INTRODUCTION
Avant de mener une réflexion sur la théologie africaine, qu’il me soit permis de souligner d’emblée que l’Afrique est un continent marqué par une grande pluralité ethnique, culturelle et religieuse, tant pour l’Eglise que pour la société. La théologie en Afrique se présente très différemment d’un pays à l’autre. Même au sein d’un même pays, elle est différente, voire opposée d’une église à l’autre. A l’évidence, évoquer les questions théologiques aujourd’hui, implique la prise en compte des situations spécifiques aux différentes zones du continent africain. Ainsi, j’estime nécessaire d’apporter des précisions sur l’Afrique Francophone à laquelle je vais faire allusion dans mon intervention. Elle comprend des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest dont la langue officielle est le Français, et qui ont joué un grand rôle théologique pour l’existence d’une théologie authentiquement africaine. Ceci ne veut pas dire que je vais occulter l'importance du rôle joué par les théologiens anglophones dans la théologie africaine. Leurs apports ont été non négligeables, que ce soit du côté catholique ou évangélique.
Toutefois, la grande question qui se pose, est de savoir où en est-on aujourd'hui avec la théologie africaine.
Avant de mener une réflexion sur la théologie africaine, qu’il me soit permis de souligner d’emblée que l’Afrique est un continent marqué par une grande pluralité ethnique, culturelle et religieuse, tant pour l’Eglise que pour la société. La théologie en Afrique se présente très différemment d’un pays à l’autre. Même au sein d’un même pays, elle est différente, voire opposée d’une église à l’autre. A l’évidence, évoquer les questions théologiques aujourd’hui, implique la prise en compte des situations spécifiques aux différentes zones du continent africain. Ainsi, j’estime nécessaire d’apporter des précisions sur l’Afrique Francophone à laquelle je vais faire allusion dans mon intervention. Elle comprend des pays d’Afrique centrale et de l’Ouest dont la langue officielle est le Français, et qui ont joué un grand rôle théologique pour l’existence d’une théologie authentiquement africaine. Ceci ne veut pas dire que je vais occulter l'importance du rôle joué par les théologiens anglophones dans la théologie africaine. Leurs apports ont été non négligeables, que ce soit du côté catholique ou évangélique.
Toutefois, la grande question qui se pose, est de savoir où en est-on aujourd'hui avec la théologie africaine.
1.
Essoufflement
de la théologie africaine ?
Il
n’y a pas bien longtemps, j’étais avec
certains collègues occidentaux en train de parler de la théologie
africaine et l’un d’eux disait : « la théologie africaine n’a plus
rien à donner ». L’entendre dire cela m’a rendu à la fois médusé et
dubitatif. Et, cela me rappelle l'anecdote, racontée par le prêtre congolais André KABASELE, que je reprends ici :
« Il y a quelques temps, à bord d’un avion régulier de Kenya Airways, j’ai
rencontré un prêtre mariste français, travaillant au Tchad, qui provenait de
Naïrobi et se rendait à Douala. Il me posa, amusé, la question suivante:
"qu’est devenue la théologie africaine?" Et il précisa le sens de son
interrogation: "dans les années 70-80, c’était une mode, mais aujourd’hui
on n’en entend plus parler". Et pourtant, je venais de sortir d’un
colloque organisé par la Faculté de Théologie des Facultés Catholiques de
Kinshasa, où, sur le thème de l’eucharistie, nous avions prétendu faire de la
théologie africaine, en pratiquant résolument la méthode inductive qui
caractérise toute théologie contextuelle, en intégrant à la réflexion
théologique systématique les données culturelles africaines (comme la
conception africaine du repas) et les interrogations spécifiques (telles que
les questions sur les matières eucharistiques), en associant dans la mesure du
possible, les différentes couches de la population chrétienne et en soignant,
par le contact avec la presse, l’écho de nos travaux auprès d’un large public».
Qu’y a-t-il derrière ces constats ? On doit y voir peut-être l’essoufflement,
la stagnation de la théologie africaine. Ce que le théologien congolais Kä Mana
considère comme l’échec et la mort de la théologie africaine. A son avis, il
n’y est plus sortie depuis plus de dix ans une seule idée novatrice ni un seul mouvement de pensée
vraiment mobilisateur dans les débats de fond sur les sociétés africaines. Son
jugement est même d’une sévérité extrême lorsqu’il parle d’une sorte de
léthargie et d’immobilisme de l’esprit qui a frappé ses débats intellectuels et
ses requêtes essentielles. En d’autres termes, les discours de la théologie
africaine semblent répétitifs, monotones, comme de simples bavardages. Face à
une critique de ce genre on éprouve parfois un certain malaise de parler de la
théologie africaine francophone donnant l’apparence d’être dans une sorte de
stagnation. Mais, de fait, il est juste d’avouer que la théologie africaine
francophone en est encore au stade où, non seulement, elle se cherche encore,
mais se trouve confrontée à de nouveaux enjeux. Tout au début, son but était de
s’engager pour la libération du colonialisme,
du néo-colonialisme, ou, plus généralement, de la dominance extérieure.
Aujourd’hui, tout le monde sait que les
enjeux ont changé. L’Afrique est aujourd’hui mise en défi par de multiples problèmes :
famine endémique, instabilité politique, guerres fratricides, exclusion
sociale, indigence sociale, corruption effrénée, marginalisation politique et
économique, analphabétisme, tribalisme, Sida, etc…etc… Du coup,
d’autres questions de fond se posent à la théologie en Afrique : faut-il avant
tout parler de la théologie universitaire et de celle qui se pratique dans les
Instituts et Centres théologiques ou devra-t-on faire plutôt cas de la
théologie qui émerge des communautés ? La théologie étant un discours, un
logos, faut-il s’en tenir au discours publié, édité, ou prêter également
oreille au discours oral, qu’il soit public ou privé, qu’il émane des pasteurs
ou du peuple ? La théologie doit-elle être débattue par une petite minorité
d’intellectuels ou bien doit-on s’investir dans un travail théologique qui
rejoint les hommes là où ils sont, dans leur univers propre, pour les aider à
réfléchir sur la relation entre l’Evangile et leur vie concrète, avec toute sa
complexité, ses dimensions et ses exigences ?
En
d’autres termes, le travail théologique se doit-il d’aider les Africains à
mener une réflexion sur la possibilité que Dieu leur offre en Jésus-Christ de
répondre à son appel à vivre en plénitude, compte tenu des problèmes
fondamentaux de l’Afrique d’aujourd’hui ? C’est ce que le Père Meinrad
Hebga appelle la théologie de la responsabilité.
Cette théologie, comme prise de responsabilité
autant socio-politique que religieuse qui doit être le maître-mot de la
théologie en Afrique aujourd’hui.
Ainsi, on peut dire que l’apparent essoufflement de la théologie africaine n’est pas
une léthargie, mais plutôt la traduction de sa diversité, de sa maturité, voire
de sa vitalité. C’est peut-être pour cela qu’il ne faudra plus parler de la
théologie africaine mais plutôt de l’émergence des théologies en Afrique, faisant ainsi allusion
à l’impact du christianisme et la diversité des réactions africaines à la
théologie.
Bref,
le but de mon intervention n’est pas question ici de m’attarder au débat sur la
théologie africaine, mais de porter plutôt un regard sur les réalisations qui
ont eu lieu en ce domaine en milieu francophone.
2.
L’émergence
de la Théologie Africaine francophone
La
théologie africaine en milieu francophone a connu trois déplacements majeurs :
l’émergence de la théologie africaine, l’émergence de méthodologies théologiques
(l’inculturation, la libération ou la reconstruction) et le moment actuel d’une
théologie préoccupée par la nouvelle
évangélisation en Afrique.
En cette période, des pionniers africains
francophones aussi illustres que les camerounais E. Mveng, F. Eboussi Boulaga, M. Hebga,
J.M. Ela, et O. Bimwenyi aussi bien que des Congolais, Tharcisse Tshibangu, Alphonse
Ngindu Mushete se sont battus pour doter la théologie africaine d’outils
conceptuels et la hisser au niveau scientifique. Ensuite, les débats ont été
menés pour savoir si la théologie africaine
devait être une théologie de l’inculturation
ou une théologie de la libération.
Alors que les tenants de l’inculturation
voulaient que la théologie prenne pour point de départ les cultures et les
traditions ancestrales africaines, les tenants de la libération voulaient prendre au sérieux le contexte sociopolitique
et économique de l’Afrique traversée par la modernité. Un autre courant, la
théologie de la reconstruction, née
sous la plume du théologien congolais Kä
Mana, a tenté d’arbitrer le débat en invitant les Africains à quitter le
face à face entre la tradition et la modernité, pour se fier au Christ, mesure
de l’humain et Seigneur de nos vies. Ce débat dominera la réflexion théologique
en Afrique francophone jusqu’au milieu des années 90. Depuis 1994, un troisième déplacement semble
s’opérer. Les protagonistes du débat sur l’inculturation,
la libération et la reconstruction semblent observer un
cessez-le-feu. Même si d’aucuns se définissent plus dans un courant que dans un
autre, leurs ouvrages révèlent qu’ils portent tous un souci
missiologique : rendre la foi chrétienne pertinente dans l’Afrique
d’aujourd’hui. Il faut souligner que les événements dramatiques en Afrique tels
que le génocide au Rwanda et les conflits de la République Démocratique du
Congo ont fortement secoué l’irénisme culturel des uns et l’utopie
libérationniste des autres. Tous sont d’accord pour dire que toute théologie
s’adressant au contexte africain doit prendre au sérieux les traditions
culturelles et religieuses africaines ainsi que la crise actuelle que traverse
l’Afrique du fait de mutations sociopolitiques et culturelles en contexte de
mondialisation. Le souci fondamental est partout le même : comment faire
du christianisme un ferment de promotion humaine pour le continent ? Quel
type de discours théologique mettre en œuvre pour la nouvelle évangélisation aujourd'hui ?
2.1. Contexte de la Théologie Africaine
francophone
Il n’est pas aisé de parler de la théologie africaine francophone sans
tenir compte du contexte historique de sa naissance, raison pour laquelle je
présente comme toile de fond deux types de théologies missionnaires de l’époque
coloniale, à savoir la théologie de l’implantation de l’Eglise et la théologie
de l’adaptation et de pierre d’attente.
2.1.1.
La théologie de l’implantation de l’Eglise
(1920-1950)
En
effet, le nœud du problème qui semble être à la base de la théologie africaine
francophone est le fait que la mission héritée du 19°s se présente
essentiellement comme une théologie d’implantation de l’Eglise en terre africaine.
Les Africains sont perçus comme des « âmes » à convertir, à gagner. Ainsi,
le rôle essentiel de la mission a été de
convertir et de gagner au Christ les âmes déchues des indigènes afin qu’elles
ne meurent pas dans la misère la plus abjecte qu’est l’enfer. Malgré certains
conseils judicieux de respect de « l’âme africaine » et les efforts
louables de nombreux missionnaires pour connaître la langue et les coutumes
locales, l’évangélisation se trouve marquée par cette « théologie de
l’implantation ». Elle manifeste ainsi une préoccupation fermement
ecclésiocentrique : il s’agit d’insérer les Africains et l’Afrique dans
l’Eglise. Et pour les sauver, il fallait transposer en Afrique l’Eglise
d’Europe ou d’Amérique dans ses structures, ses pensées, ses rites. Il s’agit
donc d’ériger, d’implanter l’Eglise ou, mieux encore, de reconstituer, dans les
territoires de mission, des dépendances des Eglises occidentales avec leurs
structures administratives, leur clergé, leur liturgie, leur morale, etc. D’où
la conclusion suivante: «La réalité
d’indigénisation consiste en une espèce d’habillage de l’Eglise d’un manteau
africain.»
Mais les destinataires vont finir par réagir contre cette théologie jugée
paternaliste. Pour les Africains, l’évangélisation
doit tenir compte de leur personne, de leur culture, de leurs religions. Ils se
veulent partenaires et non objets de l’évangélisation. Ils vont ainsi
revendiquer le droit de penser et de vivre le christianisme en Africains[2]. Le point focal de cette revendication est constitué par l’ouvrage Les prêtes noirs s’interrogent qui,
publié en 1957, fit grand bruit en son temps. Des prêtres noirs exigeaient le
droit à la parole et à une participation dans le processus d’évangélisation. L’avant-propos
de ce livre indique déjà la perspective générale:
«On a assez longtemps pensé nos
problèmes pour nous, sans nous, et même malgré nous… Sans vouloir faire du
tapage… il nous semble bon de jeter aussi notre mot dans le débat ouvert depuis
si longtemps sur l’Afrique. Le prêtre africain doit aussi dire ce qu’il pense
de son Eglise en son pays pour faire avancer le royaume de Dieu.»21
Etant le premier manifeste de la théologie africaine en terre africaine,
l’ouvrage collectif va attester que la
théologie africaine proprement dite a vu le jour. En fait, onze théologiens
courageux de la première génération – nous y avons déjà fait allusion – n’ont à
cœur que de poser la question de l’adaptation du christianisme en terre
africaine tout occupée à sélectionner telle croyance, tel rite, à les déclarer
acceptables, et à éliminer les autres comme vaine observance. La préoccupation
est celle d’une adhésion intime et profonde de l’Afrique au Christ, pour que la
vérité chrétienne, dans ce milieu, éclate dans toute sa splendeur et illumine
tous les cœurs d’une manière qui, pour nouvelle qu’elle soit, n’aliène pas pour
autant l’esprit nègre. Il est très significatif que l’article de Vincent Mulago
se préoccupe, dès le début, de la méthode d’adaptation,
qui, selon lui, est la seule méthode susceptible de donner un résultat durable.
En voici le contenu: « Ayant pénétré la
mentalité, la culture, la philosophie du peuple à conquérir, il faudra
‹greffer› le message chrétien sur l’âme du prosélyte.»
. C’est dans cette perspective qu’ils vont rechercher des correspondances
entre les religions traditionnelles et le christianisme. Il s’agit d’adapter le
mieux possible les pratiques de l’Eglise d’Occident aux réalités
socio-culturelles de l’Afrique, de pénétrer la mentalité africaine pour y
greffer le message chrétien et de rendre les dogmes chrétiens accessibles aux
africains.
Les pionniers de cette théologie se sont interrogés sur la signification
des cultures et des traditions africaines pour la théologie. C’est la
contribution considérable de l’école de Kinshasa – Tharcisse Tsibangu, Alphonse
Nguindu Mushete, Vincent Mulago, Oscar Bimwenyi, Charles Nyamiti, François
Kabasélé, Bénézet Bujo – qui cherche à formuler un discours théologique véritablement
africainet en dialogue avec l’héritage chrétien universel. Dans ce mouvement,
il faut nommer les Ouest-Africains, Sidibé Sempore, Eugène Uzukwu, John Mbiti.
Les camerounais se distinguent aussi dans cette dynamique. Le regretté
Engelbert Mveng (1930-1995) a eu le courage de forger le concept de
« paupérisation anthropologique » de l’homme africain. Il a en
quelque sorte obligé les théologiens africains à poser la question : où
était Dieu des chrétiens quand l’Occident réduisait les Africains à la non
humanité à travers l’esclavage et la colonisation ? Où est le Dieu des
chrétiens quand, en collaboration avec l’occident, les élites et les dictatures
africaines post-coloniales continuent d’exploiter leurs frères ? Les
héritiers de ce discours sont Jean-Marc Ela, Fabien Eboussi Boulaga et d’une
certaine manière Eloi Messi Metogo. De même, ce discours se prolonge dans un
travail de remise en valeur des cultures africaines menacées par l’impérialisme
de la modernité qui se poursuit aujourd’hui sous la forme de la mondialisation.
2.1.2.
La théologie de l’adaptation ou de
« pierre d’attente » (1950-1965)
Une seconde théologie sera connue à partir de 1950. C’est la théologie de
l’adaptation ou des « pierres d’attente ». Elle préconise,
contrairement à la théologie précédente, une Eglise à couleur africaine, d’un
christianisme à visage africain. Tel est d’ailleurs le titre d’un ouvrage
parfaitement expressif et significatif de cette tendance de l’abbé Vincent
Mulago, l’un des grands inspirateurs et promoteurs de la théologie africaine.
Cette théologie de l’adaptation se
préoccupe davantage de prendre en compte l’originalité du destinataire de
l’Evangile. Ceci suppose un contact plus étroit avec la Bible et la tradition,
une analyse méticuleuse des traditions africaines afin d’en repérer les valeurs véritables et
significatives, spécifiquement africaines, à partir desquelles il sera possible
d’accueillir le Christ. La théologie de l’«adaptation» nous rappelle le
problème de l’incarnation du message évangélique dans les cultures autres que
l’européenne. Elle résulte de la théorie dite des «pierres d’attente». Cette
dernière théorie cherche et découvre chez le destinataire, singulièrement dans
sa tradition culturelle et religieuse, des éléments «positifs» et «bons», compatibles
avec le christianisme, qui pourrait, éventuellement, les assumer moyennant
«purification» et «transfiguration».
Néanmoins, progressivement, les
théologiens africains prennent conscience qu’il faut aller plus loin, même si
leur initiative a eu un impact assez important sur l’africanisation du personnel ecclésiastique, la liturgie et la catéchèse.
Ainsi, une attention particulière est accordée à deux positions nettement
opposées dans ce qu’on appelle le «débat de principe» qui a débuté en 1960 et a
continué jusqu’en 1977. La première position, représentée par Th. Tshibangu,
prônait une théologie de couleur africaine. La seconde, soutenue par A.
Vanneste, préconisait une certaine africanisation de la théologie. Tshibangu
stipule qu’«en Afrique l’Eglise doit
devenir et être africaine dans tous les domaines de la vie ecclésiale y compris
l’esprit même du christianisme… Si on admet dans la culture africaine un
système et un cadre de pensée propre, originaux par certaines accentuations du
moins, une théologie de couleur africaine paraît possible.» La position de Vanneste comporte deux paliers
différents: un niveau pratique constituant une concession à une certaine
africanisation («tout le monde reconnaît l’importance d’élaborer une théologie
pratique et casuistique adaptée aux circonstances locales»); et un niveau
scientifique, où est défendue ladite «théologie universelle» comme un défi
à la «théologie africaine». «… toute
particularité tend vers une autodestruction en vue de ressusciter sous une
forme plus universelle… Nous devons lutter contre la théologie occidentale,
contre la théologie orientale, contre la théologie africaine… Pas question donc
d’une ‹nouvelle› théologie chrétienne profondément originale eu égard à la
pensée chrétienne traditionnelle.». D’ailleurs, comme va l’affirmer un
jeune théologien catholique nigérian Bede « la théologie doit se
garder d’enfermer le Dieu des chrétiens dans des déterminations culturelles. Si
nous arrachons Dieu à l’emprise des cultures occidentales, ce n’est pas pour
l’emprisonner à nouveau dans les cultures africaines, asiatiques ou
latino-américaines ».
Ainsi, l’opposition à
l’idée de l’adaptation commença à se développer. Il serait désormais question
de trouver une méthode nouvelle, une méthode qui s’appuie sur la théologie des
religions, sur une base biblique solide qui ne consiste pas seulement en
allusions et sur une base
anthropologique et historique sérieuses.
2.2. La Théologie Africaine en quête de
méthodes nouvelles
Il faut dire que l’originalité de la théologie africaine résidera dans sa
capacité à être en quête de méthodes
nouvelles. C’est dans cette perspective que lors de la conférence
panafricaine d’Accra en 1977[3], des théologiens africains
ont saisi l’occasion de s’interroger sur la méthodologie des approches des
thèmes théologiques. A l’issue de ce colloque,
l’option libération a été
retenue comme une nouvelle voie de la réflexion théologique. Il n’est pas sans intérêt de souligner que le communiqué final de
cette conférence précise que la théologie africaine, par rapport à l’avenir
envisagé (la libération), se posera «en théologie en situation, comme une
expérience de lutte contre toutes les formes d’oppression et de ségrégation,
comme un lieu d’engagement d’où toute tendance sexiste est exclue».
En marge de cette conférence, l’Association œcuménique des
théologiens africains (AOTA) a été créée. Cette nouvelle association –
ayant pour objectif principal d’encourager et de resserrer la coopération entre
les théologiens de différentes langues, régions et confessions chrétiennes
d’Afrique et adoptant une méthodologie interdisciplinaire – a donné une
nouvelle voie à la théologie africaine. Divisés en tendances «libérationniste[4]» et «culturaliste[5]», les théologiens
« libérationnistes » vont nettement se démarquer en prenant conscience que
les crises religieuses, sociales, politiques et culturelles de l’Afrique ont une
importance théologique. Il faut donc
s’interroger sur de nouvelles orientations théologiques pouvant résoudre ces
crises. Ainsi, les quatre théologiens camerounais : Mveng, Ebboussi
Boulaga, Hebga et Ela vont se placer dans la perspective de la théologie de la
libération : Mveng œuvre pour une libération de la pauvreté
anthropologique, Jean-Marc Ela pour une auto libération socio-économique des
pauvres, des causes structurelles de leur paupérisation croissante, Eboussi
Boulaga pour l’émergence d’une église affranchie de la tutelle idéologique de
l’Occident mais aussi locale, P. Hebga pour la libération des forces
spirituelles mortifères en particulier la sorcellerie.
Dans la même optique, plutôt que de parler de la théologie de libération, Kä Mana[6], en Afrique francophone, et Jesse Mugambi, en Afrique anglophone vont prôner la théologie de la reconstruction, ou encore de la renaissance[7]. En 1998, le thème a dominé les débats du Conseil Oecuménique des Eglises. Plus près de nous, en 2001, une réunion de la Fraternité Théologique Africaine a cherché, lors d’une conférence à Grand Bassam, à élaborer une vision chrétienne de la renaissance africaine. L’enjeu de cette théologie était de mobiliser les Eglises contre la crise globale qui frappait la société africaine trente ans après les indépendances. Le mouvement de la théologie de la reconstruction a ainsi, en quelques années, changé le paysage de la théologie en Afrique et fournit aujourd’hui aux communautés chrétiennes une nouvelle grille de lecture de leur situation et de leurs responsabilités dans la société. Après les grandes quêtes de l’identité culturelle et le combat pour la libération, ce mouvement montre qu’il est nécessaire de penser notre présent en termes de nouveaux choix économiques, politiques, sociaux et culturels à faire et en termes de nouvelles fondations morales et spirituelles à poser et d’invention de nouvelles stratégies pour bâtir l’avenir. Sans renier les préoccupations passées, il s’agit de les intégrer dans la perspective de l’invention du futur, la reconstruction étant en fait le commencement d’un processus de restructuration des mentalités et des attitudes. Les enjeux de ce mouvement sont éminemment missionnaires: l’intégration de l’évangile dans tous les domaines décisifs pour l’avenir du continent. C’est pourquoi on pense la nouvelle évangélisation en termes de reconstruction africaine: une reconstruction fondée essentiellement sur le socle de l’évangile[8].
Dans la même optique, plutôt que de parler de la théologie de libération, Kä Mana[6], en Afrique francophone, et Jesse Mugambi, en Afrique anglophone vont prôner la théologie de la reconstruction, ou encore de la renaissance[7]. En 1998, le thème a dominé les débats du Conseil Oecuménique des Eglises. Plus près de nous, en 2001, une réunion de la Fraternité Théologique Africaine a cherché, lors d’une conférence à Grand Bassam, à élaborer une vision chrétienne de la renaissance africaine. L’enjeu de cette théologie était de mobiliser les Eglises contre la crise globale qui frappait la société africaine trente ans après les indépendances. Le mouvement de la théologie de la reconstruction a ainsi, en quelques années, changé le paysage de la théologie en Afrique et fournit aujourd’hui aux communautés chrétiennes une nouvelle grille de lecture de leur situation et de leurs responsabilités dans la société. Après les grandes quêtes de l’identité culturelle et le combat pour la libération, ce mouvement montre qu’il est nécessaire de penser notre présent en termes de nouveaux choix économiques, politiques, sociaux et culturels à faire et en termes de nouvelles fondations morales et spirituelles à poser et d’invention de nouvelles stratégies pour bâtir l’avenir. Sans renier les préoccupations passées, il s’agit de les intégrer dans la perspective de l’invention du futur, la reconstruction étant en fait le commencement d’un processus de restructuration des mentalités et des attitudes. Les enjeux de ce mouvement sont éminemment missionnaires: l’intégration de l’évangile dans tous les domaines décisifs pour l’avenir du continent. C’est pourquoi on pense la nouvelle évangélisation en termes de reconstruction africaine: une reconstruction fondée essentiellement sur le socle de l’évangile[8].
2.3. Les
Eglises indépendantes africaines
Les
Eglises indépendantes africaines constituent aussi une source importante pour
la théologie africaine francophone. Elles sont appelées tantôt sectes ou groupes syncrétistes, tantôt Eglises séparatistes
ou dissidentes, tantôt encore mouvements messianiques ou prophétiques. Comme le théologien
Tanzanien Laurenti Magesa l’affirme : « les Mouvements Religieux
Indépendants Africains ne sont pas des « suppôts de Satan » comme les
considèrent souvent certains responsables des Eglises officielles. Il soutient
que les Eglises indépendantes se sont démarquées des Eglises missionnaires par
une plus grande adaptation aux réalités et à la sensibilité africaines, par une
réhabilitation de l’Ancien Testament dans le culte et dans la morale, par une
sobriété et une souplesse dans l’énoncé dogmatique, par une indépendance
vis-à-vis des Eglises occidentales et il va les repartir selon trois tendances
principales :
1.
Tout d’abord, les mouvements néo-traditionnels
ou « Revivalistes » cherchant à refondre les pratiques et valeurs des
religions traditionnelles avec des éléments tirés des enseignements chrétiens.
Magesa développe particulièrement l’exemple de l’Eglise des ancêtres de Malawi,
la Fraternité Nigériane réformée d’Ogboni.
2.
La seconde catégorie des Mouvements
Indépendants Religieux Africains trouve son foyer presque uniquement dans
l’Ancien Testament. Il s’agit d’une identification particulière avec l’Ancien
Israel et de ses relations avec Yahweh telles que les ont comprises les
Ecritures de l’Ancien Testament. Cette catégorie se trouve plus
particulièrement en Afrique du Sud (Les Israélites de Enoch Mgijima)
3.
La troisième catégorie est celle des
néo-chrétiens. Les mouvements compris dans cette catégorie peuvent être
répertoriés à la suite de l’implantation des principales Eglises chrétiennes.
Ce sont des mouvements synthétistes recherchant une forme composite
soigneusement sélectionnée des valeurs de la religion traditionnelle africaine
et des religions missionnaires chrétiennes. Cette catégorie comprend l’Eglise
Kimbanguiste du Congo (RDC), l’Eglise du Seigneur (Aladura) et l’Eglise Harrist
du prophète Harrist en Côte d’Ivoire.
Quatre
traits majeurs caractérisent leur doctrine :
1.
Tout d’abord, protestation et quête
d’identité. Ce sont des mouvements contre le deni de la personne africaine.
2.
En second lieu, l’ethnocentrisme. De
nombreux mouvements tendent à définir leur identité selon un sens exclusif
comme le « nouvel Israel », « les élus de Dieu », « les
sauvés du Seigneur ». L’adhésion est généralement limitée au groupe
ethnique (ethnocentrique).
3.
En troisième lieu, les tendances
pentecôtistes du millénaire. L’attente d’un nouvel ordre social, d’un nouveau
paradis, être aimé des mouvement, en constituent les éléments forts.
4.
En quatrième lieu, pour les derniers
mouvements, la guérison signifie la restauration du pouvoir d’achat par
expulsion des forces du mal autant que du mal lui-même.
Parmi
tous les grands prophètes de ces mouvements, il y a deux grandes figures dont les actions ont eu un impact important
et durable sur le christianisme africain. La première figure est celle de
William Wade Harris, de nationalité libérienne. Il est connu pour sa grande
campagne d’évangélisation de 1913 à 1915 sur le littoral de la Côte d’Ivoire
actuelle. La deuxième figure est celle de Simon Kimbangu, de nationalité
congolaise. Pendant six mois, durant l’année 1921, ses
prédications accompagnées de miracles ont secoué toutes les couches sociales du
Congo Belge et ont changé le visage du christianisme de son pays. Ces deux
grandes figures, notons-le, sont bien différentes l’une de l’autre par leur
ministère et leur personnalité. Mais elles ont, chacune à sa manière, marqué
l’histoire du protestantisme en Afrique Francophone.
2.3.1.
Le Harrisme
Le
prophète Harris se présente dans ses prédications comme celui qui inaugure une
nouvelle vie pour le peuple africain ; une vie comparable à celle des
blancs. Le colonisateur est en effet perçu par l’Africain de façon ambivalente.
Il est à la fois redoutable et séduisant. Il est l’homme du mal et du bien,
celui qui est critiqué et admiré. L’homme blanc est sans aucun doute un
mystère. Il est un mystère qui attire, fascine, interroge. D’où lui vient sa
force ? Quel est le secret de son pouvoir ? Comment, en somme, percer
le secret de l’homme blanc ?
Pour
le prophète Harris, l’homme blanc est fort parce qu’il a bénéficié de la force
de Jésus. Mais Jésus n’est pas venu en Afrique. Dieu l’a envoyé aux Blancs
parce que Jésus était lui-même Blanc. Ainsi, de même que Dieu a envoyé Jésus
aux Blancs, de même il a envoyé Harris aux Africains. Harris est donc une
chance pour les Africains. Reconnaître le prophète Harris et écouter sa parole,
c’est ouvrir la voie de la prospérité et d’une vie semblable à celle des
blancs. « Dans sept ans, les Noirs seront comme les Blancs » dira le
prophète Harris. La prospérité de la région côtière sera ainsi vue comme un signe de l’efficacité de lz
mission d’Harris. Mais pour espérer avoir part à la vie des Blancs, il faut
d’abord se convertir. Harris appelle ainsi la population toute entière à la conversion qui passe par la lutte contre
la sorcellerie et la destruction systématique des fétiches pour servir et
adorer le Dieu unique et vrai. Ainsi, il
propose le baptême. Le baptême est l’instrument de la lutte contre les fétiches
et la sorcellerie. Il est généralement précédé d’une exhortation à la
conversion et un appel à jeter les fétiches.
En
fait, c’est longtemps après la mort du prophète Harris, le 23 Avril et avec
l’institutionnalisation du mouvement harriste que l’enseignement du prophète se
structure pour devenir une véritable doctrine, avec l’édition, en 1956, d’un
catéchisme. Il s’agissait de fixer l’enseignement du prophète ainsi que
l’organisation de la vie de la nouvelle Eglise. Cet enseignement doctrinal est
résumé dans les dix commandements de la foi Harriste (cf.).
Harris
a posé en somme des jalons qui seront repris, augmentés et commentés par
l’Eglise harriste et toutes Eglises néo-harristes.
2.3.2.
Le Kimbanguisme
L’Eglise
kimbanguiste fut fondée par Simon Kibangu au Congo démocratique (dont le nom
officiel est " l’Eglise de
Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu")[9].
Cette Eglise est issue de la British Missionary Society, l’une des toutes
premières sociétés missionnaires protestantes des temps modernes qui sont
venues au Congo belge.
C’est pour servir en tant que
catéchiste qu’il reçoit l’appel de Dieu en 1918. « Mon peuple est infidèle, je t’ai choisi pour être mon témoin et pour le
diriger sur le chemin de la vérité et du salut », lui dit Dieu. Kimbangu
résiste à cet appel jusqu’au 6 avril 1921, date où il guérit une femme du nom
de Nkiantondo à Nkamba, son village natal. Cette femme témoigne de sa guérison
et l’interprète comme la délivrance d’une malédiction. La nouvelle fait le tour
du Congo. Des foules nombreuses viennent de toutes parts pour rencontrer le
prophète. Des hommes et des femmes laissent leur travail pendant plusieurs
jours pour venir écouter sa prédication et assister aux miracles qu’il opère.
Des malades sont en effet guéris. De nombreux témoignages se répandent alors :
« Le Saint-Esprit est descendu sur Simon Kimbangu », disent certains. Pour
d’autres, le Christ est apparu à travers Kimbangu.
Le Christ délivre du péché et de Satan. Il délivre des maladies et des souffrances. Le prophète dénonce le fétichisme, l’idolâtrie sous ses diverses formes, les immoralités et la polygamie. Le salut qu’il prêche est pour tout l’homme, corps et âme. Simon Kimbangu se fait des adversaires et des ennemis qui le critiquent et l’attaquent avec acharnement. Les autorités belges apparaissent comme les plus virulentes. Elles s’inquiètent de l’impact que ce prophète a sur les populations. L’Église catholique, de son côté, manifeste un profond désaccord sur ses activités. Les missionnaires protestants ne parviennent pas à comprendre son ministère. Ils ne sont pas disposés à le soutenir moralement et encore moins spirituellement. Le 3 octobre 1921, Simon Kimbangu est condamné à mort par un tribunal militaire. Cette condamnation sera commuée plus tard en détention à perpétuité. Désormais, le prophète n’aura plus de contact avec le peuple de Dieu. Il communiquera avec l’extérieur par l’intermédiaire de ses fils et s’éteindra en prison le 12 octobre 1951. Ainsi, il aura vécu 30 ans en prison et suite à 6 mois d’activités prophétiques. L’Église de Jésus-Christ sur terre par le Prophète Simon Kimbangu (EJCSK), créée pendant qu’il était en prison, s’est développée et est devenue l’une des plus grandes Églises indépendantes africaines13. La question est de savoir si l’EJCSK est restée fidèle à son enseignement. Force est de constater que certaines affirmations du prophète ont été mal comprises ou déformées. Par exemple, certains des membres de l’Église croient que Kimbangu est lui-même le Saint-Esprit. Ayant été mis en prison après seulement 6 mois de ministère, le prophète n’avait pas eu le temps d’enseigner ses disciples de vive voix. La doctrine de tendance baptiste qu’il avait reçue était bien différente de la doctrine de l’Église qui porte son nom. Cependant, son impact sur le protestantisme congolais d’aujourd’hui n’est plus à démontrer.
Le Christ délivre du péché et de Satan. Il délivre des maladies et des souffrances. Le prophète dénonce le fétichisme, l’idolâtrie sous ses diverses formes, les immoralités et la polygamie. Le salut qu’il prêche est pour tout l’homme, corps et âme. Simon Kimbangu se fait des adversaires et des ennemis qui le critiquent et l’attaquent avec acharnement. Les autorités belges apparaissent comme les plus virulentes. Elles s’inquiètent de l’impact que ce prophète a sur les populations. L’Église catholique, de son côté, manifeste un profond désaccord sur ses activités. Les missionnaires protestants ne parviennent pas à comprendre son ministère. Ils ne sont pas disposés à le soutenir moralement et encore moins spirituellement. Le 3 octobre 1921, Simon Kimbangu est condamné à mort par un tribunal militaire. Cette condamnation sera commuée plus tard en détention à perpétuité. Désormais, le prophète n’aura plus de contact avec le peuple de Dieu. Il communiquera avec l’extérieur par l’intermédiaire de ses fils et s’éteindra en prison le 12 octobre 1951. Ainsi, il aura vécu 30 ans en prison et suite à 6 mois d’activités prophétiques. L’Église de Jésus-Christ sur terre par le Prophète Simon Kimbangu (EJCSK), créée pendant qu’il était en prison, s’est développée et est devenue l’une des plus grandes Églises indépendantes africaines13. La question est de savoir si l’EJCSK est restée fidèle à son enseignement. Force est de constater que certaines affirmations du prophète ont été mal comprises ou déformées. Par exemple, certains des membres de l’Église croient que Kimbangu est lui-même le Saint-Esprit. Ayant été mis en prison après seulement 6 mois de ministère, le prophète n’avait pas eu le temps d’enseigner ses disciples de vive voix. La doctrine de tendance baptiste qu’il avait reçue était bien différente de la doctrine de l’Église qui porte son nom. Cependant, son impact sur le protestantisme congolais d’aujourd’hui n’est plus à démontrer.
Sur
un certain nombre de points importants,
ces églises interpellent vigoureusement les Eglises missionnaires d’Afrique, du
simple fait qu’elles n’ont cessé d’attirer les chrétiens catholiques et
protestants déçus ou défaits par un christianisme ayant pris des formes
aliénantes. Elles ont particulièrement une volonté d’africanisation se
manifestant par un messianisme attribué au fondateur vénéré comme un envoyé de
Dieu, investi de la mission d’apporter le salut aux noirs dans un contexte
historique précis[10].
Ces églises surgies du génie africain, même si elles recèlent encore des
ambiguïtés et des limites, ont su répondre partiellement aux aspirations profondes
de l’Africain en adoptant un certain nombre de mythes, de croyances et
d’attitudes venus aussi des religions traditionnelles. Dans ce contexte,
quelques courants dans ces Eglises indépendantes sont au service de la
libération humaine. Les courants de libération sont signalés comme :
1.
Libération culturelle
2.
Libération religieuse
3.
Libération structurelle
4.
Libération psycho-spirituelle
Mais, il faut noter
aussi parmi ces Eglises indépendantes quelques écueils les plus subtils comme
le biblicisme, l’extrême spiritualisation de la vie humaine, l’etnocentrisme et
l’extrême dépendance du miraculeux.
3. Quelques grandes figures contemporaines de la Théologie Africaine
francophone
Après une brève présentation historique et
thématique de la théologie africaine francophone, je vais consacrer le reste de
mon intervention à trois figures de cette théologie : Meirad P. Hebga, Jean-Marc
ELA et Bénézet Bujo.
3.1. Meinrad
P.Hebga : La théologie de « Jésus
le thérapeute »
Dans une Afrique marquée par la
souffrance, la maladie est un important lieu théologique et pastoral. Dans ce
contexte, on comprend l’engouement général pour tous les groupes guérisseurs,
chrétiens ou non. Hebga ne parle seulement en théoricien, il est expérimenté
dans le ministère des malades et de la délivrance. Sa pastorale s’appuie sur
une théologie de la guérison et de la maladie sous toutes ses formes, sur les
sciences psycho-médicales, sur une recherche du sens et de l’expérience de la
maladie dans la société, qui intègre la croyance en la sorcellerie.
Pour lui, nier de manière globale
et catégorique le fait de la sorcellerie, relève de l’irresponsabilité voire de
l’hypocrisie. Ne pas en tenir compte, c’est livrer les gens aux charlatans,
féticheurs et sectes de toutes sortes. La solution, c’est la prière de
délivrance. Par elle, les victimes se placent sous la protection de
Jésus-Christ plus puissant que Satan et ses adeptes, les sorciers et les
magiciens africains ou occidentaux. Il ne suffit pas seulement de s’attaquer
aux causes externes de la maladie, il faut, selon la perspective africaine et
afin de pouvoir la combattre, considérer le phénomène de la sorcellerie comme
une réalité.
Ainsi, pour ce théologien, les
prêtres et pasteurs devraient reprendre ce ministère de foi, d’amour et de
puissance légué par le Seigneur. Dieu guérit toujours lorsqu’on l’implore. Il guérit physiquement ou
intérieurement, ou les deux, il guérit celui pour qui l’on prie ou quelqu’un
d’autre, selon le mystère de son Amour[11].
3.2. Jean-Marc
ELA : La théologie du « Jésus le libérateur »
La contribution de J.M. ELA en théologie
africaine francophone si substantielle et si importante que c’est souvent lui
seul qui sera mentionné comme père de la théologie qui prône le « Jésus
libérateur ». Pour Ela, la question de la libération est fondamentale dans
la foi véritable au Dieu de Jésus-Christ. Cette libération se fait par un
auto-développement socio-économique qui exige une vraie conversion à l’Evangile
afin que l’homme retrouve sa dignité d’homme. Pour être effectif, ce
développement doit passer par une désacralisation des réalités terrestres. Rien
en dehors de lui-même ne doit être déifié y compris césar, c’est-à-dire le
pouvoir politique de notre monde. « La foi remet Dieu à sa place et évacue
tout ce qui n’est pas lui ». C’est à partir que, à la suite des Prophètes
de l’Ancien Testament, il sera possible de dénoncer toute injustice et
oppression du pauvre comme acte incompatible avec le culte rendu à Dieu. Ce
faisant, Ela considère que parler pour les pauvres et les opprimés n’implique
pas nécessairement de passer par la voie hiérarchique mais que tout baptisé a
le droit d’être la voix des sans voix.
3.3.Bénézet Bujo : La Théologie de
« Jésus le proto-ancêtre »
Bujo part d’une question simple, dans cette Afrique qui embrasse
la postmodernité avec ses aléas à savoir le pluralisme et le relativisme, l’une
des questions essentielles est celle de savoir : Qui est Jésus pour nous aujourd’hui dans ce monde pluriel? Y a-t-il une
voie ou plusieurs voies du salut ? En effet, la question du salut unique en
Jésus Christ est devenu un sujet de débat dans la théologie africaine, dans les
années 60 et au début des années 70. Parmi les théologiens africains, le débat
fut animé par BOLAJI IDOWU, John MBITI dans le souci d’indigéniser le
Christianisme, et bien d’autres. Tandis que BYANG KATO et TOKUNBOH ADEYEMO,
réfléchissent autour du thème de la Religion traditionnelle Africaine et le
Christianisme, et donnent la primauté à la révélation biblique, qui est
supraculturelle, mais n’ignorent pas pour autant la nécessité de communiquer
l’évangile au coeur de l’Afrique.
Le débat est
encore au coeur de discussion au sein des penseurs africains. Bien évidemment,
aujourd’hui l’esprit de l’homme africain reste marqué par la peur des ancêtres
méchants, des sorciers du clan, d’où l’obligation de vénérer des ancêtres pour
les apaiser, et la superstition parmi les christianisés d’Afrique même dans les
grandes villes. L’Afrique partage en commun, cette réalité historique, sociale,
religieuse, géographique, et alimentaire. Nous sommes conscients de mutation et
transformation qui change l’Afrique traditionnelle, des conditions pour le
maintien d’une culture qui ne sont pas réunies telles que la langue, les
agglomérations traditionnelles en village, suite à l’urbanisation et les
phénomènes de la mondialisation mais nous restons encore quelque part attaché à nos racines. S’agit-il
d’un culte des ancêtres ou d’une simple vénération dans la Religion
Traditionnelle Africaine ?. BUJO pense que c’est aussi une manière de rendre
culte à nos ancêtres, lorsqu’il affirme
que : «Dans le culte ancestral, il n’y a pas un temps fixe pour adorer Dieu,
l’individu n’a pas besoin de réunir les autres, avec lui pour vénérer les
ancêtres. C’est dans le vécu quotidien que la personne vénère les ancêtres [à
travers les gestes, les paroles et les éloges faits à ces ancêtres.] C’est, en
se souvenant des ancêtres, et en les vénérant, que l’on peut jouir de la vie
dans sa plénitude.». BUJO mélange ainsi la vénération de l’ancêtre et celle
de Christ proto-ancêtre.
4.
La
Théologie africaine comme théologie en situation
Nous
pensons que la théologie africaine doit être comprise dans le contexte de la
vie et de la culture africaine et de l’effort créateur des peuples d’Afrique
pour constituer un nouvel avenir différent du passé colonial et du présent
néo-colonial. La situation africaine requiert une nouvelle méthodologie
différente des méthodologies dominantes de l’occident. La théologie africaine
doit rejeter dès lors, les idées préfabriquées de la théologie venant de
l’extérieur en se définissant elle-même en relation aux luttes du peuple dans
sa résistance aux structures de domination. Ainsi, les problèmes de
contextualisation, d’inculturation, de reconstruction, de renaissance et de féminisme
sont de vrais défis lancés à la théologie africaine et qu’on ne saurait sous
aucun pretexte. En effet, la tâche du théologien africain est aujourd’hui de
créer une théologie qui vient du peuple africain et qui soit comptable devant
lui. Ainsi, la théologie qui découle de cet engagement doit avoir trois
caractéristiques.
1.
Une théologie africaine ne peut
prétendre être une théologie de la vie et de la culture africaine que si elle
correspond au contexte dans lequel le peuple vit. Au théâtre aussi, comme dans
les contes et la poésie, les Africains mettent en évidence l’importance d’une
production théologique en situation. Le thème de la mise en situation de la
théologie est manifestement la libération de notre peuple d’une espèce de
captivité culturelle et de l’assaut de nouveaux défis.
2. Comme l’oppression n’est pas seulement
dans la culture mais aussi dans les structures politiques et économiques et
dans les mass média dominantes, la théologie africaine doit être aussi une
théologie de la libération. En mettant l’accent sur les autres théologies du
tiers monde. Comme la théologie noire en Amérique du Nord, nous ne pouvons
ignorer le racisme, cette distorsion entre les personnes humaines. Comme les
théologie d’Amérique latine et d’Asie, nous avons à être libérés de
l’exploitation socio-économique. Une
forme analogue mais différente d’oppression se rencontre souvent aussi dans les
rôles marginaux réservés aux femmes dans les Eglises. Il y aussi oppression
dans l’exploitation du peuple par les institutions nationales et
multinationales. Dans tous ces cas de captivités, nous avons à nous libérer.
3. Nous sommes contre toutes oppressions
parce que l’Evangile de Jésus-Christ exige notre participation à la lutte pour
libérer les gens de toute forme de déshumanisation. Dès lors la théologie
africaine doit s’intéresser à mettre en œuvre nos richesses, nos matières
premières théologiques qui se trouvent sur notre sol africain. Nous n’irons pas
ailleurs pour les chercher. Car, ce qui est pour l’Afrique un défi théologique majeur
ne l’est pas pour l’Occident.
Au final, l’enracinement de notre foi chrétienne,
la maturité de nos Églises et l’immersion dans les réalités africaine
dépendront du sérieux avec lequel nous aborderons les questions théologiques de
notre continent. En réalité, ces grandes figures de la théologie africaine pré-citées n’ont
fait que déblayer le terrain jusqu’à présent. La vraie tâche théologique
commence aujourd'hui et nous devons nous y mettre sans hésitations. Pour cela, la théologie africaine ne doit plus qu'être une affaire réservée aux théologiens africains, elle ne doit pas, non plus, être dissociée de la communauté. Il est temps que les théologiens africains sortent de leur dogmatisme à théories afin d'aller à la rencontre du vrai vécu de l'homme africain.
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue, Chercheur
P.S. : La rédaction de Tephila.com prévient les lecteurs contre toute utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de l’article comme cela a pu être arrivé. Nous interdisons tout plagiat. Merci
[2] Cf. Benezet , p83
[3] Ce colloque s’est donné comme
perspectives d’avenir en somme l’engagement pour la libération du peuple en
souffrance à travers une théologie ayant comme caractéristiques : une théologie en situation, une théologie libération et une théologie de lutte contre le sexisme.
Cf. K. Appiah et al, Libération ou adaptation ? La Théologie africaine s’interroge. Le
colloque d’Accra. Paris : L’harmattan, 1977, p. 230-232.
[4] La tendance
« libérationiste » est dominée par Jean-Marc Ela. Cette tendance
tente de replacer l’Eglise au coeur des questions sociopolitiques. Pour J.M.
Ela, Le cri de l’homme africain.
Questions aux chrétiens et aux Eglises d’Afrique, Paris : L’harmattan,
1980, p.150, 153., la mission de la théologie, dans ce contexte, « n’est
autre chose qu’une réflexion à partir de l’expérience vécue…La théologie est un
travail de déchiffrage du sens de la Révélation dans le contexte historique où
nous prenons conscience de nous-mêmes et de notre situation dans le
monde ».
[5] La tendance
« culturaliste » est prônée par E. Mveng qui part du principe
que toute théologie est contextuelle. Ainsi, la libération, telle qu’elle est
envisagée en Amérique Latine, n’a rien à voir avec la réalité africaine.
L’africain, dépouillé de son âme, apparaît, dans son contexte, comme un
« non-être ». Autrement dit, « l’africain est pauvre parce qu’il
n’est pas et non pas parce qu’il n’a pas. Alors que la pauvreté dont il est
question en Amérique latine est matérielle, celle qu’on vit en Afrique est,
d’abord et surtout anthropologique ». Lire E.Mveng, « Eglises et
solidarité pour les pauvres en Afrique : la paupérisation anthropologique »,
dans