La naissance d’un enfant est le
prolongement existentiel de ses parents, notamment celui du père et de la mère. C'est dans ce sens que, Hannah Arendt souligne avec raison que : « l’homme se
caractérise par l’enfantement ; il ne se contente pas de se reproduire, il
engendre du nouveau ». En d'autres termes, l'homme survit dans la continuité par le biais de sa propre progéniture, de sa descendance. Car, il laisse inéluctablement un patrimoine génétique à celle-ci.C'est dire qu'un homme se trouve représenté dans ses enfants. La vie d'un homme se perpétue dans ses descendants.
C'est pourquoi, d'ailleurs, dans les sociétés africaines, c’est la
présence effective des géniteurs qui détermine l’identité de l’enfant pour assurer cette continuité. De même, connaître sa filiation complète en connaissant son père et l'histoire de sa famille permet à l'enfant de se sentir relié à l'humanité. Et par dessus tout, un enfant a besoin de l'amour de son père qui, combiné à celui de de la mère le rassure, le réconforte et lui offre stabilité et joie de vivre plus intense. Un enfant n’ayant pas son père, est regardé autrement et fait l’objet de
plusieurs interrogations. Il apparaît comme un enfant inachevé. Dans certaines familles, la naissance d’un enfant est parfois acceptée avec doute à cause de la dissemblance physique, de la différence de
couleur de la peau, des circonstances
prénatales illégitimes, etc. Et, au fond, tout géniteur se trouvant face à ce
dilemme d’une manière ou d’une autre peine à accepter l’enfant. Pas d’adoption, pas d’engagement, pas d’amour,
pas de reconnaissance. C’est
dans cette optique que nombreux sont ceux qui se plaignent de la situation de
Joseph. Comment peut-il être père sans être père biologique ? En effet, la
naissance de l’Enfant Jésus a suscité tant d’interrogations : Qui est
véritablement son père ? Que peut-on dire de Joseph ? Où se situe la
paternité de Joseph par rapport à la naissance de Jésus ? Peut-on dire que
sans Joseph, rien n'aurait été possible ? Tant de questions qui taraudent l’esprit
des communs des mortels et méritent des réponses. Car, ceci pourrait expliquer
certaines des attitudes que les Évangiles prêtent à Jésus qui se
serait vu, à tort ou à raison, comme un bâtard né de père inconnu. Notons que c'est dans les Evangiles de
Matthieu (Mt) et de Luc (Lc) qu'il faut trouver la première apparition de
Joseph.
C’est
dire que pour parler de la naissance de l’enfant Jésus, nous avons besoin de
Joseph, même si dans les deux Évangiles
(Matthieu et Luc) où il est mentionné, il demeure silencieux[1]. Les
deux Évangiles ne montrent guère non plus les relations entre Jésus et Joseph. Mais,
l’ombre protectrice de Joseph est la condition de l’engendrement de Jésus.
C’est sous cette « ombre » que l’Enfant va être né et grandir comme
tout autre enfant juif. Du coup, nous remarquons que la paternité de Joseph
n’est pas celle que l’on attend. Elle est toute autre chose, au-delà de toute
notion biologique. Mais il y a également un autre fait à souligner. Que
Jésus soit l'enfant de Marie ne fait pas de doute, mais on ne sait rien des
ancêtres de Marie. Si le Messie doit être fils de David, selon l'ancienne
promesse de Nathan (2 S 7), ce ne peut être par elle, mais par Joseph. Or, les
deux généalogies s'accordent pour voir en Joseph un descendant de David. Joseph
est l'époux de Marie; par trois fois, le texte le souligne : « accordée en mariage à Joseph »,
« Joseph ton époux »,
« Marie ton épouse ». Mais
« avant qu'ils aient habité
ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint ».
Matthieu veut ainsi faire reconnaître en Jésus non seulement le fils de David,
l'héritier de la promesse, mais aussi le fils de Dieu. Comment ? Il ne lie pas
Jésus à Joseph. Au contraire, il parle toujours de Joseph d'une part, et de « l'enfant et sa mère »
d'autre part. Il affirme surtout par deux fois l'action de l'Esprit de
Dieu : « Elle se trouva
enceinte par le fait de l'Esprit Saint » (Mt 1,18). « Ce qui a été engendré en elle vient de
l'Esprit Saint ». L'enfant est donc issu de la puissance créatrice et
novatrice de Dieu (v.20).
Toutefois,
étonnant est ce mystère que nous sommes également invités à contempler :
c’est en Joseph que Dieu va déposer toute son autorité paternelle (Mt 1.20). Joseph est celui qui sera en charge de donner le nom à l'enfant :"tu lui donneras le nom de Jésus" (Mt 1.21). C’est
dire que c’est en Joseph que nous découvrons l’autre figure paternelle, qui
n’est pas, cette fois-ci, celle des hommes mais celle de Dieu. En effet, bien
qu’étant dans l’ombre, Joseph porte la responsabilité paternelle de Dieu pour
accomplir une mission déterminante dans l’événement de la nativité. Cette
délicate mission s’articulera, entre autres, sur deux registres : la protection et l’éducation de l’enfant.
Nous
trouvons ici chez Matthieu les trois volets par lesquels Joseph aura une
paternité affirmée. Le premier est l’annonce de la naissance de Jésus (Mt
1,18-24). Ensuite, l’intervention de l’ange du Seigneur auprès de Joseph pour
le prévenir des intentions homicides d'Hérode (Mt 2,13-15). Ces deux premiers
volets relatent le choix de renoncement opté par Joseph, qui fait de lui un
père protecteur. Enfin, le dernier volet est allusif au type d’éducation que Joseph
va inculquer à l’Enfant Jésus comme tout autre père juif (Matthieu 13,
55-56).
1.
Joseph, le père protecteur
Dès le début, la vie de Joseph n’est que
renoncement pour que l’Enfant puisse être protégé, grandir et prendre sa
dimension d’homme. Il va ainsi se soustraire de ses vains désirs. En Mt 1,19
« Joseph, ... qui était un
homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement
avec elle ». Tel fut le premier renoncement de Joseph afin de protéger la
nature de l’enfant « car, l’enfant…
conçu vient du Saint-Esprit » (v.20), cette rupture est corroborée ensuite par le v.25, Joseph « …ne la connut point jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il
donna le nom de Jésus ». Ainsi, le dévoilement progressif de la
personne et du rôle de Joseph est en corrélation étroite avec le renoncement
afin de ne pas dénaturer la conception de l’Enfant. L’un ne va pas sans l’autre. Plus il renonce à "connaître" sa fiancée, plus il prend conscience de préserver l'Enfant dans l'accomplissement de la prophétie. C’est ainsi qu’il va
aussi renoncer à ses activités du charpentier, lorsque l’Ange interviendra pour
lui annoncer les intentions meurtrières d’Hérode : « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère et fuis
en Egypte et restes-y jusqu’à ce que je te dise. En effet, Hérode est sur
le point de chercher l’enfant pour le faire périr » (Mt 2.13). Joseph est,
une nouvelle fois, le seul acteur : il prend en charge Marie et Jésus
comme un père protecteur, et obéit à l’ordre de l’ange du Seigneur. Ainsi, pour
mieux assurer la protection de l’Enfant, « Joseph se leva, prit de nuit le petit enfant et sa mère, et se retira
en Egypte » (Mt 2.14).
Le renoncement de Joseph ici, en tant que père, est quelque chose de clair, de décisif, de déterminé et de
définitif. Son renoncement n'est pas un positionnement vacillant mais c'est un
choix qu’il a pris pour, enfin, s'occuper de l’enfant.
Et, c'est ici que nous apprenons que l'amour d'un père pour son enfant est voué dès le départ au renoncement, cela veut dire que les parents doivent grandir avec leurs enfants, en même temps qu'eux.
Et, c'est ici que nous apprenons que l'amour d'un père pour son enfant est voué dès le départ au renoncement, cela veut dire que les parents doivent grandir avec leurs enfants, en même temps qu'eux.
2.
Joseph,
le père éducateur
Avant
que Jésus ne soit baptisé, on ne sait pas trop ce qu’il faisait[2] mais
logiquement, il avait la même activité que son père adoptif, Joseph. Celui-ci
était charpentier, et d’ailleurs à Nazareth, sa ville d’origine, personne ne
veut voir en Jésus quelqu’un d’autre que le « fils du charpentier » (Mt 13,55) ou le « charpentier » lui-même (Mc 6,3). D’ailleurs,
cela le rend incapable d’y opérer des
miracles (Mt 13,58).
A
part les récits de sa naissance, et un épisode au Temple de Jérusalem[3], rien
n’est dit dans la Bible sur sa vie d’avant 30 ans, comme si son histoire
commençait à son baptême, qui lui permet d’assumer explicitement que Dieu soit
son Père qui l’aime. Pourtant, comme la plupart des pères juifs, Joseph
« le charpentier », humble artisan ouvrier du bois, travaillant laborieusement pour sa famille aurait appris
ce métier à son fils. Car, dans le judaïsme, apprendre du travail à un fils a une portée éducative. Une maxime
juive la confirme : « Celui qui
se relâche dans son travail est frère de celui qui détruit[4] ». L’apprentissage du
travail du charpentier à Jésus apparaît ainsi comme un aspect éducatif d’un
« père » à son « enfant » rappelant ainsi une autre maxime
juive « quiconque n’enseigne pas à
son fils un métier l’enseigne à devenir voleur »[5]. Faut-il aussi rappeler que la plupart des
grands personnages de la Bible et de la littérature juive étaient des
travailleurs souvent manuels : Moïse, David, Elisée, Amos, etc.
Mais comme dans toutes
les familles juives où les enfants
apprenaient[6],
en outre, la lecture, l'écriture, et surtout la musique et la danse, pour
lesquelles les Hébreux avaient le goût le plus vif[7], l’on
présume que Jésus a suivi la même éducation sous l’emprise paternelle de Joseph.
De plus, soulignons-le, la culture intellectuelle ou le développement physique
ne sont que des accessoires dans l'éducation des Hébreux ; ce qui en forme la
base, le principe, c'est l'enseignement moral et religieux. Car, chez les Hébreux,
l’éducation consiste à former l’homme
parfait, c’est-à-dire, l’homme pieux, vertueux, capable d’atteindre l’idéal du peuple hébreu,
tracé par Dieu lui-même, en ces termes : « Soyez saints comme moi, l’Eternel, je suis saint[8] ».
Mais surtout, on inspirait aux enfants l'amour du travail, la honte de la paresse,
la répugnance pour les plaisirs malsains, la bonté envers les pauvres et les
malheureux, et surtout la crainte de Dieu, commencement de toute sagesse.
Le père et la mère cherchaient à leur inculquer ces sentiments,
soit par des instructions directes, comme celles qu'adresse à son fils la mère
de Lemouël[9], soit
par des sentences empruntées aux Sages, soit sous forme de masals, c'està- dire de paraboles ou d'énigmes. La
bienveillance, la douceur présidaient à ces leçons, qui étaient données dès la
plus tendre enfance. Car, selon le précepte de la Bible, il faut diriger
l'enfant, dès les premiers pas, dans la voie où il doit marcher devenu homme[10].
Instruction et Travail, voilà donc, en résumé,
tout le système d'éducation des pères de famille juive selon le Talmud. C'est qu'ils savaient, les parents clairvoyants, que la culture
intellectuelle jointe à l'amour du travail sera la force avec laquelle le peuple
juif vaincra toutes les difficultés et brisera tous les obstacles. C’était une
responsabilité lourde, mais combien délicate pour Joseph.
« Tel père, tel fils », disons-nous souvent en
constatant l’influence de l’éducation paternelle sur les actions de l’enfant.
De son père Joseph, Jésus a reçu une éducation humaine,
spirituelle et professionnelle.
Conclusion
De tout ce qui précède, nous concluons que
la mission paternelle confiée à Joseph n’était pas aisée. Comme père dans l’ombre, il appartient à ce personnage anonyme qui ne cherche pas à « paraître » mais à
« être »pleinement ce qu’il est et appelé à être, là où il est, au quotidien. Dans l'ombre, il a modestement contribué à la croissance physique et spirituelle de l'Enfant Jésus tout en restant silencieux.
Par ailleurs, pour Joseph, la paternité est bien plus que biologique, c'est le lien affectif qui unit un père à son/ses enfants, donc une relation exemptée de sexualité. Rabaisser ce lien en y intégrant du sexe, c'est dénaturer le vrai sens de toute paternité. Le père est celui qui non seulement s'occupe de la famille, mais éduque également son enfant en lui enseignant les valeurs spirituelles et culturelles, permettant à ce dernier de construire sa propre identité. Par dessus tout, un enfant a besoin de la protection de son père.
Par ailleurs, pour Joseph, la paternité est bien plus que biologique, c'est le lien affectif qui unit un père à son/ses enfants, donc une relation exemptée de sexualité. Rabaisser ce lien en y intégrant du sexe, c'est dénaturer le vrai sens de toute paternité. Le père est celui qui non seulement s'occupe de la famille, mais éduque également son enfant en lui enseignant les valeurs spirituelles et culturelles, permettant à ce dernier de construire sa propre identité. Par dessus tout, un enfant a besoin de la protection de son père.
Concluons que de
son nom Joseph qui signifie « Dieu accroîtra ma descendance », il a pu créer l'espérance en son Fils Jésus. Joseph incarne aussi la
confiance en Dieu. C'est une figure tournée vers la fécondité spirituelle. Modèle de
l'adoption, il dépasse le patriarcat de son époque qui était très soucieux des
liens du sang. Il est le modèle de l'adoption réussie, et c'est très fort, pas
seulement pour des relations entre parents et enfants, mais pour toutes les
relations humaines : il est un modèle pour un père qui doit protéger ses
enfants quelles que soient les circonstances, pour tout éducateur qui a la
responsabilité de faire croître ce qui est encore inachevé.
Prof.
Jimi Zacka
Exégète
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jimi_Zacka
P.S. : La rédaction Thephila.com prévient les lecteurs contre toute
utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de
l’article comme cela a pu être arrivé en plagiant.
[1]
Mentionné par Luc et Matthieu, et seulement au
début de leurs Évangiles, Joseph est le grand silencieux des Écritures.
[2] Le grand silence de
l'Ecriture en ce qui concerne la vie de Jésus, c'est son enfance et son
adolescence : de l'âge de 12 ans à l'âge d'environ 30 ans ; si ce n'est
cette expression très importante de Luc 2: 52 « Et Jésus croissait en sagesse en stature
et en grâce ».
[3] Lc 8, 42
[4] Cf.
Ps 18,9.
[5] A. Cohen, Le Talmud, trad. J. Marty, Paris : Payot,
1958, p. 249.
[6] A propos de l’éducation des enfants
juifs, lire J. Simon, L’éducation et l’instruction des enfants
chez les anciens Juifs, Paris : Sandoz et Fischbach, 1979.
[7] 1 S 16,8; Jg 21,20; Lam 5.14.
[8] Lév 19, 2.
[9] Pr 31
[10] Pr 22,6