mercredi 24 août 2016

PARABOLES DE JESUS[1] ET PARABOLES AFRICAINES : VALEURS ET ENJEUX



La parabole, l’énigme de la sagesse

     La parabole est un procédé oral par lequel, le maître, provoque l’auditeur à la réflexion. Il le provoque à trouver en lui-même solution à ses questions. Le maître fait appel à l'étonnement de ses auditeurs par le moyen de comparaisons souvent déroutantes. En Afrique, une parabole est une comparaison pour montrer quelque chose d'invisible que l’orateur ne peut dire directement, mais qu'il peut faire comprendre en racontant une histoire. Une histoire inventée, qui n'est arrivée ni à toi, ni à moi, et qui, pourtant, finira par dire de la vérité pour nousCette histoires est imaginée et racontée par un maître de sagesse pour agrémenter et illustrer son enseignement moral. Elle est tirée de la vie quotidienne et est donc directement compréhensible par l’auditoire. Mais l’enseignement moral qu’elle illustre est plus subtil et demande à être deviné. La parabole ponctue ainsi la plupart du temps la parole des anciens ou les sages des tribus. Car, la sagesse se veut comme parole par les paraboles. Elle renferme une valeur, un conseil, donc, un comportement à adopter face à une situation donnée d’où l’importance de les savoir décortiqué.
     In fine, la visée de la parabole est donc argumentative. Elle propose des personnages et des situations symboliques, représentatifs de la morale que l'auteur veut en dégager.

La parabole, outil de transmission du savoir traditionnel

     Différentes traditions, coutumes, pratiques et cultures puisent souvent la sagesse des paraboles composées de tout un mystère épais qui reste toujours vêtu de la parole. Il faut le vivre, s’en imprégner, car n’étant enseigné que par l’oralité. Autrement dit, la parabole peut être considérée comme la partie de la tradition qui est mise en forme selon un code propre à chaque société et à chaque langue, en référence à un fonds culturel. Elle véhicule aussi bien l'histoire du groupe que ses croyances, ses représentations symboliques, ses modèles culturels ou sa vision du monde naturel.
Fortement imprégnée de valeurs spécifiques de la société, elle sert souvent de base à l'enseignement traditionnel. L'efficacité de la parabole tient au fait qu'il implique un double niveau de lecture, qui correspond à sa double fonction : divertir et instruire. A un premier niveau de lecture, la parabole propose une histoire généralement simple, ordinaire avec des personnages représentatifs d'une société. Un second niveau de lecture doit amener le lecteur ou l’auditeur à interroger son sens, à en dégager la valeur symbolique et les enseignements qui peuvent en être déduits.

La signification de la parabole au temps de Jésus

     Avant de parler des paraboles attribuées à Jésus, il faudra tracer à grands traits les contours de l'univers de la parabole. Ce mot « parabole », comme on a pu le voir dans notre historique de la parabole chez les anciens, n’a pas un sens très précis, et de ce fait a dû nécessairement jeter quelques vagues dans cette esquisse.
     Dans l’Ancien Testament, nous le trouvons avec des acceptions très diverses : c’est le titre donné au livre des Proverbes (1 Rois 4.) s’emploie pour désigner une sentence (Ez 28.2), une parole fameuse (1 Samuel 10.4), un discours (Job 27.1 : Nombres 23.7 ; 24.3, 15), plein de sagesse ou prophétique, une fable (Ezechiel 27.2),  et en général toute parole énergique ( Ezechiel 27.5), propre à frapper fortement les auditeurs comme l’indique le mot hébreux mashal  qui sert à désigner toutes les manières de parler, et dont la racine signifie  dominer. Il peut signifier aussi "semblable "ou "moitié", ou "être comme..." et renvoie alors à la similitude, à la comparaison.
     Il convient de préciser ici que le peuple d'Israël recueille les comparaisons dans sa vie quotidienne, faite de champs, de labours et de semailles, d'oliveraies, de vignes et de vendanges, de voyages... et au milieu de ces réalités, comme un rêve immense et comme une réalité qui le fonde, le roi. Israël parlera volontiers en mashal, en paraboles, à partir de ces réalités quotidiennes. Ce sont elles qui lui donnent les points de comparaison pour penser - comme on s'élance d'un tremplin - la présence de Dieu dans son histoire. La pensée hébraïque est concrète. La théologie forgée au fil des pages de la Bible est également concrète. Elle n'est pas spéculative autant que la pensée grecque nous a appris à l'être, elle est plus spontanément narrative. Elle raconte une histoire et l'on comprend Dieu, on comprend que cette histoire est habitée par la présence de Dieu[2]. En effet, on relève une similitude conceptuelle entre la parabole du temps de Jésus et celle de la tradition africaine[3].
     Dans le Nouveau Testament, parabôlè a aussi des significations différentes[4]. Il a celle de proverbe (Luc 4.23), où Jésus dit : « sans doute vous allez m’appliquer cette parabole : « Médecin, guéris-toi, toi-même », « un aveugle peut-il conduire un aveugle ? Il indique une comparaison (Matthieu 15.14). Ces indications montrent assez bien que le mot parabôlè n’a pas un sens bien déterminé ; cependant, comme dans le Nouveau Testament, il sert le plus souvent à désigner des discours de Jésus d’une forme particulière, nous pouvons arriver à une définition précise. Ici, ce ne sont ni les allégories, ni les proverbes, ni les fables, ni les simples comparaisons ; mais, seulement les discours de Jésus-Christ qui reçoivent si souvent le nom de paraboles dans les Evangiles. Afin de définir donc ce mot parabôlè et de ne pas rester vague, il me semble que de la comparaison des discours paraboliques de Jésus-Christ, on peut tirer la définition suivante : 

La parabole est une métaphore ou une comparaison tirée de la nature ou de la vie courante, qui frappe l’auditeur par son caractère vivant ou étrange, et  dont l’application exacte sème dans l’esprit un doute suffisant pour inciter à une pensée personnelle[5].
 
     Ainsi, pour nous montrer la bonté de Dieu et sa miséricorde pour les pécheurs, Jésus met cette vérité en action dans un petit récit qu’il invente pour notre instruction.  

La parabole, mode d’enseignement de Jésus

     Les paraboles étaient une caractéristique de la prédication populaire de Jésus. Elles étaient utilisées pour permettre à Jésus de n’adresser son message qu’aux hommes de bonne volonté présents dans son auditoire. Seules les personnes de bonne volonté allaient en effet faire l’effort de compréhension nécessaire pour saisir le sens de ses énigmes[6]. A la fin de celles-ci, Jésus disait souvent : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » Car pour comprendre une parabole, il faut réfléchir et être prêt à changer l’idée que l’on se fait de Dieu. Mais la question qui s’impose est celle-ci : Pourquoi Jésus aimait-il tant enseigner en paraboles ?
     Nous retiendrons, entre autres,  deux raisons : premièrement,  les paraboles de Jésus proviennent d’une tradition orale[7]. Au temps de Jésus, en Palestine, on aimait parler en langage imagé. C’est un langage vivant qui servait à donner un enseignement. Par exemple les rabbins utilisaient ce type de langage pour enseigner. Jésus lui aussi va utiliser ce langage pour donner son message. Les paraboles sont une clé pour accéder plus facilement à son enseignement sur le royaume. A travers ce langage imagé, Jésus  va véhiculer un certain nombre de messages sur des thématiques précises liées au mystère du royaume et ses exigences. Comme déjà souligné, ces paraboles n’ont pas de sens transparent puisque par définition, elles utilisent un langage codé. Deuxièmement,  Les paraboles sont destinées à faire naître la foi chez l’auditeur : s’y ajoutent toutes les formes d’éducation et d’éclaircissement sur la vie chrétienne[8]. Le danger inhérent à cette culture, c’est l’oubli de ce qu’on a entendu. Le langage vivant, imagé plutôt que des pensées abstraites, devient un véhicule normal de communication parce que cette sorte de langage a du pouvoir sur l’auditoire.
     Les évangiles rapportent que Jésus avait l’habitude de parler aux foules en paraboles et en énigmes : « Jésus leur parla de beaucoup de choses en paraboles » (Mt 13.3). A ses disciples en revanche, Jésus expliquait le sens de ses paraboles et ses énigmes (qui ne les comprenaient pas toujours pour autant) : Les paraboles se présentent ainsi sous formes d’énigmes : il appartient à l’auditoire de retrouver à travers le sens littéral de la parabole son sens moral. Il s’agit d’une technique rhétorique utilisée pour susciter l’attention de son auditoire et pour préserver un enseignement public des oreilles indiscrètes. 

Les paraboles de Jésus en écho avec les  paraboles africaines

            Les deux genres de paraboles occupent une place de prédilection dans la tradition orale en Palestine et en Afrique. C’est dire qu’elles correspondent, chacune à leur place, à des modes d’expression spécifiques obéissant à des conditions de production, de transmission et de conservation étroitement dépendantes d’un certain type de société.
            Ainsi, si les paraboles africaines, ce sont des récits à vocation exemplaire ou morale faisant parfois intervenir des animaux à la place des hommes, pouvant de temps à autre prendre des aspects satiriques,  les paraboles de Jésus se servent aussi d’un langage vivant pour s’adresser concrètement à ses auditeurs. Ainsi, elles comportent toujours quelque chose d'insolite qui éveille l'attention : voyez ce champ peu ordinaire, cette famille étrange, ce singulier intendant. Le narrateur, sans aucun doute, utilise des métaphores, mais à condition qu'elles ne soient pas inintelligibles pour l'auditeur : elles devront être usuelles et faire partie de la culture ordinaire.
     Concernant les deux types de paraboles, il faut que l'épisode raconté, aussi étrange et inattendu qu'il puisse paraître, rejoigne suffisamment la réalité courante, demeure donc acceptable et possible, de telle sorte que l'auditeur ne se sente pas contraint de passer à une application de type allégorique. Etant donné que les paraboles sont de courts récits narratifs, leur interprétation est brève et intense. Elles ne sont pas suivies de commentaires, de même que le sens du poème est dans le poème, ainsi le sens de la parabole est dans la parabole. La brièveté de la parabole et son langage imagé ont pour but de fixer leur dénouement dans la mémoire et l’imagination des auditeurs.
            Comme dans l’oralité africaine, « les paraboles de Jésus sont des événements de parole, qui rendent totalement présent ce qu’elles portent au langage, mais qui le rendent présent en tant que parabole[9] ». Ici la parabole est avant tout une manière de parler qui cherche à produire des effets sur son auditoire.

Le langage de la parabole en tant qu’événement

            Que cela concerne les paraboles de Jésus ou celles de la culture africaine, une parabole réussie, c’est un événement en deux temps : 1) Elle crée une possibilité nouvelle dans la situation ;  2) elle oblige l’auditeur à se décider dans un sens ou dans l’autre. Dans ce cas, le conteur risque tout sur le pouvoir du langage. Plus profonde est l’opposition entre le conteur et l’auditeur, plus grande est la décision à laquelle fait face l’auditeur. Et il y a des oppositions qui vont au-delà de l’état d’esprit conscient d’un homme et descendent au plus profond de son être, impliquant tous ses actes et ses attitudes. C’est à de telles attitudes et oppositions que les paraboles de Jésus étaient communément confrontées.  C'est pourquoi conter une parabole, c'est toujours courir un risque. Car une chose est certaine : la parabole ouvre une possibilité d'action qui sera inévitablement ou saisie ou rejetée.
     En Afrique, si  les paraboles fonctionnent, elles nous font réfléchir, nous les africains, non seulement au dynamisme d’une histoire intéressante, mais à des questions de société profondément personnelles auxquelles nous avons à faire face chaque jour. Les paraboles ne sont pas des diversions imaginées de la vie réelle, mais des échantillons volontairement choisis dans la vie que nous vivons réellement. Elles nous appellent à repenser notre façon de voir, notre comportement. Elles nous obligent à revoir nos attitudes et notre conduite dans notre communauté ou dans notre société dont nous acceptons paresseusement et sans critiques les modes de pensée.
     De même, les paraboles de Jésus rendent la vie ordinaire importante. Jésus fait preuve d’une théologie de l’ordinaire. Dans ses paraboles, il y a une absence marquée du surnaturel. Pour Jésus,  la vie de tous les jours est le théâtre  dans lequel il faut jouer la pièce du salut. En faisant appel à la vie de tous les jours, les paraboles nous disent que nous serons sauvés là où nous sommes. Le salut, c’est d’abord quelque chose qui arrive dans notre cadre de vie[10]. C’est la parole du Royaume qui nous met à distance de notre désir de faire pour nous placer en situation de choix, puis de réception de quelque chose dont nous ne sommes ni l’origine ni la cause.
     C’est pourquoi, le mot que Jésus emploie souvent avec le mot « salut », c’est « aujourd’hui ». C’est dans cette optique qu’il accepte le prudent repentir de Zachée « Aujourd’hui, le salut est entrée dans cette maison » (Luc 18.19) et celui du brigand sur la croix : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23. 39-43 ). 

Conclusion

     Que ce soient dans les paraboles de Jésus ou dans les paraboles africaines, nous sommes invités à faire un choix et à prendre une décision. On nous demande de faire attention et de regarder en face des situations que nous préférions ignorer. Les paraboles nous disent que c’est au milieu de notre vie de chaque jour— dans l’ordinaire banalité des repas, du boire, du sommeil, des choix, de l’amour, du pardon, de voyages, d’hospitalité, etc — que notre bonheur et notre salut trouveront leur accomplissement. Dans les paraboles, nous apprenons que c’est au-dedans de l’histoire de notre quotidien que se trouve l’histoire la plus profonde de notre vie, de notre salut.
     Au final, nous sommes invités à mieux comprendre le texte des paraboles, car c'est à nous aussi que Jésus pourrait adresser le reproche mérité par ses auditeurs, qui lui demandaient le sens de la parabole du semeur : « Vous ne comprenez pas cette parabole ? Alors comment comprendrez-vous toutes les paraboles?» (Me 4,13).

Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue, Chercheur


[1] A propos des paraboles de Jésus, lire Joachim JEREMIAS, Les paraboles de Jésus, Le Puy, Éditions Xavier Mappus, 1962.
[2] Il est important de savoir que les paraboles de Jésus sont d'abord :
- une invitation à deviner quelques traits du visage de Dieu pour nous,
- une invitation à reconnaître quelques traits du visage de Jésus-Christ
- une invitation à découvrir que le Royaume passe par des chemins auxquels nous n'aurions pas pensé.
[3]  Par exemple, dans les deux procédés, le langage parabolique invite à un engagement, à prendre position.
[4] On compte dans les évangiles plusieurs paraboles, certaines dites majeures mais d'autres dites mineures. Combien y-a-t-il de paraboles dans les évangiles et quelles sont leur degré d'importance selon les catégories ? A lire sur ce lien ci-dessous (consulté le 24/08/2016)  :  http://www.interbible.org/interBible/decouverte/comprendre/2006/clb_061215.htm     
[5] Charles DODD, Les paraboles du royaume de Dieu, Paris, Éditions du Seuil, 1977.
[6] Comme le souligne avec raison  Élian CUVILLIER, « Parabolè dans la tradition synoptique », ETR 66/1 (1991), p. 25-44., p. 40 « […] le disciple est bien celui qui a reçu le privilège de l’intelligence ; mais ce privilège est cependant contrebalancé par une invitation très exigeante à une vigilance et une fidélité actives dont Mt fait le sujet d’un certain nombre de paraboles. »
[7] Lire Ivor Harold JONES, The Matthean Parables, a Literary and historical Commentary, Leiden, Brill, 1995.
[8] Lire Jacques DUPONT, « Le point de vue de Matthieu dans le chapitre des paraboles », in M. DIDIER (éd.),

L’évangile selon Matthieu : Rédaction et théologie, Gembloux, Duculot, BEThL (29), 1972, p. 221-259., p. 234.
[9] Eberhard JÜNGEL, Paulus und Jesus. Eine Untersuchung zur Präzisierung der Frage nach dem Ursprung der
Christologie, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1967, p.138.
[10] C’est pourquoi, « L’aveuglement des gens n’est donc pas le but poursuivi par Jésus dans l’emploi du discours parabolique : il en est la cause. Jésus s’exprime en paraboles parce que la foule est incapable de voir et de comprendre » Voir : Jack Dean KINGSBURY, The Parables of Jesus inMatthew 13 : A Study in Redaction-Criticism, Londres, SPCK, 1969, p. 49-51..

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