"C’est Dieu qu’on peut vénérer et non un être humain"
", a déclaré un jour un opposant politique africain. Une telle
déclaration semble jeter le pavé dans la mare et dénie la déification d'un homme
politique ou religieux. Par conséquent, d’aucuns considèrent que
c’est le cancer de la
gouvernance en Afrique.
Le séculaire culte de la personnalité qui a historiquement marqué les relations entre les dirigeants africains et leur peuple n'a donné place à de l’indifférence quand ce n’est pas tout simplement pour éviter la défiance.
Mais,
la question qui taraude toujours l’esprit du citoyen avisé est de savoir si on pourrait mettre fin définitivement au culte de la personnalité en Afrique. L'Afrique peut-elle rompre avec la glorification de
ses dirigeants ? Serait-elle en mesure de rompre avec un zèle laudateur qui n’a
d’égal que la mégalomanie des courtisés ?
Il
convient de rappeler que la plupart des régimes politiques en Afrique, ont en commun de cultiver le culte de la personnalité de leur chef de
l’État. Par conséquent, le culte de
personnalité s’est ancré dans les mentalités des africains.
Il convient de rappeler ici que l’image
du chef en Afrique était jusque-là associée à un certain prestige, une
certaine noblesse. Cette image était chargée de la grâce elle-même. La vision attribuée à celle-ci était
due à notre histoire, de celle de nos royautés et de l’ascendant que les
souverains, autocrates ou nobles, pouvaient avoir sur leurs peuples. Cette
conception du chef procédait également de la soumission presque naturelle que les
sujets pouvaient avoir vis-à-vis de leurs souverains. Ceux en tout cas avec qui
ils partageaient tribu, ethnie, origine. Elle procède également de
nos traditions. Les chefs, rois et autres souverains étaient en effet les
interlocuteurs privilégiés des dieux ; ils jouaient le rôle de médiation entre
le peuple et leurs protecteurs divins. La “mission civilisatrice” du colonisateur (qui a consisté plus à nous humilier et nous exploiter qu’à nous
émanciper) n’a pas changé grand-chose à cette pratique dans un premier temps.
L’allégeance du sujet à son chef de clan, de village, de royaume s’est peu à
peu déportée dans la sphère politique. Il y avait désormais une raison de se
soumettre, parfois faisant contre mauvaise fortune bon cœur, à un maître avec
lequel les liens de sang étaient loin d’être évidents : il règnait sur tous
dans un Etat unitaire. Fi de la force de coercition dont il pouvait disposer au sein de la société et qui pouvait lui permettre de s’assurer la soumission du peuple.
Ce qui ici importait, c’était l’allégeance volontaire et non la
subordination imposée. De fait, l’image du dirigeant africain a
longtemps fait l’objet d’un consensus, implicite du culte de la personnalité.
C'est dans cette optique que Lanciné Sylla a rappelé avec raison que
" la tendance du présidentialisme et la concentration du pouvoir
s'étaient déjà amorcées bien avant les indépendances dans certains pays,
par la formation de partis de masse autour de personnalités politiques dont le
charisme était un élément important d'instauration du parti unique. Le prestige
de ces personnalités était tel qu'il forçait l'obéissance et l'attachement
aussi bien des chefs de différentes factions et partis tribaux que des masses
populaires. En la personne de ces chefs charismatiques rassemblant l'unanimité
populaire, se trouvaient déjà les germes de la concentration du pouvoir et du
système de parti unique à travers les partis de constitués sous leur
impulsion" (Tribalisme et Part unique en Afrique Noire, FNSP, 1977,
p.236).
Monarchie, dictature et culte de personnalité
Qui se souvient du règne de l’Empereur Bokassa ? En cette période, le
culte de la personnalité était porté à son paroxysme ; il faisait partie
du décor, disposait de son propre folklore. Il avait ses chevilles ouvrières,
des zélateurs en quête de faveurs. Toutes les occasions étaient bonnes pour
flatter le monarque et solliciter sa générosité. Tous usaient des mêmes ruses,
et tant pis si elles n’abusaient plus personne. Ainsi, nous avons vécu dans une
république abâtardie où la notion d’intérêt général s’effaçait tous les jours
derrière une sorte de culte médiatisé de la personnalité qui n’était d’ailleurs
pas nouveau mais prenait des proportions alarmantes.
Depuis
la fin de 1979, à l’instar de l’empereur Bokassa, cette époque fut
éprouvante pour la plupart des Chefs d’Etat africains. Habitués à voir danser
et chanter les populations (instrumentalisées ou non) à chacune de leurs
sorties, ils se sont surpris à devoir subir désormais les huées, les jets de
projectiles, les désaveux publics. La faute à une gouvernance autocratique, une
corruption généralisée, un échec cuisant au plan socio-économique. De toute
façon, c’est le mythe de la toute-puissance des derniers dirigeants les plus
puissants de l’Afrique qui était en train de s’écrouler. Les peuples n’avaient
plus peur de dire, d’affronter, de mourir. Le chef n’est plus un dieu. Et si
les chefs les plus puissants pouvaient se voir ébranlés, nul autre ne mérite
plus d’être porté sur un piédestal. Aujourd’hui, le processus semble
différent : la personnalisation du pouvoir existe en même temps que la
démocratie. Mais leur coexistence n’est pas pour autant définitive.
Personnalisation du pouvoir
«
Le culte de la
personnalité, dit un sociologue, c’est comme l’amour:
ça va de la pudeur à la pornographie». En passant, sans doute, par l’onanisme. ».
En fait, il le dit avec raison. Après la fin des dérives monarchiques dans certains pays africains, alors que l’on croyait à en finir avec le culte de la personnalité, la
personnalisation à outrance du pouvoir a trouvé sa place au sein des Eglises; on peut même avancer que le leadership ecclésial a préparé
l’avènement de la personnalisation du pouvoir.
Il
y a aussi le protocole et la mise en scène de la grandeur du personnage: Chansons à sa gloire à la télévision,
discours laudateurs déclamés en public à chaque occasion officielle, portraits
accrochés dans tous les bureaux administratifs, festivités grandioses à chaque
fête nationale, mais aussi à son anniversaire. Dans cette perspective, la
personnalisation du pouvoir s’accommode directement des structures
institutionnalisées.
In fine, l’homme qui détient le pouvoir se place
dans des cadres constitutionnels. Sa personnalité émerge sans doute des
institutions, mais n’en fait cependant pas abstraction. Le pouvoir les ignore
et se personnalise. En effet, il se mue en dictateur institutionnellement
légitimé.
C'est
ainsi que les gouvernants
réussissent à faire asseoir la personnalisation du pouvoir grâce soit à leur parti
politique, soit à leurs fidèles, soit aux zélateurs en quête des faveurs.
D’ailleurs, parfois, c'est dans le genre de louanges graphiques que certains gouvernants se mettent à l’aise. Mais, l’un des
rares dirigeants africains qu’on ne pouvait taxer d’arrogance est Nelson
Mandela. L’ancien président sud-africain circonscrivait autant que possible la
frénésie marchande qui le faisait figurer sur des casquettes, des fanions, des
bracelets de luxe et autres tabliers de cuisine.
Facteurs de la personnalisation du pouvoir
La
personnalisation du Pouvoir est un paradoxe des sociétés politiques
contemporaines. Au moment même où l’exercice de l’autorité devient plus
complexe, qu’elle s’étend par force à tous les domaines, on confie à un homme
seul la tâche redoutable de diriger l’État. Du coup, il faut tenir compte d’une
constante, la tendance naturelle des gouvernés à réclamer que l’autorité
s’incarne en un homme. Cette tentation toujours présente s’est trouvée
actualisée par une nouvelle crise de la démocratie. C’est pourquoi, la
personnalisation du pouvoir a marqué l’avènement des nouveaux régimes
démocratiques. Les hommes ont toujours éprouvé le besoin de voir l’autorité s’incarner
en une personnalité. A l'inverse, le manque de la personnalisation du pouvoir
manifeste aussi la tendance naturelle à vouloir qu’existe un responsable, un
être humain qu’on puisse louer et surtout blâmer de la réussite ou des échecs
des gouvernements de l’État.
La
propagande politique systématisée a transformé ce tableau de la vie politique
démocratique. Le concret humain s'est substitué à l’abstrait institutionnel. Peut-être,
l‘homme de la rue est resté loin de ses gouvernants, aujourd’hui, tous les
obstacles ont disparu. La radio et la télévision permettent au simple citoyen
d’approcher les dirigeants du pays et lui donne l’impression de mieux connaître
son Président. Il le voit agir, parler ; il est son
« Président » aimé ou détesté. Il crée autour du "Président"
un mythe politique qui ne correspond certainement pas à la réalité, mais n’en
existe pas moins. Le gouvernement d’opinion devient ainsi un contact
permanent entre chaque citoyen et l’homme d’État, où les sentiments et les
instincts prennent le pas sur les jugements raisonnés, où le culte de la
personnalité se construit ou se déconstruit. L’institution n’est pas en mesure
d’établir ce contact populaire, que la nation exige de ses dirigeants. Il faut
y voir un facteur puissant de la personnalisation du Pouvoir, que la réalité
politique comme institutionnelle ne saurait ignorer. Le Peuple fait naître ainsi
le culte de la personnalité autour de la personnalité du Chef de l'Etat, certainement
à son insu mais il en prend acte.
Le
culte de la personnalité est imprévisible, progressif et s'adapte aux
circonstances. Il est multiforme et se nourrit des paroles des partisans
illuminés, des profito-situationistes et des "griots" en quête des
faveurs. De même, comme on le dit souvent, "l'appétit ne peut venir
qu'en mangeant" c'est-à-dire, le culte de la personnalité pourrait
se construire au rythme du pouvoir auquel prend goût le leader, le Chef de
l'Etat.
Mais
l’essentiel, c’est d’être vigilant afin de ne pas tomber dans une
divinisation du pouvoir absolu ni de procéder à la déité du
gouvernant.
Jimi ZACKA, PhD
Théologien, Anthropologue, Auteur
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