Évoquer la question de laïcité en Afrique en
général, et particulièrement en Centrafrique, suscite souvent de diverses
réactions. Pour certains, l’africain est un être religieux, ainsi donc il est inutile
d’aborder la question de laïcité. Pour d’autres, la laïcité est synonyme
d’athéisme, en parler, c’est évacuer la croyance à l’existence d’un au-delà.
Car, en matière de la foi, rien n’est de ce monde : Tout appartient à Dieu.
D’autres spécialistes encore laissent croire que la laïcité est un héritage
colonial ainsi qu’une réalité postcoloniale qui prône un système dans lequel
les Églises ne vont pas s’exprimer dans l’espace public. En effet, c’est une
manière de reléguer le sacré au domaine privé et empêcher le chrétien de se
manifester sur la place publique. C’est pourquoi, même si le terme laïcité est bien inscrite dans
la constitution centrafricaine, son applicabilité semble encore floue dans
l’imaginaire centrafricain. Du coup, la
posture des Églises dans l’espace public se lit encore sous le prisme de diverses critiques.
Par exemple, certains
pensent qu’il est normal, souhaitable voire nécessaire que les Églises s’engagent dans la vie publique en
prenant part à ses débats. D’autres, au contraire, contestent la légitimité de
toutes interventions des responsables religieux dans le champ temporel, considérant que l’Église doit s’en tenir à sa
mission spécifique qui est d’ordre spirituel. Enfin, il y a ceux qui pensent que l’Église devrait, d’une manière
générale, se taire ou rester discrète dans l’espace public et ne prendre
position que face à des situations extrêmes, quand la vie des personnes ou du
monde est gravement menacée.
De tout ce qui précède, il convient de répondre d'abord à la question: qu'est-ce que la laïcité? Selon Le Petit Larousse, le mot laïque vient du terme grec laikos, « qui appartient au peuple ». La laïcité implique ainsi la séparation entre le civil et le religieux.
De tout ce qui précède, il convient de répondre d'abord à la question: qu'est-ce que la laïcité? Selon Le Petit Larousse, le mot laïque vient du terme grec laikos, « qui appartient au peuple ». La laïcité implique ainsi la séparation entre le civil et le religieux.
Malheureusement, notons-le, ce schéma Église-État
en Centrafrique met à l'épreuve la notion de laïcité. Pourtant, comme ailleurs en Afrique, mais avec peut-être
plus d’acuité en Centrafrique, la société est fondamentalement plurielle :
pluralité d’ethnies, pluralité de cultures, pluralité de langues, pluralité de
religions, pluralité de vision du monde. Dès lors, se trouve posée la question
des règles de conduite permettant à tous de vivre ensemble dans le respect de
chacun. Depuis des lustres en Afrique, et notamment en Centrafrique, c’est dans la
personne du « Chef » ou du "sage" (du village, de tribu, ou d’ethnie) que l’homme africain confie la responsabilité d'organiser l’harmonie et
l’unité de sa pluralité en lui confiant le « pouvoir » de
préserver la cohésion sociale, de coordonner le sacré et le social. C’est dire que la notion de laïcité
existait déjà de manière sous-jacente dans la société traditionnelle centrafricaine.
Mais aujourd’hui,
c’est aussi différent que beaucoup plus difficile dans le cadre élargi des
sociétés contemporaines où le chef
semble perdre son emprise sur l’ensemble de la société plurielle. Il appartient
au peuple que revient le soin de rendre possible le « vivre
ensemble », dans le respect de la laïcité dont les responsables politiques
se doivent d’être, par leur fonction, les principaux garants. La laïcité devient ainsi ce
qui permet à une communauté plurielle de se constituer en communauté
authentiquement "politique" ; c’est-à-dire composée de citoyens
sans doute en conflits, naturels et légitimes, entre eux, mais sachant les
régler démocratiquement. D’où la nécessité de revenir à une bonne compréhension de la
laïcité afin de faire avancer le débat.
Il
convient de rappeler que toutes les crises que vit la Centrafrique révèlent de réels
problèmes de fond inhérents à la gestion de nos diversités existentielles . C’est dans cet esprit que nous voulons aborder cette
thématique. Les préoccupations qui sous-tendent cette réflexion
se situent à deux niveaux : d’abord, si la RCA est un pays laïc,
comment cette nation peut-elle organiser la liberté des religions sans que
cela conduise à un conflit interreligieux ? Du moins, comment organiser la
séparation et la coexistence pacifique entre l’Etat et les religions d’une part
et les relations entre les différentes religions d’autre part.
Ensuite, certaines interrogations
fondamentales taraudent toutes les consciences aujourd’hui : Quelle posture
l’Église devra-t-elle prendre aujourd’hui vis-à-vis de l’État et des adeptes
d’autres religions ? Et si l’Église a encore un rôle à jouer dans l’espace
public, comment devra-t-elle participer
à ce débat collectif d’une société à la recherche d’un nouveau vivre ensemble? Autant de questions qui donnent sens et
mettent en valeur l’opportunité et la nécessité de ce colloque. Afin de
parvenir à une meilleure compréhension de ma communication, je vais l’articuler
en trois parties distinctes.
La première partie présente, entres autres,
deux défis spécifiques auxquels les Églises en Centrafrique sont confrontées. J’aime
bien ce mot défi, car il a un double versant. Il dit à la fois un obstacle, une
difficulté effective et en même temps un dépassement, une ouverture possible. La deuxième
partie présente Jésus face aux pouvoirs politique. La question à aborder dans
cette partie est la suivante : Qu’est-ce qui, dans le message du Christ,
rejoint le cœur de la laïcité dans son rapport à la conscience, aux pouvoirs
politiques et religieux ? Qu’entend-t-on par « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »
(Lc 20, 20-26 ; voir également Mc 12, 13-17 et Mt 22, 15-22). Jésus est-il laïque? La troisième partie suggère enfin comment l’État
et l’Église centrafricains pourraient entretenir des rapports afin de vivre en une
laïcité adaptée?
I.
DES
DÉFIS A RELEVER EN PERSPECTIVES ÉVANGELIQUES
1.1. Les défis du rapport au politique
Le rapport entre l’État et les Églises en Centrafrique suscite
aujourd’hui certaines inquiétudes parce qu’il apparaît de plus en plus ambigu. Une
des craintes souvent exprimées dans l’espace public centrafricain, notamment
parmi la population, est que la laïcité a perdu sa signification première,
celle de la neutralité de l’État vis-à-vis de l’Église ou des confessions
religieuses, cette notion est plutôt connotée de plus en plus du sectarisme,
d’ethnisme et de clientélisme. En d’autres termes, la réalité de la laïcité en
RCA renvoie à la manipulation des sentiments identitaires des populations et
des différences religieuses. La laïcité se lit à l’aune de l’appartenance à une
confession religieuse privilégiée, à une posture politique ou ethnique,
c’est-à-dire, les responsables des pouvoirs politiques, fidèles de l’une ou de
l’autre religion, ignorent les autres et se savent adeptes d’une confession
religieuse particulière dans un champ pluraliste des religions diversifiées.
Il y a
aussi ce malaise subtil, inodore, silencieux qui est celui que crée constamment
l’appartenance du Chef de l’Etat à une communauté religieuse, au sein de la
communauté des croyants. Ce malaise reflète soit la crainte d’une défaveur
politique, soit la quête d’un traitement de faveurs de certaines Églises auprès
de l’Etat. De toute façon, il y a certaines pratiques anti-laïques qui
suscitent des interrogations aujourd’hui : lorsque les responsables d’Église
sympathisent avec l’homme politique, se familiarisent avec lui, formulent une
apologie de sa politique, peut-on encore
parler de laïcité dans cet État ? Lorsque les religieux se réjouissent des
dons octroyés par les politiques à des fins électoralistes, la notion de
laïcité peut-elle encore avoir son sens? Le dilemme est là : soit
l’homme de Dieu adresse trop de requêtes à l’homme politique et celui-ci en
profite pour l’assujettir, soit on ne le sollicite pas et on se conforme aux
exigences de la véritable laïcité. Ce
qu’il faut comprendre aussi, c’est l’alternative que le politique a tendance à
placer devant l’Église : ou bien celle-ci est pour la majorité
présidentielle, de ce fait, elle bénéficie de certaines faveurs présidentielles
ou bien, elle est dans une posture neutre et sa neutralité s’interprète comme
une allégeance à l’opposition. Par voie de conséquence, tout ce que l’Eglise
prendra comme posture sera interprétée selon cette grille de lecture par le
pouvoir politique.
Du coup, voir
l’Église aller sur le terrain de la politique politicienne est
particulièrement sensible et passionnel, propice aux jugements, aux exclusives
et considéré comme ferment de division de la communauté. Ce qui est souvent redouté,
c’est le « parti pris » éventuel de telles postures. Il est alors
reproché aux responsables d’Églises de se mêler de ce qui ne les regarde pas,
de se faire instrumentaliser de manière partisane dans un jeu de rapports de
force, d’entrer dans des logiques de pouvoir, au lieu de se consacrer à leur
mission spécifique d’annonce de l’Évangile.
Pourtant,
dans l’esprit de la laïcité bien comprise, le rapport de l’Etat aux religions
devrait être marqué par la neutralité,
la transparence des intentions et la vigilance pratique. En outre, la
séparation « des Églises et de l’État » implique aussi que l’État ne
doit subventionner, ni ne se mêler du fonctionnement des Églises. Sans
intervenir dans l’organisation doctrinale et pratique des Églises, il devient
un organe régulateur des incidences sociales et politiques du fait religieux,
des options et des actions religieuses, positives ou perverses et crée à cet
effet un cadre juridique.
Malheureusement,
aujourd’hui, nous assistons dans notre pays à l’intrusion ostentatoire des
autorités religieuses dans la sphère politique. Beaucoup de pasteurs
ont pris de liberté avec les obligations de leur sacerdoce, notamment en
utilisant leur position pour s’allier au pouvoir politique. En 2004, plusieurs pasteurs ont montré un intérêt inaccoutumé
pour la politique. en se présentant à la présidentielle et aux législatives. Ce
qui est encore plus révélateur chez ces responsables d’Église, c’est leur
volonté d’être instrumentalisés par des leaders politiques, au lieu de se
consacrer à leur mission spécifique : celle d’annoncer l’Évangile pour
conscientiser la classe politique et ceux qui sont à la charge de la chose
publique, pour qu’ils assurent toujours mieux le bien-être et l’épanouissement
de leurs peuples. En 2011, le responsable chargé de la structure du pilotage des élections n’était pas choisi du monde
politique, ni de la société civile, ni d’un autre monde, mais du corps
ecclésiastique. Seulement, ce choix n’a pas fait
bonne presse auprès de tous à la fin de sa mission. La date du « 23 Janvier 2011 »
restera un mauvais souvenir pour certains qui croient que c’est grâce à lui que
la volonté du peuple centrafricain a été confisquée.
Il importe donc de
s’interroger sur des précautions nécessaires à prendre lorsque les autorités
religieuses fréquentent régulièrement le pouvoir politique : certes, l’autorité
religieuse pourrait être proche de la sphère politique, mais ne pas se sentir
"chez lui" parmi les hommes politiques ; familier avec les corridors
du pouvoir, mais sans y être à l’aise. Parce qu’être l’homme de Dieu, c’est à
la fois dire la vérité au pouvoir, et être la voix des sans-voix et des
marginalisés, des victimes qui en dernier ressort ont une place spéciale dans
le royaume de Dieu[1].
De même, une autorité
ecclésiastique ne peut accepter n’importe quelle politique. Il ne devrait pas
avoir peur de la discussion et de l’engagement politique. Malheureusement, beaucoup
de leaders chrétiens centrafricains ont opté la "politique de l’autruche".
C’est-à-dire, se taire ou s’inscrire dans la logique proverbiale qui dit :
« la bouche qui mange ne parle pas ». Pourtant, « celui qui ne
fait rien ne commet jamais d’erreurs, mais c’est toute sa vie qui est une
erreur » écrit François Varillon (joie
de croire, joie de vivre, 1981) qui dénonce « le faux apolotisme des
chrétiens aux mains pures ».
Pour le théologien
allemand Zwingli, « rendre un culte à Dieu, ce n’est pas rester entre les
quatre murs »-- non, c’est aller dans les rues et y agir. La spiritualité
a une dimension nécessairement publique et politique. L’Évangile ne se limite
pas seulement à « Dieu et l’âme », il concerne aussi ce monde où il
faut manifester concrètement le règne de de Dieu.
1.2.
Les défis du rapport à la laïcité
En RCA, l’expérience religieuse fait partie du
quotidien dans tous les domaines et à tous les niveaux. Même pour ceux qui
n’ont jamais mis pied à l’Église ou à la mosquée, ils ont toujours eu à prendre
à témoin le Dieu « Nzapa »
soit pour clamer leur innocence devant une juridiction soit pour faire de lui
le « Dieu accessoire » quand ils se sentent en danger. Aussi, depuis ces dernières décennies, les relations
entre l’islam et le christianisme oscillent entre tension et dialogue pour des
raisons politiques, sociales, et finalement religieuses aujourd’hui. La Centrafrique est confrontée aujourd’hui au défi du vivre-ensemble
entre christianisme et islam. Pourtant, très présentes au cœur des cultures centrafricaines,
ces deux religions (l’islam et le christianisme) présentent de nouveaux défis
du vivre-ensemble : Incompréhensions, provocations, manipulations, excès,
violences, anathèmes. La situation actuelle en Centrafrique illustre bien la
complexité et la sensibilité du sujet. En effet, certaines interrogations
s’imposent.
Ce vivre-ensemble
est-il encore tout simplement possible ? Le vivre-ensemble appelle le
respect et la reconnaissance de l’autre : les verra-t-on ? Le vivre-ensemble requiert un vocabulaire
commun : existera-t-il ? Plus encore, le vivre-ensemble doit avoir un
objectif : pourquoi et pour quoi devons-nous encore vivre ensemble ?
Allons-nous vivre en diversité ou en adversité ? Le vivre-ensemble qui a
existé depuis des lustres est-il devenu inutile ?
Toutes ces
questions nous interpellent en termes de laïcité. Elles nous invitent à
repenser le concept, à trouver une laïcité
adaptée, à lutter contre toutes les inégalités, contre les limitations de
la liberté en nommant bien leurs fondements à partir de l’héritage traditionnel.
La laïcité
adaptée dont on souligne l’importance
ici suppose aussi la responsabilité des Églises. Elle peut être limitée par des
motifs d’ordre public bien définis. En évidence, il est du devoir des Églises
chrétiennes et bien d’autres confessions
religieuses d’aider les autorités politiques à bien gouverner pour la paix et
le progrès. Loin de s’immiscer dans les affaires qui ne les concerneraient pas,
l’Eglise doit s’engager à vivre sa pleine vocation tout en privilégiant le
dialogue Église-État. Car, si les
chrétiens veulent être pris au sérieux comme partenaires pour la construction
de la paix dans une société laïque, ils devront s’interroger sur leurs manières
de vivre entre eux aussi et avec ceux d’autres religions.
D’où la question : Que doivent et peuvent
faire les Églises dans l’espace public sans violer la laïcité de l’État, de la
société, sans tomber dans l’autoritarisme outrancier et en respectant la
responsabilité personnelle de leurs membres?
À cette
question, on donne une double réponse :
En premier
lieu, on estime que les Églises ont pour fonction de poser des limites, de
rappeler des frontières à ne pas franchir, de dénoncer l’inacceptable. Elles
n’ont ni vocation ni compétence pour élaborer et proposer un programme
politique. Par contre, il leur revient de mettre en garde contre des dangers et
des dérives, de protester contre des excès et des manquements. Elles doivent
signaler ce qui ne va pas (et dans toute société il y a toujours quantité de
choses qui vont mal) et demander qu’on y apporte des remèdes, même si
elles n’ont pas à dicter une solution précise aux problèmes qu’elles signalent.
Elles sortent, par exemple, de leur rôle si elles tracent les lignes d’une
politique de la diplomatie mais elles ont le devoir de protester si on ne
traite pas humainement les étrangers.
Il faut
refuser que les institutions religieuses exercent directement ou prennent
indirectement le pouvoir, mais il entre dans leur mission, le cas échéant quand
les débordements se produisent, d’adresser aux dirigeants des
« remontrances ».
En deuxième
lieu, on estime que si l’institution ecclésiale n’a pas donné des consignes aux
fidèles qui en font partie, par contre, elle doit aider et nourrir leur
réflexion, ainsi en organisant des débats, en publiant des documents qui
informent et des études qui permettent d’approfondir les questions à l’ordre du
jour. Ce faisant les Églises contribuent au sérieux de l’engagement et des
prises de position de leurs membres et des autres citoyens. Dans notre pays, le
débat politique est souvent plus passionnel que réfléchi, plus spectaculaire
que profond. On s’affronte, on cherche à prendre le dessus sur l’autre et on se
soucie guère d’élaborer ensemble des solutions. Une des vocations du
Christianisme est de favoriser la pensée, si on ne veut pas qu’elle dégénère en
une mêlée confuse et irrationnelle où on se bat à coup de slogan et où l’image
compte plus que la compétence. Il ne s’agit d’imposer des mots d’ordre, mais de
susciter une réflexion.
J’ai évoqué qu’il
y a aujourd’hui en Centrafrique deux courants d’Église. Le premier veut tenir
le plus possible la foi et les Églises à l’écart de la politique. Le second
entend tisser des liens étroits entre la religion et la politique avec
tentation de les confondre.
Alors que le
protestantisme prône le principe laïc fondamental selon lequel il n’appartient
pas au religieux de diriger ou de gouverner la société. Le protestantisme a
d’ailleurs adhéré depuis longtemps à ce principe qui s’harmonise avec sa
théologie et sa spiritualité. Ce principe n’interdit pas aux Églises
d’intervenir dans le champ politique, sans essayer de le régenter, de le
dominer, d’y imposer leurs vues, mais en y défendant par persuasion,
explication et discussion, jamais par contrainte, des valeurs d’humanité et de
justice qu’elles ne sont pas les seules
à représenter et à soutenir[2].
Ainsi, inscrire la fidélité à l’Évangile
dans le respect de la laïcité, ce sera pour les communautés chrétiennes à apprendre
à dialoguer avec le monde, en ne se substituant pas aux institutions politiques
ou sociales nécessaires à la vie commune. Dans le débat démocratique, ce sera
défendre la dignité de chaque personne, et donc le droit de chacun à user
pleinement de sa conscience.
II.
JÉSUS
FACE AU POUVOIR POLITIQUE[3] :
« Rendez
à César ce qui est à César… »
La
question du pouvoir recouvre dans l’Évangile de multiples aspects parmi
lesquels nous retenons en particulier la thématique de « rendre à César,
ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu ». Cette expression mérite
de retenir notre attention en matière de laïcité.
Au temps de Jésus, le pouvoir religieux avait la
primauté sur le pouvoir politique et, en Israël, un grand-prêtre était le premier
dignitaire du pays avant même un roi, car ainsi que l’écrit Flavius Josèphe :
« la grande prêtrise l’emporte sur la royauté de toute la différence dont
Dieu l’emporte en excellence sur les hommes ». Mais si Jésus semble donc
mettre sur le même plan les deux pouvoirs, il y avait de quoi à déconcerter ses
auditeurs.
Car, il
n’est pas facile de déterminer avec exactitude l'attitude de Jésus vis-à-vis du
pouvoir politique en général et de l'empire romain en particulier. Si Jésus
parle volontiers des grands de ce monde, de leur luxe, de leurs festins et de
leurs guerres, s'il dénonce leur prétention à se faire appeler « bienfaiteurs
», jamais on ne le voit contester le pouvoir de l’empereur ou du roi Hérode
Antipas. Tout au plus affirme-t-il à ceux qui lui apprennent qu'Antipas veut le
tuer, que rien ne l'empêchera d'accomplir sa mission ou, lorsqu'il avertit les
siens qu'ils auront à comparaître devant les gouverneurs et les rois, que les
persécuteurs ne pourront rien contre eux (2).
Jésus ne
donne pas de directives proprement politiques à ses disciples, pas plus qu'il
ne demande aux publicains ou aux centurions qu’il rencontre d’abandonner le
service de l'État. Il invite à aimer et à prier pour ses ennemis (Lc 6, 27-35).
Ainsi, lorsqu'on vient l'arrêter, ordonne-t-il à ses disciples de ne pas
utiliser les armes et il proteste contre ceux qui le prennent pour un brigand
(Lc 22, 47-53).
« S'étant
postés en observation, [les scribes et les grands prêtres] envoyèrent à Jésus
des indicateurs jouant les justes ; ils voulaient le prendre en défaut dans ce
qu'il dirait, pour le livrer à l'autorité et au pouvoir du gouverneur. Ils lui
posèrent cette question : "Maître, nous savons que tu parles et enseignes
de façon correcte, que tu es impartial et que tu enseignes les chemins de Dieu
selon la vérité. Nous est-il permis oui ou non de payer l'impôt à César ?"
Pénétrant leur fourberie, Jésus leur dit : "Faites-moi voir une pièce
d'argent. De qui porte-t-elle l'effigie et l'inscription ? " Ils
répondirent : "De César". Il leur dit : "Eh
bien, rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est
à Dieu" » (Lc 20, 20-26 ; voir également Mc 12, 13-17 et Mt 22, 15-22)
(3).
On voit le
piège : si Jésus interdit de payer l'impôt, il peut être dénoncé aux Romains
comme opposant ; s'il invite à payer l'impôt, il apparaît au peuple comme un
traître à Israël et à son Dieu. Jésus brise le piège : « Rendez à César ce qui
est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Il affirme que César n'est pas
l'opposé de Dieu et qu'il y a place pour une certaine souveraineté de César.
Par le fait même, il laisse supposer qu'il n'y a pas d'hostilité de principe
entre César et Dieu, et qu'il existe entre l'Empire et la communauté juive une
possibilité pratique de coexistence.
Mais, en demandant de « rendre à Dieu ce
qui est à Dieu », il affirme qu'aucun César ne peut prétendre être le maître
absolu des hommes, car seul Dieu demande le tout de l'homme. Jésus s’oppose
ainsi à toute adoration de César, et ramène le politique à ce qu’il est : une
activité humaine que le Royaume de Dieu pénètre comme toute réalité.
Tout au long de la vie terrestre engagée de Jésus de Nazareth, on pouvait voir ses compatriotes s’interroger sur son identité face à sa pratique. Ils se demandaient s’il était un prophète, ou le messie annoncé, ou encore, selon la question de Ponce Pilate, s’il était le roi des juifs, mais jamais dans les Évangiles on ne le désignait comme prêtre. Un prêtre devait être membre de la Tribu de Lévi. Or, Jésus de Nazareth est né de la tribu de Judas et donc pour son peuple, il ne pouvait être qu’un laïque. Il n’était ni prêtre, ni lévite, et par ce fait, toute participation à l’institution sacerdotale était exclue pour lui. Bien plus, Jésus a vécu et parlé de telle manière qu’il est rapidement entré en conflit avec les dirigeants de son temps, les prêtres et les fonctionnaires du temple, les représentants officiels du "religieux et du sacré".
De même, Jésus de Nazareth s’est opposé aux conceptions officielles de son milieu religieux en proclamant: « Il n’est rien d’extérieur à l’homme, qui pénétrant en lui, puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » (Mc 7,15). Sa contestation était radicale. Elle plaçait l’humain au-dessus des lois et des institutions. Plusieurs de ses propos formulés à diverses occasions et synthétisés dans les Béatitudes le situaient proche des pauvres, des affligés, des miséricordieux, des persécutés, des malades, des marginalisés, en somme proche du petit peuple, de toutes les personnes qui souffraient, et qui étaient considérées comme impures par les représentants religieux officiels de son temps. Jésus s’est identifié au petit peuple. Ses paraboles aussi constituaient une réponse à ceux qui l’accusaient de conduite irréligieuse, parce qu’il frayait avec des gens inconvenants.
De nos jours, beaucoup de personnes voient en Jésus le premier prêtre, ou encore le grand prêtre selon l’épître aux Hébreux. Or Jésus durant toute sa trajectoire publique, engagée, fut un laïque et rien qu’un simple laïque. Il n’était ni prêtre, ni adepte des partis religieux de son temps. Le Jésus de Nazareth qui appartenait à la tribu de Judas, qui s’est identifié au petit peuple, à ses joies et à ses souffrances, était bel et bien un laïque pour son peuple. Car, il s'est montré intraitable vis-à-vis de ceux qui exerçaient le pouvoir religieux, alors qu’il s’est montré ouvert et tolérant envers ceux qui exerçaient un pouvoir politique. Il n’a jamais prétendu que sa manière d’agir devait se substituer à celle des rois de ce monde (Lc 4,5-6). L’exemple du denier à rendre à César le prouve amplement (Lc 20,20-26; Mc 12,13-17; Mt 22,15-22). Ici, Il fait comprendre que César ne peut se prétendre le Maître absolu des humains, car seul Dieu l’est. Il s’est opposé ainsi uniquement à toute adoration de César sur terre. D’une certaine façon, il a prôné la séparation des deux pouvoirs : politique et religieux. En effet, il est aussi légitime de penser que la laïcité a ses origines dans la révélation biblique.
Tout au long de la vie terrestre engagée de Jésus de Nazareth, on pouvait voir ses compatriotes s’interroger sur son identité face à sa pratique. Ils se demandaient s’il était un prophète, ou le messie annoncé, ou encore, selon la question de Ponce Pilate, s’il était le roi des juifs, mais jamais dans les Évangiles on ne le désignait comme prêtre. Un prêtre devait être membre de la Tribu de Lévi. Or, Jésus de Nazareth est né de la tribu de Judas et donc pour son peuple, il ne pouvait être qu’un laïque. Il n’était ni prêtre, ni lévite, et par ce fait, toute participation à l’institution sacerdotale était exclue pour lui. Bien plus, Jésus a vécu et parlé de telle manière qu’il est rapidement entré en conflit avec les dirigeants de son temps, les prêtres et les fonctionnaires du temple, les représentants officiels du "religieux et du sacré".
De même, Jésus de Nazareth s’est opposé aux conceptions officielles de son milieu religieux en proclamant: « Il n’est rien d’extérieur à l’homme, qui pénétrant en lui, puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » (Mc 7,15). Sa contestation était radicale. Elle plaçait l’humain au-dessus des lois et des institutions. Plusieurs de ses propos formulés à diverses occasions et synthétisés dans les Béatitudes le situaient proche des pauvres, des affligés, des miséricordieux, des persécutés, des malades, des marginalisés, en somme proche du petit peuple, de toutes les personnes qui souffraient, et qui étaient considérées comme impures par les représentants religieux officiels de son temps. Jésus s’est identifié au petit peuple. Ses paraboles aussi constituaient une réponse à ceux qui l’accusaient de conduite irréligieuse, parce qu’il frayait avec des gens inconvenants.
De nos jours, beaucoup de personnes voient en Jésus le premier prêtre, ou encore le grand prêtre selon l’épître aux Hébreux. Or Jésus durant toute sa trajectoire publique, engagée, fut un laïque et rien qu’un simple laïque. Il n’était ni prêtre, ni adepte des partis religieux de son temps. Le Jésus de Nazareth qui appartenait à la tribu de Judas, qui s’est identifié au petit peuple, à ses joies et à ses souffrances, était bel et bien un laïque pour son peuple. Car, il s'est montré intraitable vis-à-vis de ceux qui exerçaient le pouvoir religieux, alors qu’il s’est montré ouvert et tolérant envers ceux qui exerçaient un pouvoir politique. Il n’a jamais prétendu que sa manière d’agir devait se substituer à celle des rois de ce monde (Lc 4,5-6). L’exemple du denier à rendre à César le prouve amplement (Lc 20,20-26; Mc 12,13-17; Mt 22,15-22). Ici, Il fait comprendre que César ne peut se prétendre le Maître absolu des humains, car seul Dieu l’est. Il s’est opposé ainsi uniquement à toute adoration de César sur terre. D’une certaine façon, il a prôné la séparation des deux pouvoirs : politique et religieux. En effet, il est aussi légitime de penser que la laïcité a ses origines dans la révélation biblique.
III.
PERSPECTIVES D’UNE LAÏCITÉ ADAPTÉE
Au stade de la reconversion de nos
mentalités aujourd’hui, un nouvel enjeu se présente pour toute la société centrafricaine
en général, et pour toutes les Églises en particulier : au-delà de la
quête de la coexistence pacifique, quel sens les différentes communautés
religieuses peuvent-elles avoir en commun les unes et les autres ? En traduisant
les préoccupations en principes pour préserver notre coexistence et gérer notre
diversité, chaque communauté religieuse contribuera de ce fait à
l’assaisonnement d’une démocratie exigeante.
Ainsi, dans
le cadre de la laïcité, ce qui devrait fonder la valeur objective et sociale
d’une religion est la qualité repérable de ses efforts sociaux pour contribuer
à la paix, à l’unité et à la communication entre citoyens. Il y a des
conditions à la cohabitation et à la collaboration pacifique des Églises.
Cela nous conduit à faire les
suggestions suivantes à deux niveaux :
1. Concernant l’État : Pour sauvegarder la paix, consolider la société, l’unité
nationale et l’autorité de l’État par rapport aux religions, celui-ci devra, dans
la vérité et la transparence éthique, renforcer le respect de sa propre laïcité
et son autonomie.
-
L’’Etat veillera à ne pas accorder à certaines
communautés religieuses des traitements de faveur, en termes de calculs
politiques. Il devra traiter les diverses communautés religieuses de manière
égale, équitable, avec harmonie et équilibre, réalisme, justice et vérité, en
tenant compte non seulement de l’importance numérique des communautés, mais
aussi de leur importance objective, de leur impact social positif dans le pays.
-
Au nom de laïcité, l’État devra veiller particulièrement,
par des dispositions juridiques adéquates, à ce qu’aucun homme ou parti
n’utilise et manipule la religion ou le sentiment religieux à des fins politiques, partisanes ou pas.
-
L’État veillera aussi à ce que tous les citoyens
jouissent des mêmes droits et devoirs, soient traités de la même manière, et
que ni les individus, ni les institutions ne soient l’objet de discriminations
selon leur appartenance religieuse et confessionnelle.
-
L’État devra laisser les religions exercer librement leur mission d’être des
voix critiques objectives, d’éveilleurs et d’éducateurs de conscience pourvu
qu’elles ne quittent pas leur champ spirituel, ne perturbent pas l’ordre social
et ne deviennent pas des forces politiques directes.
-
De manière positive, l’État assurera par des
dispositions pratiques, par le truchement du ministère de tutelle,
l’encouragement, l’encadrement des religions afin qu’elles travaillent
effectivement, individuellement et ensemble à la promotion de la concorde et de
la paix au sein de la nation.
2. Concernant les Églises : la
laïcité honore les Églises, les établit dans leur véritable champ d’action et
les libère d’éventuelles pressions de l’État ou des forces de manipulation ou
d’instrumentalisation politique. En
conséquence, il est à recommander que les Églises ou les autorités religieuses
se gardent de toutes actions ou attitudes tendant à établir entre elles et
l’État des rapports stratégiques d’intérêt, leur conférant une quelconque forme
ou force d’influence, risquant de provoquer au sein des autres communautés
malaises, soupçons et frustrations.
-
Ainsi, au nom de la laïcité, les Églises devront elles
aussi demeurer vigilantes, refusant de quémander des faveurs—attitudes qui
fragilisent leur liberté d’expression—refusant d’être les caisses de résonnance
d’hommes ou de partis politiques dont elles deviendraient les griots pour des
raisons matérielles, religieuses, ethniques ou par volonté d’avoir ou d’être
une influence ou une force auprès ou en face de l’État. Elles devront apprendre à se contenter de ce
qui leur revient de droit de par leur reconnaissance objective et par le rôle
qu’elles jouent dans la communauté nationale.
-
Les Églises devront plus que jamais s’en tenir à leur
mission spirituelle. L’infidélité à cette mission, par l’interférence
d’ambitions politiques inavouées, conduit tôt ou tard à la "fanatisation" des
Églises et à l’installation de l’intolérance. Elle compromet l’équilibre des
rôles, détruit la cohésion et la confiance sociale, et prépare les conflits.
Cette fidélité à leur mission, que l’État doit encourager et soutenir de
manière objective et impartiale, appelle les Églises et leurs leaders à
repenser de fond en comble leur raison d’être, dans le contexte critique
présent de la République Centrafricaine, à entrer en dialogue réflexif,
créateur avec et entre elles-mêmes pour redécouvrir les principes et les
conditions de leurs actions afin de contribuer à la reconstruction de l’unité
et de la paix nationales[4].
CONCLUSION
Nous concluons notre communication sur deux points de vue :
1.
Du point de
vue social, nous disons que « le chrétien
est citoyen de ce monde qu’il est appelé à construire. Du fait de cette
citoyenneté séculière, il se sait responsable de l’espace public, de sa
définition, de son aménagement, de son maintien. Les Églises ont donc à
accompagner ceux de leurs membres qui ont choisi cet engagement au service de
la communauté humaine et à encourager les politiques dans leur mission de façon
constructive, leur en rappeler l’importance et la noblesse, prier pour eux, les
interpeller. Le christianisme considère toutefois que l’Église n’a pas de
leçons à donner aux responsables politiques, ni de programmes à leur offrir
clés en main. Néanmoins, comme l’affirme un document œcuménique, il existe
aujourd’hui entre nos Églises « un consensus sur le caractère positif et
irremplaçable de la régulation politique des sociétés humaines : le
pouvoir politique n’est pas une expression maléfique, mais une médiation
nécessaire et conforme à la volonté de Dieu (voir Romains 13). » [5]
2.
Du point de vue
théologique, le royaume de Dieu n’est pas isolé en dehors de notre monde ; il
est « au milieu de nous » (Luc 17 : 21). En d’autres termes, le
royaume de Dieu est une sphère, un engagement, une attitude, et un mode de vie
et de pensée qui pénètre notre existence entière et donne à notre citoyenneté
un sens tout spécial. C’est la souveraineté de Dieu imprégnant la vie de l’être
humain.
La question de la laïcité est un défi majeur dans une société traversée de
tensions et de peurs, pour tout sujet lié à ce principe fondamental,
nous devons collectivement apporter de manière pédagogique les éléments
nécessaires au débat. Ce, d’autant plus que les médias ne le font guère,
ayant trop souvent tendance à alimenter les confusions et les
amalgames, et ainsi le ressentiment d’une partie de la population. Il ne s'agit pas de transformer la laïcité en une série de nouveaux interdits. Cela
serait contraire à l’esprit initial
de la laïcité, et ne pourrait qu’alimenter un discours victimaire et,
par voie de conséquence, les provocations et les extrémismes religieux
et politiques.
Au-delà des réponses pratiques à rappeler, la promotion de la laïcité et du vivre ensemble doit passer par des mesures culturelles, éducatives et sociales. Je pense notamment au développement du service civique ; au développement de l’enseignement laïque des faits religieux ; à la mise en place effective de l’enseignement moral et civique ; et bien sûr, pour notamment éviter toute mésinterprétation, à la multiplication des formations à la laïcité partout sur le territoire pour tous les acteurs de terrain et les fonctionnaires.
Au-delà des réponses pratiques à rappeler, la promotion de la laïcité et du vivre ensemble doit passer par des mesures culturelles, éducatives et sociales. Je pense notamment au développement du service civique ; au développement de l’enseignement laïque des faits religieux ; à la mise en place effective de l’enseignement moral et civique ; et bien sûr, pour notamment éviter toute mésinterprétation, à la multiplication des formations à la laïcité partout sur le territoire pour tous les acteurs de terrain et les fonctionnaires.
Dr. Jimi P. ZACKA,
Théologien, Anthropologue
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jimi_Zacka
Théologien, Anthropologue
[1] D. Forrester,
Theology and Politics, Oxford: Basil
Blackwell, 1988, p. 163.
[2] Cf. A. Gounelle, « Église et politique », Évangile et Liberté, n°257, Mars 2012.
[3] Nous nous sommes inspirés de P. Debergé, « Rendez à
César.. : Jésus et Paul face aux pouvoirs de leur temps », dans
Bulletin Information Biblique n°64
(Juin 2005), p.24.
[4] Cf. Jean Sinsin
Bayo, « Laïcité, dialogue des religions », dans Débats-Courrier d’Afrique de l’Ouest,
nn. 9 and 11 (novembre 2003/janvier 2004), pp25-30.
[5] M. Bertrand, op.cit.