Plusieurs mots du vocabulaire
biblique sont équivalents du mot « crainte
de Dieu », mais nous ne gardons que ce dernier mot, dans le cadre de
cet article forcément très limité. Le verbe craindre (yaré') et ses dérivés sont largement utilisés dans les textes bibliques
de l'Ancien Testament (435 fois). Le substantif: crainte (yir'a) apparaît 45 fois, dont 27 fois dans les Psaumes Proverbes et
Job et 14 fois pour le livre des Proverbes seul. C'est donc dans ce livre qu'il
apparaît le plus souvent.
Sans
doute, les notions comprises dans ce vocabulaire de la crainte - et
spécialement de la crainte de Dieu - sont-elles multiples et variées, selon les
livres de l'Ancien Testament et selon les époques. Si le verbe craindre peut
parfois s'appliquer à la peur, ou à la terreur du sacré, comme réalité, redoutable
(l'adjectif redoutable, en hébreu, est un dérivé du verbe craindre: nora'), ce sens est relativement rare
dans la Bible (Exode 20.20). Le verbe ou le substantif, surtout lorsqu'ils ont
Dieu comme complément, n'ont pas ce sens de terreur, mais - d'après ceux qui
ont spécialement étudié cette notion - ont plusieurs sens proches l'un de l'autre:
un sens cultuel (la fidélité au Dieu de l'Alliance, et la vénération du culte),
un sens moral (un comportement personnel), et un sens nomiste (l'obéissance à la loi).
Or
le substantif « crainte du Seigneur »,
dont I' emploi est surtout fréquent dans le livre des Proverbes, a pour ainsi
dire toujours le sens moral. La crainte du Seigneur est le comportement de
celui qui a une conduite conforme à la volonté du Seigneur. C'est en somme l'obéissance
à la volonté de Dieu: "Le commencement de la Sagesse est la crainte de l'Eternel" (Prov.9.10). Ce serait donc une erreur de comprendre cette expression
comme une peur de Dieu. C'est au
contraire un sentiment et une volonté de respecter la volonté de Dieu et de lui
obéir. On pourrait dire – si I' on veut parler de peur - que la crainte de Dieu
est la peur de désobéir au Seigneur et de lui déplaire. Dans ce sens, cette
expression contient aussi un élément de respect, de fidélité, d'attachement et
de confiance en Dieu.
Ainsi, « ne pas craindre » les dieux des autres nations, c’est certes
ne pas en avoir peur, mais c’est surtout les rejeter, refuser de leur
rendre un culte (Jg 6,10). A l’inverse,
« craindre » Yahvé, c’est ne pas en avoir peur ni trembler devant lui, mais le reconnaître et l’adorer comme seul Dieu, c’est le « servir » (voir le parallèle
« craindre//servir » dans le texte que je viens de citer) et lui «
obéir » (ob-audire), sachant que « l’obéissance » n’est jamais synonyme d’abdication
de la liberté de conscience, ni synonyme de « soumission ».
Il
est regrettable qu'en français le mot crainte
soit toujours employé dans la traduction de ces textes, créant ainsi dans I'
esprit de certains lecteurs une idée fausse ; aussi est-il indispensable d'en
donner une explication qui soit plus conforme au sens réel du texte biblique.
Faire
une étude d'ensemble de tous les textes relatifs à la « crainte de Dieu », dépasserait les
limites de notre étude ici-même. On y verrait que la crainte du Seigneur est la
haine du mal (Prov. 8. 13), qu'elle prolonge la vie (10. 27), qu'elle est une
source de vie (14.27), qu'elle a plus de valeur qu'un grand trésor (15. 16),
qu'elle détourne du mal (16. 6), qu'elle est richesse honneur et vie (22.4),
etc. En dehors du livre des Proverbes, cette étude s'élargirait bien davantage
encore.
C’est
pourquoi, la crainte de Dieu,
dans le Nouveau Testament, prend tout son sens sur le plan spirituel ou éthique.
En effet, la crainte du Seigneur est un don de l’Esprit saint. Ce même
don s’appelle aussi humilité. Craindre le Seigneur, c’est reconnaître en lui la
source de tout bien. Cette transparence était au cœur de la vie de Jésus :
« Je ne fais rien de moi-même … mais
le Père demeurant en moi fait ses œuvres. » (Jean 8,28 et 14,10).
L’apôtre Paul écrit : « Travaillez avec crainte et tremblement à
accomplir votre salut, car c’est Dieu qui opère en vous et le vouloir et
l’opération même. » (Philippiens 2,12-13) Puisque Paul affirme que le
salut vient par la foi, « travailler
avec crainte et tremblement à son salut » doit ici exprimer un aspect
de la foi. La foi n’est pas une assurance à la légère, mais une confiance toute
tremblante : confiance vive, étonnée, agissante, vigilante. Notre salut
est un miracle que Dieu « opère en
nous », c’est pourquoi il demande toute notre attention. « Travailler avec crainte et tremblement »
c’est prendre conscience que chaque instant est une rencontre avec Dieu, car à
tout moment, Dieu est à l’œuvre en nous.
Malheureusement, nous vivons aujourd’hui une
époque marquée par le manque de la « crainte
de Dieu » et cela se ressent jusque dans l’Église. Nous semblons
revivre le temps dont parle l’apôtre Paul :
Sache que dans les derniers jours surgiront des temps
difficiles ...Car les gens seront égoïste, amis de l’argent, fanfarons,
orgueilleux, blasphémateurs, rebelles envers leurs parents, ingrats,
sacrilèges, insensibles, implacables, médisants, sans maîtise de soi, cruels,
ennemis du bien, traîtres, emportés, aveuglés par l’orgueil, amis du plaisir
plus que Dieu… 1 Timothée 3. 1-5.
Un passage très révélateur de nos jours. Beaucoup
de chrétiens s’affranchissent aujourd’hui de toute autorité, des règles du civisme, de
la bonne conduite et au final de toute
crainte de Dieu. Alors souvent pour manifester leur refus des autorités morales, sociales et spirituelles, ils ont une manière bien à eux de se
comporter en tronquant l’Évangile par la
manière de l’interpréter, par leur comportement, par leur tenue vestimentaire,
par leur mode de vie.
Les chrétiens d’aujourd’hui se conforment à la mentalité d’une génération incrédule et rebelle, d’un monde sans Dieu. Ils se forgent ainsi un mode de vie dit "saint" qu'ils imposent à la volonté de Dieu. Pourtant, la "crainte de Dieu" implique l'acceptation de l'autorité souveraine de Dieu, le désir de faire sa volonté en toutes choses (Dt 4.10; 6.13), le souci de lui plaire et la haine du mal (Prov 8.13).
Les chrétiens d’aujourd’hui se conforment à la mentalité d’une génération incrédule et rebelle, d’un monde sans Dieu. Ils se forgent ainsi un mode de vie dit "saint" qu'ils imposent à la volonté de Dieu. Pourtant, la "crainte de Dieu" implique l'acceptation de l'autorité souveraine de Dieu, le désir de faire sa volonté en toutes choses (Dt 4.10; 6.13), le souci de lui plaire et la haine du mal (Prov 8.13).
Du coup la question fondamentale s’imposant
est celle de savoir à quel niveau se trouve la crainte de Dieu dans les Églises
et dans la société d’aujourd’hui. Et
surtout, « Quand le
Fils de l'homme viendra,
pensez-vous qu'Il trouvera la foi sur la terre ? » (Luc 18.8).
Prof.
Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue