jeudi 2 octobre 2014

DETOURNER DE FONDS PUBLICS EN CENTRAFRIQUE EST UNE BANALITÉ…




« Et moi, je vous dis : faites-vous des amis avec des richesses injustes…. »
(Evangile de Luc 16,9).

Détournement de fonds et l’impunité

     Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire est que  les détournements de deniers publics ont atteint leur point culminant en Centrafrique. On pourrait même dire qu’ils sont institutionnalisés. Jamais aucun pays n’a été aussi spolié et un peuple aussi exploité. Le  journal Jeune Afrique vient de publier des détails troublants d’un scandale financier éclaboussant le sommet de l’État centrafricain. Joint par RFI, Mr Joseph Mabingui, directeur de cabinet de Mme Samba-Panza, dément que ce n’est pas de détournement de fonds. Il assure que cet argent a servi à « des actions en faveur de la réconciliation et à l’instauration de la sécurité à Bangui, et non à des fins personnelles » et il poursuit que : « Il ne s’agit pas de détournement car, insiste-t-il, face à l’urgence de la situation en Centrafrique, en mars, la présidente aurait décidé d’agir d’abord et de régulariser la situation comptable par la suite ». Nous laissons chacun apprécier cette déclaration faite par un « homme d’Etat ». Toutefois, en dépit de ce démenti qui n'apporte aucun élément, de nature à disculper les auteurs présumés,  le commun des mortels en Centrafrique sait désormais que les dirigeants politiques n’ont aucun souci de la survie du peuple centrafricain. Une dépense de 2,5 millions de dollars—soit 1,132 milliards de francs CFA-- sans traçabilité est une véritable gabegie financière insoutenable. Lorsque les fonctionnaires accumulent des arriérés de salaires, les retraités survivent sans pensions, l’insécurité règne partout, les déplacés vivent toujours en plein air, il est vraiment abject de dilapider une si grosse somme d’argent de la plus rageante des manières. Surtout que la Centrafrique demeure toujours agonisante et est en recherche constante d’argent pour sortir de son état comateux.
     Si cette malversation outrancière s’avère vraie, c’est une douleur ajoutée aux souffrances d’un peuple déjà meurtri. Certes, un fatalisme s’est installé dans les populations centrafricaines, selon lequel le détournement de fonds fait partie de la culture politique, mais un tel acte machiavélique peut être compris ? Non. Même si,  plusieurs cas de détournement ont été enregistrés dans tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir et aucun des auteurs n’a été inquiété. En tout cas, détourner les deniers publics est devenu banal en Centrafrique. D’ailleurs, ce que dénonce le journal JA a l’air du « déjà vu » (Caistab, Socatel, Sonatu, etc). Cette banalité s'explique par le fait qu'il n'existe pas toujours des mécanismes de prévention et de lutte contre les détournements de fonds. La prédation s’est finalement muée en vertu politique. Pour preuve, c’est depuis des décennies que toute la classe politique centrafricaine s’est mise au service de la destruction du pays par des détournements de fonds. On peut finalement comprendre que ce n’est pas l’état du pays qui motive ces prédateurs politiques, mais c’est l’assouvissement de leur cupidité. Que personne ne nous trompe !
     Et l’on se doit de s’interroger : Quand l’impunité prendra-t-elle fin en Centrafrique ? Doit-on continuer à laisser ces prédateurs s’enrichir illicitement au détriment d’un peuple meurtri, humilié et abusé ? Quelle éthique civique l’actuelle classe politique laissera-t-elle à la future génération dans la gestion des biens publics? 

Détournement de fonds et le pouvoir

     Une définition courante précise que le détournement de fonds est « l'appropriation frauduleuse de biens par une personne pour son propre intérêt à qui l'on avait fait confiance pour gérer l'argent et les fonds détenus par un autre individu ou par une organisation tiers. Les fonds peuvent être des fonds sociaux ou des fonds publics » (Wikipédia). Mais il faut souligner qu’en Centrafrique, la délimitation du concept de détournement de fonds est malaisée. Le détournement de fonds pose en effet le problème du pouvoir. Tout détenteur d’une parcelle de pouvoir—et celles-ci sont nombreuses—est susceptible d’être le bénéficiaire direct d’un détournement. Mais la réalité du délit ne peut être jugée qu’en fonction de la proportion du pouvoir que l’on détient. Ainsi, ce qui peut être jugé comme un cas de détournement, peut ne pas l’être pour l’homme politique. De même, une opération pratiquée de manière sciemment frauduleuse au nom de l’État peut être perçue comme un acte sans gravité. La goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est de voir les mêmes qui sont auteurs de  multiples cas de détournements être promus ou garder leur poste. C’est pourquoi ; d’ailleurs, l’administration centrafricaine est devenue très politisée. Car, les fonctionnaires s’adhèrent souvent au parti au pouvoir pour qu’en échange de leur loyauté, ces derniers soient protégés et chouchoutés ; on leur permet ainsi d’augmenter l’étendue de leur pouvoir et de profiter d’occasion pour s’enrichir illicitement. Mais là où le bât blesse, c’est que ces détournements sauvages engendrent souvent deux visages : la richesse insolente (les fortunes de ces prédateurs dépassent souvent ce dont le pays a besoin pour nourrir le peuple) et  l’évasion (ces mêmes fortunes reposent dans des banques étrangères et ne profitent jamais au peuple).
     Le vent de prédation souffle encore en Centrafrique et y soufflera toujours comme un ouragan détruisant tout sur son passage tant que nos politiques ne prendront pas conscience de ses conséquences désastreuses pour le peuple.  Il est temps d’y penser. Mais, comment ? Quels sont les moyens de lutte ? 

Détournements de fonds et la lutte contre l’impunité 

            Très peu d’États africains prennent aujourd’hui l’initiative de mettre en place des outils de répression de la criminalité économique, la mise en place des lois permettant la saisie des richesses acquises illégalement. Citons-en quelques-uns : au Rwanda, le ministère de la Justice vient de publier une liste de près de 300 agents de l’Etat condamnés pour détournement de fonds ou mauvaise gestion et à qui il va être réclamé un remboursement. Car, au dire du Président Kagamé, le Rwanda n’est pas un pays riche, donc il « ne peut pas se permettre d’être corrompu », c’est en ces termes qu’il s’est adressé au Parlement, appelant à ce que les fraudeurs soient obligés de rembourser les deniers de l’Etat. Voilà un Chef d’État responsable, patriotique et soucieux de son peuple, quoiqu’on en dise. En Afrique du Sud, le parlement sud-africain a créé une commission de lutte contre la corruption. Les députés sont obligés de déclarer leurs transactions financières personnelles qui sont enregistrées dans un registre présenté au public. Le but de l'opération est de limiter les occasions de corruption et de trafic d'influence. La Tanzanie s'inscrit dans ce sillage en prenant pour modèle le système sud-africain. Il est vrai que les déclarations ne font pas l'objet d'une enquête, mais c'est un signe de volonté politique pour encourager une attitude responsable chez les élites africaines. Sous Thomas Sankara, au Burkina Faso, les dirigeants devaient, dans une assemblée populaire (les tribunaux populaires), rendre compte de la gestion des finances publiques. C'était un puissant moyen de dissuasion contre les pratiques de corruption et de détournement de fonds publics. L'organisation non-gouvernementale Transparency International (T. I.) pour lutter contre la corruption utilise une méthode participative en Afrique, avec les « ateliers d'intégrité nationaux » qui consistent à rassembler tous les partenaires concernés : pouvoirs publics, milieux d'affaires, magistrats, journalistes, universitaires, associations, pour proposer des moyens de répression ou de prévention.
     Au-delà de tous ces exemples, la Centrafrique se doit – s’il veut sortir de ses profondes ornières—d’opter une stratégie urgente de lutte contre  les détournements de fonds publics. Il s’agit de mettre en place l’Observatoire de lutte contre la corruption et le détournement de fonds afin de :
·         Rechercher et analyser les faits de corruption et les infractions connexes à quelques niveaux que ce soit
·         Se saisir des dossiers de corruption ou de fraude et de faire mener des investigations sur ces dossiers
·         Collecter les données sur la corruption, suivre les dossiers de corruption ;
·         Faire prendre des mesures nécessaires à la protection des témoins
·         Produire un rapport et en faire copie à toutes les institutions etc.
Une telle instance sera beaucoup plus efficace et utile pour les centrafricains que le Conseil National de Transition qui n’est qu’une autre loge des prédateurs. Que Dieu libère la Centrafrique des griffes de ces prédateurs!


Dr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue






vendredi 29 août 2014

LE POUVOIR : UNE DROGUE EN CENTRAFRIQUE



La soif du pouvoir plus forte que les idées

« Le pouvoir est une drogue en Afrique », a-t-on coutume de dire. Cet adage populaire s’apparente aujourd’hui à une triste réalité en Centrafrique. Depuis l’indépendance jusqu’à présent, la classe politique centrafricaine s’obstine encore dans ses errements dont le seul objectif est la conquête du pouvoir. Et l’interrogation du citoyen lambda est de savoir à quel saint se vouer dans ce marécage politique où s’opposent de féroces piranhas assoiffés du pouvoir.  
L'actuelle crise dévoile le vrai visage de la classe politique centrafricaine. Tout citoyen avisé, peut maintenant comprendre que toutes les instabilités politiques — qui secouent la Centrafrique — proviennent des querelles de personnes, des ambitions démesurées,  de l’égoïsme et de l’égocentrisme d’hommes politiques qui, pour accéder au pouvoir et s’y maintenir, trouvent souvent mieux de créer des conflits et d’attiser des haines entre les centrafricains. Cette addiction au pouvoir a été excellemment dénoncée par le Monseigneur Nzapalainga  : « C’est la recherche du pouvoir, il faut avoir le courage de le dire ! On ne se bat pas pour être plus proche de Dieu ou bien pour défendre sa foi. On se bat pour être au pouvoir. On se bat pour montrer qu’on est le plus fort”, a-t-il dit sur Radio Vatican, dénonçant “les hommes politiques véreux” qui manipulent les jeunes.
Ce constat permet de se demander si les hommes politiques centrafricains aiment vraiment leur peuple. Voient-ils vraiment les misères qu’ils infligent à leurs compatriotes? Ont- ils vraiment des idées pour sauver ce pays ?
Toutes ces questions me rappellent ce que disait un compatriote : « Il va falloir faire un jour le bilan de tous ces hommes politiques pour savoir ce qu’ils ont fait du bien pour ce pays si ce n'est que s’enrichir illicitement et en toute impunité au détriment du peuple qui souffre et qui survit au jour le jour. Lorsqu'il y a des guerres et des rebellions dues à leur mauvaise gouvernance, ils sont les premiers à se mettre à l'abri dans les ambassades, dans les organismes internationaux ou à l'étranger tout en abandonnant à son triste sort la population. Trop c'est trop; il est temps que le bas peuple se réveille pour dire non au moment venu à tous ces charognards politiques qui ne cherchent que leurs intérêts. ».
Sous d’autres cieux, le véritable homme politique est mû par ses idéaux et non par ses ambitions, par son patriotisme et non par ses intérêts personnels. Tout acte qu’il pose, se mesure par l’équilibre qui est entre sa propre ambition et celle qu’il a pour son pays.  Aussi, il ne suffit pas de diriger un parti politique pour croire que l’on a la capacité de diriger un pays. La longévité en carrière politique ne s’apparente pas nécessairement à la maturité politique. Les qualités requises pour être un bon chef de parti ne sont pas les mêmes que celles d’un bon Président. Pour être bon Chef de Parti, il faut savoir séduire ses militants. Le bon Président, au contraire, est celui qui est au-dessus de la mêlée, qui représente l’autorité, apparaît capable de gouverner et parle un langage de responsabilité, mettant l’accent sur les contraintes. Malheureusement, les crises récurrentes en Centrafrique démontrent que notre pays n’a pas encore eu de tels hommes politiques, matures et prêts à sacrifier leurs intérêts sur l’autel du bien-être des centrafricains. Pourtant, la plupart de ces politiques adoptent souvent une attitude aux antipodes des clichés sur l’homme politique qui a tout vu, tout compris, et a une solution qui va régler tous les problèmes. Il ne faut pas se leurrer.
Par ailleurs, nous remarquons que les partis politiques en Centrafrique semblent ne pas bien connaître leur rôle. Un parti politique n’est pas seulement un réservoir de candidats aux postes présidentiel ou ministériel, il doit aussi être capable de mobiliser la société sur des causes et de renouveler ses idées. Une force politique a deux grandes fonctions, participer à la vie des institutions, d’une part, et éclairer l’avenir, donner sens à un projet d’émancipation, d’autre part. Car, un des premiers buts de la politique, c’est de donner un langage à ce que vivent et attendent les gens, pour en faire des citoyens plus lucides et plus actifs. Or, le langage politique en Centrafrique aujourd’hui, tourne à vide, ne donne pas de chair sensible à l’existence des gens. C’est pourquoi, certains ambitieux mal intentionnés voient dans le recours à la violence armée le seul moyen d’améliorer leur sort. La prise du pouvoir par les armes est devenue aujourd’hui un mode opératoire d’ascension sociale en Centrafrique. Le seul but est la confiscation du pouvoir par tous les moyens, y compris la manipulation des populations, l’instrumentalisation de l’ethnicité et du nationalisme, les violations des droits humains et la militarisation de la jeunesse fortement désespérée par le chômage et l’absence de perspective d’avenir. L'objectif ultime des hommes politiques, c'est de devenir président.

Pas de stratégie de développement

De fait, depuis plusieurs décennies, aucun gouvernement n’a pensé, ni encore moins, mis en place une stratégie de développement pour la Centrafrique. Les rêves et les espoirs des centrafricains ont toujours été ignorés. En lieu et place, s’est institutionnalisé un système de pillage des richesses de la RCA. Ce système ne fonctionne pas que comme une économie de pillage, il a ses composantes politiques, et socio-culturelles. La compréhension de cet abîme politique, économique et social dans lequel la Centrafrique se trouve aujourd’hui, provient particulièrement du comportement de la classe dirigeante, de la mauvaise gouvernance des régimes politiques qui se sont succédé et des modes de gestion qui se sont fondés sur l’économie politique de la prédation. Cela a entraîné la pauvreté et la misère des populations, le tribalisme et le recrutement sur la base de critères obscurs dans les forces armées centrafricaines, l’impunité des auteurs présumés de graves violations de droits de l’homme et  des détournements de fonds publics, l’insuffisance et la détérioration des infrastructures de base. Outre la moralité de nos hommes politiques, le manque de responsabilité, le comportement immoral et les pratiques de corruption se sont tellement répandus que cela est même devenu des normes institutionnelles de comportement en Centrafrique: cas de nombreux détournements de fonds publics. 
Aussi, malheureusement, les populations exultent très souvent, dès qu’une personne accède au pouvoir dans l’espoir de voir enfin le bout du tunnel, mais elles oublient souvent que derrière les beaux discours de ces politiques se cachent souvent des désirs de pouvoir, de richesse et d’honneurs comme ce fut le cas dans les dix dernières années, jusqu’au drame que nous sommes en train de vivre, dans lequel chacun sait sa part de responsabilité.

Le besoin d’idées nouvelles pour la Centrafrique
 
La Centrafrique a besoin de nouvelles idées d'une politique qui assure sa propre cohérence interne pour se libérer effectivement de l'impérialisme sous toutes ses formes. Ce rôle est en réalité la responsabilité qui incombe à chaque citoyen, mieux à l'homme politique centrafricain. Il s'agit de rendre au peuple sa souveraineté, de le conscientiser en lui faisant assimiler une doctrine et un programme adaptés à ses besoins réels, de le politiser en rendant la « nation » globale présente à chaque citoyen, en faisant l'expérience de la nation, l'expérience de chaque citoyen. Pour ce faire, un programme est nécessaire à un gouvernement qui veut vraiment libérer politiquement et socialement son « peuple ». Il faut un programme économique certes mais aussi une doctrine sur la répartition des richesses et sur les relations sociales. Il s'agit, pour les dirigeants de se mettre au service du peuple, de se sacrifier pour le peuple, de le mobiliser pour une action efficace et inaliénable. Ils doivent favoriser l'incorporation de chaque citoyen dans la société dont ils sont le moteur.  Car, le gouvernement national, s'il veut être national doit « gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les déshérités et par les déshérités ». Aucun leader, quelle que soit sa valeur, ne peut se substituer à la volonté populaire et le gouvernement populaire doit, avant de se préoccuper de son prestige, redonner dignité à chaque citoyen.
Pour ce faire, nous voulons une classe politique rajeunie et rééquilibrée, comme le disait Aimé Césaire : « sans quoi rien n'aurait aucun sens, rien et pas même notre victoire de demain.». Il est temps pour la classe politique centrafricaine d’entendre ce proverbe africain : « ce n’est pas parce que le chien préfère les os à la viande qu’il faut toujours lui refuser la viande, c’est parce qu’on ne la lui donne pas pour goûter, pourtant c’est lui qui tue l’animal ». Que l’on cesse de nourrir le peuple centrafricain avec des « os desséchés » sur fond des slogans concrètement insignifiants.

Dr Jimi ZACKA  

Théologien, Anthropologue, Auteur



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