L’incompréhension
est le thème de prédilection de l’évangéliste Marc. La place accordée à
l’incompréhension des disciples est l’une de ses particularités. Il faut
souligner que Marc est
l’évangéliste qui présente le plus souvent dans ses récits les disciples aux
côtés de Jésus, mais leur présence à ses côtés soulève assez
régulièrement un paradoxe : Les
disciples manifestent toutefois vis-à-vis du maître une profonde
incompréhension. Ainsi Jésus s’étonne de ce qu’ils ne comprennent pas la
parabole du semeur (Mc 4, 13). Il est surpris de leur manque de foi (Mc 4, 40).
Ils ne reconnaissent pas Jésus qui marche sur les eaux et le prennent pour un
fantôme (Mc 6, 45-52). Jésus leur reproche de nouveau leur incompréhension
après la seconde multiplication des pains (Mc 8, 14-21). Les disciples sont des
personnes qui ont du mal à comprendre ce que dit Jésus. Il doit tout expliquer…
Il est alors aisé de percevoir que derrière les figures des disciples se
profilent celles des chrétiens. En effet, l’on remarque que l’incompréhension
des disciples traverse l’ensemble de l’évangile de Marc.
De même, de multiples incompréhensions
génèrent des conflits entre Jésus et les pharisiens avec une acuité croissante
tout au long de l’Évangile de Marc. Par exemple, lors de la guérison du paralytique,
après avoir secrètement accusé Jésus de
blasphème (11.6-7), les scribes se sont enhardis à manifester leur hostilité. À
l’occasion de la vocation de Lévi et du banquet qui suit, ils se scandalisent
devant les disciples de voir Jésus manger avec les publicains et les pécheurs
(11.6). À propos du jeûne, nouvelle querelle : n’osant s’en prendre
directement à Jésus, les pharisiens blâment la conduite de ses disciples
(11.18). Cette discussion ne portait que sur une pratique de surérogation. Un
dernier épisode exaspère le conflit et déchire tous les voiles dont s’entourait
l’hostilité pharisaïque : en guérissant en pleine synagogue, au jour du
sabbat, l’homme à la main sèche (3. 1-5), Jésus attire définitivement sur lui
la haine des pharisiens. Il prend à leurs yeux figure du blasphémateur de la
Loi de Moise. De concert avec les Hérodiens, les scribes vont finalement
décider sa mort (3.6).
Au regard de cette
avalanche de conflits détruisant toutes relations entre Jésus et les pharisiens,
l’on comprend que l’incompréhension
devient en effet porteuse de mort, dont Marc inscrit les traces dans son récit
en 3,6; 11,18; 12,12. Finalement, il est à retenir que ces différents cas d’incompréhensions
constituent notoirement une thématique bien ancrée dans l’évangile de Marc que l’on ne peut occulter.
De différents cas
de l’incompréhension chez Marc
En
général, les conflits naissant de l’incompréhension sont souvent au risque,
pour celui qui ne comprend pas ou qui est incompris, de se replier sur lui-même
ou d’en venir à l’agressivité. Toutefois, il faut savoir que ne pas comprendre,
c’est avant tout poser la question du « pourquoi », et ainsi aller
vers l’autre en quête du savoir. Mais chez Marc, deux cas d’incompréhension se
révèlent : le premier cas concerne les disciples de Jésus. Leur incompréhension favorise l’échange avec
Jésus par le biais du questionnement, tandis que le deuxième cas, ce sont les
pharisiens dont l’incompréhension est source de multiples controverses entre
eux et Jésus. Dans ce second cas, à titre d’exemple, les pharisiens ne
supportent pas le bon accueil que Jésus réserve aux pécheurs (Mc 2.16). Ce
type d’incompréhension empêche la communication paisible avec Jésus. Dit
autrement : les pharisiens n’arrivent pas à accéder à la compréhension des
paroles et au sens des actes de Jésus et cela débouche sur de multiples conflits.
C’est dire que ne pas comprendre ce n’est alors pas la reconnaissance de ne pas
savoir, mais c’est de ne pas accéder à la vérité ou au sens d’une conception
différente de la sienne. L’incompréhension des pharisiens favorise ainsi directement les illusions et par là même le refus de se
remettre en question, ce qui conduit à l’immobilisme dénoncé par Jésus : « Vous abandonnez le commandement de Dieu, et
vous observez la tradition des hommes. Il leur dit encore :
Vous rejetez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition »
(Mc 7.8-9). Face aux pharisiens qui présentent un front uni à la nouveauté et
figurant l’immobilisme, ici comme dans d’autres évangiles, la prise de Parole
de Jésus se détache avec netteté de la rhétorique pharisaïque. Car, les
pharisiens tenaient leurs discours par un jeu de discriminations plus sociales
que morales. Il ne faut pas non plus ignorer que la société où vivait Jésus
était un vaste monde où régnaient des exclusions humaines et religieuses. Pour les juifs très
soucieux de pureté légale, tout contact
physique avec les pécheurs publics était prohibé. C’est ainsi que la levée de
toutes ces exclusions par Jésus était devenue une source d’incompréhensions des
pharisiens. Une incompréhension qui nourrissait en ce sens la passivité de leur
esprit, qui ne réfléchissait plus, et n’acceptait aucune réforme.
Enfin, toutes ces
incompréhensions relevaient des autorités de divers types (religieux, morales
ou même politiques) qui étaient plus ou moins directement responsables de l’élimination
de Jésus. Il faut aussi noter que l’incompréhension était plus nette du côté de
la famille de Jésus (3.21, 31-35) qui considérait qu’il a « perdu la tête »
(exeste, aor.2 de existemi : être hors de). Jésus manifestait d’ailleurs à
cette occasion que la rupture était réelle avec sa famille naturelle. Il ne
reconnaissait plus en effet ni mère, ni frères sauf en la personne de celles et
ceux qui, en cercle autour de lui, font la volonté de Dieu. Cette démarche
suscitait une véritable opposition à l’Evangile du Royaume que Jésus proclamait
en paroles et en actes et dont personne ne comprenait le sens.
Par contre, concernant les disciples de
Jésus, l’incompréhension n’est pas un obstacle ni une source de conflits. Car,
leur incompréhension est accompagnée de la volonté de progresser, d’interroger leur maître pour mieux comprendre (Mc 9.28-29 ;33-37,38).
Cette incompréhension ne porte pas
préjudice aux relations humaines parce qu’elle fait preuve d’ouverture d’esprit
pour écouter et intégrer une partie de la conception de leur Maître. En ce
sens, au lieu des conflits, l’incompréhension multiplie les échanges et s’inscrit
dans une quête infinie d’une meilleure compréhension, laquelle peut être
obtenue par une analyse sans cesse actualisée de l’expérience. L’incompréhension
doit être comprise ici comme un tremplin vers plus de compréhension. Elle
oblige le sujet à être actif et continuellement se remettre en question. Dans
ce cas-là, la compréhension statique et immuable ne peut être obtenue puisque l’expérience
agit en permanence entre le sujet et le
monde.
In fine, la recherche de
compréhension afin de pallier l'incompréhension était une conquête indéfinie pour les disciples de Jésus.
Ils en ont retiré d’ailleurs une plus grande liberté et responsabilité. Mais, pour être capable d'aller de l'incompréhension à la compréhension, il faudra d'abord acquérir une certaine humilité pour mieux être à l'écoute de l'autre. Dans le cas contraire, l'incompréhension ne peut que générer des malentendus, des conflits ou des controverses. C'est la cas des pharisiens et des autorités juives.
Que chacun de nous cherche à comprendre l'autre avant de le juger !!
Que chacun de nous cherche à comprendre l'autre avant de le juger !!
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue