mercredi 2 novembre 2022

LE CHRISTIANISME EN CENTRAFRIQUE : REGARD SUR LES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES [1] Contextes, impact social et Défis.Jimi ZACKA, PhD[2]

(Hommage au Pasteur Paul Changé)


L’implantation du christianisme évangélique

 

Les missions catholiques s’implantèrent très tôt en Centrafrique, avec la fondation en 1893 de la mission de Saint Paul des Rapides (Spiritains) par Prosper Augouard, nommé vicaire apostolique de l’Oubangui en 1890. À partir de cette mission, les catholiques prirent contact avec plusieurs populations en remontant l’Oubangui et ses affluents et projetant la fondation de missions à l’intérieur du pays. Cependant l’hostilité des populations ne leur permit de fonder une deuxième mission, la mission Saint Joseph de Bambari, qu’en 1920.

C’est à cette époque seulement que commencèrent à arriver les missions protestantes : la Baptist Mid-Mission en 1915 suivie de la Brethren Mission, de la Mission Évangélique de l’Oubangui Chari (MEOC) devenue la Mission évangélique des Frères en 1921. La Swedish Baptist Mission arriva dans le Sud-Ouest du pays en 1923 suivie de la Swiss Pentecostal Missionary Society[3].

La pénétration des églises protestantes dans l’intérieur du pays s’effectua tardivement, entre 1930 et 1950. Pour les besoins de l’évangélisation, les missionnaires catholiques et protestants réalisèrent d’importantes recherches linguistiques comme le dictionnaire français-banda du père Tisserand (1931).

Quant aux missionnaires protestants américains de la Mid-mission et de la MEOC, ils privilégièrent le sango[4] et contribuèrent ainsi à sa diffusion dans l’ensemble du pays par la vulgarisation de la Bible en Sango. À partir de l’Indépendance vers 1960, les églises évangéliques autonomes centrafricaines se multiplièrent par un processus de scissions et de dissidences d’avec les églises européennes ou américaines, contribuant ainsi à un développement rapide des adhésions et des conversions. Ainsi furent fondée les églises indépendantes[5]. L’une des premières églises fut celle fondée par le pasteur Boy-Mandja. C’est pourquoi cette église s’appelle « Eglise Boy-mandjia », d’autres dissidences viendront plus tard[6]. Ces églises apparaissaient comme le symbole d’une résistance au pouvoir des premiers missionnaires et l’expression d’une foi originale.

Toutefois, le Christianisme centrafricain a, pendant sa trajectoire historique connu de hauts et de bas et souvent victime collatérale des soubresauts politique. C’est pourquoi, l’intelligence de la situation sociopolitique actuelle de Centrafrique montre comment, en oscillant à des degrés variables entre prophétisme, compromis et silence, l’action de l’Église à l’heure des crises politiques requiert sa prise de conscience dans le concret de la décision politique. Tout en reconnaissant qu’elle n’exerce aucun pouvoir politique, l’Église centrafricaine est invitée à améliorer son expertise en matière temporelle de manière à peser sur la politique. Tel est le but de cette réflexion.

États des lieux du christianisme Centrafricain

2     2 .1. Un Christianisme morcelé[7]

Le recensement de 2003 fait apparaître, pour une population totale de 3 151 072 habitants, des résultats instructifs : 85% de la population est composée de chrétiens de diverses appartenances, 10,1% de musulmans et 4,9% d’animistes et autres religions, parmi lesquelles les religions syncrétiques locales (kimbangiste, Nzapa Ti Zandé, Christianisme prophétique en Afrique…), les Bahaï.

La présentation de ces chiffres réduit les pratiques religieuses traditionnelles et la spiritualité qu’elles expriment depuis des siècles sur des modes variés selon les régions et les cultures. Au-delà de leur diversité, elles manifestent généralement la croyance à des esprits multiples, à des forces qui animent le monde et dans lesquelles les âmes des ancêtres viennent se fondre. Elles agissent sur le quotidien des gens et il convient de les écouter, de pactiser avec elles et de se prémunir contre leurs éventuelles mauvaises intentions à l’égard des vivants. Les religions monothéistes (religions du Livre) que sont l’Islam et le christianisme sont comparativement relativement récentes et ces éléments religieux antérieurs n'ont pu être effacés facilement, quels que soient les efforts des nouvelles religions pour ôter ce qui n’est pas compatible avec leurs dogmes. C'est pourquoi des mélanges, des syncrétismes, des cohabitations inattendues existent entre religions traditionnelles, Islam et christianisme[8].

Reste que la Centrafrique est très majoritairement chrétienne avec une spécificité : les catholiques ne représentent que 35% des chrétiens, tandis que les églises pentecôtistes, prophétiques et évangéliques sont largement majoritaires dans la famille « protestante », conduisant à une très grande variété des dénominations.

Dans le milieu protestant, deux grandes alliances existent aujourd’hui ponctuées de deux courants distincts: il y a d’abord l’Alliance des Evangéliques en Centrafrique (AEC)  qui fut présidée dans un premier temps par le pasteur Guérékoyamé Nicolas, et aujourd’hui par le pasteur Singa Gbazia[9] regroupant apparemment les églises institutionnalisées. Ensuite, l’Alliance Pentecôtiste qui regroupe quelques églises de réveil. Mais bien d’autres églises indépendantes à connotation messianique telles que  Prophétique christianisme en Afrique ou les Eglises Kimbanguiste n'appartiennent jusque-là à aucune alliance. Les principales dénominations membres de l’AEC (qui se trouvent dans presque toutes les régions du pays, dans 15 des 16 préfectures à l’exception du Nord-est, où la seule véritable présence chrétienne est celle de l’Eglise catholique) sont :

§  l La Communauté des Églises Apostoliques[10] (CEAC)

§      Églises de la Coopération Évangélique[11]

§      Église Évangélique Baptiste[12]

§     L’Union Fraternelle des Églises Baptistes[13] (UFEB)

 

2.2.         Les autres dénominations importantes sont :

 

·         l’Union des Églises Évangéliques des Frères[14] qui a son fief au Nord, mais s’est implantée au centre, au centre-est et à l’Ouest (non membre de l’AEC).

·         l’Association Nationale des Églises Baptistes (ANEB) qui se retrouve au centre, au centre-Est, au Nord et au Sud-est.

·         l’Association des Églises Évangéliques Elim qui se concentre dans le Sud-est et le Sud et qui fut la première église pentecôtiste à s’installer dans le pays en 1927.

·         l’Association des Églises Évangéliques Luthériennes qui se localise à l’Ouest.

·         l’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique[15]

·         l’Église Évangélique Baptiste, qui se situe à l’Ouest et au Sud-ouest.

·         la Communion des Églises Baptistes Indépendantes (non membre de l’AEC) qui se situe au centre, au centre-est et au Sud-est.

·         l’Union des Églises Baptistes, qui est installée au Sud-est et au centre-est.

Cette liste n’est pas exhaustive[16]. Car, les communautés naissent et prolifèrent quotidiennement, notamment dans les milieux pentecôtistes. 

Au regard de ce bref aperçu, la force est de se dire que les Eglises centrafricaines ont encore de long chemin à parcourir, notamment dans le domaine de l’unité et du dialogue avec les autres religions. La mention de ce déficit nous donne l’occasion d’évoquer ici quelques défis qui relèvent de l’héritage missionnaire.

3.      L’héritage des missionnaires : UNE théologie exclusive

 

Mues par un paternalisme certes bien intentionné, les missions occidentales ont créé des conditions et imposé des normes de vie ecclésiastique qui ont effectivement empêché les églises centrafricaines de parvenir à la maturité souhaitée. Les sociétés missionnaires ont ainsi conduit bon gré malgré les jeunes églises centrafricaines à se sentir désarmées face aux défis d’aujourd’hui. L’histoire nous enseigne que la théologie missionnaire d’alors héritée avait prévalu une conception statique de l’Eglise ; le monde en dehors de l’Eglise était perçu comme une entité mondaine.

            En tentant d’imposer une tradition théologique toute faite, par l’enseignement catéchétique ou par des programmes des facultés de théologie ou des instituts bibliques, les missionnaires sont parvenus à enseigner qu’en dehors de l’Eglise, il n’y avait que la mondanité.

 Autrement dit, l’Eglise était un monde exclusif. En dehors de l’Eglise, il n’y avait que de fausses religions. En d’autres termes, on identifiait le royaume de Dieu (ou le sacré) à l’Eglise avant tout et l’on considérait que le reste de la vie était une réalité séculière, profane. Le monde était ainsi considéré non comme un défi, mais comme un obstacle. Ce qui correspondait au repli de l’Eglise sur elle-même tout en développant un esprit de jugement à l’égard de tous ceux qui ne partageaient pas son point de vue jusque dans les moindres détails.

            Ainsi, la vie chrétienne n’était définie qu’en termes microéthiques tels que la pratique religieuse régulière, l’abstinence d’alcool et de tabac, la lecture de la Bible et la prière quotidienne. Cela n’avait que des conséquences profondes pour l’Eglise. Les bons chrétiens étaient (et sont encore souvent) définis comme ceux qui vont régulièrement à l’Eglise et les gens qui sont à l’extérieur de la communauté, qu’ils appartiennent à d’autres sensibilités religieuses ou non, sont des « proies » à gagner. 

Les missionnaires, marqués pour la plupart par des doctrines conservatrices et anti-œcuméniques ont été conduit en effet à une double erreur : premièrement, tout en voulant proposer le message du Christ, ils imposaient en même temps une conception du monde, un système de valeurs et de coutumes, propre à l’occident, mais qu’ils identifiaient avec la seule civilisation valable[17]. Dès lors, ils ont laissé ce sentiment de supériorité qui caractérisait les églises missionnaires dans leurs rapports aux autres entités religieuses aujourd’hui. Deuxièmement, le christianisme est arrivé divisé en Centrafrique alors que la société centrafricaine en elle-même était relativement unie. Ceci a eu un impact négatif auprès d’une population qui avait besoin d’exemples d’unité et d’amour. Il y eut plusieurs dissidences qui ont vu apparaître un christianisme émietté pour des raisons, parfois, égoïstes.

Au regard de ce qui précède, le christianisme pentecôtiste s’est révélé comme une nouvelle religion, qui s’est défini comme un mouvement qui met l’accent sur la « conversion individuelle » et qui donne aux adeptes l’impression d’avoir trouvé un sens nouveau à leur vie. A travers la conversion, naît un individualisme vécu sous le mode de l’authenticité. Dans un monde de consommation de masse, la conversion est un moment de rupture dans la vie du « croyant ». A cet égard, les pentecôtistes opposent à un mode de vie communautaire jugé corrompu un nouvel esprit faisant référence à une nouvelle éthique soulignant l’importance de la « sainteté » et de la « droiture », exigeant de se retirer du « monde » et des « églises mortes », de rompre avec un passé immoral et de casser toute relation avec des non-croyants[18]. 

4.      L’impact des églises de réveil

Le succès des églises pentecôtistes dites « églises de réveil », lié aux séances de guérison et de délivrance, est le phénomène marquant observé depuis les années 1990, dès l’implantation de premières églises apostoliques[19]. Ces églises répondent à une demande croissante, de la part des populations enclines aux séances de « délivrance »[20] face aux incertitudes et aux dangers du monde moderne.

Ainsi, parfois, une seule chapelle composée de quelques dizaines de croyants, portant un nom distinct et dirigée par un pasteur informel, peut former, à elle seule, une église. Il est à souligner ici que dirigeants et habitants s’en remettent à la religion dans ce pays en proie à la misère et où une guerre dite « religieuse »[21] a explosé en 2013. Autant de chapelles évangéliques offertes aux âmes en quête d'un supplément de foi, dans ce pays où Dieu semble omniprésent.

L’affluence vers les églises de réveil résulte d’une part, du rapport direct que celles-ci établissent entre l’individu et le divin, chacun pouvant donc choisir de prier Dieu à la manière dont il l’entend ; et d’autre part, du fait que les adeptes peuvent suivre à tout moment un nouveau pasteur qu’ils trouvent, par exemple, plus charismatique que d’autres. Parallèlement, toute personne peut s’ordonner pasteur, sans avoir besoin de la reconnaissance d’une autorité religieuse ou d’un diplôme.

Ainsi, malgré un nombre d’implantations largement supérieur, les nombres de fidèles des églises de réveil est bien moindre que celui des églises instituées. En effet, ces dernières (églises catholiques, églises baptistes ou évangéliques), réparties depuis un siècle sur l’ensemble du territoire, sont institutionnalisées.

Néanmoins, notons-le, les fidèles des églises de réveil sont largement issus des rangs de l’Église catholique. Celle-ci fut victime, selon ces nouveaux convertis, de son formalisme, d’une liturgie moribonde, de ce qui est considéré comme une intellectualisation de la parole de Dieu, et surtout de l’absence de la « rhétorique guerrière » contre les forces du mal. Le phénomène n'est pas nouveau. Ni en Centrafrique ni sur le reste du continent où depuis près de vingt ans, les évangéliques drainent des foules immenses, souvent en quête de la spiritualité efficace.

Par conséquent, afin de reconquérir de nouveaux fidèles, l’Église catholique tente de renouveler son « offre religieuse » à travers un nouveau mouvement : le Renouveau charismatique. Sa dénomination relève du champ lexical pentecôtiste ; de même que ses méthodes se rapprochent de celles en cours dans ces églises de réveil. Plusieurs cellules de prière ont  vu le jour à cet effet et dirigées par ceux qu’on appelle des « bergers » qui ont, parfois, plus de pouvoir sur les membres que les clergés.

Grâce à des campagnes d’évangélisation, la mise en exergue des charismes, et de l’organisation de séances de louanges et de prières, l’Église catholique essaie de remobiliser ses anciens fidèles et d’en acquérir de nouveaux. En dénonçant, à son tour, certaines pratiques, très critiquées aussi par les « born again », telle que la lecture de la Bible uniquement effectuée par le prêtre, ce nouveau mouvement tente de proposer une voie médiane.

Si certains convertis, déçus des dérives de quelques pasteurs, choisissent de tester ce nouveau mouvement, celui-ci ne fait pas que des adeptes du côté des catholiques. Ces derniers appréhendent en effet la remise en cause du dogme et de la hiérarchie.

 

5.     Les défis des églises évangéliques face à la vie politique

    Le rapport entre l’État et les Églises en Centrafrique suscite aujourd’hui certaines inquiétudes parce qu’il apparaît de plus en plus ambigu. Une des craintes souvent exprimées dans l’espace public centrafricain, notamment parmi la population, est que la laïcité a perdu sa signification première, celle de la neutralité de l’État vis-à-vis de l’Église ou des confessions religieuses, cette notion est plutôt connotée de plus en plus du sectarisme, d’ethnisme et de clientélisme. En d’autres termes, la réalité de le rapport de l’Eglise/Etat en RCA renvoie à la manipulation des sentiments identitaires des populations et des différences religieuses. La laïcité se lit à l’aune de l’appartenance à une confession religieuse privilégiée, à une posture politique ou ethnique, c’est-à-dire, les responsables des pouvoirs politiques, fidèles de l’une ou de l’autre religion, ignorent les autres et se savent adeptes d’une confession religieuse particulière dans un champ pluraliste des religions diversifiées.

     Il y a aussi ce malaise subtil, inodore, silencieux qui est celui que crée constamment l’appartenance du Chef de l’Etat à une communauté religieuse, au sein de la communauté des croyants. Ce malaise reflète soit la crainte d’une défaveur politique, soit la quête d’un traitement de faveurs de certaines Églises auprès de l’Etat. De toute façon, il y a certaines pratiques anti-laïques qui suscitent des interrogations aujourd’hui : lorsque les responsables d’Église sympathisent avec l’homme politique, se familiarisent avec lui, formulent une apologie de sa politique, peut-on encore parler de laïcité dans cet État ? Lorsque les religieux se réjouissent des dons octroyés par les politiques à des fins électoralistes, la notion de laïcité peut-elle encore avoir son sens ? Le dilemme est là : soit l’homme de Dieu adresse trop de requêtes à l’homme politique et celui-ci en profite pour l’assujettir, soit-on ne le sollicite pas et on se conforme aux exigences de la véritable laïcité.  Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est l’alternative que le politique a tendance à placer devant l’Église : ou bien celle-ci est pour la majorité présidentielle, de ce fait, elle bénéficie de certaines faveurs présidentielles ou bien, elle est dans une posture neutre et sa neutralité s’interprète comme une allégeance à l’opposition. Par voie de conséquence, tout ce que l’Eglise prendra comme posture sera interprétée selon cette grille de lecture par le pouvoir politique.

     Du coup, voir l’Église aller sur le terrain de la politique politicienne est particulièrement sensible et passionnel, propice aux jugements, aux exclusives et considéré comme ferment de division de la communauté. Ce qui est redouté c’est le « parti pris » éventuel de telles postures. Il est alors reproché aux responsables d’Églises de se mêler de ce qui ne les regarde pas, de se faire instrumentaliser de manière partisane dans un jeu de rapports de force, d’entrer dans des logiques de pouvoir, au lieu de se consacrer à leur mission spécifique d’annonce de l’Évangile.

     Pourtant, dans l’esprit de la laïcité bien comprise, le rapport de l’Etat aux religions devrait être marqué par la neutralité, la transparence des intentions et la vigilance pratique. En outre, la séparation « des Églises et de l’État » implique aussi que l’État ne doit subventionner, ni ne se mêler du fonctionnement des Églises. Sans intervenir dans l’organisation doctrinale et pratique des Églises, il devient un organe régulateur des incidences sociales et politiques du fait religieux, des options et des actions religieuses, positives ou perverses et crée à cet effet un cadre juridique.

     Malheureusement, aujourd’hui, nous assistons dans notre pays à l’intrusion ostentatoire des autorités religieuses dans la sphère politique.  Beaucoup de pasteurs, notamment ceux du milieux évangélique,  ont pris de liberté avec les obligations de leur sacerdoce, notamment en utilisant leur position pour s’allier au pouvoir politique. En 2004, plusieurs pasteurs ont montré un intérêt inaccoutumé pour la politique. en se présentant à la présidentielle et aux législatives. Ce qui est encore plus révélateur chez ces responsables d’Église, c’est leur volonté d’être instrumentalisés par des leaders politiques, au lieu de se consacrer à leur mission spécifique : celle d’annoncer l’Évangile pour conscientiser la classe politique et ceux qui sont à la charge de la chose publique, pour qu’ils assurent toujours mieux le bien-être et l’épanouissement de leurs peuples. En 2011, le responsable chargé de la structure du pilotage des élections n’était pas choisi du monde politique, ni de la société civile, ni d’un autre monde, mais du corps ecclésiastique. Seulement, ce choix n’a pas fait bonne presse auprès de tous à la fin de sa mission.  La date du « 23 Janvier 2011 » restera un mauvais souvenir pour certains qui croient que c’est grâce à lui que la volonté du peuple centrafricain a été confisquée.

Il importe donc de s’interroger sur des précautions nécessaires à prendre lorsque les autorités religieuses fréquentent régulièrement le pouvoir politique : certes, l’autorité religieuse pourrait être proche de la sphère politique, mais ne pas se sentir "chez lui" parmi les hommes politiques ; familier avec les corridors du pouvoir, mais sans y être à l’aise. Parce qu’être l’homme de Dieu, c’est à la fois dire la vérité au pouvoir, et être la voix des sans-voix et des marginalisés, des victimes qui en dernier ressort ont une place spéciale dans le royaume de Dieu[22].

De même, une autorité ecclésiastique ne peut accepter n’importe quelle politique. Il ne devrait pas avoir peur de la discussion et de l’engagement politique. Malheureusement, beaucoup de leaders chrétiens centrafricains ont opté la "politique de l’autruche". C’est-à-dire, se taire ou s’inscrire dans la logique proverbiale qui dit : « la bouche qui mange ne parle pas ». Pourtant, « celui qui ne fait rien ne commet jamais d’erreurs, mais c’est toute sa vie qui est une erreur » écrit François Varillon (joie de croire, joie de vivre, 1981) qui dénonce « le faux apolotisme des chrétiens aux mains pures ».

Pour le théologien allemand Zwingli, « rendre un culte à Dieu, ce n’est pas rester entre les quatre murs » -- non, c’est aller dans les rues et y agir. La spiritualité a une dimension nécessairement publique et politique. L’Évangile ne se limite pas seulement à « Dieu et l’âme », il concerne aussi ce monde où il faut manifester concrètement le règne de de Dieu.

CONCLUSION

Quoi qu’il en soit, un nouveau paysage du christianisme se dessine actuellement en Centrafrique. À côté des implantations plus anciennes des Églises historiques ou missionnaires, on note la prolifération de nouvelles communautés chrétiennes.

Aujourd’hui, les enjeux missiologiques insistent sur deux notions au contenu voisin : celle de contextualisation (côté protestant) et celle d’inculturation (côté catholique) du christianisme ; ils dissocient le christianisme de la culture occidentale qui l’a longtemps véhiculé, et cherchent à lui donner un christianisme purement centrafricain. Ainsi, les cérémonies cultuelles s’appuient sur les coutumes locales ; les instruments de musique et les danses centrafricains sont introduits dans la liturgie. Ces tentatives, dont la mise en œuvre n’est pas toujours acceptée ni facile, n’ont cependant pas empêché le développement du syncrétisme chrétien.

Par ailleurs, la vitalité de ces Églises concurrentes constitue évidemment un obstacle important à la christianisation devant la marée montante de l’islam. De même, de nombreux observateurs misent sur la capacité des Églises, en tant qu’agents de la société civile, à participer à la rénovation du pays dont elles font partie. Mais cet espoir est tempéré par les crises traversant de nombreuses Églises centrafricaines, dont les problèmes ne sont pas sans rapport avec ceux  du reste de la société civile. De manière plus tragique, on a remarqué l’impuissance des Églises dans les crises récentes en République centrafricaine.

 

Jimi ZACKA, PhD

 


[1] Cet article est publié sous le titre de Jimi ZACKA,  “Le Christianisme en Centrafrique” in   Anthology of African Christianity, World Council of Churches Publications, 2016, p.523

[2]  Jimi ZACKA est Théologien, bibliste, professeur d’Anthropologie culturelle et Directeur de Centre de Recherche et d’Etudes Interculturelles en Afrique Francophone. Il est également auteur de plusieurs ouvrages et articles.

[3] Pierre Kalck, Histoire de la RCA, 1992, p.253

[4] Langue nationale parlée sur toute l’étendue du territoire

[5] Presque partout où les grandes Églises chrétiennes se sont installées, ont surgi les « Eglises Indépendantes » qui apparaissaient comme le symbole d’une résistance mystique au pouvoir colonial et l’expression d’une foi originale. En fait, le phénomène est bien antérieur à la décolonisation, presque contemporain de l’arrivée des premiers missionnaires en Afrique.

[6] L’Eglise Boy-Mandjia a été fondée par Boymandjia Seremandji Simon-Pierre (1874-1989) qui était considéré comme un visionnaire à l’époque où l’attitude paternaliste de certains missionnaires occidentaux représentait un sérieux obstacle à l’émergence des autochtones. L’Eglise Boy-Mandjia prendra plus tard la dénomination de Union des Eglises du Comité Baptiste.  Il convient de rappeler que la popularité de Boymandjia a commencé avec une vie chrétienne syncrétiste. Il fut féticheur,  revendeur du sel et finalement évangéliste charismatique au sein d’une église baptiste conservatrice qui déniait toutes ces pratiques « diaboliques ». Malgré tout, la popularité de Boymandjia facilita son contact avec les leaders politiques émergents aux premières heures des mouvements nationalistes qui conduisirent le pays à l’indépendance en 1960. Un de ces leaders était le prêtre catholique Barthélemy Boganda qui avait l’ambition de transformer l’Oubangi-Chari, longtemps sous la tutelle colonisatrice de la France, en République Centrafricaine.

[7] Rapport de l’Observatoire Pharos 9.02.2015

[8] Cf.ibid

[9] Au moment où nous mettons à jour cet article, Pasteur Singha Gbazia a été destitué et n’est plus le Président de l’AEC.

[10] Née en Centrafrique en juin 1979 à travers le regretté apôtre missionnaire Albert Burkhard, la Communauté des Eglises Apostoliques de Centrafrique compte aujourd’hui plus de 800 églises sur toute l’étendue du territoire national dont 133 à Bangui et ses environs.

[11] L’Eglise Coopération Evangélique en Centrafrique est reconnue officiellement le 11 Aout 1967 et compte plus de 400 églises reparties presque dans toutes les régions. Elle appartient à la grande famille issue du Mouvement de la pentecôte.

[12] L’Église Évangélique Baptiste en République Centrafricaine en Centrafrique a ses origines dans une mission suédoise en 1923. Sa fondation remonte à l’établissement de la première église baptiste en 1925. Selon un recensement de la dénomination publié en 2020, elle disait avoir 237 églises et 68,397 membres .

[13] L’UFEB est l’une des plus grandes communautés chrétiennes en Centrafrique composée de 236 églises environ et plus de 3000 paroissiens dirigés aujourd’hui par le Pasteur Maurice Gazayeke. Par ailleurs, il faut également noter que l’UFEB a connu une dissidence qui a fait naître l’Union des Eglises Baptistes (UEB) avec 68 églises et environ 14000 membres.

[14] La communauté des églises des Frères a vu le jour à Scharzenau en Allemagne en 1708, sous l’initiative du Pasteur Alexandre Mack et s’est installée en Centrafrique en 1921 à Bassai dans l’ouham Pendé au Nord du pays avant d’arriver à Bangui, en 1954. Il convient de noter que la Communauté des Eglises Evangéliques des Frères de Centrafrique comptent 1500 églises locales implantées dans 15 préfectures du pays, avec plus de 500.000 membres et dirigée par plus de 800 pasteurs.

[15] L’Église Protestante Christ-Roi de Centrafrique est l’une des plus anciennes communautés chrétiennes en Centrafrique d’obédience Protestante réformée et surtout francophone.

[16] La prolifération d’autres églises dites « Eglises de Réveil » aujourd’hui ne nous permet pas de dresser une liste  exhaustive.  

[17] Comme Bosch, op.cit. p. 398 le souligne avec raison, « lorsque l’on examine les normes culturelles occidentales imposées de mille manières et plus ou moins ouvertement aux croyants du Tiers monde, il est important de noter le phénomène suivant : qu’ils soient libéraux ou conservateurs, les cercles missionnaires partagèrent la conviction que seul le christianisme pouvait constituer la base d’une civilisation viable ». 

[18] Lire en effet J. P. Zacka, Possessions démoniaques et exorcisme dans les Eglises Pentecôtistes d’Afrique Centrale, Yaoundé : CLE, 2010,  p.97.

[19] Lire ibid

[20] Le terme « délivrance spirituelle » définit l’un des services pastoraux dans certaines de les églises de réveil, notamment dans les églises néo-pentecôtistes ou charismatiques. Cette pratique pastorale consiste à combattre Satan et ses démons, chasser les esprits impurs hors de la vie de ceux et celles qui sont possédés par ces êtres insolites. Et tout cela se fait au nom de Jésus, à l’exemple et à la demande du Maître (Cf. Mc 6.13 ; 16. 13-17). 

[21] Cf. Pharos, Rapport final de la mission effectuée en 2014

[22] D. Forrester, Theology and Politics, Oxford: Basil Blackwell, 1988, p. 163.

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