lundi 5 janvier 2015

LA « JOURNEE DE PRIERE », L’OPIUM DU PEUPLE CENTRAFRICAIN ?

«Toutes les religions sont fausses par la surface qui est le dogme, et vraies par le fond qui est Dieu »

Victor Hugo (Philosophie prose).

« L’opium du peuple » chez Karl Marx

« La religion est l’opium du peuple ». Cette citation devenue célèbre doit son origine au philosophe allemand Karl Max. « La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple » dit-il dans ce fameux passage de la Critique de la philosophie du droit de Hegel (1843) d’où est extraite la formule. Selon la pensée marxiste, la croyance religieuse est comme une fiction et une aliénation. La religion est donc « l’opium du peuple » au sens où elle est comme une drogue qui tend à faire oublier nos souffrances par la promesse d’un bonheur éternel. Mais c’est parce que l’homme est privé de la possibilité d’être lui-même heureux réellement qu’il projette sa conscience, ses attentes, ses espérances, dans un monde imaginaire.
 Ceux qui défendent cette affirmation pensent que la religion a été forgée par les forts et les riches afin d'endormir les pauvres et les opprimés. Pour leur faire oublier leur pauvreté, l’injustice de leur situation, elle les transporte dans des rêves chimériques. Pendant ce temps, elle affermit les riches dans leur opulence, sous prétexte que celle-ci leur revient de droit.
Contrairement à ce que l'on peut croire, cette affirmation n'est pas la conclusion d'une étude historique couvrant toutes les religions du monde. Il s'agit d'une réaction de la part de Marx contre les pratiques religieuses du moyen âge (inquisitions, soutien de l'esclavage et de la classe des nobles). Même si cette observation est correcte, la conclusion qui en est tirée s'éloigne de toute objectivité et relève de la simple conjecture. D’ailleurs, un autre penseur athée aussi célèbre que lui, Nietzsche soutient quant à lui que "la religion fut inventée par les faibles afin de duper les forts".  Il s'agit d'une assertion complètement opposée. Ce qui prouve encore une fois le caractère irrationnel de ce genre de conclusions.
La religion n’est pas un opium, c’est ce que les hommes en font
Toutefois, en m’éloignant de cette vision réductrice de la religion formulée par Karl Max, je vais dire ce qui n’est pas « politiquement correct ». Beaucoup m’en voudront. Mais, de fois, il faut sortir de la masse pour être plus lucide. Je vais m’interroger sur un certain nombre de questions qui me taraudent : doit-on espérer que le vrai Dieu réponde aux prières d’un peuple dont les dirigeants prient d’autres dieux ?  Dieu exauce-t-il un peuple qui prie d’une façon erronée ? Un peuple qui désobéit au Dieu véritable ? Pourquoi tous ces chefs d’état qui se succèdent en Centrafrique sont enclins  à décréter une journée de prière alors qu’eux-mêmes ne gouvernent pas selon la volonté  de Dieu ?
Comme l’a si bien souligné le compatriote GJK dans son billet intitulé «  RCA : journée de prière pour les pilleurs » (Les plumes de RCA,  30/12/2014), je cite : Mme Samba-Panza est « bien la somme de tous les vices et bouffonneries de tous ses devanciers. On le sait, ces derniers se sont naguère livrés tour à tour à la face du monde, à des démonstrations spectaculaires de leur foi « profonde ». Bokassa eu le privilège de terminer sa vie comme 13ème apôtre du Christ, Kolingba du temps de son règne, eut régulièrement recours aux oracles de son gourou pasteur Kowada avant le meurtre de ce dernier, Patassé de retour de son dernier exil togolais, fit part publiquement aux journalistes de ses dialogues avec l’esprit-saint qui entre autres, lui inspira d’épouser la veuve de son défunt « frère » Bedaya-Ngaro ; l’illuminé Bozizé aimait à s’afficher les pieds nus, enveloppé de sa soutane blanche de l’église du christianisme céleste; enfin le criminel Djotodia, ne se séparait d’après lui-même, presque jamais de sa bible et de son coran, toujours en bonne place sur son bureau, au milieu de ses nombreuses amulettes de protection et autres fétiches qui encombraient sa résidence » . Au regard de ce catalogue, l’on se demande si la fameuse « journée de prière » souvent décrétée en Centrafrique a-t-elle vraiment une portée salvatrice ?  Ou n’est-elle pas seulement  inventée pour nous faire endormir dans nos souffrances ? Car, cette « journée de prière » semble devenir une illusion, mais aussi une résignation, et donc un poison qui ne s’attaque pas aux causes véritables qui nous font souffrir et qui nous font désirer un remède à nos souffrances (c’est une fausse solution à un vrai problème). Ce qui nous procure une projection de soi dans un ciel vide contre lequel il conviendrait de se révolter.
 
La prière que Dieu veut d’une nation

Nous ne pouvons espérer de véritables réponses à nos prières si nous ne prions le véritable Dieu de la bonne manière. Cela peut paraître scandaleux pour ceux qui considèrent la prière comme une « formule magique » qu’il faut réciter. Car, nombreux sont ceux qui considèrent Dieu comme un marabout ou comme un féticheur: ils s’adressent à Lui uniquement lorsqu’ils sont en difficulté ou malades. Pourtant, la prière n’est pas seulement un moyen de se tirer d’embarras quand la situation est désespérée: elle est, avant tout, un moyen pour nous qui vivons ici-bas de permettre la volonté de Dieu d'agir dans nos vies. Comme il est souligné dans la prière dominicale « Que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux » (Mt 6,10).
En 2 Chr 7, 14, il est écrit : « si mon peuple sur qui est invoqué mon nom s'humilie, prie, et cherche ma face, et s'il se détourne de ses mauvaises voies, -je l'exaucerai des cieux, je lui pardonnerai son péché, et je guérirai son pays. » Ce passage biblique est l’une des clefs fondamentales pour qu’un peuple soit exaucé.  S’humilier, se détourner de ses mauvaises voies, chercher la face de Dieu  sont des termes clefs de la prière d’une nation. Mais aussi, on remarque que le rôle du Roi Salomon, dans le récit, est déterminant. C’est ce qui a permis à Dieu d’exaucer la prière du peuple d’Israël. C’est Salomon qui au seuil de l’exercice de la gouvernance, invoque la sagesse de Dieu (1 Rois 3). Il choisit alors  l’humilité qui délivre du risque de la toute-puissance et de sa tour d’ivoire, la suffisance. A contrario, son fils, Roboam, échoue d’emblée à la gouvernance en se présentant dans l’arrogance d’une situation qui, pense-t-il, lui est acquise. Il va alors se trouver brusquement défait par ce peuple dont il a négligé la légitimité (1 R 12,16). En politique, l’humilité consiste donc à se souvenir que le lien avec le peuple est essentiel.
Mais cela ne suffit pas. La gouvernance nécessite une autre capacité, celle du discernement, socle fondamental. Et ce discernement est double. Car il s’agit de discerner tout à la fois le chemin sur lequel faire avancer le pays et les hommes capables de l’y mener. Comme Jéthro exhorte Moïse à choisir des hommes de valeur pour rendre la justice (Ex 18, 24-25), le choix d’une équipe est un élément clé pour qu’un peuple s’appuie sur des dirigeants, en confiance. Quant au chemin, son orientation est certes partiellement déterminée par le programme, mais encore faut-il choisir ses voies d’accès concrètes. 
Nous remarquerons ici que Dieu exauce la prière d’une nation si les gouvernants eux-mêmes s’inscrivent dans la volonté de Dieu. Demander à sa nation de prier, c’est lui demander de s'abandonner à Dieu. L'abandon à Dieu suppose aussi que les gouvernants s’engagent à répondre à l’espérance d’une société plus équitable. Sinon, à quoi sert une « journée de prière » ? 
Elle ne peut qu’aliéner l’homme socialement et économiquement, lorsqu’il souffre de sa condition, et qu’il ne peut se réaliser, s’épanouir véritablement dans « la vallée de larmes » qu’est le pays où il vit.


Prof. Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue, Auteur
 

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