Ce
sont là des motifs pour se réjouir de ce qu’est l’Eglise en Afrique. Mais
pour maintenir ce privilège, la question de la légitimité et de l’autorité des
paroles dites par les autorités ecclésiastiques se pose aujourd’hui dans la
société africaine[2].
C’est pourquoi, pour parler comme Bertrand : « certains pensent qu’il
est normal, souhaitable voire nécessaire que les Eglises, en tant que partie du
corps social, prennent part, par la voix de leurs responsables, aux débats de
la société et s’engagent dans la vie publique…D’autres, au contraire, contestent la légitimité de toute
intervention des autorités ecclésiales dans le champ temporel souvent assimilé
à « la politique ». Ils y sont opposés par principe, affirmant que
les Eglises doivent s’en tenir à leur mission spécifique qui est d’ordre
spirituel… Enfin, il y a ceux qui considèrent que les Eglises devraient, d’une
manière générale, se taire ou rester discrètes dans l’espace public, et ne prendre
position que face aux situations intolérables, quand la vie des humains et
celle du monde sont gravement menacées.[3]»
Outre le constat que fait Bertrand, avec
raison d’ailleurs, nous ne pouvons
perdre de vue la « manducation ecclésiale » qui est un élément
important de la réflexion théologico-politique aujourd’hui en Afrique : elle
se fonde sur la théologie de la réussite personnelle. En somme, l’Eglise est
devenue un vrai business. Les leaders/prêcheurs prônent la participation à une
communauté chrétienne comme moyen et garantie d’une vie prospère, voire de la
réussite professionnelle, avec le danger d’oublier que les valeurs de
l’Evangile ne s’identifient pas aux critères de succès mondain[4]. Outre cette dérive théologique, il faut noter la position ambigüe de certaines
autorités ecclésiastiques vis-à-vis de l’autoritarisme et la prédation des
dirigeants africains qui baignent leur peuple dans l’humiliation. En effet, la parole de l’Eglise est de fois,
considérée comme un langage désengagé et complice. De même, l’Eglise africaine
semble aujourd’hui incapable d’élaborer de manière rationnelle et à la lumière
de la foi les capacités d’aborder les questions qui surgissent dans les divers
domaines de la vie. Et pourtant, dans certaines situations de conflits ou de crises,
on considère l’Eglise en Afrique comme l’une des rares institutions auxquelles
la population pouvait faire confiance[5].
Malheureusement, dans la
manière dont elles se donnent à penser à nous actuellement, les paroles données
par les Eglises africaines demeurent
aujourd’hui compromises, ambigües et suscitent des interrogations.
C’est dans cette perspective que nous avons trouvé ambition de chercher à traiter les questions liées à la place que doivent occuper la prise de paroles des Eglises dans la société africaine. L’Afrique, étant un continent de traditions orales, quel type de paroles l’Eglise doit-elle tenir proprement dans la société? Qu’est-ce qui peut fonder l’autorité et la légitimité de la parole des autorités d’Eglise en Afrique ? L’Eglise africaine doit –elle se référer à la tradition orale africaine selon la façon de prendre la parole? Comment l’Eglise doit-elle prendre parole, pour ne pas ternir l’image globale que la société africaine a d’elle ?
A vrai dire, le risque aujourd’hui n’est pas tellement
que nous servions de tranquillisant pour une minorité riche des citoyens du continent.
Même si notre parole prétend bien avoir une pertinence en
soi, elle est culturellement et socialement disqualifiée et son impact est pratiquement limité
au cercle des convaincus d’avance. Aux États-Unis, lorsqu’un problème commence
à être perçu comme urgent, requérant des solutions à court, moyen ou long terme,
le monde politique est prêt à financer des « groupes de recherche » – des « think tanks »– ,
éventuellement en faisant appel à des universitaires.
Il est rare qu’on y adjoigne des théologiens. La
situation n’est pas différente de ce côté-ci de l’Afrique. Dans ce contexte, la
prise de parole proprement théologique, celle qui s’efforce d’éclairer la réalité à la lumière
de la foi en Dieu, ne peut guère qu’apparaître hors de propos. A première vue,
la conjoncture apparaît donc peu favorable. Et, la question qui se pose en pareil contexte, est de savoir que devient l’Eglise ? Elle se trouve
forcément fragilisée. Disqualifiée face à la politique, elle est plus
radicalement mise en question du fait de son acceptation d’une forme spirituelle
passive.
C’est dans cette perspective que nous avons trouvé ambition de chercher à traiter les questions liées à la place que doivent occuper la prise de paroles des Eglises dans la société africaine. L’Afrique, étant un continent de traditions orales, quel type de paroles l’Eglise doit-elle tenir proprement dans la société? Qu’est-ce qui peut fonder l’autorité et la légitimité de la parole des autorités d’Eglise en Afrique ? L’Eglise africaine doit –elle se référer à la tradition orale africaine selon la façon de prendre la parole? Comment l’Eglise doit-elle prendre parole, pour ne pas ternir l’image globale que la société africaine a d’elle ?
Toutes les questions évoquées se
posent à nous, chrétiens d’Afrique. Car, l’homme africain vit aujourd’hui dans une multitude de conceptions
dans lesquelles il se sent responsable de sa société, de son aménagement et de son
maintien. De plus, dans une Afrique
marquée par la souffrance, la violence, les injustices de toutes sortes et le
sous-développement, l’interpellation
lancée aux Églises africaines d’aujourd’hui
n’est non seulement de proclamer l’Évangile, mais aussi celle de la
prise de parole pour une libération socio-économique, politique et culturelle
au lieu de rester silencieuse devant l’écrasement des faibles par les
oppresseurs. C’est dire que l’émergence de l’Église d’Afrique réside
aujourd’hui dans le pouvoir de
produire une parole autre, hors des sentiers battus et des certitudes
habituelles[6].
En d’autres termes, les Églises
africaines, comme lieu d’expression de vie, de foi et surtout d’espérance, ont
besoin de se redéfinir en recherchant une nouvelle manière de la prise de
parole effective dans la société. Mais
alors au regard des réalités passées et actuelles, pouvons-nous dire qu’il a
été ainsi ?
Car, vouloir contribuer au développement humain,
économique et social de l’Afrique par la construction d’un royaume de justice
et de paix en référence aux enseignements du Christ est une initiative de
l’Eglise à encourager. Mais l’Église devra s’armer de paroles efficaces et s’adapter
à un nouveau langage d’évangélisation. Evangéliser, en effet, ne consiste pas à
apporter une morale, une doctrine, une nouvelle religion plus moderne, là où
cela n’existe pas encore. Mais, l’Évangile doit donner une réponse aux
situations de souffrance que beaucoup de pays vivent encore dans le
continent : famine, épidémies, guerres, tensions sociales. En effet,
l’Église doit s’évangéliser d’abord elle-même et ensuite remplir la mission de
proclamer la Parole qu’elle a reçue par le témoignage de la vie.
En
conclusion, l’Église se doit de se proposer une sotériologie qui prend en
compte les différents lieux où se construisent et s’expriment les croyances et
les projets de société des Africains en lutte pour sortir des situations de
crises et de misères ignominieuses. Une théologie du Royaume de Dieu
contextualisée ouvrira l’horizon de l’espérance en faisant découvrir comment
Dieu est présente dans l’Afrique d’aujourd’hui et se cherche des témoins
authentiques de la Parole de vie pour renouveler toutes choses.
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue
Chercheur associé au Centre de Recherches et d'Etudes Interculterelles
en Afrique Francophone
Chercheur associé au Centre de Recherches et d'Etudes Interculterelles
en Afrique Francophone
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