« Et moi, je
vous dis : faites-vous des amis avec des richesses injustes…. »
(Evangile de Luc 16,9).
Détournement de
fonds et l’impunité
Aujourd’hui,
le moins que l’on puisse dire est que les
détournements de deniers publics ont atteint leur point culminant en
Centrafrique. On pourrait même dire qu’ils sont institutionnalisés. Jamais
aucun pays n’a été aussi spolié et un peuple aussi exploité. Le journal Jeune Afrique vient de publier des
détails troublants d’un scandale financier éclaboussant le sommet de l’État
centrafricain. Joint par RFI, Mr Joseph Mabingui, directeur de cabinet de Mme
Samba-Panza, dément que ce n’est pas de détournement de fonds. Il assure que
cet argent a servi à « des actions
en faveur de la réconciliation et à l’instauration de la sécurité à Bangui, et
non à des fins personnelles » et il poursuit que : « Il
ne s’agit pas de détournement car, insiste-t-il, face à
l’urgence de la situation en Centrafrique, en mars, la présidente aurait décidé
d’agir d’abord et de régulariser la situation comptable par la suite ».
Nous laissons chacun apprécier cette déclaration faite par un « homme d’Etat ».
Toutefois, en dépit de ce démenti qui n'apporte aucun élément, de nature à disculper les auteurs présumés, le commun
des mortels en Centrafrique sait désormais que les dirigeants politiques n’ont
aucun souci de la survie du peuple centrafricain. Une dépense de 2,5 millions de
dollars—soit 1,132 milliards de francs CFA-- sans traçabilité est une véritable
gabegie financière insoutenable. Lorsque les fonctionnaires accumulent des
arriérés de salaires, les retraités survivent sans pensions, l’insécurité règne
partout, les déplacés vivent toujours en plein air, il est vraiment abject de
dilapider une si grosse somme d’argent de la plus rageante des manières. Surtout
que la Centrafrique demeure toujours agonisante et est en recherche constante d’argent
pour sortir de son état comateux.
Si
cette malversation outrancière s’avère vraie, c’est une douleur ajoutée aux
souffrances d’un peuple déjà meurtri. Certes, un fatalisme s’est installé dans
les populations centrafricaines, selon lequel le détournement de fonds fait partie
de la culture politique, mais un tel acte machiavélique peut être compris ?
Non. Même si, plusieurs cas de détournement
ont été enregistrés dans tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir et aucun
des auteurs n’a été inquiété. En tout cas, détourner les deniers publics est devenu
banal en Centrafrique. D’ailleurs, ce que dénonce le journal JA a l’air du « déjà
vu » (Caistab, Socatel, Sonatu, etc). Cette banalité s'explique par le fait qu'il n'existe pas toujours des
mécanismes de prévention et de lutte contre les détournements de fonds. La
prédation s’est finalement muée en vertu politique. Pour preuve, c’est depuis
des décennies que toute la classe politique centrafricaine s’est mise au
service de la destruction du pays par des détournements de fonds. On peut
finalement comprendre que ce n’est pas l’état du pays qui motive ces prédateurs
politiques, mais c’est l’assouvissement de leur cupidité. Que personne ne nous
trompe !
Et l’on se doit
de s’interroger : Quand
l’impunité prendra-t-elle fin en Centrafrique ? Doit-on continuer à
laisser ces prédateurs s’enrichir illicitement au détriment d’un peuple
meurtri, humilié et abusé ? Quelle éthique civique l’actuelle classe
politique laissera-t-elle à la future génération dans la gestion des biens
publics?
Détournement de
fonds et le pouvoir
Une
définition courante précise que le détournement de fonds est « l'appropriation frauduleuse de biens par une
personne pour son propre intérêt à qui l'on avait fait confiance pour gérer
l'argent et les fonds détenus par un autre individu ou par une organisation
tiers. Les fonds peuvent être des fonds sociaux ou des fonds publics »
(Wikipédia). Mais il faut souligner qu’en Centrafrique, la délimitation du
concept de détournement de fonds est malaisée. Le détournement de fonds pose en
effet le problème du pouvoir. Tout détenteur d’une parcelle de pouvoir—et celles-ci
sont nombreuses—est susceptible d’être le bénéficiaire direct d’un
détournement. Mais la réalité du délit ne peut être jugée qu’en fonction de la
proportion du pouvoir que l’on détient. Ainsi, ce qui peut être jugé comme un
cas de détournement, peut ne pas l’être pour l’homme politique. De même, une
opération pratiquée de manière sciemment frauduleuse au nom de l’État peut être
perçue comme un acte sans gravité. La goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est
de voir les mêmes qui sont auteurs de multiples cas de détournements être promus ou
garder leur poste. C’est pourquoi ; d’ailleurs, l’administration centrafricaine
est devenue très politisée. Car, les fonctionnaires s’adhèrent souvent au parti
au pouvoir pour qu’en échange de leur loyauté, ces derniers soient protégés et
chouchoutés ; on leur permet ainsi d’augmenter l’étendue de leur pouvoir
et de profiter d’occasion pour s’enrichir illicitement. Mais là où le bât
blesse, c’est que ces détournements sauvages engendrent souvent deux visages :
la richesse insolente (les fortunes de ces prédateurs dépassent souvent ce dont
le pays a besoin pour nourrir le peuple) et l’évasion (ces mêmes fortunes reposent dans
des banques étrangères et ne profitent jamais au peuple).
Le
vent de prédation souffle encore en Centrafrique et y soufflera toujours comme
un ouragan détruisant tout sur son passage tant que nos politiques ne prendront
pas conscience de ses conséquences désastreuses pour le peuple. Il est temps d’y penser. Mais, comment ? Quels
sont les moyens de lutte ?
Détournements de fonds et la
lutte contre l’impunité
Très
peu d’États africains prennent aujourd’hui l’initiative de mettre en place des
outils de répression de la criminalité économique, la mise en place des lois
permettant la saisie des richesses acquises illégalement. Citons-en quelques-uns :
au Rwanda, le ministère de la Justice vient de publier une liste de près de 300
agents de l’Etat condamnés pour détournement de fonds ou mauvaise gestion et à
qui il va être réclamé un remboursement. Car, au dire du Président Kagamé, le
Rwanda n’est pas un pays riche, donc il « ne peut pas se permettre
d’être corrompu », c’est en ces termes qu’il s’est adressé au
Parlement, appelant à ce que les fraudeurs soient obligés de rembourser les
deniers de l’Etat. Voilà un Chef d’État responsable, patriotique et soucieux de
son peuple, quoiqu’on en dise. En Afrique
du Sud, le parlement sud-africain a créé une commission de lutte contre la
corruption. Les députés sont obligés de déclarer leurs transactions financières
personnelles qui sont enregistrées dans un registre présenté au public. Le but
de l'opération est de limiter les occasions de corruption et de trafic
d'influence. La Tanzanie s'inscrit dans ce sillage en prenant pour modèle le
système sud-africain. Il est vrai que les déclarations ne font pas l'objet
d'une enquête, mais c'est un signe de volonté politique pour encourager une
attitude responsable chez les élites africaines. Sous Thomas Sankara, au
Burkina Faso, les dirigeants devaient, dans une assemblée populaire (les
tribunaux populaires), rendre compte de la gestion des finances publiques.
C'était un puissant moyen de dissuasion contre les pratiques de corruption et
de détournement de fonds publics. L'organisation
non-gouvernementale Transparency
International (T. I.) pour lutter contre la corruption utilise une méthode
participative en Afrique, avec les « ateliers d'intégrité nationaux »
qui consistent à rassembler tous les partenaires concernés : pouvoirs publics,
milieux d'affaires, magistrats, journalistes, universitaires, associations,
pour proposer des moyens de répression ou de prévention.
Au-delà de
tous ces exemples, la Centrafrique se doit – s’il veut sortir de ses profondes ornières—d’opter
une stratégie urgente de lutte contre
les détournements de fonds publics. Il s’agit de mettre en place l’Observatoire
de lutte contre la corruption et le détournement de fonds afin de :
·
Rechercher et
analyser les faits de corruption et les infractions connexes à quelques niveaux
que ce soit
·
Se saisir des
dossiers de corruption ou de fraude et de faire mener des investigations sur
ces dossiers
·
Collecter les
données sur la corruption, suivre les dossiers de corruption ;
·
Faire prendre des
mesures nécessaires à la protection des témoins
·
Produire un
rapport et en faire copie à toutes les institutions etc.
Une telle instance sera beaucoup plus
efficace et utile pour les centrafricains que le Conseil National de Transition
qui n’est qu’une autre loge des prédateurs. Que Dieu libère la Centrafrique des griffes de ces prédateurs!
Dr
Jimi ZACKA
Théologien,
Anthropologue
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