En quoi le chrétien est-il "lumière
du monde"? C'est quoi "être lumière du monde"? Telles
sont les questions qui me taraudent tout le temps. Dans Matthieu 5. 14,
"Jésus dit : vous êtes la lumière du monde". Pourtant,
nous n’avons pas tellement l’impression d’être, individuellement, indispensable
au progrès de l’humanité tout entière ou à la beauté de l’univers. En d'autres
mots, nous ne semblons pas devenir la "lumière" voulue par le
Christ pour éclairer ce monde ténébreux.
Jésus dit quand même, à chacun de
nous individuellement : vous êtes, tu es, je suis la
"lumière du monde". Il le dit parce qu’il le croit, et il le croit
parce que c’est une évidence pour lui. Et pour que cela soit une évidence pour
Lui, il faut que cela soit une réalité fondamentale pour nous. Il y a en chaque
personne un génie propre et un point de vue original. Cela fait que personne
d’autre ne pourrait apporter au monde ce que nous chrétiens, individuellement,
pouvons lui apporter. C'est une responsabilité d'apporter sa propre "lumière"
au monde.
En d'autres termes, si les
chrétiens veulent être pris au sérieux comme partenaires pour la construction
de la paix dans les sociétés actuelles, ils devront s’interroger sur leurs
manières de vivre entre eux et avec d’autres. Par exemple, si les chrétiens
demandent au monde de vivre le pardon, il faut qu’on puisse trouver des
exemples de pardon dans les communautés chrétiennes. S’ils demandent au monde
de pratiquer la fraternité, il faut qu’on puisse trouver des signes de la
fraternité dans les communautés chrétiennes. L’Église apparaît ainsi comme lieu
du paradigme social sur le plan éthique et moral.
Une Église de Dieu dans laquelle
on aimerait avoir, à la manière de la Trinité, l’amour comme dessaisissement de
soi, serait une partenaire crédible pour la construction de la paix dans la
société. A quoi sert de critiquer la société si nous-mêmes sommes incapables de
vivre ce que nous reprochons aux autres? Pourquoi reprocher aux autres
l'incohérence de leurs paroles si nous-mêmes ne comprenons pas ce que Jésus
nous reproche: "Que votre oui soit oui et votre non soit non"
(Mt 5.37).
Savoir dire "oui" et
"non" est le but fondamental de l'enseignement de Jésus qui consiste
à permettre aux êtres humains de se réveiller spirituellement, voir clair en
eux, à partir de là de s'améliorer, et de devenir ainsi de véritables êtres humains,
capables, en tant que tels, de s'élever vers la Lumière.
Malheureusement,
aujourd'hui, les chrétiens sont dans le célèbre jeu de "ni oui ni
non". Cela consiste à ne jamais prononcer ces deux mots pendant un certain
laps de temps sous peine d'être disqualifié par les sociétés de ce monde.
L'enjeu est de chercher à plaire aux hommes.
Pourtant, la question est
toujours de savoir ajuster une prise de position nécessaire de la part de
l’Église ou de ses représentants en matière politique et une prise de distance
tout aussi nécessaire par rapport à la politique partisane.
Par exemple, le chef religieux a
le droit de faire savoir sa position, non seulement comme citoyen, mais surtout
comme leader référent de la société. De plus, l’Église se doit de prendre une
position claire quant à certains principes non négociables — la bonne
gouvernance, la démocratie, la justice —, qui sont constamment réaffirmés dans
la doctrine sociale de l’Église.
Quand Jésus nous dit “ Vous êtes
le sel et la lumière du monde ”, il ne nous fait pas la morale, comme s’il
disait : recevez la lumière de Dieu et transmettez-là. Mais Jésus affirme,
comme un état de fait, que nous sommes la lumière du monde.
La lumière dissipe les ténèbres,
elle réchauffe tout ce qu’elle touche, elle libère les formes. Tout cela
survient à la vitesse de l’éclair. Être la lumière du monde, ça veut dire pour
les chrétiens diffuser partout la lumière qui vient d’en haut. Ça veut dire
combattre les ténèbres nées du mal et du péché, causées souvent par l’ignorance,
les préjugés et l’égoïsme. Plus nous regardons le visage de Jésus, un peu comme
une toile impressionniste, plus nous voyons la lumière et plus sommes
transfigurés par elle.
C'est aussi notre apport
personnel dans notre société. Jésus ne dit pas « que la lumière de Dieu
brillera à travers vous » mais il dit « que VOTRE lumière brille sur ceux qui
vous entourent » pour embellir la vie grâce au rayonnement de l'amour de
Dieu.
C’est la lumière, éclatante ou
voilée, de notre être intérieur qui monte à la surface et qui se livre à
autrui.
Lorsque Jésus parle à ses
disciples, il voit cette lumière, il voit le fond de leur coeur monter sur leur
visage. Ses disciples sont si heureux de l’écouter, ils sont tellement pris par
sa parole et pris aussi au meilleur d’eux-mêmes, que leur visage en est tout
illuminé. « Tu as les paroles de la vie éternelle ! »
criera Pierre dans un grand élan. Ce n’est pas là, lumière passagère d’un feu
de paille, non, ces disciples aiment la parole de leur maître. Cette parole suscite
leur désir de la mettre en pratique. Cela ne leur semble pas au-dessus de leurs
moyens ; comme dit l’Écriture (Deutéronome 30, 14) : « La
parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton coeur pour que
tu la mettes en pratique ».
C'est dire que l’Église ne doit
pas se constituer en une donneuse de leçon, ni s'engluer dans un rôle de
moralisateur, mais doit vivre et dire la Parole du Christ afin d'être capable
de changer le monde. Elle est appelée à être une référence sociale par ce qu'elle-même
dit et vit. C'est cela, être "lumière du monde".
D'ailleurs, la lecture du
prophète Esaïe 58,7-10, nous rappelle que Dieu ne se satisfait
pas d’un culte purement extérieur; il exige aussi la sincérité du cœur. Esaïe
précise le genre de jeûne que le Seigneur attend de nous. Il incite ses
auditeurs à « faire disparaître le joug, le geste de menace, la parole
malfaisante » pour « donner de bon cœur à celui qui a faim et combler
les désirs du malheureux ». Car ainsi « ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera comme la lumière de midi » dit-il.
Ainsi, par leurs gestes, les
disciples sont censés exercer une influence positive sur le monde. Ils ne
peuvent pas plus passer inaperçus qu’une ville sise sur une montagne. Si leurs
bonnes œuvres ne font pas le poids, ils sont aussi inutiles qu’un sel dénaturé
ou une lampe dont on a masqué la lumière.
En nous invitant à être «
lumière », Jésus nous invite à le rendre présent dans le monde. La présence de
la lumière ne peut rester cachée, et son absence sera aussitôt remarquée ; de
même, il est impossible de nier la bonté de ceux et celles qui font le bien.
Les bonnes œuvres pratiquées par la main ouverte ont un éclat resplendissant
qui poussent les gens à rendre gloire à Dieu pour la sainteté qui transparaît
en ses créatures.C'est en cela que la lumière de la foi scintille comme des
étoiles au regard de ceux qui sont perdus dans les ténèbres de ce monde.
Prof. Jimi ZACKA, PhD
Exégète, Anthropologue