lundi 21 septembre 2015

AUTORITE ET POUVOIR DANS UNE PERSPECTIVE BIBLIQUE (Une lecture de Mc 10.35-45)


« La compétence sans autorité est aussi impuissante que l’autorité sans compétence »
(Gustave Lebon 
Introduction
Quelle est la valeur du mot autorité ? Dans la diversité des ministères dans l’église d’aujourd’hui, quelle autorité le pasteur peut-il exercer ? Je souhaite apporter quelques éléments de réponse, sans aucune prétention d’exhaustivité, aux fins de susciter une réflexion auprès des acteurs de la pastorale de l’Eglise. Cette réflexion concerne les pasteurs, certes, mais aussi leurs collaborateurs et collaboratrices dans le ministère, les diacres, les animateurs et animatrices en pastorale.
 D’aucuns savent que la dérive autoritaire est plus que jamais d’actualité et inhérente à la nature humaine[1]. Ainsi, le chrétien ne peut se soustraire à la nécessité de s’interroger et de se laisser interpeller par l’attitude et l’enseignement de Jésus-Christ à ce sujet.  
En fait, exercer l’autorité de nos jours, c’est penser en termes de postes à occuper, de titres à porter, de grades à atteindre. Au fond, l’idée consiste à viser la dimension verticale propre au rapport commander-obéir[2]. Par conséquent, le fait d’exercer l’autorité confère  prestiges et privilèges. En outre, l’usage des termes « pasteur », « anciens », « prophète », « apôtre », « évêque », etc. s’empreint souvent d’une prééminence ecclésiale[3]. De ce fait, l’image que l’on tire des structures ecclésiales d’autorité est souvent celle d’une organisation hiérarchique à la manière des instances tant civiles que militaires. Dès lors se pose la question suivante: Quelle est la valeur de  l’autorité  ecclésiale?
Pour répondre à la question, la péricope de Marc 10.35-45 servira de support textuel à ma réflexion. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, une précaution doit être prise. Puisqu’il est parfois difficile de donner un contenu exact aux mots autorité et pouvoir, je me contenterai d’un traitement rapide de ces deux termes. Par suite, j’analyserai la péricope  en vue de me faire l’écho de l’attitude et de l’enseignement de Jésus sur le sujet. A la fin de mon analyse, j’essaierai de mettre en exergue la valeur de l’autorité ecclésiale.
Au final, il s’agit d’apprécier, à l’issue de cet essai, l’exercice de l’autorité selon les normes chrétiennes. Cela implique que l’on saura dire quels sont, du point de vue chrétien, les buts qui justifient l’autorité. Cela implique également que l’on saura dire quels sont, toujours du point de vue chrétien, les usages justifiés et les usages abusifs de l’autorité. En d’autres termes, il s’agit de donner à l’autorité sa raison d’être aussi bien que ses limites. Ainsi, pour délimiter le champ de ma  réflexion,  je vais articuler autour de trois points suivants :
 - Champ sémantique des deux termes : autorité et pouvoir
 - Attitude et enseignement de Jésus sur l’autorité : Mc 10. 35-45 
 - Valeurs de l’autorité ecclésiale  

 1.  Champ  sémantique des deux  termes : autorité et pouvoir

   Peut-on parler d’autorité sans parler de pouvoir ? Il est parfois difficile de parler d’autorité sans parler de pouvoir.[4] Quand on exerce une autorité, on exerce en même temps un pouvoir. Pourtant, certains voudraient les dissocier, voire même les opposer.[5] Dans cette perspective, je tenterai d’élucider la signification néotestamentaire de ces deux termes. Toutefois, je tiens à préciser que mon but n’est pas de recourir à une distinction sémantique tranchée, qui laisserait penser qu’on serait dans l’usage de deux termes différents.
  Le substantif exousia est le terme grec habituellement utilisé dans le Nouveau Testament pour désigner l’autorité et/ou le pouvoir. Littéralement, il signifie « le pouvoir légitime, réel et libre d’agir, de posséder, de contrôler, d’user ou de disposer de quelque chose ou de quelqu’un »[6]. Dit autrement : l’autorité n’est pas un pouvoir que l’on possède en soi, mais l’autorisation, le droit de faire quelque chose qui est accordé par une instance supérieure. Sur le plan ecclésial,  c’est en particulier Dieu,[7] Jésus,[8] voire même l’Eglise.[9] Dans le Nouveau Testament, le terme exousia est employé 29 fois. Dans les évangiles synoptiques, le terme est employé 13 fois et recouvre une pluralité de sens qui renvoient, suivant les cas, aux questions d’autorité. Dans Mc 13.34 ; Mt 8.9 ; 1Cor 7.37, il a le sens de « autorité, pouvoir ». C’est également ce sens qu’il a quand on parle de l’autorité de Jésus.[10]  Dans d’autres textes, il désigne les magistrats (Lc 12.11 ; Rm 13.1 ; Tt 3.1), de pouvoir politique (Rm 13.2 ; 1Pi 2.13), et des institutions de l’Etat (Lc 12.11 ; 1Tm 2.2 ; Tt 3.1). Dans une autre série de textes enfin, il désigne des puissances célestes (1Cor 15.24 ; Col 1.16 ; 2.10-15 ; Eph 1.21 ; 3.10 ; 6.12 ; 1Pi. 3.22). Il est évident que exousia par lui-même exprime le fait de pouvoir, sans autre détermination plus précise. Si cette exousia est divine ou contraire à Dieu, qu’elle soit de caractère politique, économique ou militaire, c’est au contexte qu’il faut recourir nécessairement pour le dire. Ce qui est caractéristique dans ce mot, c’est évidemment qu’il n’est pas du tout compromis dans un sens particulier, ni péjoratif, ni laudatif, ni in bonam, ni in malum partem.   
J’ai relevé quel usage le Nouveau Testament fait de ce terme exousia. Que peut-on conclure du fait que des êtres célestes sont nommés exousia comme les pouvoirs politiques ? Ne sont-ils pas aussi bien nommés dunamis ou archê dans 1Co 15.24 ou encore phronoi ou encore kuriotêtes dans Col 1.16 ou encore kosmokratores dans Eph 6.12. Tous ces termes ont plus ou moins la même signification. Ils désignent tous des autorités politiques, des chefs, seigneurs, princes, puissants, etc. Mais la variété de ces termes enlève toute valeur à la coïncidence observée à propos d’exousia. Il convient donc de ne pas subtiliser sur l’usage de ce terme. A ce propos, quel enseignement Jésus donne-t-il sur l’autorité ?   

2.  Attitude et enseignement de Jésus sur l’autorité : Mc 10. 35-45
           
            2.1.  L’autorité comme pouvoir et prestiges  (vv.35-41)

   Le récit, comme cela est fréquent chez Marc, se situe dans un schéma récurrent. A chaque fois que Jésus annonce sa Passion, apparaît une scène d’incompréhension des disciples. Cela entraîne de suite son enseignement sur la façon dont les disciples doivent se comporter pour lui être fidèles.[11] Ici, la troisième annonce de la Passion ne peut faire que ressortir plus encore l’inconscience des disciples. Dès que Jésus eut fini de parler de sa mort et de sa résurrection (vv.32-34), Jacques et Jean n’ont qu’une seule ambition : demander à devancer leurs collègues et à retenir d’avance les meilleures places dans le royaume à venir.[12] Dans cette demande déplacée,[13] ils visent non seulement une place d’honneur à côté de Jésus dans son Royaume, mais aussi un réel pouvoir de domination (v.37).[14] En d’autres termes, l’essentiel est bien la gloire promise, une gloire qui est, avant tout, une glorification de leur personne. Ainsi se profile derrière leur requête la conception mondaine selon laquelle l’autorité se fonde sur la position et le rang, et se mesure par la proéminence.

De ce fait, la demande des fils de Zébédée (Mc 3.17) d’être « à la droite et à la gauche » de Jésus trahit bien leur ambition. Cette ambition est centrée sur eux-mêmes ou ayant pour but la satisfaction de leur « moi »  exprimée par cette phrase : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons » (v.35). Le mot « ambition » que j’utilise ici, dérive d’un terme latin ambitio qui signifie : demander avec insistance, faire campagne en vue d’une promotion.[15] Il évoque aussi un désir ardent de rechercher de façon exagérée (et parfois obsédante) de richesse, de gloire et d’honneurs.   
Devant la vaine prétention des deux frères, Jésus prend dès l’abord un ton d’une mise en garde : « Vous ne savez pas ce que vous demandez » (v.38). Une mise en garde ponctuée par « vous ne savez pas » (ouk oidate) qui souligne la dimension de leur incompréhension. Viennent ainsi deux raisons sous-jacentes qui justifient le rejet de leur demande : première raison, ils ne se rendent pas compte de ce qu’implique leur ambitieuse requête. Demander une place d’honneur à côté de Jésus, c’est aussi demander de partager ses souffrances, puisque l’une ne va pas sans l’autre.[16] Car, c’est dans les souffrances et les épreuves que la gloire de Dieu vient faire son chemin. Il ne peut en aller autrement, sinon ce n’est pas de la gloire de Dieu dont il est question, mais de ce que les hommes ne cessent de vouloir en faire. Dès lors, la requête ambitieuse traduit leur incapacité à comprendre la voie de Jésus qu’ils doivent pourtant emprunter. L’image de la « coupe » à boire qui est le plus souvent, dans la Bible, le symbole de souffrances à subir (cf. Ps 75.9 ; Is 51.17-22 ; etc.) et celle du « baptême » qui exprime une pensée parallèle sont constitutives du chemin de la gloire de Dieu. Deuxième raison, ils ignorent que Jésus ne peut accéder à leur demande : c’est un pouvoir qu’il ne possède pas. Néanmoins, seul Dieu le Père accordera la place ambitionnée à ceux qui en seront dignes et non à ceux qui cherchent à l’obtenir par favoritisme. De toute façon, Jésus récuse le pouvoir qu’on lui prête de procurer à ses disciples préférés de bonnes places dans sa gloire. Il est conscient que ce pouvoir ne lui est pas échu (v.40). Il place, à cet effet, toute cette question de rang à occuper dans la perspective de la souveraineté de Dieu. C’est Dieu seul qui détermine les places que les uns et les autres ont à occuper. D’ailleurs, en s’indignant contre Jacques et Jean, les dix autres disciples sont censés ne pas retenir la même leçon. Surtout que l’on peut voir, en arrière-plan de leur indignation, un sentiment d’aigreur : si les deux frères avaient obtenu satisfaction, les dix autres n’auraient cessé de regretter de n’avoir pas fait la demande avant eux. De toute façon, ce ne serait pas la première fois que les disciples de Jésus se livrent à la course aux honneurs (Cf. Mc 9.33-34).

Au final, comme déjà évoqué en Mc 9.35, la poursuite du pouvoir et prestiges est une ambition indécente pour ceux qui veulent servir Dieu. En effet, c’est l’occasion pour Jésus, de recadrer la compréhension des disciples et de préciser dans quelle logique ils doivent se situer.

2.2. L’autorité comme service  (vv.42-45)

De ce fait, pour souligner à nouveau la vraie signification de l’exousia (9.35-37), Jésus met en contraste le fait de diriger (de la bonne ou de la mauvaise façon) et servir. Pour cela, il développe une argumentation en trois temps.
- Premier temps : Il fait prendre conscience à ses disciples (les futurs responsables de la communauté chrétienne) de la façon dont l’Empire romain et les sociétés civiles conçoivent l’autorité (exousia). La logique de leurs pouvoirs et des « grands » qui les exercent se fonde sur la domination. Deux mots grecs utilisés ici caractérisent l’exercice de cette autorité : d’abord, le verbe katakurieuô, traduit par dominer,[17] comporte l’idée du règne d’un fort sur un faible (cf. Mt 20.25 ; Act 19.16 ; 1Pi 5.3). Dans le même ordre d’idée, Ezéchiel décriait les faux bergers ainsi : « vous les avez dominées avec violence et dureté. Elles se sont dispersées, parce qu’elles n’avaient point de berger » (Ez 34.4, 3) ; ensuite, le verbe katexousiazô  qui résulte de la combinaison de deux mots, kata signifiant « au-dessus » ou « par dessus » et exousiazô signifiant « exercer l’autorité » (dans Luc le même sens est préservé, quoique les mots diffèrent quelque peu). L’exercice de ce genre d’autorité provient souvent d’une erreur de jugement de valeur : ceux qui pensent exercer le pouvoir semblent oublier d’où ils le tiennent. En d’autres termes, une autorité qui s’exerce dans l’autoritarisme et dans l’esprit de domination n’est pas d’en haut, elle est terrestre ; elle ne vient pas de l’Esprit, mais de la nature la plus brute ; enfin, elle n’a rien avoir avec Dieu, mais au contraire avec les forces du péché. Et où mène-t-elle ? A l’anarchie et à tout ce qui l’accompagne. Ces mœurs de régimes païens sont aux antipodes de ce que Jésus entrevoit pour le gouvernement de son Eglise (v.42-43a). C’est ainsi que dans le deuxième temps, Jésus va accentuer le caractère tout à fait original de sa conception du pouvoir dans son église.
-  Deuxième temps : La logique du pouvoir de Dieu est fondée sur un renversement radical de la logique du pouvoir des dirigeants de ce monde qui consiste à chercher à être premier, à accroître leur pouvoir, à asseoir leur autorité dans leur propre intérêt. Dans le royaume de Dieu, vouloir être grand suppose de consentir à être serviteur ; vouloir être le premier implique d’être l’esclave des autres. On remarquera que les vv. 43-44 ne situent pas le moyen de la grandeur ou de l’autorité dans l’humiliation du cœur ou dans l’ascèse, mais dans l’abaissement devant les « autres » et le service. Les « autres » apparaissent ici, aux yeux des disciples, comme des inférieurs ou des rivaux. Celui qui veut être le premier devra maintenant les regarder comme ses maîtres.
Pourtant, l’abaissement sonne plutôt mal à nos oreilles car il a un sens très nettement péjoratif.  Cet abaissement, et du même coup l’humilité, n’évoquent-ils pas pour nous l’idée de ramper, de s’écraser, de démissionner, de refouler les énergies qui poussent l’homme à grandir ? Quelle place donner à l’humilité devant la demande de l’homme : l’épanouissement de sa personne, sa promotion sociale, humaine ? Osera-t-on braver de front, et ce n’est pas une mince affaire, tout ce que la publicité moderne rejoint en nous de plus profond : briller, séduire, avoir du succès et de l’avancement, être à la mode et devenir riche ? Et pourtant, tout cela consiste à s’élever par rapport aux autres et à essayer de les dominer d’une manière ou d’une autre. La psychologie nous rend attentifs à tout ce qu’il peut y avoir d’inconsciemment morbide dans certains abaissements, Cela peut être la haine ou le mépris de soi, la fuite des affrontements. L’agressivité même est une force de l’être humain, une force qu’il ne s’agit pas de retourner contre soi. Elle nous pousse à grandir, à prendre nos responsabilités.
 Malgré tout, la vérité de la parole de Jésus sur l’abaissement apparaît dans le fait qu’il a vécu lui même cette parole comme la vérité même de sa personne et de sa mission. Quitter la première place pour prendre la dernière, c’est le sens même de son incarnation. Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave (Ph 2, 6-8).
Il n’y a rien ici qui rappelle la trop fréquente exaltation de l’humilité comme vertu privée et sécrète, comme méthode purificatrice, comme moyen de sanctification personnelle, et qui laisse finalement l’homme dans le même isolement que l’orgueil, dont elle n’est alors qu’un autre nom.[18] L’humilité, ici, est relation et service. Le mot « serviteur » au v.43b est relayé par celui d’ « esclave » au v.44b. A l’époque, les esclaves étaient au dernier rang de la société[19]. L’image se veut frappante. Se faire eschatos (dernier) n’est rien d’autre que se faire diakonos (serviteur) ou doulos (esclave). Toutefois, le disciple n’est pas appelé à se considérer comme le dernier, et moins encore, à confesser bien haut qu’il l’est, mais à se mettre effectivement dans la situation du dernier, pour être le serviteur, et le serviteur de tous, puisqu’il ne laisse personne au-dessous de lui.
Car, dans la vie de Jésus, abaissement et élévation ne sont pas deux mouvements contradictoires, mais un seul mouvement : l’élévation finale révèle que l’abaissement n’est pas un but en soi, et l’abaissement donne à l’élévation finale sa qualité nécessaire, celle d’une victoire de l’amour au lieu d’une affirmation de soi. L’humilité est donc un chemin de liberté, la liberté de sortir de l’illusion pour être réaliste. Et le réalisme sur nous-mêmes, c’est de constater que nous ne sommes ni des moins que rien, ni tellement sensationnels, mais pauvres, limités, minables parfois, fragiles toujours. Nous  n’avons pas besoin de nous sous-estimer artificiellement pour nous abaisser, il suffit de nous regarder tels que nous sommes. Ainsi, si les disciples rêvent de domination, de supériorité, il leur faut renoncer à cette chimère, et accepter de « servir » dans la condition la plus humble qui soit.
Être humble, c’est renoncer non pas au besoin de grandeur mais à l’illusion de le combler soi-même. C’est se reconnaître en même temps fait pour Dieu, car lui seul peut nous combler, et fait pour les autres, car seule la communion fraternelle fait grandir. C’est ce que Jésus appelle "s’abaisser", la seule voie possible de la grandeur. S’abaisser, considérer les autres supérieurs à nous, ce n’est pas se comparer à eux mais c’est considérer qu’ils sont, de notre part, plus dignes d’attention que nous-mêmes. C’est en se décentrant de soi que l’amour devient en nous une vraie grandeur.
En effet, une telle logique paraîtrait paradoxale et pourrait n’être qu’une façon ironique de critiquer les pouvoirs de ce monde si elle ne se fondait sur le troisième temps de l’argumentation.   

- Troisième temps : Jésus choisit ce moment pour justifier sa position en donnant pour modèle sa propre personne : il est venu « non pour être servi mais pour servir» en allant jusqu’au don de sa vie « en rançon pour la multitude » (v.45).  L’allusion au Fils de l’homme serviteur et mort « en rançon pour beaucoup » reprend les paroles de 8.34-38 et de 9.35-37. Contrairement aux maîtres de ce monde, qui ne rêvent que d’autorité et de puissance, les disciples doivent servir comme Jésus, qui est venu « pour servir, c’est-à-dire pour donner volontairement sa vie (dounai indique l’offrande volontaire), « en rançon pour la multitude ».[20] On distingue ainsi dans son œuvre deux éléments importants : servir et donner. Le verbe « servir » (diakoneô), employé trente-sept fois dans le Nouveau Testament, est utilisé dans des sens différents ; il signifie servir aux tables (Mc 1.31 ; Lc 10.40 ; 17.8 ; Ac6.2), pourvoir aux besoins d’une personne (Mt 4.11 ; 25.44 ; Mc 15.41 ; Lc 8.3), accomplir des services dans une assemblée (2Tim 1.18 ; 2 Co 8.19). Il est aussi utilisé pour parler de différents services spirituels comme l’annonce de la Parole de Dieu (2 Co 3.3 ;11.8 ; 1Pi1.12). Il est à noter que le terme diakonéô désigne aussi toutes les formes du ministère, de l’apostolat au dernier échelon de l’échelle hiérarchique (cf. Act 1.25 ; 1Co 3.5).[21]  La « rançon pour beaucoup » a une signification inclusive et se fait l’écho de Es 53.12. Loin de se faire, comme il l’aurait pu, le chef autoritaire de ses disciples et du peuple de Dieu qu’il est venu sauver, Jésus s’est présenté comme l’humble serviteur de tous. Ce service ne s’arrêtera pas à quelques abaissements au bénéfice de ses seuls amis. Il ira jusqu’à donner sa vie pour le salut des hommes. Cela est exprimé avec les images du temps. Jésus donnera sa vie « en rançon », c’est-à-dire qu’il en versera le prix pour le péché de l’humanité. Ce don de son existence, il le fera « pour la multitude », c’est-à-dire « pour tous les hommes » sans exception. Dans le NT, le mot « rançon » (lutron) ne revient qu’ici et dans Matthieu 20.28. En tant que « prix de la libération », il fait allusion au paiement pour libérer de l’esclavage des esclaves ou des captifs. Il inclut également le concept de substitution.[22]
Suite à cette lecture, je retiens ce qui suit : parmi ceux qui suivaient Jésus, l’autorité ne devait pas être exercée comme elle l’était dans la sphère politique des nations. Leur autorité ne devait pas être une domination, mais un service. Celui qui aspirait à être le plus grand devait devenir le plus petit, le serviteur. Le service est ainsi la principale marque de l’autorité dans le Nouveau Testament.   
C’est donc dans cette perspective que les disciples doivent envisager leur participation au ministère de Christ. Surtout qu’il n’en reste pas à une simple dénonciation d’abus ou à l’interdiction de pratiques tyranniques. Mais, il établit le principe fondamental qui régit l’exercice de l’autorité dans la communauté chrétienne : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur » (v.43). « En un mot, l’autorité ecclésiastique est un service de nature spirituelle, exercée "en Christ" ou "dans le Seigneur", pour parler comme l’Apôtre Paul,  et trouve sa légitimité dans la dépendance et la ressemblance au Christ, le Seigneur-Serviteur ».[23]
Ainsi, « dans notre société, empoisonnée par l’esprit de compétition, obsédée par la promotion, Jésus est venu fonder une communauté de disciples qui aspirent à un statut de serviteurs, qui ont pour ambition de venir en aide aux autres et de les servir jusqu’au sacrifice de soi ».[24]  

En effet, que dire en conclusion ? L’exercice de l’autorité dans l’Eglise ne peut pas exprimer autre chose que l’humilité et le service que préconise Jésus-Christ. Cela démontre à quel point l’Evangile devrait transformer profondément la manière d’exercer l’autorité dans l’Eglise aujourd’hui.

Cela dit, l’Eglise est non seulement placée devant ce véritable défi pour elle-même, mais se voit aussi confiée une tâche prophétique envers le monde qui l’entoure. Tout en se soumettant aux hiérarchies qui régissent ce monde (cf. Romains 13) elle se doit d’en contester les prétentions absolutistes. Plus encore, l’Eglise doit démontrer dans sa vie que la dynamique du service est la marque du royaume à venir, royaume où Dieu « fait descendre les puissants de leurs trônes » pour « élever les humbles » (Luc 1.52). Le vécu concret de l’Eglise se doit d’être une prédication, une interpellation prophétique à un monde qui, sous la séduction du malin, est assoiffé de pouvoir.

[1] Jacques Blandenier, « Le Nouveau Testament et les structures ecclésiales d’autorité » in Hokhma 66, (1993), p. 44, l’a si bien souligné en ces termes: « Tout exercice de l’autorité est menacé par la tentation de la prise de pouvoir sur autrui. Tel est le fonctionnement de l’homme depuis le jour où il a prétendu se faire l’égal de Dieu.»
[2] Lire à cet effet, Frédéric de Connick, « Que signifie exercer l’autorité ? Une lecture sociologique de l’autorité »,  Hokma 66, 1993, p.24.
[3] Cf. Kenneth Prior, Le responsable chrétien, Mazerolles : Empreinte, 1993, p.61. 
[4] Pour une explication sociologique soulignant la distinction qui existe parfois entre les deux termes « autorité » et « pouvoir », lire Max Weber, Economie et société, trad. Français, Paris : Plon, 1971 ; voir aussi Wayne Meeks, The first Urban Christians ,  New Haven : Yale, 1983, p.136-37.
[5] Il est à préciser que le terme exousia est diversement traduit. La version Darby opte pour la traduction « autorité ». Par contre, d’autres versions (TOB, la Bible du semeur, etc.) ont choisi « pouvoir » pour le même terme grec.
[6] Voir exousia, dans William D.Mounce, The Analytical Lexicon to Greek NT, Grand Rapids: Zondervan, 1993; Liddel, H.G., Scott R., Jones H.S., A Greek English Lexicon with a revised supplement, par Stuart, Oxford: Clarendon , 1996.
[7] Il est attesté dans les deux Testaments que seule l’autorité de Dieu est légitime. Elle est l’expression de souveraineté universelle et éternelle (Ex 15.18 ; Ps 29.10 ; 33.9 etc.). Dans Rom 9.21, Dieu est comparé à un potier qui crée et façonne des pièces, c’est-à-dire, qui a toute autorité sur elles. Etant Source de l’autorité, Dieu exerce un contrôle absolu sur le monde et sur l’histoire (Ps 50.1 ; 66.7 ; 103.19 ; Es.40.15 ; Rom 8.18-39 ; 1Tim6.15 ; Ap 11.17 ; 19.16).La conclusion traditionnelle du « Notre Père » souligne cette souveraineté : « C’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire » (Mt 6.13). Dans l’AT, les prêtres, les prophètes et les rois jouissaient donc d’une autorité déléguée parce que Dieu exerçait son autorité par leur biais (Dt 17.18ss ; 31.11 ; Mal 2.7. Jér 1.7). 
[8]  Jésus, le Fils de Dieu, a autorité comme le Père. Il a tout pouvoir dans le ciel et sur la terre (Mt 28.18 ; Jn 17.2 ; Ac 5.31). Il a fait valoir son autorité à travers des miracles et avait le pouvoir de pardonner (Mt 9.6-8 ; 12.28 ; Mc 1.27 ; 2.5-12 ; Lc 4.36 ; 8.24s). Il est aussi serviteur de Dieu en exerçant le ministère de prophète, de prêtre et de roi auprès des hommes. En outre, en tant qu’enseignant, Jésus parlait du royaume de Dieu avec une autorité singulière  (Mt 7.28, 29 ;  Mc 1.21,22 ; 6.2,3).
[9] Dans l’Eglise, les anciens ont une position d’autorité (Hb 13.17).Cette autorité  est réelle mais pas absolue et normative. C’est une autorité déléguée. Les détenteurs d’autorité dans l’Eglise sont responsables du bien des personnes qui leur sont confiées. 
[10] Dans l’évangile de Marc, en particulier, exousia se retrouvera appliqué à Jésus, en 1.27, 2.10, 11.28,29,33 et appliqué aux disciples, 3.15, 6.7, 13.34.
[11] A la première  annonce, Pierre s’est  récrié, mais il s’est entendu traiter de Satan (Mc 8.31-33), et les disciples avec la foule ont été avertis qu’on ne peut suivre Jésus sans se renoncer  et prendre sa croix (8.34). La deuxième annonce les trouve sans intelligence (9.30-32) et leur souci de préséance montre bien leur incapacité d’entrer dans les vues de Dieu . Enfin,  après la troisième annonce de la Passion, c’est la péricope de 10.35-45 qui fait l’objet de notre étude.
[12] Certains exégètes pensent qu’ « ils étaient jaloux de Pierre et voulaient passer avant lui. Même après que Jésus eut enseigné à ses disciples qu’ils ne devaient pas chercher à être les premiers (Mc 9.35 ; 10.31) ». Cf. Thomas Hale, Stephen Thorson,  Commentaire sur le Nouveau Testament, Marne-La-Vallée : Farel, 1999, p. 243.
[13] Comme le souligne Elian Cuvillier, L’Evangile de Marc, Paris/Genève : Bayard/Labor et Fides, 2002, p.215 « la demande de Jacques et Jean arrive comme si rien de ce qui précède n’avait été dit. Pour eux, peu importe finalement que la « venue dans la gloire » se fasse (comme ils l’ont espéré avec les disciples) ou après la croix. L’essentiel est bien la gloire promise, une gloire qui est, avant tout, une glorification de leur personne. » 
[14] Être assis à la droite du roi était la plus haute position dans une cour royale et s’asseoir à sa gauche était la deuxième plus haute position. Cf. Flavius Josèphe, Antiquités juives 6.11.9
[15] Consulter aussi,  Le Petit Larousse, Paris : Larousse, 1997.
[16] La demande de Jacques et Jean d’être « à la droite et à la gauche » de Jésus pourrait bien trouver un écho surprenant dans la suite de l’évangile. Il y a en effet, chez Marc, deux personnes qui vont se trouver « à la droite et à la gauche » de Jésus en 15.27, alors qu’on crucifie Jésus, on place « à sa droite et à sa gauche » deux bandits qui, un peu plus tard, vont l’insulter (15.32).
[17] Il faut aussi noter que le terme katakureuô, composé de kata et kureuô signifiant « être le maître », souligne la nature tyrannique de l’exercice de l’autorité. Cf. J. H. Moulton, A Grammar of NT Greek, Vol.I : prolegomena Edinburg : T&T Clark, 1988, 3°éd., p.111ss.
[18] Jean Valette, L’Evangile de Marc, Paris : Les Bergers et les Mages, 1986, p. 300.
[19] Dans la société romaine, l’esclave, on le sait, ne compte pas. Simple objet, il ne possède ni droits politiques, ni familiaux, ni patrimoniaux : il ne peut contracter de mariage légal, ni fonder une famille, et sa condition est héréditaire. Le lecteur peut consulter, Jacques Loew, Michel Meslin, Histoire de l’église par elle-même, Paris : Fayard, 1978, p.99. 
[20] Lire J. Jéremias, Théologie du Nouveau Testament. La prédication de Jésus, Paris : Cerf, 1980, p. 365. 
[21] Voir « servir » dans  Nouveau dictionnaire biblique, (révisé et augmenté), St-Légier : Emmaüs, 1992, p.1205.
[22] Dans l’AT, la rançon est le substitut de celui qui, sans elle, serait condamné à mourir ;  c’est le cas des garçons premiers-nés, où  l’on s’était mis à payer la rançon en argent (Lv 27.27 ; Nb3.49ss ; 18.16). Pour l’Exode, le rachat des premiers-nés est le signe du droit de possession que Dieu s’est acquis sur son peuple en le délivrant de l’Egypte (Ex 13.12ss). 
[23]  Blandenier, op.cit., p.31. 
[24] Gilbert Bilézikian, Solitaires ou solidaires, Mazerolles : Empreinte, 2000, p.87  


Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue
Chercheur au CREIAF

P.S. : La rédaction Thephila.com prévient les lecteurs contre toute utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de l’article comme cela a pu être arrivé en plagiant.

jeudi 3 septembre 2015

PRISE DE « PAROLES » DES ÉGLISES AFRICAINES DANS L’ESPACE PUBLIC


L’Eglise africaine, dans la diversité de ses mutations, se présente aujourd’hui comme une Eglise interpellée à la prise de paroles libérées, engagées, sociétales, culturelles, etc. En d’autres termes, l’Eglise africaine actuelle ne peut plus se contenter d’une parole condescendante, autoritaire et dogmatique. Elle doit  plutôt se proposer une parole qui va à la rencontre d’autres paroles, qui  reconnaît la validité d’autres paroles. Et finir de penser que la parole qu’elle porte a pour but unique de convertir les autres. En fait, elle doit s’initier à une parole risquée devant la sollicitation d’une situation, d’un peuple, d’une histoire. Il s’agit donc, pour l’Eglise africaine, de ne pas avoir  une parole tue,  mais une parole prophétique, dénonciatrice et incisive.  Comme l’a dit Michel Bertrand, excellemment ; « c’est la parole que l’Eglise en tant que corps constitué, institué, visible socialement, peut faire entendre. Que ce soit à travers des débats, des conférences, des tables rondes ou à travers les déclarations de ses responsables[1]. »  Car, l’Église est supposée être, notons-le, pour plusieurs pays d’Afrique l’unique réalité qui fonctionne encore bien et permet aux populations de continuer à vivre et à espérer en des lendemains meilleurs. Non seulement elle offre l’assistance nécessaire, garantit la coexistence pacifique et contribue à trouver les voies et les moyens pour la reconstruction de l’État, mais aussi elle est ce lieu privilégié à partir duquel l’on commence à nouveau à parler de réconciliation et de pardon. 

     Ce sont là des motifs pour se réjouir de ce qu’est l’Eglise en Afrique. Mais pour maintenir ce privilège, la question de la légitimité et de l’autorité des paroles dites par les autorités ecclésiastiques se pose aujourd’hui dans la société africaine[2]. C’est pourquoi, pour parler comme Bertrand : « certains pensent qu’il est normal, souhaitable voire nécessaire que les Eglises, en tant que partie du corps social, prennent part, par la voix de leurs responsables, aux débats de la société et s’engagent dans la vie publique…D’autres, au  contraire, contestent la légitimité de toute intervention des autorités ecclésiales dans le champ temporel souvent assimilé à « la politique ». Ils y sont opposés par principe, affirmant que les Eglises doivent s’en tenir à leur mission spécifique qui est d’ordre spirituel… Enfin, il y a ceux qui considèrent que les Eglises devraient, d’une manière générale, se taire ou rester discrètes dans l’espace public, et ne prendre position que face aux situations intolérables, quand la vie des humains et celle du monde sont gravement menacées.[3]»

     Outre le constat que fait Bertrand, avec raison d’ailleurs,  nous ne pouvons perdre de vue la « manducation ecclésiale » qui est un élément important de la réflexion théologico-politique aujourd’hui en Afrique : elle se fonde sur la théologie de la réussite personnelle. En somme, l’Eglise est devenue un vrai business. Les leaders/prêcheurs prônent la participation à une communauté chrétienne comme moyen et garantie d’une vie prospère, voire de la réussite professionnelle, avec le danger d’oublier que les valeurs de l’Evangile ne s’identifient pas aux critères de succès mondain[4].  Outre cette dérive théologique,  il faut noter la position ambigüe de certaines autorités ecclésiastiques vis-à-vis de l’autoritarisme et la prédation des dirigeants africains qui baignent leur peuple dans  l’humiliation.  En effet, la parole de l’Eglise est de fois, considérée comme un langage désengagé et complice. De même, l’Eglise africaine semble aujourd’hui incapable d’élaborer de manière rationnelle et à la lumière de la foi les capacités d’aborder les questions qui surgissent dans les divers domaines de la vie. Et pourtant, dans certaines situations de conflits ou de crises, on considère l’Eglise en Afrique comme l’une des rares institutions auxquelles la population pouvait faire confiance[5].
Malheureusement, dans la manière dont elles se donnent à penser à nous actuellement, les paroles données par les Eglises africaines  demeurent aujourd’hui compromises, ambigües et suscitent des interrogations. 


A vrai dire, le risque aujourd’hui n’est pas tellement que nous servions de tranquillisant pour une minorité riche des citoyens du continent.
Même si notre parole prétend bien avoir une pertinence en soi, elle est culturellement et socialement  disqualifiée et son impact est pratiquement limité au cercle des convaincus d’avance. Aux États-Unis, lorsqu’un problème commence à être perçu comme urgent, requérant des solutions à court, moyen ou long terme, le monde politique est prêt à financer des « groupes de recherche » – des « think tanks »– , éventuellement en faisant appel à des universitaires. 
Il est rare qu’on y adjoigne des théologiens. La situation n’est pas différente de ce côté-ci de l’Afrique. Dans ce contexte, la prise de parole proprement théologique, celle qui s’efforce d’éclairer la réalité à la lumière de la foi en Dieu, ne peut guère qu’apparaître hors de propos. A première vue, la conjoncture apparaît donc peu favorable.  Et, la question qui se pose en pareil contexte, est de savoir que devient l’Eglise ? Elle se trouve forcément fragilisée. Disqualifiée face à la politique, elle est plus radicalement mise en question du fait de son acceptation d’une forme spirituelle passive.

C’est dans cette perspective que  nous avons trouvé ambition de chercher à traiter les questions liées à la place que doivent occuper la prise de paroles des Eglises dans la société africaine. L’Afrique,  étant un continent de traditions orales, quel type de paroles l’Eglise doit-elle tenir proprement dans la société? Qu’est-ce qui peut fonder l’autorité et la légitimité de la parole des autorités d’Eglise en Afrique ? L’Eglise  africaine doit –elle se référer à la tradition orale africaine selon la façon de prendre la parole?  Comment l’Eglise doit-elle prendre parole, pour ne pas ternir l’image globale que la société africaine a d’elle ? 
Toutes les questions évoquées se posent à nous, chrétiens d’Afrique. Car, l’homme africain vit  aujourd’hui dans une multitude de conceptions dans lesquelles il se sent responsable de sa société, de son aménagement et de son maintien.  De plus, dans une Afrique marquée par la souffrance, la violence, les injustices de toutes sortes et le sous-développement, l’interpellation  lancée aux Églises africaines  d’aujourd’hui  n’est non seulement de proclamer l’Évangile, mais aussi celle de la prise de parole pour une libération socio-économique, politique et culturelle au lieu de rester silencieuse devant l’écrasement des faibles par les oppresseurs.  C’est dire que  l’émergence de l’Église d’Afrique réside aujourd’hui  dans le pouvoir de produire une parole autre, hors des sentiers battus et des certitudes habituelles[6]. En d’autres termes,  les Églises africaines, comme lieu d’expression de vie, de foi et surtout d’espérance, ont besoin de se redéfinir en recherchant une nouvelle manière de la prise de parole effective  dans la société. Mais alors au regard des réalités passées et actuelles, pouvons-nous dire qu’il a été ainsi ?

Car, vouloir contribuer au développement humain, économique et social de l’Afrique par la construction d’un royaume de justice et de paix en référence aux enseignements du Christ est une initiative de l’Eglise à encourager. Mais l’Église devra s’armer de paroles efficaces et s’adapter à un nouveau langage d’évangélisation. Evangéliser, en effet, ne consiste pas à apporter une morale, une doctrine, une nouvelle religion plus moderne, là où cela n’existe pas encore. Mais, l’Évangile doit donner une réponse aux situations de souffrance que beaucoup de pays vivent encore dans le continent : famine, épidémies, guerres, tensions sociales. En effet, l’Église doit s’évangéliser d’abord elle-même et ensuite remplir la mission de proclamer la Parole qu’elle a reçue par le témoignage de la vie. 
      En conclusion, l’Église se doit de se proposer une sotériologie qui prend en compte les différents lieux où se construisent et s’expriment les croyances et les projets de société des Africains en lutte pour sortir des situations de crises et de misères ignominieuses. Une théologie du Royaume de Dieu contextualisée ouvrira l’horizon de l’espérance en faisant découvrir comment Dieu est présente dans l’Afrique d’aujourd’hui et se cherche des témoins authentiques de la Parole de vie pour renouveler toutes choses.


Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue
Chercheur associé au Centre de Recherches et d'Etudes Interculterelles
en Afrique Francophone





[1] M. Bertrand, L’Eglise dans l’espace public, Genève/Lyon : Labor et Fides/ Olivetan, 2011, p.11-12.
[2] Cet aspect sera nécessite une étude approfondie..
[3] Bertrand, op.cit., p.12
[4] Lire Jimi Zacka, Fonctions et défis du Pasteur dans l’Afrique Contemporaine, Paris: L’harmattan, 2015.
[5] Nous le verrons dans un prochain chapitre.
[6] KÄ MANA, L’Afrique va-t-elle mourir ?, Paris : Cerf, 1992,  p.48.