Pasteur, Théologien, Écrivain centrafricain, Professeur
Isaac Zokoué nous a quittés dans
la plus grande discrétion depuis quelques temps. En sa mémoire, notre réflexion
qui suit, voudrait mettre en exergue, entre autres, quelques points
théologiques qu’il prônait de son vivant.
Il y a
suffisamment de postures théologiques, de nos jours, pour alimenter le soupçon
et la peur de voir un théologien s’engager dans une action visant à instituer
une alternative et un ordre social économique et politique juste. Pour preuve,
nous avons de fréquents avertissements concernant le danger de réduire
l’évangélisation aux sphères politique, sociale et culturelle, et les dangers
d’une politisation excessive du rôle du théologien dans la société. Du coup,
l’on se confronte à cette question récurrente: c’est quoi la
théologie ?
La théologie comme l’acte de foi[1]
La
théologie est un discours sur Dieu (theo-logos) mais
il ne s’agit pas de n’importe quel discours. C’est un discours rationnel qui
prend sa source dans l’acte de foi. En cela, la théologie se distingue du
propos philosophique général sur l’étude du phénomène religieux, où la question
de Dieu est abordée de l’extérieur. Si la foi est l’acte premier de la relation
entre l’homme et Dieu, la théologie permet à l’homme de ne pas limiter sa foi
au cadre strict de la piété et du rite. La foi vivante est un acte humain qui
concerne l’homme tout entier : son cœur, parce que Dieu est
source de tout amour, son corps, parce que la foi
s’exprime par des gestes concrets, et enfin, son intelligence, parce que Dieu donne
à l’homme, à
travers la liberté et la faculté de juger, les moyens de l’annoncer et de le
faire connaître. La foi ne saurait donc exister sans une forme cognitive,
même sommaire, de relation à Dieu. Le parti pris de la théologie est de prendre
au sérieux l’acte de foi en ne le limitant pas au seul domaine de la dévotion
personnelle ou communautaire. En effet, puisque la foi cherche à comprendre, il
serait donc insensé d’opposer foi et théologie. Car, une foi vivante et
partagée ne saurait exister indépendamment d’une forme d’expression théologique
et que, réciproquement, toute théologie prend sa source à l’intérieur d’une foi
vécue[2].
C’est
dire que la théologie ne peut avoir sens et contenu que dans et sous la lumière
de la foi. Chaque époque, compte tenu de ses problèmes et de sa manière
d’appréhender Dieu, essaie de définir la théologie. Dans ce sens, toute
religion comporte une ou plusieurs théologies, une ou plusieurs définitions de
la théologie. Ainsi, la théologie chrétienne n’est pas un discours flou; elle
doit être une compréhension humaine et une interprétation de la révélation de
Dieu dans un contexte bien défini. Quel est donc alors le rôle que doit jouer
le théologien?
Le rôle du théologien saisi par
la vérité et par la foi
Il
convient de rappeler que la théologie est née lors de la rencontre de la
culture grecque notamment avec la philosophie néo-platonicienne où les pères de
l’Eglise ressentirent le besoin de justifier la foi de façon rationnelle. Elle
acquit donc son rôle premier : L’intelligence de la foi. Selon les mots de
l’apôtre Pierre « justifier les raisons
de notre foi » 1P 3 :15. Le théologien pour cela est chargé
d’approfondir l’intelligence de la foi et de vérifier la cohérence de la
communauté dans ses diverses modes d’expression de la foi, par rapport à la
vérité qu’elle confesse. Il est, à cet effet, un croyant interpellé et saisi
par Dieu lui-même qui s’est révélé en Jésus-Christ. Interpellé, le théologien
est donc envoyé pour rendre compte de cette vérité. C'est pourquoi, toute
Église a besoin de théologiens qui l'aident à penser les données de la foi. La
théologie exerce une fonction critique par rapport à la manière dont la foi est
vécue et comprise dans une Eglise. Elle ne peut se contenter de justifier, elle
doit aussi contester et proposer. En effet, le théologien a pour mission de
rendre compte ou rendre raison de la foi dans une communauté chrétienne, située
dans une société donnée car « la théologie jaillit de la vie et reflète la
lutte d’un peuple pour donner un sens à la vie »[3]. La foi dont
le théologien rend compte, c’est la foi de sa communauté, elle-même saisie par
Dieu. La théologie devient ainsi un événement communautaire. Ce qui apporte une
coloration particulière au travail du théologien, ce sont les questions
auxquelles il doit faire face dans sa communauté et les moyens qu’il va mobiliser
pour permettre l’intelligence de la foi à la fois de s’interroger et
s'affirmer. Ce travail du théologien nécessite pour cela une méthode
systématique en fonction des tâches théologiques qui s'imposent.
L’élaboration des tâches du
théologien
Écouter le peuple pour discerner ses attentes est une exigence de vérité
qui se cherche au cœur de la vie. Le théologien est voué à ce travail de
recherche pour tâcher de répondre au dynamisme de la foi qui, par nature, tend
à l’intelligence, car elle ouvre l’homme à la vérité concernant sa destinée et
la voie pour l’atteindre . L’exigence de vérité éviterait donc de
faire une théologie au sens « utilitaire ». Car ce à quoi aspire le
peuple est évidemment le minimum vital, mais cela ne peut pas constituer la
seule occupation théologique. Au service du peuple, la théologie n’est-elle pas
davantage un questionnement dans la manière de dire Dieu au cœur des attentes
humaines ? Peut-on affirmer en effet que la théologie est une
interrogation de la foi face aux situations concrètes des individus et des
peuple?, peut-on dire qu'elle est une mise en jugement de l’homme et de ses
valeurs face à l’Evangile?. De toutes les façons, nous estimons que c’est son
rôle prophétique. La théologie apparaît en effet, non comme un travail de
dilettante étranger à l’homme réel, mais comme la forme la plus exaltante de la
foi vécue dans toutes ses dimensions[4].
C’est
dans cette démarche que s’était inscrit Isaac Zokoué. Pour lui, la tâche
théologique est comme une corrélation critique et mutuelle entre
l’interprétation de la tradition chrétienne et l’interprétation de notre
expérience humaine contemporaine.
En tant que théologien avisé, réfléchissant sur la formation théologique en
Afrique, lors du Conseil des Institutions Théologiques en Afrique Francophone
qui s’est tenu à Lomé en 2008, il n'a cessé de souligner la nécessité
d’immersion théologique dans les réalités africaines. En d’autres termes, le
travail du théologien en contexte africain doit être un travail de
collaboration avec le peuple, travail qui articule le désir de vie avec la
régulation de la foi en Jésus-Christ. Ce travail pose en fait le problème
méthodologique majeur, celui de la transmission authentique et fidèle du
Message de Dieu aux fidèles des cultures africaines, en respectant leurs
croyances, leurs conditionnements socio-culturels.
Le
professeur Zokoué attestait cette thèse en termes clairs :
L’Afrique " connaît
des situations qu’il faut vivre de l’intérieur pour comprendre. Un proverbe
africain dit bien que seuls les habitants d’une case connaissent les fuites par
où le toit coule. Les observateurs de l’Afrique, y compris les Africains de la
diaspora, devraient avoir la modestie de reconnaître, que même s’il leur est
possible d’appréhender certaines situations de l’extérieur – et beaucoup y
parviennent admirablement bien, ils restent malgré tout déconnectés de ces
autres réalités que l’autochtone vit dans sa chair et dans son âme,
quotidiennement, et qui constituent la trame de sa société. Or, c’est au
contact permanent de ces réalités-là que les théologiens africains devraient
écrire leurs théologies. Les problèmes d’adaptation, de contextualisation, d’inculturation,
de reconstruction, de renaissance, de féminisme…sont de vrais défis lancés à la
théologie africaine, et qu’on ne saurait ignorer sous aucun prétexte[5] ».
Dans la même perspective, il poursuivait son analyse comme quoi : « la parole de Dieu est toujours une parole incarnée et
située. Par conséquent, le lieu de son incarnation fait partie du dessein de
Dieu. Il est donc juste d’affirmer que l’Afrique est aussi une terre
d’incarnation de la parole de Dieu, et qu’elle ne mérite pas le sort qui lui a
été réservé [6]».
En conséquence, il est temps que « le christianisme africain tire
profit de sa jeunesse et de son héritage ancestral pour ouvrir
de nouveaux chantiers théologiques [7]».
En d’autres termes, « l’enracinement dans la foi chrétienne de nos
membres et la maturité de nos églises dépendra du sérieux avec lequel nous
traiterons ces questions[8]
». À cet effet, « L’Afrique doit développer sa théologie, comme
le font l’Amérique Latine, l’Amérique du Nord, l’Asie, l’Europe. L’Afrique a
également le devoir d’apporter sa contribution à la chrétienté universelle
comme le font les autres continents[9] ».
Car, « le moment est venu pour les Africains non pas de formuler
des revendications, parce que la réponse au problème n’est pas d’abord dans des
restitutions à faire par les Occidentaux, mais de prendre conscience de
l’existence de cet héritage au sein de la chrétienté, de se l’approprier
moralement, spirituellement et, dans des conditions qui resteraient à définir
matériellement[10] ».
Au
final, l’enjeu du travail théologique exige une concertation avec le peuple. Le
rôle du théologien peut être alors significatif dans la mesure où, en tant que
croyant, il « a reçu une vive conscience des problèmes posés par
l’exercice de la foi à une époque ou dans une culture donnée, et qui est
capable de les lire, de les interpréter et de les articuler, et cela en
communion avec le peuple de Dieu, seul sujet adéquat de la théologie comme de la
foi[11] ».
La
portée sociale de la théologie est certes importante, mais elle ne devra pas
s'enduire d'une théologie utilitariste, comme si le principe de base qui
fonderait la théologie dans le contexte africain serait l’"utile". De
même, il y aurait danger de pratiquer une théologie intéressée aux besoins
matériels immédiats. Ne faudrait-il pas s’interroger par exemple sur le
pourquoi de la crise ? Quels en sont les enjeux, les voies et moyens d’en
sortir pour ne pas seulement vivre ici et maintenant ? Dans cette ligne de
recherche, on n’oubliera pas que l’africain est plus marqué par la pauvreté
spirituelle plus profonde que la pauvreté matérielle. C'est ainsi que celui que
nous pleurons aujourd'hui, estimait qu'au stade actuel de son développement, la
théologie africaine n'a pas encore intégré dans son déploiement la tranche de
l'histoire de l'Afrique qui nous préoccuppe. Ne faut-il pas lui donner raison ?
Homme
de conviction, Isaac Zokoué avait toujours vécu sa mission théologique
comme une critique confessante. Il ne s’était jamais réfugié dans les arcanes
des dogmes et des opinions reçues. Il n’a jamais perdu de vue le fait que le
travail du théologien était d’affirmer l’existence d’un Dieu, mystère du
monde ; Mystère qui se donne à connaître dans la faiblesse de la Croix, du
Dieu-Homme. Mystère qui nous saisit et nous renvoie dans nos cultures. Dans une
certaine mesure, dans l'un de ses ouvrages, il ne cessait de prendre position
pour dire que les cultures et traditions africaines devraient participer à dire
la beauté de ce Mystère[12].
Par
ses écrits, ses réflexions, ses prises de parole et son engagement multiforme,
Isaac Zokoué prouvait que la théologie devait être
comprise comme une activité vivante, non acquise une fois pour toutes, mais qui
naît du cœur de la foi de l’Eglise, et dont l’objectif consiste à tisser des
liens entre la foi de toujours et la vie d’aujourd’hui.
En effet, les théologiens africains, qui ne sont ni meilleurs ni pire que les autres ont un rôle tout particulier à jouer, selon lui. Ils se doivent "de répondre à des préoccupations actuelles" parce que "tout est urgent et prioritaire", disait-il.
En effet, les théologiens africains, qui ne sont ni meilleurs ni pire que les autres ont un rôle tout particulier à jouer, selon lui. Ils se doivent "de répondre à des préoccupations actuelles" parce que "tout est urgent et prioritaire", disait-il.
Puisse le
flambeau porté jusqu’au bout par cet illustre homme de Dieu être relayé !
Prof. Jimi
ZACKA
Théologien,
Anthropologue
20/04/2015
Quelques publications récentes de Prof. Jimi ZACKA
1. http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45684
2. http://www.edilivre.com/auteurs/jimi-zacka-9224.html
20/04/2015
Quelques publications récentes de Prof. Jimi ZACKA
1. http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45684
2. http://www.edilivre.com/auteurs/jimi-zacka-9224.html
P.S. : La rédaction thephila.com prévient les lecteurs contre toute
utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de
l’article comme cela a pu arriver.
[1]
Cf. Dourweber, « La théologie comme science de la foi »,
http://dourweber.over-blog.com/article-la-theologie-comme-science-de-la-foi-118044456.html
[4]
E. Mveng, Théologie et
langages, dans RAT, 10, 1986, p.
191
[5]
I. Zokoué, « Annexe I : Plaidoyer
pour une nouvelle vision du Doctorat en Théologie dans le contexte Africain », Rapport
du Septième Rencontre des Institutions de Formation biblique et théologique de
l’Afrique Francophone, CITAF, du 14-18 Juillet 2008 à Lomé (République du
Togo), p.6.
[6]
Ibid,
« Annexe 2 : La
pépinière africaine du Christianisme occidental : Une histoire presque
oubliée ? », p.9.
[7] Ibid, « Annexe 1… », p.7.
[8] Ibid.
[9] Ibid, « Annexe 1… », p.8
[11] R. de Haes, Le rôle du théologien dans la lecture des langages de notre temps, dans
Foi chrétienne et langage humain. Actes
de la Septième Semaine Théologique de Kinshasa. Kinshasa, Facultés
catholiques, 1972, p. 35-36.
[12] Lire son ouvrage, I. Zokoué, Jésus Christ Sauveur : le mystère des deux natures :
perspective africaine, Edition CLE, 2004.