur mauvaise
gouvernance, ils sont les premiers à se mettre à l'abri dans les ambassades,
dans les organismes internationaux ou à l'étranger tout en abandonnant à son
triste sort la population. Trop c'est trop; il est temps que le bas peuple se
réveille pour dire non au moment venu à tous ces charognards politiques qui ne
cherchent que leurs intérêts. ».
Sous d’autres cieux, le véritable homme politique est mû par ses idéaux
et non par ses ambitions, par son patriotisme et non par ses intérêts
personnels. Tout acte qu’il pose, se mesure par l’équilibre qui est entre sa
propre ambition et celle qu’il a pour son pays.
Aussi, il ne suffit pas de diriger un parti politique pour croire que
l’on a la capacité de diriger un pays. La longévité en carrière politique ne
s’apparente pas nécessairement à la maturité politique. Les qualités requises
pour être un bon chef de parti ne sont pas les mêmes que celles d’un bon
Président. Pour être bon Chef de Parti, il faut savoir séduire ses militants.
Le bon Président, au contraire, est celui qui est au-dessus de la mêlée, qui
représente l’autorité, apparaît capable de gouverner et parle un langage de responsabilité,
mettant l’accent sur les contraintes. Malheureusement, les crises récurrentes
en Centrafrique démontrent que notre pays n’a pas encore eu de tels hommes
politiques, matures et prêts à sacrifier leurs intérêts sur l’autel du
bien-être des centrafricains. Pourtant, la plupart de ces politiques adoptent
souvent une attitude aux antipodes des clichés sur l’homme politique qui a tout
vu, tout compris, et a une solution qui va régler tous les problèmes. Il ne faut pas se leurrer.
Par ailleurs, nous remarquons que les partis politiques en Centrafrique semblent ne pas bien connaître leur rôle. Un parti politique n’est pas seulement un réservoir de candidats aux postes
présidentiel ou ministériel, il doit aussi être capable de mobiliser la société
sur des causes et de renouveler ses idées. Une force politique a deux grandes
fonctions, participer à la vie des institutions, d’une part, et éclairer
l’avenir, donner sens à un projet d’émancipation, d’autre part. Car, un des
premiers buts de la politique, c’est de donner un langage à ce que vivent et
attendent les gens, pour en faire des citoyens plus lucides et plus actifs. Or,
le langage politique en Centrafrique aujourd’hui, tourne à vide, ne donne pas
de chair sensible à l’existence des gens. C’est pourquoi, certains ambitieux
mal intentionnés voient dans le recours à la violence armée le seul moyen
d’améliorer leur sort. La prise du pouvoir par les armes est devenue aujourd’hui
un mode opératoire d’ascension sociale en Centrafrique. Le seul but est la confiscation du pouvoir par tous les moyens, y
compris la manipulation des populations, l’instrumentalisation de l’ethnicité
et du nationalisme, les violations des droits humains et la militarisation de
la jeunesse fortement désespérée par le chômage et l’absence de perspective
d’avenir. L'objectif ultime des hommes politiques, c'est de devenir président.
Pas
de stratégie de développement
De fait, depuis plusieurs
décennies, aucun gouvernement n’a pensé, ni encore moins, mis en place une
stratégie de développement pour la Centrafrique. Les rêves et les espoirs des
centrafricains ont toujours été ignorés. En lieu et place, s’est institutionnalisé
un système de pillage des richesses de la RCA. Ce système ne fonctionne pas que
comme une économie de pillage, il a ses composantes politiques, et
socio-culturelles. La compréhension de cet abîme politique, économique et
social dans lequel la Centrafrique se trouve aujourd’hui, provient
particulièrement du comportement de la classe dirigeante, de la mauvaise
gouvernance des régimes politiques qui se sont succédé et des modes de gestion
qui se sont fondés sur l’économie politique de la prédation. Cela a entraîné la pauvreté et la misère des populations, le
tribalisme et le recrutement sur la base de critères obscurs dans les forces
armées centrafricaines, l’impunité des auteurs présumés de graves
violations de droits de l’homme et des détournements de fonds publics, l’insuffisance et la détérioration des
infrastructures de base. Outre la moralité de
nos hommes politiques, le manque de responsabilité, le comportement immoral
et les pratiques de corruption se sont tellement répandus que cela est même
devenu des normes institutionnelles de comportement en Centrafrique: cas de nombreux détournements de fonds publics.
Aussi, malheureusement, les populations exultent très
souvent, dès qu’une personne accède au pouvoir dans l’espoir de voir enfin le
bout du tunnel, mais elles oublient souvent que derrière les beaux discours de
ces politiques se cachent souvent des désirs de pouvoir, de richesse et d’honneurs
comme ce fut le cas dans les dix dernières années, jusqu’au drame que nous sommes
en train de vivre, dans lequel chacun sait sa part de responsabilité.
Le besoin d’idées nouvelles pour la
Centrafrique
La Centrafrique a besoin de
nouvelles idées d'une politique qui assure sa propre cohérence interne pour se
libérer effectivement de l'impérialisme sous toutes ses formes. Ce rôle est en
réalité la responsabilité qui incombe à chaque citoyen, mieux à l'homme
politique centrafricain. Il s'agit de rendre au peuple sa souveraineté, de le
conscientiser en lui faisant assimiler une doctrine et un programme adaptés à
ses besoins réels, de le politiser en rendant la « nation » globale
présente à chaque citoyen, en faisant l'expérience de la nation, l'expérience
de chaque citoyen. Pour ce faire, un programme est nécessaire à un gouvernement
qui veut vraiment libérer politiquement et socialement son « peuple ».
Il faut un programme économique certes mais aussi une doctrine sur la
répartition des richesses et sur les relations sociales. Il s'agit, pour les
dirigeants de se mettre au service du peuple, de se sacrifier pour le peuple,
de le mobiliser pour une action efficace et inaliénable. Ils doivent favoriser
l'incorporation de chaque citoyen dans la société dont ils sont le moteur. Car, le gouvernement national, s'il veut être
national doit « gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les
déshérités et par les déshérités ». Aucun leader,
quelle que soit sa valeur, ne peut se substituer à la volonté populaire et le
gouvernement populaire doit, avant de se préoccuper de son prestige, redonner
dignité à chaque citoyen.
Pour ce faire, nous voulons une
classe politique rajeunie et rééquilibrée, comme le disait Aimé Césaire :
« sans quoi rien n'aurait aucun sens, rien et pas même notre victoire de
demain.». Il est temps pour la classe politique
centrafricaine d’entendre ce proverbe africain : « ce n’est pas parce que le chien préfère les
os à la viande qu’il faut toujours lui refuser la viande, c’est parce qu’on ne
la lui donne pas pour goûter, pourtant c’est lui qui tue l’animal ».
Que l’on cesse de nourrir le peuple centrafricain avec des « os desséchés »
sur fond des slogans concrètement insignifiants.
Dr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue, Auteur
Théologien, Anthropologue, Auteur
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