A
quelques semaines de l’investiture du nouvel homme fort de la République
Centrafricaine, son Directeur national de campagne, Mr Simplice Sarandji
a exprimé une sévère mise en garde à l’encontre de ceux qui, en vue de la
prochaine investiture du président élu prévue le 30 mars 2016, tenteraient de
fabriquer des pagnes à l’effigie du nouveau locataire du Palais de la
Renaissance. La mise en garde du DNC de Faustin Archange Touadéra s’est adressé
également aux artistes musiciens centrafricains qui, depuis le règne de
l’ex-empereur Bokassa, ont la fâcheuse habitude de composer des chansons à la
gloire et au nom des chefs d’état de leur pays. "C’est Dieu qu’on peut
vénérer et non un être humain", a-t-il clamé.
Une
telle mesure semble vouloir dire que : « « Plus rien ne sera
plus comme avant ». Par conséquent, d’aucuns pensent que c’est déjà un
bon début qui va juguler ce qui a été vu comme le cancer de la gouvernance en
Centrafrique. Le séculaire culte de la personnalité qui a historiquement marqué
les relations entre les dirigeants centrafricains et leur peuple s’en va
laisser place à de l’indifférence quand ce n’est pas tout simplement de la
défiance. Voilà ce système démocratique en pleine gestation qui veut faire de
chaque homme l’égal de l’autre.
Mais,
la question qui doit tarauder l’esprit du citoyen avisé est de savoir si cette
mesure pourrait mettre fin définitivement au culte de la personnalité en
Centrafrique. La Centrafrique peut-elle rompre avec la glorification de
ses dirigeants ? Serait-elle en train de rompre avec un zèle laudateur qui n’a
d’égal que la mégalomanie des courtisés ?
Il
convient de rappeler que les régimes politiques qui se sont succédé en
Centrafrique, ont en commun de cultiver le culte de la personnalité du chef de
l’État. Par conséquent, sévissant depuis des décennies, le culte de la
personnalité s’est ancré dans les mentalités des Centrafricains.
L’image
du chef en Centrafrique était jusque-là associée à un certain prestige, une
certaine noblesse. Elle était chargée de la grâce elle-même. Cette vision est
due à notre histoire, de celle de nos royautés et de l’ascendant que les
souverains, autocrates ou nobles, pouvaient avoir sur leurs peuples. Cette
conception du chef procède également de la soumission presque naturelle que les
sujets pouvaient avoir vis-à-vis de leurs souverains. Ceux en tout cas avec qui
ils partageaient tribu, ethnie, origine. Cette conception procède également de
nos traditions. Les chefs, rois et autres souverains étaient en effet les
interlocuteurs privilégiés des dieux ; la courroie de transmission entre
les peuples et leurs protecteurs divins. La “mission civilisatrice” de l’homme
blanc (qui a consisté plus à nous humilier et nous exploiter qu’à nous
émanciper) n’a pas changé grand-chose à cette pratique dans un premier temps.
L’allégeance du sujet à son chef de clan, de village, de royaume s’est peu à
peu déportée au Chef de l’Etat. Il y avait désormais une raison de se
soumettre, parfois faisant contre mauvaise fortune bon cœur, à un maître avec
lequel les liens de sang étaient loin d’être évidents : il règne sur tous
dans un Etat unitaire. Fi de la force de coercition dont il peut disposer à
travers l’armée et qui peut lui permettre de s’assurer la soumission du peuple.
Ce qui ici importe, c’est l’allégeance volontaire et non la
subordination imposée. De fait, l’image du dirigeant centrafricain a
longtemps fait l’objet d’un consensus, implicite du culte de la personnalité.
C'est dans cette optique que Lanciné Sylla a rappelé avec raison que
" la tendance du présidentialisme et la concentration du pouvoir
s'étaient déjà amorcées bien avant les indépendances dans certains pays,
par la formation de partis de masse autour de personnalités politiques dont le
charisme était un élément important d'instauration du parti unique. Le prestige
de ces personnalités était tel qu'il forçait l'obéissance et l'attachement
aussi bien des chefs de différentes factions et partis tribaux que des masses
populaires. En la personne de ces chefs charismatiques rassemblant l'unanimité
populaire, se trouvaient déjà les germes de la concentration du pouvoir et du
système de parti unique à travers les partis de constitués sous leur
impulsion" (Tribalisme et Part unique en Afrique Noire, FNSP, 1977,
p.236). Ce fut le cas, à l'époque, de MESAN, RDC, MLPC, KNK.
Monarchie, dictature et culte de personnalité
Qui
ne se souvient pas du règne de l’Empereur Bokassa ? En cette période, le
culte de la personnalité était porté à son paroxysme ; il faisait partie
du décor, disposait de son propre folklore. Il avait ses chevilles ouvrières,
des zélateurs en quête de faveurs. Toutes les occasions étaient bonnes pour
flatter le monarque et solliciter sa générosité. Tous usaient des mêmes ruses,
et tant pis si elles n’abusaient plus personne. Ainsi, nous avons vécu dans une
république abâtardie où la notion d’intérêt général s’effaçait tous les jours
derrière une sorte de culte médiatisé de la personnalité qui n’était d’ailleurs
pas nouveau mais prenait des proportions alarmantes.
Depuis
la fin de 1979, à l’instar de l’empereur Bokassa, cette époque fut
éprouvante pour la plupart des Chefs d’Etat africains. Habitués à voir danser
et chanter les populations (instrumentalisées ou non) à chacune de leurs
sorties, ils se sont surpris à devoir subir désormais les huées, les jets de
projectiles, les désaveux publics. La faute à une gouvernance autocratique, une
corruption généralisée, un échec cuisant au plan socio-économique. De toute
façon, c’est le mythe de la toute-puissance des derniers dirigeants les plus
puissants de l’Afrique qui était en train de s’écrouler. Les peuples n’avaient
plus peur de dire, d’affronter, de mourir. Le chef n’est plus un dieu. Et si
les chefs les plus puissants pouvaient se voir ébranlés, nul autre ne mérite
plus d’être porté sur un piédestal. Aujourd’hui, le processus semble
différent : la personnalisation du pouvoir existe en même temps que la
démocratie. Mais leur coexistence n’est pas pour autant définitive.
Personnalisation du pouvoir et Gouvernements démocratiques
«
Le culte de la
personnalité, dit un sociologue, c’est comme l’amour:
ça va de la pudeur à la pornographie». En passant, sans doute, par l’onanisme. ».
En fait, il le dit avec raison. Après la fin des dérives monarchiques de
Bokassa, alors que l’on croyait à en finir avec le culte de la personnalité, la
personnalisation à outrance du pouvoir a trouvé sa place au sein des partis
politiques ; on peut même avancer que le leadership partisan a préparé
l’avènement du leadership gouvernemental (c’est le cas du MLPC). Le culte
de la personnalité du chef du parti et l’unanimisme officiel dépendent d’une
violence d’État, appuyée sur une force armée plus ou moins hypertrophiée et sur
une police politique omniprésente et plénipotentiaire. Trahissent cette
violence la fréquence des complots fictifs ou réels et des fiches mensongères,
les tribunaux d’exception et les prisons mémorables, toutes choses dont les
organisations humanitaires ont dénoncé les ravages. Mais la
personnalisation et l’usage de la force n’épuisent cependant pas le
débat.
Il
y a aussi le protocole et la mise en scène de la grandeur du Chef de
l’Etat: Chansons à sa gloire diffusées en boucle à la radio et à la télévision,
discours laudateurs déclamés en public à chaque occasion officielle, portraits
accrochés dans tous les bureaux administratifs, festivités grandioses à chaque
fête nationale, mais aussi à son anniversaire. Dans cette perspective, la
personnalisation du pouvoir s’accommode directement des structures
institutionnalisées. In fine, l’homme qui détient le pouvoir se place
dans des cadres constitutionnels. Sa personnalité émerge sans doute des
institutions, mais n’en fait cependant pas abstraction. Le pouvoir les ignore
et se personnalise. En effet, il se mue en dictateur constitutionnellement
légitimé.
C'est
ainsi que tous les hommes d’État qui se sont succédé à la tête du pays, ont
réussi à faire asseoir la personnalisation du pouvoir grâce soit à leur parti
politique, soit aux zélateurs en quête des faveurs. Qui a oublié les pagnes
représentant les 785 000 perles du manteau de l’empereur centrafricain Bokassa
Ier ? Le Parti KNK de Bozizé n'a pas pu s'en soustraire. Plus
récemment, qui n’a pas entendu parler de Mme Cathérine Samba-Panza qui a essuyé une avalanche de
contestations de ces compatriotes lorsqu’elle a fait fabriquer des pagnes à son
effigie en 2014 ?
C’est
d’ailleurs le genre de louanges graphiques qui mettaient mal à l’aise l’un des
rares dirigeants africains qu’on ne pouvait taxer d’arrogance : Nelson
Mandela. L’ancien président sud-africain circonscrivait autant que possible la
frénésie marchande qui le faisait figurer sur des casquettes, des fanions, des
bracelets de luxe et autres tabliers de cuisine.
Facteurs de la personnalisation du pouvoir
La
personnalisation du Pouvoir est un paradoxe des sociétés politiques
contemporaines. Au moment même où l’exercice de l’autorité devient plus
complexe, qu’elle s’étend par force à tous les domaines, on confie à un homme
seul la tâche redoutable de diriger l’État. Du coup, il faut tenir compte d’une
constante, la tendance naturelle des gouvernés à réclamer que l’autorité
s’incarne en un homme. Cette tentation toujours présente s’est trouvée
actualisée par une nouvelle crise de la démocratie. C’est pourquoi, la
personnalisation du pouvoir a marqué l’avènement des nouveaux régimes
démocratiques. Les hommes ont toujours éprouvé le besoin de voir l’autorité s’incarner
en une personnalité. A l'inverse, le manque de la personnalisation du pouvoir
manifeste aussi la tendance naturelle à vouloir qu’existe un responsable, un
être humain qu’on puisse louer et surtout blâmer de la réussite ou des échecs
des gouvernements de l’État.
La
propagande politique systématisée a transformé ce tableau de la vie politique
démocratique. Le concret humain s'est substitué à l’abstrait institutionnel. Peut-être,
l‘homme de la rue est resté loin de ses gouvernants, aujourd’hui, tous les
obstacles ont disparu. La radio et la télévision permettent au simple citoyen
d’approcher les dirigeants du pays et lui donne l’impression de mieux connaître
son Président. Il le voit agir, parler ; il est son
« Président » aimé ou détesté. Il crée autour du "Président"
un mythe politique qui ne correspond certainement pas à la réalité, mais n’en
existe pas moins. Le gouvernement d’opinion devient ainsi un contact
permanent entre chaque citoyen et l’homme d’État, où les sentiments et les
instincts prennent le pas sur les jugements raisonnés, où le culte de la
personnalité se construit ou se déconstruit. L’institution n’est pas en mesure
d’établir ce contact populaire, que la nation exige de ses dirigeants. Il faut
y voir un facteur puissant de la personnalisation du Pouvoir, que la réalité
politique comme institutionnelle ne saurait ignorer. Le Peuple fait naître ainsi
le culte de la personnalité autour de la personnalité du Chef de l'Etat, certainement
à son insu mais il en prend acte.
« Plus rien ne sera
plus comme avant », entend-on souvent à l’orée d’un nouveau régime. .
Jetés aux orties les pagnes à l’effigie du Président ? Les louanges
radiodiffusées ou télévisées ? Les portraits accrochés au mur un peu
partout? C’est bien.
Mais,
l’anecdote venant du pays des « hommes intègres », le Burkina Faso,
qui vient d’avoir un Président démocratiquement élu, nous enseigne quelque
chose : alors que le nouveau Président burkinabè prêtait serment, un
enfant s’arrêtait, dans la rue, devant une affiche géante. Devant le panneau
qui déroulait le message « Roch Marc Christian
Kaboré président du Faso, le Burkina est fier », l’enfant
déclarait : « Si
on les laisse faire, ils vont faire des pagnes avec la tête de Roch » (source
JA). La vérité sort de la bouche des enfants. C’est dire que le culte
de la personnalité peut venir du sommet de l’État, tout comme cela peut venir
du bas peuple de manière subtile et imprévue.
Le
culte de la personnalité est imprévisible, progressif et s'adapte aux
circonstances. Il est multiforme et se nourrit des paroles des partisans
illuminés, des profito-situationistes et des "griots" en quête des
faveurs. De même, comme on le dit souvent, "l'appétit ne peut venir
qu'en mangeant" c'est-à-dire, le culte de la personnalité pourrait
se construire au rythme du pouvoir auquel prend goût le leader, le Chef de
l'Etat.
Mais
l’essentiel, c’est d’être vigilant afin de ne pas tomber dans une divinisation du pouvoir absolu ni de procéder à la déité du gouvernant.
Dr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue, Auteur