lundi 5 février 2018

VIVANT AU-DELA DE LA MORT : JEAN 11 (HOMMAGE À MON FRÈRE)



(À mon frère Jacob parti sans un mot)

Il est écrit dans la prophétie d’Ésaïe : « La mort sera engloutie pour l’éternité et l’Éternel Dieu effacera les larmes de tous les visages. » (Esaïe25.8). Cette promesse est le socle de mon espérance. Et comme l’a si bien souligné Elisabeth Kübler-Ross : « La mort, c'est l'acquisition d'un état de conscience supérieur où vous continuez à percevoir ce qui se passe autour de vous et en vous, à comprendre, à rire, à grandir. La seule chose que vous perdez est un élément dont vous n'avez plus besoin : votre corps. C'est comme enlever son manteau d'hiver à l'arrivée du printemps. »

     Ainsi, nous avons  ici un texte très riche dont la dimension symbolique est claire : chez Jean, les « miracles » sont des signes, c’est-à-dire qu’ils désignent quelque chose de plus profond, qui va au-delà de l’histoire racontée. Ici, c’est une réflexion sur la vie et sur la mort dont il est question. En effet, suite à la lecture de Jean 11, j'ai tiré sept remarques :

1. L’évangéliste choisit de parler de la mort à travers l’histoire de Lazare et de ses deux sœurs. Cette histoire fait écho à ce que vit chaque être humain confronté à la finitude de sa propre existence, dont la mort d’un proche est sans doute la marque la plus terrible. Au niveau du vocabulaire, le texte insiste sur le fait que Jésus aime Marthe, Marie, Lazare (vocabulaire de l’affection), cf. v. 3, 5, 36. Lazare est l’ami du Christ (cf. discours d’adieux où ce langage est employé et où il désigne la communauté ecclésiale). C’est ici le destin de la communauté croyante qui est ici pris en charge : qu’advient-il lorsqu’un ami de Jésus meurt ? Comment les proches sont-ils appelés à vivre et à affronter cet événement ? 

2. Dans son dialogue avec Jésus (cf. v. 21-27), Marthe confesse ce qui est la foi commune aux chrétiens et aux juifs de l’époque : « Je sais que mon frère ressuscitera à la résurrection au  dernier jour » (v.24). L’évangéliste nous apprend ici que dire la foi dans un sens traditionnel est un malentendu. C’est ici  qu’apparaît l’originalité et le défi du texte : Jésus veut conduire Marthe plus loin que la croyance traditionnelle en la résurrection finale au dernier jour. Dans la réponse qu’elle fait à Jésus, Marthe interprète de façon tout à fait correcte les paroles de Jésus : elle ne croit pas une chose, à un dogme, une doctrine mais elle croit en une personne (cf. v. 26b-27 : « Crois-tu cela ? Oui Seigneur je crois que tu  es le Christ »). La foi est ici une rencontre entre la parole de Marthe qui dit sa douleur et tente de l’apaiser avec les mots des convictions traditionnelles, et la parole du révélateur qui est la résurrection et la vie. 

3. Il est frappant de constater que Lazare ne prend jamais la parole dans ce récit : il ne nous dit rien du lieu d’où il vient. Il est tout aussi frappant de constater que, au cours de l’histoire, Lazare est le personnage que l’on a essayé le plus de faire parler ! Chez Jean, Lazare n’est pas là pour nous parler de l’après-mort. Il devient le signe du passage de la mort à la vie et il nous rappelle que ce passage de la mort à la vie, quelle que soit notre situation physique, concerne le maintenant de notre existence. 

4. La rencontre avec le Christ est certitude de la vie, expérience de la vie malgré la mort, elle n’est pas immunisation contre notre condition humaine et négation de ce qui est le lot commun de toute l’humanité. Le fait que le récit ne se termine pas après la rencontre entre Jésus et Marthe, et en particulier le signe de la résurrection de Lazare, est pour Jean la manifestation de ce que la foi n’est pas une fuite en dehors de la réalité et du tragique de l’existence.  Pour Jean, le sérieux de la mort comme ennemi agressif auquel Jésus arrache l’homme n’est pas négligé : le Jésus johannique lui-même y a été confronté. Dit autrement, l’angoisse devant la mort n’est pas synonyme d’incrédulité

5. Le don de la vie n’est donné que  par Celui qui accepte de se dessaisir de sa vie. Jésus accepte d’affronter et d’habiter la mort pour donner la vie : en donnant la vie à Lazare, Jésus est en marche vers sa mort. Deux conséquences, l’une théologique, l’autre anthropologique. Au plan théologique, la résurrection c’est une personne, une relation de foi, relation exclusive, à cette personne : ce n’est pas une philosophie, une doctrine, une ascèse, une pratique, c’est une rencontre avec le Christ qui donne, à celui qui l’expérimente dans la foi, la vie malgré la mort. Au plan anthropologique, il n’y a pas de vie possible sans deuil, sans séparation, sans mort. La mort est signe de vie. La vie n’est possible que par un passage par la mort (physique ou symbolique).

6. La résurrection n’est pas d’abord « à venir ». Elle est une possibilité qui s’inscrit dans la vie présente ici et maintenant. Elle se propose au croyant comme un redéfinition, une réorientation de sa vie sur cette terre. Dans ce qui était les déterminismes qui l’affectaient elle inscrit un éclatement. D’une certaine façon, la vie historique du croyant reçoit un fondement et une ouverture. La résurrection c’est en fait l’incarnation de la foi dans la réalité du monde : parce que c’est là que Dieu appelle à la vie (la rencontre de Jésus et de Marthe c’est tout le contraire du « aujourd’hui vous souffrez demain vous serez heureux », c’est au contraire la prise en compte de la réalité de l’homme dans sa complexité quotidienne).

7. L’idée forte du passage, c’est que la rencontre avec Celui qui est la Vie opére un apaisement. Le pari c’est que l’absurdité de l’échéance de la mort est ébranlée par cette rencontre. Par-delà l’angoisse, la frayeur ou la révolte, il devient possible d’affronter  la mort, de vivre avec la mort, une mort vaincue par la vie non pas seulement demain (dans « l’au-delà ») mais dès aujourd’hui, jusque dans tous les instants d’une vie terrestre aussi courte et (apparemment) aussi pauvre soit-elle. N’est-ce pas là le sens fondamental (la « symbolique » profonde) du signe de la résurrection de Lazare qui, juste après dans la narration johannique, va devoir affronter la mort, cf. Jn 12/1.2.9.10.17 : Jésus est désormais chez Lazare, mais les chefs du peuple veulent faire mourir l’un et l’autre. Le texte ne suggère-t-il pas que, désormais Lazare et Jésus ont leur destin lié et qu’ainsi le « monde » ne peut plus rien contre celui qui marche, pour reprendre des termes johanniques, à la lumière de celui qui est la Vie ? Lazare désormais sera « vivant jusqu’au-delà de la mort » (Ricœur).

Oui, « vivant jusqu’au-delà de la mort », car Jésus lui-même le promet: « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand bien même il serait mort. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jn 11.25-26).  

La résurrection du Christ, c’est une ouverture possible dans les contingences de ce monde. Il ne s’agit donc pas de croire à la résurrection comme phénomène physiquement possible. Il s’agit de croire que quelque chose de l’ordre de la vie est possible, quelque chose qui n’est pas écrit à l’avance mais qui m’est offert comme une promesse. Croire que l’histoire ne se referme pas sur elle-même, comme dans un univers clôturé où rien d’inattendu ne peut plus advenir. Espérer, pour ma vie, l’inattendu de la grâce, recevoir la vie contre et malgré la mort. Jusqu’à mon dernier souffle — et peut-être même au-delà — recevoir la vie comme une puissance de résurrection pour avancer vers ce qui m’est promis et que j’ignore encore. Mais, l"apôtre Paul le dit avec espérance: " Christ est ma vie et la mort m'est un gain" (Phil 1.21)

     Mon frère Jacob, je sais que Christ a toujours été ta vie. Tu as toujours vécu en Christ et tu vis en Christ parce que tu as mis toute ta vie au service du Christ. Tu t'es donné toi-même , d'abord au Seigneur depuis ton enfance, puis à l'Eglise et à l'oeuvre du ministère de Jésus-Christ. Sois fier de toi tout en te disant : "J'ai mené le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi..." (2 Tm 4. 7). 
Tu vis non seulement en Christ, mais aussi dans le cœur de tous ceux que tu as aimés et qui t’aiment pour toujours. En ce jour du 02 Février 2018, j'étais effondré comme Marthe, la soeur de Lazare, larmoyant , je disais même au Seigneur: "Si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort" (Jn11.21), mais la réponse du Seigneur m'as rassuré au-delà de mon chagrin: "Ton frère ressuscitera" (Jn11.23).
C'est pourquoi, d'ailleurs, l'Apôtre Paul m'exhorte à ne pas être "dans l'ignorance au sujet de ceux qui dorment" afin de ne pas être affligé "comme les autres qui n'ont point d'espérance". (1Thes 4.13). Tu n'es pas mort, mais tu dors et comme toi, je dormirai.

 A bientôt !

Dr Jimi P. ZACKA



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