jeudi 29 septembre 2022

CULTE DE PERSONNALITE ET POUVOIR EN AFRIQUE (Prof.Jimi ZACKA, PhD)

                                           

 
 "C’est Dieu qu’on peut vénérer et non un être humain"
", a déclaré un jour un opposant politique africain. Une telle déclaration semble jeter le pavé dans la mare et dénie la déification d'un homme politique ou religieux. Par conséquent, d’aucuns considèrent que c’est le cancer de la gouvernance en Afrique. 

Le séculaire culte de la personnalité qui a historiquement marqué les relations entre les dirigeants africains et leur peuple n'a donné place à de l’indifférence quand ce n’est pas tout simplement pour éviter la défiance.

 Mais, la question qui taraude toujours l’esprit du citoyen avisé est de savoir si on pourrait mettre fin définitivement au culte de la personnalité en Afrique. L'Afrique peut-elle rompre avec la glorification de ses dirigeants ? Serait-elle en mesure de rompre avec un zèle laudateur qui n’a d’égal que la mégalomanie des courtisés ?

Traditions et culte de personnalité

Il convient de rappeler que la plupart des régimes politiques en Afrique, ont en commun de cultiver le culte de la personnalité de leur chef de l’État. Par conséquent, le culte de  personnalité s’est ancré dans les mentalités des africains. 
 
Il convient de rappeler ici que l’image du chef en Afrique était jusque-là associée à un certain prestige, une certaine noblesse. Cette image était chargée de la grâce elle-même. La  vision attribuée à celle-ci était due à notre histoire, de celle de nos royautés et de l’ascendant que les souverains, autocrates ou nobles, pouvaient avoir sur leurs peuples. Cette conception du chef procédait également de la soumission presque naturelle que les sujets pouvaient avoir vis-à-vis de leurs souverains. Ceux en tout cas avec qui ils partageaient tribu, ethnie, origine. Elle procède également de nos traditions. Les chefs, rois et autres souverains étaient en effet les interlocuteurs privilégiés des dieux ; ils jouaient le rôle de médiation entre le peuple et leurs protecteurs divins. La “mission civilisatrice” du colonisateur (qui a consisté plus à nous humilier et nous exploiter qu’à nous émanciper) n’a pas changé grand-chose à cette pratique dans un premier temps. L’allégeance du sujet à son chef de clan, de village, de royaume s’est peu à peu déportée dans la sphère politique. Il y avait désormais une raison de se soumettre, parfois faisant contre mauvaise fortune bon cœur, à un maître avec lequel les liens de sang étaient loin d’être évidents : il règnait sur tous dans un Etat unitaire. Fi de la force de coercition dont il pouvait disposer au sein de la société et qui pouvait lui permettre de s’assurer la soumission du peuple. Ce qui ici importait, c’était l’allégeance volontaire et non la subordination imposée. De fait, l’image du dirigeant africain a longtemps fait l’objet d’un consensus, implicite du culte de la personnalité.
 
     C'est dans cette optique que Lanciné Sylla a rappelé avec raison  que " la tendance du présidentialisme  et la concentration du pouvoir s'étaient déjà amorcées bien avant  les indépendances dans certains pays, par la formation de partis de masse autour de personnalités politiques dont le charisme était un élément important d'instauration du parti unique. Le prestige de ces personnalités était tel qu'il forçait l'obéissance et l'attachement aussi bien des chefs de différentes factions et partis tribaux que des masses populaires. En la personne de ces chefs charismatiques rassemblant l'unanimité populaire, se trouvaient déjà les germes de la concentration du pouvoir et du système de parti unique à travers les partis de constitués sous leur impulsion" (Tribalisme et Part unique en Afrique Noire, FNSP, 1977, p.236).

Monarchie, dictature et  culte de personnalité 

Qui se souvient du règne de l’Empereur Bokassa ? En cette période, le culte de la personnalité était porté à son paroxysme ; il faisait partie du décor, disposait de son propre folklore. Il avait ses chevilles ouvrières, des zélateurs en quête de faveurs. Toutes les occasions étaient bonnes pour flatter le monarque et solliciter sa générosité. Tous usaient des mêmes ruses, et tant pis si elles n’abusaient plus personne. Ainsi, nous avons vécu dans une république abâtardie où la notion d’intérêt général s’effaçait tous les jours derrière une sorte de culte médiatisé de la personnalité qui n’était d’ailleurs pas nouveau mais prenait des proportions alarmantes. 
 
Depuis la fin de 1979, à l’instar de l’empereur Bokassa,  cette époque fut éprouvante pour la plupart des Chefs d’Etat africains. Habitués à voir danser et chanter les populations (instrumentalisées ou non) à chacune de leurs sorties, ils se sont surpris à devoir subir désormais les huées, les jets de projectiles, les désaveux publics. La faute à une gouvernance autocratique, une corruption généralisée, un échec cuisant au plan socio-économique. De toute façon, c’est le mythe de la toute-puissance des derniers dirigeants les plus puissants de l’Afrique qui était en train de s’écrouler. Les peuples n’avaient plus peur de dire, d’affronter, de mourir. Le chef n’est plus un dieu. Et si les chefs les plus puissants pouvaient se voir ébranlés, nul autre ne mérite plus d’être porté sur un piédestal. Aujourd’hui, le processus semble différent : la personnalisation du pouvoir existe en même temps que la démocratie. Mais leur coexistence n’est pas pour autant définitive.

Personnalisation du pouvoir

« Le culte de la personnalité, dit  un sociologue, c’est comme l’amour: ça va de la pudeur à la pornographie». En passant, sans doute, par l’onanisme. ». En fait, il le dit avec raison.  Après la fin des dérives monarchiques dans certains pays africains, alors que l’on croyait à en finir avec le culte de la personnalité, la personnalisation à outrance du pouvoir a trouvé sa place au sein des Eglises; on peut même avancer que le leadership ecclésial a préparé l’avènement de la personnalisation du pouvoir. 
 
Il y a aussi le protocole et la mise en scène de la grandeur du personnage: Chansons à sa gloire à la télévision, discours laudateurs déclamés en public à chaque occasion officielle, portraits accrochés dans tous les bureaux administratifs, festivités grandioses à chaque fête nationale, mais aussi à son anniversaire. Dans cette perspective, la personnalisation du pouvoir s’accommode directement des structures institutionnalisées.
 
 In fine, l’homme qui détient le pouvoir se place dans des cadres constitutionnels. Sa personnalité émerge sans doute des institutions, mais n’en fait cependant pas abstraction. Le pouvoir les ignore et se personnalise. En effet, il se mue en dictateur institutionnellement légitimé.
 
C'est ainsi que les gouvernants  réussissent à faire asseoir la personnalisation du pouvoir grâce soit à leur parti politique, soit à leurs fidèles, soit aux zélateurs en quête des faveurs. 
 
D’ailleurs, parfois, c'est dans le genre de louanges graphiques que certains gouvernants se  mettent à l’aise. Mais,  l’un des rares dirigeants africains qu’on ne pouvait taxer d’arrogance est Nelson Mandela. L’ancien président sud-africain circonscrivait autant que possible la frénésie marchande qui le faisait figurer sur des casquettes, des fanions, des bracelets de luxe et autres tabliers de cuisine.

Facteurs de la personnalisation du pouvoir

La personnalisation du Pouvoir est un paradoxe des sociétés politiques contemporaines. Au moment même où l’exercice de l’autorité devient plus complexe, qu’elle s’étend par force à tous les domaines, on confie à un homme seul la tâche redoutable de diriger l’État. Du coup, il faut tenir compte d’une constante, la tendance naturelle des gouvernés à réclamer que l’autorité s’incarne en un homme. Cette tentation toujours présente s’est trouvée actualisée par une nouvelle crise de la démocratie. C’est pourquoi, la personnalisation du pouvoir a marqué l’avènement des nouveaux régimes démocratiques. Les hommes ont toujours éprouvé le besoin de voir l’autorité s’incarner en une personnalité. A l'inverse, le manque de la personnalisation du pouvoir manifeste aussi la tendance naturelle à vouloir qu’existe un responsable, un être humain qu’on puisse louer et surtout blâmer de la réussite ou des échecs des gouvernements de l’État. 
La propagande politique systématisée a transformé ce tableau de la vie politique démocratique. Le concret humain s'est substitué à l’abstrait institutionnel.  Peut-être, l‘homme de la rue est resté loin de ses gouvernants, aujourd’hui, tous les obstacles ont disparu. La radio et la télévision permettent au simple citoyen d’approcher les dirigeants du pays et lui donne l’impression de mieux connaître son Président. Il le voit agir, parler ; il est son « Président » aimé ou détesté. Il crée autour du "Président" un mythe politique qui ne correspond certainement pas à la réalité, mais n’en existe pas moins. Le gouvernement d’opinion  devient ainsi un contact permanent entre chaque citoyen et l’homme d’État, où les sentiments et les instincts prennent le pas sur les jugements raisonnés, où le culte de la personnalité se construit ou se déconstruit. L’institution n’est pas en mesure d’établir ce contact populaire, que la nation exige de ses dirigeants. Il faut y voir un facteur puissant de la personnalisation du Pouvoir, que la réalité politique comme institutionnelle ne saurait ignorer. Le Peuple fait naître ainsi le culte de la personnalité autour de la personnalité du Chef de l'Etat, certainement à son insu mais il en prend acte.
Le culte de la personnalité est imprévisible, progressif et s'adapte aux circonstances. Il est multiforme et se nourrit des paroles des partisans illuminés, des profito-situationistes et des "griots" en quête des faveurs. De même, comme on le dit souvent, "l'appétit ne peut venir qu'en mangeant" c'est-à-dire, le culte de la personnalité pourrait se construire au rythme du pouvoir auquel prend goût le leader, le Chef de l'Etat. 
Mais l’essentiel, c’est d’être vigilant afin de ne pas tomber dans une divinisation du pouvoir absolu ni de procéder à la déité  du gouvernant. 


  Jimi ZACKA, PhD
Théologien, Anthropologue, Auteur

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