jeudi 8 mai 2025

L'IMPORTANCE DU DEPARTEMENT DES AFFAIRES RELIGIEUSES EN CENTRAFRIQUE (Prof. Jimi ZACKA)

Titre : Pour une gouvernance inclusive et pacifique des activités religieuses : Il faut qu'on instaure le département chargé des affaires religieuses en République Centrafricaine (à l'instar d'autres pays africains).

Introduction Depuis plusieurs décennies, la République Centrafricaine est marquée par une cohabitation religieuse fragile, parfois mise à mal par des conflits politico-militaires et des instrumentalisations des milieux religieux. Pourtant, les leaders religieux ont souvent joué un rôle clé dans la médiation, la paix et la réconciliation. Dans ce contexte, il devient urgent de réformer en profondeur le département chargé des affaires religieuses afin de favoriser la stabilité, le dialogue interreligieux et le développement harmonieux du pays. Ceci permettra aussi aux acteurs religieux d'avoir un statut digne qu'ils méritent.

I. Objectifs de la réforme

·      - Clarifier le rôle de l'État dans la régulation du religieux.

·       - Garantir la liberté de culte dans un cadre juridique équilibré.

·       -  Lutter contre les dérives extrémistes et les discours de haine.

·       - Promouvoir les spiritualités traditionnelles comme patrimoine culturel national.

·       - Faire des confessions religieuses des partenaires de développement et de paix dans le pays.

II. Principes directeurs

1.     Respect de la laïcité dans sa forme contextuelle : neutralité de l’État, non-ingérence dans la doctrine.

2.     Parité de traitement entre toutes les confessions religieuses.

3.     Inclusion des religions traditionnelles africaines.

4.     Participation citoyenne et dialogue constant avec les acteurs religieux.

III. Mesures structurelles proposées

 

1. Création de l’Agence nationale de régulation des cultes (ANRC)

·      --  Organe public autonyme, multisectoriel, impliquant les leaders religieux, l’administration et la société civile.

·       -- Mandat : enregistrement des cultes, médiation, veille citoyenne, soutien aux initiatives sociales confessionnelles.

 

2. Mise en place d’un registre national numérique des cultes

·       Recensement des lieux de culte, des responsables religieux et de leurs activités sociales.

·       Suivi transparent et accessible au public.

3. Révision de la loi sur les confessions religieuses

·      --         Intégration des principes de liberté religieuse et de responsabilité sociale.

·   --   Introduction de critères objectifs d’agrément (formation, implantation locale, respect de la législation).

4. Dialogue interreligieux renforcé

·       -- Création du Conseil Interconfessionnel Centrafricain (CIC), avec des antennes préfectorales.

·       -- Programmes de dialogue à l’école, dans les universités, et dans les médias.

5. Intégration des spiritualités traditionnelles

·      --  Reconnaissance juridique des autorités religieuses traditionnelles.

·       -- Appui à la transmission des savoirs ancestraux et création de centres culturels interreligieux.

6. Formation et prévention des extrémismes

·       -- Formation civique obligatoire pour tout nouveau responsable religieux.

·      --    Cellule de veille et de prévention des dérives religieuses, en lien avec les communautés.

7. Partenariats pour le développement

·       -- Signature d’accords entre l’ANRC, les confessions religieuses et les ministères sectoriels (santé, éducation, environnement).

·      --    Financement partiel de projets sociaux à portée religieuse via un fonds dédié et auditable.

IV. Mise en œuvre

·       Phase 1 : Consultation nationale et rédaction de la nouvelle loi (6 mois).

·       Phase 2 : Création de l’ANRC, du CIC et lancement du registre numérique (6 à 12 mois).

·       Phase 3 : Formation des responsables et mise en place des cellules régionales (12 mois).

Conclusion Cette réforme vise à construire un cadre apaisé, inclusif et moderne de gestion des milieux  religieux en Centrafrique. Elle met en valeur la diversité spirituelle du pays comme levier de paix, de développement et de souveraineté culturelle. Le soutien des autorités publiques, des confessions religieuses et des partenaires au développement sera déterminant pour sa réussite. Le but est de créer son territoire dans l'espace public afin de mieux accomplir sa mission dans la société.

 _______________________________________

 DETAILS

II. Réformer le département chargé des affaires religieuses dans un pays africain suppose de reconnaître les enjeux contemporains liés à la diversité religieuse, à la paix sociale, à la gouvernance et à la souveraineté culturelle. Voici les grandes réformes à envisager :


1. Clarification du cadre légal et institutionnel


Codification des relations État-Religions : Mieux définir le statut juridique des confessions religieuses (reconnaissance, droits, obligations).
Indépendance institutionnelle : Créer une haute autorité interreligieuse indépendante pour éviter la politisation des milieux religieux.

2. Encadrement transparent et équitable des cultes


Égalité de traitement : Garantir que toutes les confessions religieuses soient traitées sans favoritisme, tout en respectant les traditions locales.
Système d’agrément clair et équitable : Fixer des critères objectifs pour reconnaître les structures religieuses (formation des responsables, ancrage local, respect des lois nationales).

3. Dialogue interreligieux structuré


Création de conseils interreligieux régionaux et nationaux : Plateformes de médiation, de prévention des conflits et de collaboration sur les sujets sociaux.
Éducation au pluralisme religieux : Promouvoir une culture de respect mutuel dès l’école.

4. Contrôle et prévention de la radicalisation

Surveillance non intrusive : Suivi des discours religieux dans le respect des libertés, mais en luttant contre les appels à la haine.
Formation civique des leaders religieux : Modules sur les droits humains, la citoyenneté, la non-violence et les valeurs républicaines.

 

5. Valorisation du rôle social des religions


Partenariat dans l’éducation, la santé et l’écologie : Encourager les initiatives religieuses dans ces secteurs via des conventions.
Appui aux œuvres sociales confessionnelles : Soutien administratif, juridique et parfois matériel.

6. Intégration des spiritualités traditionnelles africaines


Reconnaissance culturelle et religieuse : Intégrer les autorités traditionnelles dans les cadres de concertation.
Recherche et documentation : Encourager les universités à étudier et valoriser les pratiques religieuses ancestrales par des recherches et publications.

7. Numérisation et modernisation du département


Registre numérique des cultes et lieux de culte.
 
Formation du personnel administratif : Sur les enjeux religieux contemporains (migration, diasporas, religions nouvelles, etc.).
 
                                                                                 Jimi ZACKA, PhD
                                                                 Théologien, Chercheur, Auteur

 

 

lundi 5 mai 2025

ÉCOLOGIE BIBLIQUE ET COSMOVIONS AFRICAINES: Gn2.15 ET LE MYTHE DE LA "TERRE SACREE" EN AFRIQUE (Jimi Zacka, PhD)

Introduction

Qu'est-ce qui rend l'Afrique si fascinante et captivante en tant que continent ? La réponse mettrait certainement en lumière les nombreux attraits écologiques de l'Afrique, grâce à l'abondance de ses richesses naturelles. Bien qu'il soit indispensable de reconnaître les défis écologiques, sociaux et économiques auxquels elle fait face, ainsi que sa vulnérabilité aux changements climatiques, l'Afrique conserve une perspective unique sur la nature[1]. En effet, la notion de « nature sacrée » reste profondément enracinée dans les traditions africaines[2].

Dans de nombreuses coutumes africaines, la nature n'est pas seulement vue comme une ressource à exploiter, mais comme une entité vivante, dotée d'une dimension spirituelle. Ce lien entre la nature et le sacré dans les croyances africaines trouve l’écho dans la vision biblique de la nature comme un lieu de rencontre avec Dieu[3].  

Malheureusement, à un moment donné de l’histoire de l’écologie, l'homme s’est senti maître de la création et cela lui a servi de justification de dominer sur la nature pendant des siècles[4]. Cette vision hiérarchique n’a pas épargné l'Afrique, et cela a entraîné une rupture majeure[5]. Laquelle rupture a engendré une dynamique prédatrice, entraînant la destruction massive des forêts par les feux de brousse, l’extinction de nombreuses espèces dues à des pratiques de chasse anarchiques, ainsi qu’une perturbation profonde de l’équilibre atmosphérique pour diverses raisons. Cette idéologie de supériorité humaine a façonné des structures économiques et politiques fondées sur l’exploitation aveugle des ressources, mettant en péril la durabilité des écosystèmes et menaçant la vie elle-même. Par conséquent, la logique du profit immédiat et de la croissance illimitée a accéléré la déforestation, menaçant non seulement la biodiversité, mais aussi l’équilibre climatique global. La conversion massive des terres forestières en espaces agricoles intensifs, encouragée par des politiques extractivistes, a conduit à une disparition rapide des habitats naturels. Vandana Shiva affirme ainsi que « la réduction de la nature à une marchandise conduit à un appauvrissement écologique et spirituel [6] ».

La destruction des écosystèmes naturels en Afrique ne peut être dissociée d’une perte de la spiritualité liée à la terre. Traditionnellement, chaque arbre, chaque source d’eau et chaque colline étaient investis d’une sacralité qui régulait l’exploitation humaine. La modernité a introduit une vision où la nature n’est plus un espace de communion avec le divin, mais un réservoir de ressources à exploiter. Comme l’affirme John Mbiti, « la spiritualité africaine repose sur une interaction dynamique entre l’homme et son environnement, où la nature participe à la structure cosmique du monde [7]».

Avec cette perte de spiritualité, les interdits écologiques qui protégeaient la faune et la flore ont été levés, entraînant la surexploitation des terres et la disparition de nombreuses espèces. L’idée que l’homme est supérieur à la création et libre d’en faire ce qu’il veut rejoint une théologie dévoyée qui réduit la domination sur la terre (Genèse 1:26) à un pouvoir absolu et destructeur, alors que le texte biblique invite plutôt à une gestion responsable du monde[8].

Face à ces défis majeurs, en tant qu’africain, il devient impératif d’opérer une transformation radicale, non seulement dans nos pratiques quotidiennes, mais aussi dans notre conception philosophique et théologique de la place de l’homme dans la création. L’enjeu n’est plus simplement de satisfaire des besoins ou de poursuivre un progrès matériel, mais de réapprendre à habiter la Terre dans une communion harmonieuse avec la nature comme dans le passé[9]. Cela implique une reconnaissance des rythmes sacrés de la création et une responsabilité renouvelée envers ce qui nous a été confié en tant que "gardiens" dans le sens biblique du terme, comme en témoigne le mandat de Genèse 2:15. Ce regard renouvelé, marqué par l’humilité et un engagement actif, appelle à une éthique de la réciprocité où l’humanité ne domine pas la création, mais y participe avec respect et gratitude[10].

1.    Vers une tradition spirituelle sensible à la nature

Dans cette perspective, la réflexion théologique prend une dimension essentielle. Les Églises sont invitées à discerner dans la crise climatique un véritable "signe des temps", exigeant une réinterprétation des cadres théologiques traditionnels à la lumière des impératifs environnementaux[11]. Il s’agit d’une théologie incarnée, sensible aux vulnérabilités de notre « maison commune[12] », et engagée dans la quête d’une justice écologique. Cette tâche s’avère particulièrement cruciale dans le contexte africain.

Certes, de nombreuses initiatives ont été déjà mises en œuvre pour promouvoir le développement durable, l’éducation environnementale et la protection des ressources naturelles, tout en renforçant la résilience des communautés. Cependant, il est tout aussi essentiel d’explorer de nouvelles perspectives ouvrant un vaste champ où spiritualité, écologie et traditions africaines peuvent dialoguer pour rétablir une harmonie entre l’Afrique, ses racines profondes et les défis contemporains. Tel est le but de ma modeste contribution à cette étude.

Cela implique une redécouverte de la cosmovision africaine et des représentations qu’elle accorde au cosmos, à la nature, et à la place de l’homme dans l’univers. La relation entre l’être humain et le divin – que ce soit Dieu ou les figures spirituelles enracinées dans les cultures locales – mérite une réflexion approfondie, notamment dans le cadre du rôle que Dieu confie à l’homme au sein de la création.

Dans ce cadre, il est essentiel de mettre en dialogue les savoirs contemporains en écologie, les traditions chrétiennes et les récits cosmogoniques ainsi que les mythes fondateurs qui ont marqué l’anthropologie africaine. Une approche renouvelée de la révélation pourrait alors inspirer le chrétien africain à repenser sa perception de Dieu et à réorienter ses engagements écologiques, en adoptant une spiritualité enracinée dans la vie concrète et pleinement consciente de sa mission en tant que gardien de la création[13]. Il est largement reconnu que l'écologie africaine s'appuie sur une relation profondément symbiotique entre l'être humain et son environnement, une relation qui trouve son expression dans les pratiques religieuses, les rituels et les croyances traditionnelles. Contrairement à une approche utilitariste de la nature, souvent prédominante dans les sociétés industrialisées, la cosmovision africaine met en avant une quête d'harmonie et de respect mutuel entre l'homme et son environnement. Dans cette vision, l'Africain n'est pas un exploitant destructeur de la nature, mais bien une partie intégrante d'un tout plus vaste, où chaque élément de la création a une fonction et une signification particulière.

C’est dans cet esprit qu’il devient essentiel de mobiliser les communautés chrétiennes pour dialoguer avec tous les acteurs concernés, en vue de protéger la nature, défendre les plus vulnérables et bâtir des réseaux de respect et de solidarité. Un tel dialogue, à la croisée de la spiritualité, de l’écologie et des traditions africaines, ouvre des pistes prometteuses pour réconcilier le continent avec ses racines ancestrales tout en relevant ses défis modernes. Il s’agit de savoir que sacraliser la terre ne se limite pas à une simple croyance spirituelle ; cette approche porte en elle des implications concrètes et profondes pour assurer la durabilité des ressources naturelles et la prospérité des communautés. Elle s’inscrit dans une vision qui rejoint, par certains aspects, l’idée chrétienne de l’homme comme serviteur et gardien de la création divine. Dans de nombreux mythes africains, la terre occupe une place centrale dans le récit de la création du monde, souvent associée à des divinités créatrices qui façonnèrent l’univers et les premiers êtres humains.

Sacraliser la terre en Afrique représente donc une expression éloquente de la vision holistique du monde propre à cette culture, où le matériel et le spirituel sont intimement interconnectés. Cette relation est marquée par une reconnaissance mutuelle, un respect profond et une interdépendance harmonieuse. La terre devient alors un espace où la dignité de l’homme africain prend tout son sens. En cultivant la terre, il ne se contente pas de combattre les vices tels que l’ennui, le vol ou la paresse ; il met également en lumière le caractère sacré de la création.

Pour lui, entretenir la terre revient à offrir une prière agréable à Dieu. Par cet acte de sacralisation, l’homme parachève la création et assume son rôle de co-créateur, conscient d’hériter d’un double patrimoine : celui des ressources naturelles destinées à toute l’humanité, et celui des fruits que la terre produit grâce à l’intervention divine, visant à promouvoir des relations harmonieuses et positives entre l’homme et son environnement. D’ailleurs, dès son jeune âge, l’Africain est formé à discerner la présence et l’action de Dieu à travers les richesses que la terre lui offre, en résonance avec le Psaume 24 : « À l’Éternel appartient la terre et tout ce qu’elle contient ». Reconnaître Dieu dans ces bienfaits revient à comprendre que la terre ne se limite pas à un simple cadre matériel ou économique, mais qu’elle revêt une dimension sacrée et spirituelle, participant à l’ordre divin et au bien-être de l’humanité[14].

Dit autrement, la terre incarne une dimension profonde et multidimensionnelle : spirituelle, thérapeutique, culturelle et cosmique. Sa sacralité s’est transmise à travers les âges, depuis les traditions ancestrales jusqu’aux pratiques religieuses modernes, devenant un fondement incontournable de l’identité africaine. Pour l’Africain, cette perception sacrée de la terre constitue un rempart contre l’individualisme et nourrit une éthique de gratitude et de préservation. C’est dans cette dynamique que s’inscrit une réflexion visant à approfondir cette relation unique avec la création, comme je vais l’explorer en le développant de la manière suivante.

2.    La « Terre sacrée » dans les cosmovisions africaines comme espace de mémoire.

            Contrairement à la vision occidentale moderne qui tend à percevoir la terre comme une simple ressource à exploiter, les traditions africaines la considèrent comme une mère nourricière, une matrice porteuse d’une puissance spirituelle et morale. C’est pourquoi, dans de nombreuses cultures africaines, y compris la mienne, il est de coutume, chaque fois qu’une bouteille d’eau, de vin ou toute autre boisson est ouverte en public ou en privé, de verser les premières gouttes à terre[15]. Ce geste, bien plus qu’une offrande aux ancêtres, constitue une véritable liturgie, un acte de vénération envers la Terre elle-même, accompagné d’une prière empreinte de respect et de reconnaissance : « Pour toi, Mère-Terre, voici ce que je vais consommer. Prends ta part et partage ce moment avec mes ancêtres ».

Cette pratique trouve aussi sa place dans l’ouverture des cérémonies traditionnelles[16], qu’elles soient religieuses, politiques ou culturelles, où un hommage est rendu aux mânes des ancêtres. L’omission du rituel de la libation par le prêtre ou la prêtresse peut être perçue comme un affront aux esprits des ancêtres, compromettant ainsi l’acceptation des offrandes et des prières. Dans un tel cas, la cérémonie doit être recommencée afin de rétablir le lien spirituel et assurer l’harmonie entre le monde visible et invisible. Comme Kabasele Lumbala le décrit très bien en ces termes :

La vénération des ancêtres se situe aux temps forts de la vie de la communauté, temps forts dictés par une maladie, un événement insolite, la réussite dans une entreprise, la veille d’un long voyage, un rêve où un ancêtre serait venu interpeller les vivants terrestres contre l’oubli, etc. La vénération des ancêtres consiste en l’offrande d’une volaille ou d’un animal de la basse-cour, offrande présidée par l’aîné du groupe, autour duquel tous se rassemblent pour invoquer les ancêtres, pour les remercier, leur demander secours, ou simplement se retremper dans leur mémoire.Les rites d’initiation consistent à une action d’aide apportée par le groupe à l’individu pour son accomplissement en tant qu’être humain[17].

Ainsi, la Terre est perçue comme un élément central de la cosmologie et de la spiritualité. En d’autres termes, elle est souvent comme un être vivant, mère nourricière, qui porte la vie, guérit et protège les hommes[18]. C’est une relation sacro-profane avec la Terre, une relation de respect et de vénération. Cette vénération de la Terre repose sur plusieurs considérations, notamment comme nourricière, elle est vue comme celle qui nourrit les hommes à travers la nourriture, l’eau et la santé[19]. Le respect dû à la Terre est alors comparé à celui qu'on doit à une mère, une figure centrale dans la vie spirituelle et sociale de l’individu. De même, certains croient que la Terre a une âme collective, un esprit qui veille sur l’harmonie du monde naturel et humain. Les ancêtres sont souvent associés à la Terre, et leur présence est ressentie à travers elle.

Si des offrandes sont faites pour honorer les ancêtres, c’est pour garantir que la Terre continue à être fertile. En effet, c’est pour la reconnaître comme une source de subsistance matérielle, mais aussi comme un espace sacré, en lien avec les divinités et les ancêtres[20].

            Dans cette perspective, il apparaît fondamental d’approfondir l’analyse des dimensions théologiques et écologiques de Genèse 2:15, qui offrent un cadre essentiel pour comprendre la relation entre l’homme et la terre. Ce passage biblique, qui exhorte l’être humain à "cultiver et garder" la création, résonne particulièrement avec les cosmovisions africaines, où l’harmonie avec la terre est perçue comme une exigence spirituelle et éthique fondamentale. En effet, la terre ne se réduit pas à un simple espace physique ou économique ; elle est à la fois un lieu de vie, un objet de vénération et un symbole du lien profond entre l’humain et le divin.

Ainsi, la responsabilité confiée à l’homme dans Genèse 2:15 trouve une résonance naturelle dans les conceptions africaines de la sacralité du monde. En tant que gardien et cultivateur, l’être humain est appelé non seulement à assurer sa propre subsistance mais aussi à veiller à l’équilibre spirituel et écologique du monde. Cette mission s’inscrit dans une théologie de la préservation et du respect, où l’homme n’est pas un exploitant de la nature, mais un collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création. Dès lors, la vocation écologique du chrétien africain ne peut être dissociée de son engagement spirituel : elle exige une posture de soin et d’harmonie, fondée sur une compréhension renouvelée de son rôle de "gardien" et de "serviteur" au sein de l’univers créé.

Cette vision trouve un écho profond dans les pratiques traditionnelles africaines, où l’homme, en tant que cultivateur, est perçu comme un médiateur entre la Terre et le monde spirituel, qu’il s’agisse des divinités ou des ancêtres. Dans cette perspective, la relation entre l’homme et la nature dépasse le cadre utilitaire : elle repose sur un respect sacré de la Terre, une gestion responsable de ses ressources et une reconnaissance de son rôle fondamental dans l’équilibre cosmique et humain. Cette approche s’inscrit pleinement dans une théologie de la création, où la terre est un don divin confié à l’humanité non pour être exploitée sans discernement, mais pour être préservée avec soin et gratitude.

Dès lors, le chrétien africain est appelé à une prise de conscience profonde face aux défis écologiques contemporains en se posant des questions : Quelle est ma responsabilité en tant que chrétien envers la création ? Mon mode de vie reflète-t-il une gestion juste et durable des ressources ? Comment articuler l’écologie et la spiritualité dans mon engagement chrétien ? Quels enseignements bibliques éclairent notre rapport à la nature ? L’Église peut-elle revêtir un rôle prophétique face à la crise écologique actuelle ?

Ces interrogations, loin d’être secondaires, mettent en lumière une urgence théologique et éthique : il devient impératif de revisiter les savoirs écologiques traditionnels africains, qui reposent sur une compréhension intime des écosystèmes et une gestion durable des ressources. Cette relecture ouvre la voie à une véritable alliance écologique, où la nature n’est plus considérée comme une ressource à exploiter, mais comme une réalité sacrée à protéger, un espace de communion entre l’humanité et le divin.

Le passage de Genèse 2:15 : « L'Éternel Dieu prit l'homme et le plaça dans le jardin d'Éden, pour le cultiver et le garder » constitue en fin de compte un fondement essentiel pour une réflexion sur la responsabilité humaine envers la création. Il établit un mandat divin où l’homme est appelé non seulement à exploiter la terre, mais surtout à en prendre soin, dans une posture de respect et de préservation. Cette mission trouve un écho profond dans les cosmovisions africaines, où la relation à la nature est intrinsèquement sacrée et se traduit par une interaction harmonieuse entre l’homme, son environnement et le divin. Comme le souligne Kabasele Lumbu, « la nature, dans la pensée africaine, est une extension du sacré, elle n’est pas un simple réservoir de ressources mais un lieu de communion avec les ancêtres et les divinités [21]». Cela s’explique par le fait que :

Les Africains aiment et célèbrent la vie. Pour eux, la vie est le bien suprême,le don sacré par excellence de l’Au-delà. Au cours des péripéties atroces deleur histoire, beaucoup d’entre eux ont préféré demeurer dans une vie d’esclave plutôt que de se donner la mort, devant la négation de leurliberté ! On peut critiquer un tel amour de la vie. Mais c’est un choix qui répond à une conception du monde et de la vie partagée par la plupart des peuples d’Afrique noire subsaharienne. Vivre, pour eux, c’est avoir de laforce, être en bons rapports avec Dieu et les ancêtres qui sont respectivement la source et le canal par où leur vient la vie, être en harmonie avec les vivants terrestres et la nature qui les entoure et dont ils sont un maillon de la vie ; vivre, pour eux, c’est transmettre et donner la vie qu’ils ont reçue[22].

Ainsi, le chrétien africain est à la fois gardien et cultivateur de la création divine, appelé à maintenir un équilibre écologique qui dépasse le matérialisme moderniste.

Cette relation sacrée ne se limite pas à un acte de vénération ritualisée, mais se manifeste au quotidien à travers une gestion durable des ressources et une profonde conscience de l’interdépendance entre les éléments naturels et spirituels. Pourtant, cette approche reste souvent marginalisée dans les discours académiques contemporains, qui privilégient une vision occidentale de l’environnement fondée sur l’exploitation et la rentabilité. Or, comme le rappelle Jürgen Moltmann, « la théologie de la création implique une responsabilité partagée où l’homme est appelé à être un allié du cosmos, et non son maître[23] » Cette perspective théologique dialogue ainsi avec les traditions africaines, qui considèrent la nature comme une entité vivante et digne de respect.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit cette réflexion, cherchant à démontrer que les enjeux environnementaux en Afrique doivent être abordés sous un prisme spirituel et éthique. Genèse 2:15 nous interpelle non seulement sur la mission de l’homme envers la nature, mais également sur la nécessité de préserver les équilibres écologiques et sociaux. La cosmovision africaine, par sa conception holistique de l’univers, offre ainsi une voie précieuse pour articuler écologie biblique et engagement chrétien en faveur de la durabilité et de la justice environnementale.

1.    La « Terre sacrée » dans les cosmovisions africaines comme don divin  

Le passage de Genèse 2:15 : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden, pour le cultiver et le garder » est couramment interprété comme un mandat de responsabilité écologique. Il souligne une vision où la terre est perçue comme sacrée, imprégnée du divin, et régie par des principes de respect et d’équilibre. Déjà, dans Genèse 1 :26-28, l’humanité reçoit la mission de dominer sur la création. Toutefois, ce concept de « domination » (hébreu radah) doit être compris non pas comme un droit à la destruction ou à l’exploitation abusive, mais comme une charge de gestion et de protection, à l’image du berger qui prend soin de son troupeau. Cette lecture est corroborée par des théologiens tels que Walter Brueggemann, qui souligne que « l’autorité humaine dans la Bible est toujours liée à la responsabilité devant Dieu et à la solidarité avec la création[24] ».

Dans cette optique, les cosmovisions africaines convergent avec l’éthique biblique. L’homme africain, en tant qu’intendant de la création, comprend qu’il détient un rôle sacré qui l’oblige à agir avec respect et responsabilité envers la terre. Le verbe cultiver ('abad) traduit à la fois l’idée de service et de travail, tandis que garder (shamar) évoque la protection et la préservation. Ces dimensions trouvent un écho dans les pratiques africaines traditionnelles, où l’acte de rendre culte à la terre manifeste une compréhension spirituelle de son rôle : l’homme n’est pas le maître absolu de la nature, mais bien son serviteur et protecteur. Cette relation de service et de garde implique que l’exploitation des ressources naturelles doit se faire dans le respect des limites écologiques établies par le Créateur. À partir de ce constat, il s’agit pour moi ici, au moment où tout le monde parle d’environnement, de protection et de meilleure gestion de l’écosystème, d’interroger la tradition africaine d’une part, pour dégager et comprendre sa vision de la diversité biologique(nature), longtemps négligée dans la recherche des solutions aux problèmes de l’environnement en Afrique ; d’autre part, il s’agit d’analyser comment cette vision est conciliée à l’écologie biblique et les conséquences qui en auraient résulté sur le plan écologique. Car, le monde, notons-le, dans la cosmogonie africaine, se subdivise en deux sphères : l’une visible et l’autre invisible mais les deux sont en interrelations perpétuelles par la communication des puissances invisibles. L’homme africain, élément du monde visible, reste uni au monde invisible. De même, la végétation ne se limite pas à un simple élément du paysage ou à une ressource exploitable ; elle incarne une présence spirituelle qui relie l’homme au divin et aux ancêtres. Cette dimension sacrée se traduit par des pratiques religieuses et culturelles où certains arbres et plantes sont considérés comme des médiateurs entre les mondes visible et invisible. C’est pourquoi, Les arbres occupent une place centrale dans la pensée africaine et sont souvent perçus comme des gardiens de la mémoire collective. Certains arbres anciens deviennent des lieux de prière et de médiation où les sages transmettent les traditions et les enseignements des ancêtres. Jean-Marc Éla souligne à cet égard que « les grands arbres sont des témoins de l’histoire, ils sont les sanctuaires où l’homme dialogue avec le divin [25]». Certaines forêts sont protégées non par des législations modernes, mais par des tabous et des croyances ancestrales. Ces forêts sacrées servent de refuges écologiques et sont préservées par des règles communautaires strictes interdisant la coupe d’arbres ou l’exploitation des terres sans rite de purification. Ces espaces sont aussi des lieux de médiation spirituelle, où l’on croit que les esprits des ancêtres résident et protègent les vivants. À vrai dire, la conception africaine qui fonde cette vision apparaît être une religion de l’alliance éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres et de Dieu. Uni à la nature, l’homme africain avisé y reconnaît cependant une entité peuplée de puissances tant bienfaisantes que malveillantes. En d’autres termes, chez l’africain, la nature est un réservoir de signifiants et de signes. C’est pourquoi, l’homme africain doit être attentif à tous les signes du cosmos, porteurs du message, chargés de significations que les devins essaient toujours d’interpréter afin de mettre leur force vitale à l’abri des agressions des forces malveillantes, mais aussi se rendre favorables à celles bienfaisantes.

Pour tout dire, chez les africains en général, la nature est significative. Dans cette perspective, il est beaucoup facile de réhabiliter le lien sacré entre l’homme et la nature végétale. Cette pensée africaine permet non seulement de renforcer la préservation écologique, mais aussi de renouveler la théologie de la création à travers une approche contextuelle et incarnée. En conjuguant les savoirs africains et la théologie chrétienne, une écologie intégrée, fondée sur la responsabilité et la gratitude, peut émerger pour répondre aux crises environnementales contemporaines.

En ce sens, l’Africain initié sait qu’il n’est pas propriétaire de la terre, mais un administrateur au service de la création divine. Il est chargé de maintenir son équilibre, tout en valorisant sa beauté et sa santé, dans une attitude de gratitude envers les dons de Dieu. Comme l’exprime Jürgen Moltmann, « la création est un espace d’alliance où l’homme est invité à collaborer avec Dieu pour préserver l’harmonie et l’ordre du cosmos [26]». Ainsi, l’homme africain se perçoit comme un partenaire de Dieu dans l’œuvre continue de création, contribuant à un modèle d’écologie intégrée et respectueuse de la nature.

Malgré tout, la chute de l’homme, telle que décrite dans Genèse 3, ne représente pas seulement une rupture entre Dieu et l’humanité ; elle marque également une fracture profonde entre l’homme et la nature. En effet, la malédiction de la terre (Gn 3:17-19) introduit une dimension d’exploitation égoïste et déséquilibrée de la création, exacerbant les tensions entre l’homme et son environnement. Cette réalité théologique s’illustre dans les cultures africaines contemporaines, où l’on observe un affaiblissement des rites d’harmonie avec le divin, souvent remplacés par des pratiques qui contribuent à la dégradation écologique. Comme le souligne Mbiti, « le lien entre l’homme africain et la terre sacrée s’effrite sous la pression des forces modernes d’industrialisation et de matérialisme [27]»

Ainsi, les relations entre Dieu, l’homme africain moderne et la nature sont devenus  de plus en plus ténues, engendrant ce que l’on peut appeler une triple fracture : théologique, écologique et anthropologique. Cette rupture appelle une réflexion urgente pour reconsidérer la vocation de l’homme africain en tant que gardien et collaborateur de la création divine.

Genèse 2 :15 : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder », offre un cadre biblique qui invite à repenser cette relation. Le mandat divin de « cultiver » ('abad) et de « garder » (shamar) la terre souligne non seulement l’importance de la responsabilité humaine, mais également la nécessité d’une gestion durable et respectueuse des ressources naturelles, en harmonie avec les principes écologiques.

Dans ce contexte, une approche intégrant les savoirs traditionnels africains, caractérisés par une compréhension holistique des écosystèmes et une interconnexion spirituelle avec la nature, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour une écologie intégrée. Car,  selon Desmond Tutu, « la crise écologique actuelle est une opportunité pour les Églises de retrouver leur rôle prophétique en appelant à la justice environnementale et à une théologie de la création responsable[28] ». Ainsi, la question demeure : comment les chrétiens africains peuvent-ils redécouvrir leur héritage traditionnel tout en éclairant leurs engagements écologiques à la lumière de Genèse 2 :15 ?

2.    Repenser l’écologie africaine avec un mandat de gérance sacrée

Repenser la protection écologique en Afrique, à la lumière du texte de Genèse 2:15, engage un processus de redécouverte, de réhabilitation et de modernisation des pratiques ancestrales fondées sur le respect des équilibres naturels. Ce passage biblique : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder » introduit une double responsabilité : celle de cultiver la terre, signifiant un usage productif et harmonieux, et celle de la garder, impliquant la préservation et la protection de sa beauté et de son équilibre. Dans les traditions africaines, cette vocation s’inscrit dans une cosmovision où l’homme est un gardien sacré, agissant en collaboration avec les forces divines et spirituelles pour assurer l’harmonie écologique. Comme le note Laurenti Magesa, « les pratiques religieuses africaines valorisent l’idée de responsabilité envers la création en tant que prolongement de la relation avec le divin [29]».

Ce mandat divin converge avec les traditions ancestrales africaines, où l’harmonie avec l’environnement constitue un pilier spirituel. La question devient alors pertinente : comment conjuguer les racines africaines avec la vision biblique pour reconstruire une approche écologique intégrée ? Genèse 2:15 invite à dépasser une vision purement matérialiste de la nature pour adopter une lecture spirituelle, dans laquelle l’homme n’est pas un propriétaire de la terre, mais un administrateur au service du Créateur. Comme l’affirme Jürgen Moltmann, « l’homme est appelé à participer activement à l’œuvre de la création en préservant l’ordre divin et en respectant les limites imposées par la nature [30]».

Par ailleurs, cette réflexion engage des implications anthropologiques et écologiques profondes. La modernisation des pratiques ancestrales, telles que la gestion durable des forêts et des sols, peut offrir un modèle de durabilité aligné sur les enseignements bibliques. L’africain moderne est ainsi invité à considérer son rôle non seulement comme celui d’un cultivateur, mais également comme celui d’un protecteur et collaborateur dans la mission divine de préservation de la création. Ce dialogue entre la tradition africaine et la théologie biblique offre une base solide pour reconfigurer une écologie qui réponde aux défis contemporains tout en restant fidèle aux racines spirituelles et culturelles du continent.

Cette vision implique un rapport éthique et spirituel à la terre, qui doit être respectée en tant que don de Dieu. Le but, c’est de concilier les traditions africaines et la sagesse biblique pour éclairer un nouveau chemin de respect, de sobriété et de communion avec la terre, c’est faire de l’écologie un acte de foi, de respect et de justice.

3.    Transformer l’Église africaine en prophète écologique

Pour incarner pleinement son rôle de prophète écologique, l'Église africaine doit offrir à ses communautés un chemin de transformation à trois niveaux :

1.       Amener les chrétiens à concilier pratiques traditionnelles et approches nouvelles

La mémoire collective africaine recèle un ensemble précieux de savoirs ancestraux, façonnés par des siècles de coexistence harmonieuse entre les communautés et leur environnement naturel. Ces savoirs, fondés sur la sacralité de la terre, ne relèvent pas du folklore, mais d’une écologie vécue, éprouvée et transmise à travers les générations. À l’heure où les crises environnementales appellent à une refonte des paradigmes écologiques contemporains, il devient impératif de revisiter, de valoriser et d’articuler ces connaissances aux stratégies modernes, afin de faire émerger une écologie enracinée, conjuguant héritage africain et vision universelle.

Cette dimension spirituelle du rapport à la nature trouve un fondement théologique dans Genèse 2:15 : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder ». Ce verset biblique souligne une double vocation : cultiver la terre, c’est-à-dire en faire usage de manière responsable et productive, et la garder, impliquant sa préservation et la reconnaissance de son rôle dans l’ordre divin. Comme le soutient Jürgen Moltmann, « la création est un espace d’alliance où l’homme est invité à collaborer avec Dieu pour préserver l’harmonie du cosmos[31] ». Cet appel à une gestion respectueuse de l’environnement résonne profondément avec les cosmovisions africaines, qui considèrent la terre non comme une simple ressource exploitable, mais comme un espace sacré, témoin de la présence divine[32].

Dans les sociétés africaines traditionnelles, cette approche se traduisait par des pratiques agricoles et environnementales qui démontraient une compréhension intuitive des cycles naturels. Ainsi, bien avant l’essor des sciences agronomiques modernes, des paysans africains pratiquaient la rotation des cultures, l’association des plantes et la gestion collective des ressources, non à travers des manuels écrits, mais par la transmission orale et l’apprentissage communautaire. Ces méthodes exprimaient une vision du monde où l’homme n’était qu’un élément d’un tout, où la terre était vivante et où l’usage des ressources s’accompagnait toujours d’une réflexion sur leur préservation. Comme l’explique Laurenti Magesa, « la spiritualité africaine est intrinsèquement écologique, elle repose sur un respect mutuel entre l’homme et son environnement[33] »

Plusieurs exemples illustrent cette synergie entre tradition et modernité. La technique du zaï, pratiquée au Burkina Faso et remise en valeur par des agriculteurs tels que Yacouba Sawadogo[34], a permis de restaurer des terres arides en optimisant la rétention d’eau et de nutriments dans les sols. Au Ghana et au Bénin, certaines forêts sacrées, préservées selon des règles ancestrales, se révèlent aujourd’hui être des refuges de biodiversité plus efficaces que certains parcs nationaux. De même, la valorisation des semences locales, adaptées aux réalités climatiques et résistantes aux maladies, s’oppose à la standardisation imposée par les OGM. Comme le souligne Vandana Shiva, « la préservation des semences traditionnelles est une lutte pour la souveraineté écologique et alimentaire [35]».

Ces pratiques ne sont pas des reliques du passé ; elles illustrent l’hybridation possible entre tradition et modernité, démontrant que les savoirs anciens peuvent contribuer aux solutions écologiques contemporaines. Dans de nombreuses régions de Centrafrique, certains arbres sont intouchables, certaines forêts sont sacrées, et des jours sont dédiés à la contemplation et au silence. Ce n’est pas un vestige folklorique, mais un rappel profond que, comme l’exprime le Psaume 24:1, « à l’Éternel la terre et tout ce qu’elle contient ». Loin d’être une simple ressource, la création appartient à Dieu et doit être respectée avec gratitude et humilité.

La Bible elle-même nous rappelle cette vérité : « À l’Éternel la terre et ce qu’elle renferme » (Psaume 24:1). Nous ne sommes pas les propriétaires de la création, comme souligné ci-haut, mais ses gardiens. Et cette responsabilité, nos aînés la vivaient souvent de manière plus concrète que nous aujourd’hui.

2.      Éduquer les chrétiens à une éthique biblique de l’écologie

Loin d’être un simple choix ou une préoccupation secondaire, l’écologie s’impose comme une véritable exigence de foi et une dimension intégrale de la spiritualité chrétienne. Elle représente un chemin d’obéissance et de gratitude envers Dieu, à travers lequel le chrétien africain renoue avec les savoirs ancestraux pour respecter les cycles naturels, cultiver la terre avec discernement, partager équitablement les ressources et défendre la justice climatique. Comme le souligne Genèse 2:15, l’homme est placé dans la création avec une double mission : cultiver ('abad), qui implique un travail respectueux, et garder (shamar), qui signifie protéger et préserver l’équilibre du monde que Dieu a confié aux humains. Cette vocation écologique est indissociable de la foi chrétienne, puisqu’elle reflète le dessein divin de responsabilité et de gestion durable de la terre.

Cependant, cette responsabilité ne se limite pas à la préservation de l’environnement ; elle est aussi un acte d’amour et de solidarité envers son prochain. Les premiers à subir les conséquences des désastres écologiques sont souvent les populations les plus vulnérables, celles qui vivent au plus près de la terre et en dépendent directement pour leur survie. Prendre soin de la nature, c’est donc aussi répondre à l’appel à la justice sociale et humaine, comme l’exprime le Pape François :

L’environnement est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité de tous. Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour l’administrer pour le bien de tous. Si nous ne le faisons pas, nous chargeons notre conscience du poids de nier l’existence des autres.[36].

Ainsi, l’engagement écologique du chrétien s’inscrit dans une dynamique de foi, de justice et de fraternité. Cette œuvre est celle du Christ et dépasse la seule rémission des péchés individuels. Elle embrasse une réconciliation universelle, incluant toute la création. Colossiens 1:20 affirme que Dieu a voulu, par le Christ, « réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux ». Cette perspective biblique appelle l’Église à jouer un rôle prophétique en intégrant l’écologie à la théologie chrétienne. Comme l’explique Jürgen Moltmann, « la rédemption en Christ ne concerne pas uniquement l’homme, mais toute la création, qui aspire à être restaurée dans son intégrité [37]».

Ainsi, l’Église doit œuvrer à réconcilier la foi chrétienne et les savoirs ancestraux africains, en rejetant toute forme d’idolâtrie, mais en valorisant les pratiques de respect, de partage et de sobriété qui s’alignent avec l’appel biblique à préserver la création. Comme le souligne Col 1, 19-20 : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix»

Pour enseigner cette éthique de manière efficace, il est essentiel d’adopter une pédagogie contextuelle, qui parle au cœur des fidèles et éclaire leur rôle de disciples du Christ. Le chrétien africain est appelé à être une bénédiction pour la terre, à vivre l’Évangile jusque dans sa relation au monde naturel. Comme le rappelle Leonardo Boff, « toute théologie authentique doit inclure une écologie intégrale, car la terre est la première révélation de Dieu et le lieu où s’incarne l’amour divin [38]». Enseigner cette vision dans les Églises africaines, c’est donc offrir aux communautés un chemin de transformation qui conjugue spiritualité, responsabilité sociale et engagement écologique. Il s’agit d’amener les chrétiens à voir leur responsabilité envers la nature comme une expression de leur foi et une réponse à l’appel divin à préserver l’ordre et la beauté de la création.

3.      Réinterpréter des textes bibliques à la lumière des enjeux environnementaux 

Réinterpréter les textes bibliques ne se limite pas à une lecture théorique, mais engage un dialogue avec les savoirs et pratiques traditionnels[39]. En Afrique, la terre est souvent considérée comme sacrée, et les rites tels que la libation ou la préservation des forêts sacrées reflètent une compréhension spirituelle profonde de la relation homme-nature. Ces pratiques peuvent être alignées avec les enseignements bibliques pour construire une écologie théologique qui valorise à la fois les racines africaines et les impératifs environnementaux contemporains.

En effet, l’Église doit s’investir d’une mission prophétique qui implique de réinterpréter les Écritures à la lumière des enjeux écologiques. Cette réinterprétation ne se limite pas à une lecture théorique, mais engage les fidèles à comprendre que leur engagement écologique est une réponse directe à l’appel divin. Genèse 2:15 confère à l’humanité un mandat clair : "cultiver et garder" la création. Ces actions, loin d’être dissociées, témoignent d’un équilibre entre usage responsable des ressources naturelles et préservation attentive de l’ordre divin. Ce mandat fonde une théologie intégrée, où foi et écologie s’entrelacent pour former une vocation chrétienne globale.

Le Pape François, dans son encyclique Laudato Si’, rappelle que « protéger notre maison commune est une responsabilité spirituelle et morale, impliquant la conversion des cœurs et des habitudes[40] ». Cette vision invite l’Église à enseigner que l’écologie ne relève pas d’une option secondaire, mais constitue une dimension essentielle de la foi. En liant la préservation de la création au souci des générations futures, l’Église met en lumière le caractère éthique et eschatologique de cet engagement. Comme le souligne Leonardo Boff, « l’écologie intégrale place l’homme dans une relation dynamique avec la terre, non pas comme un maître, mais comme un partenaire dans l’œuvre de création [41]»

Ainsi, cette pédagogie incarnée appelle les fidèles à reconnaître que leur rôle de gardien de la création est un acte de justice écologique et sociale. Ceux qui souffrent le plus des bouleversements climatiques sont souvent les plus vulnérables, une réalité qui interpelle la vocation chrétienne à défendre les plus démunis. En enseignant que la préservation de la création est un acte de foi, l’Église relie l’appel à la conversion écologique à celui de la justice universelle. Cette mission prophétique, inscrite dans la réconciliation cosmique évoquée par Colossiens 1: 20 : « réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux » ouvre une voie où la foi chrétienne engage activement la protection et la restauration de la création.

En définitive, être prophète écologique, c'est vivre et enseigner l’Évangile dans toutes ses dimensions, notamment dans le rapport de l’homme à la création. Cette mission de l’Église africaine, lorsqu’elle est incarnée dans une pédagogie concrète, peut ouvrir la voie à une transformation durable, alignée sur la vocation divine de "garder" et "cultiver" la terre. Ce chemin, comme le rappelle le Pape François,  requiert non seulement des changements dans nos modes de vie, mais aussi une conversion spirituelle profonde. En effet, il souligne que :

Nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirions par adorer d’autres pouvoirs du monde, ou bien nous nous prendrions la place du Seigneur au point de prétendre piétiner la réalité créée par lui, sans connaître de limite. La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts[42].

Conclusion

La comparaison entre l'écologie biblique, représentée par Genèse 2:15, et les cosmovisions africaines autour de la notion de « terre sacrée » révèle des points de convergence qui enrichissent la compréhension des responsabilités humaines envers la création. Genèse 2:15, où l’homme est placé dans le jardin d’Éden pour le "cultiver et le garder", offre un cadre théologique solide qui établit la double vocation humaine : celle de travailler la terre de manière productive tout en la protégeant avec soin et respect. Cette double responsabilité reflète une conception où la gestion des ressources naturelles est indissociable d’une éthique spirituelle profondément enracinée dans le projet divin.

De manière similaire, les cosmovisions africaines valorisent la terre comme un espace sacré, un lieu de vie et de communion avec les ancêtres et les forces spirituelles. Ces traditions, qui mettent l’accent sur l’interconnexion entre l’homme, la nature et le divin, proposent une vision holistique de l’environnement où la préservation de la terre devient un devoir moral et collectif. Par exemple, les pratiques telles que la préservation des forêts sacrées, la gestion durable des sols et les rituels de respect envers la nature démontrent une compréhension intuitive des cycles écologiques et des limites naturelles.

En croisant les perspectives bibliques et africaines, il apparaît que la terre, qu’elle soit considérée comme un don divin ou comme une matrice sacrée, exige une gestion responsable et respectueuse. Ce dialogue entre théologie et traditions africaines invite à une écologie intégrée, où foi, culture et durabilité s’entrelacent pour relever les défis environnementaux contemporains.

Ainsi, cette étude comparée ne se limite pas à mettre en lumière des similitudes ; elle ouvre également la voie à une réflexion sur la complémentarité entre la spiritualité biblique et les savoirs ancestraux. En redéfinissant la relation entre l’homme et la création à travers ces deux perspectives, elle propose une approche éthique et spirituelle capable de répondre aux crises écologiques actuelles tout en respectant les racines culturelles des communautés africaines.

Cette thématique interpelle les Églises africaines à intégrer ces visions dans leurs enseignements, en adoptant une pédagogie qui valorise la préservation de la création comme une expression de foi, de justice sociale et de responsabilité écologique. La « maison commune », telle que décrite dans Laudato Si’ par le Pape François, devient alors un espace où tradition et modernité, sacré et durable, peuvent se rencontrer pour assurer un avenir harmonieux et respectueux de l’œuvre divine.

                                                                                                            Jimi ZACKA, PhD

 

Bibliographie indicative

I. Ouvrages théologiques

  • Bauckham, R. Bible and Ecology: Rediscovering the Community of Creation. Baylor University Press, 2010.

·       Boff, L., Cry of the Earth, Cry of the Poor, 1997.

Brueggemann, W. The Land: Place as Gift, Promise, and Challenge in Biblical Faith Philadelphia, Fortress Press, 1977. pp. 203.

·       Ela J.M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Karthala, Paris : 2003.

·       Heyer, R. & Kabasele Lumbala, F. (2011). “Théologie africaine et vie ». Théologiques, 19(1), 5–12. https://doi.org/10.7202/1014177

·       Kabasele Lumbala, F. (2011). « Liturgies africaines et vie ». Théologiques, 19(1), 147–162. https://doi.org/10.7202/1014185ar, consulté le 3/05/2025

  • Moltmann, Jürgen. God in Creation: An Ecological Doctrine of Creation. Fortress Press, 1985
  • Pape François. Laudato Si’ : Sur la sauvegarde de la maison commune. Éditions du Cerf, 2015.

·       Tutu D., God has a dream: A vvision of hope for our time, ed. Doubleday, New-York, 2004.

II. Ouvrages sur les traditions africaines et l’écologie

  • Magesa, Laurenti. African Religion: The Moral Traditions of Abundant Life. Orbis Books, 1997.

  • Mbiti, John S. African Religions and Philosophy. Heinemann, 1969
  • Mudimbe,Y. V. , The invention of Africa, Indiana University Press, 1988..
  • Vandana. S., Earth Democracy: Justice, Sustainability and Peace. South End Press, 2005.

III. Études sur les savoirs et pratiques environnementaux

·       Behera, M.C., et Engelhard, B. Ecology and Development in the Third World. Routledge, 2017.

·       Hampaté Bâ., H, in Vie et enseignement, Seuil, 1980.

·       Sawadogo, Yacouba. La révolution du Zaï : Restaurer la terre pour nourrir le peuple. Éditions Actes Sud, 2017.

·       Tempels, P., La Philosophie Bantoue, Présence Africaine, 1945


[1] Cf. Tempels, P., La Philosophie Bantoue, Présence Africaine, 1945.

[2] Lire BOKAR, T., cité par Hampaté Bâ., H, in Vie et enseignement, Seuil, 1980.

[3] A cet effet, lire Mbiti, J., African Religions and Philosophy, Heinemann, 1969, pp. 27-28.

[4] La notion de rupture, comme évoquée dans Genèse 3, met en lumière un déséquilibre introduit dans l’ordre naturel par le péché humain. Cette fracture s’étend à la création entière, rendant cruciale la réconciliation cosmique par le Christ (Colossiens 1:20). En Afrique, ce déséquilibre a été exacerbé par la colonisation, la modernisation et les transformations sociales. Une théologie réconciliatrice, intégrant à la fois les Écritures et les pratiques ancestrales, pourrait offrir une réponse puissante aux crises écologiques actuelles.

[5] La rupture de la sacralité de la nature en Afrique s’explique ainsi par une combinaison de facteurs historiques, culturels et théologiques, qui ont progressivement érodé les pratiques et les croyances ancestrales en harmonie avec la création.

[6] L’arrivée des colonisateurs en Afrique a introduit une vision utilitariste de la terre, où celle-ci est réduite à une ressource exploitable et où les savoirs écologiques traditionnels sont marginalisés. Les forêts sacrées, les rites de libation et les tabous environnementaux ont été souvent dénigrés ou supprimés, au profit d’une exploitation intensive des ressources naturelles. Cela a contribué à une déconnexion entre les communautés et la perception sacrée de la nature L’arrivée des colonisateurs en Afrique a introduit une vision utilitariste de la terre, où celle-ci est réduite à une ressource exploitable et où les savoirs écologiques traditionnels sont marginalisés. Les forêts sacrées, les rites de libation et les tabous environnementaux ont été souvent dénigrés ou supprimés, au profit d’une exploitation intensive des ressources naturelles. Cela a contribué à une déconnexion entre les communautés et la perception sacrée de la nature. Lire à cet effet Vandana.S., Earth Democracy: Justice, Sustainability and Peace. South End Press, 2005.

[7] Mbiti, John S. op.cit. , p.20.

[8] Mbiti écrit à ce propos : « Les religions africaines traditionnelles sont profondément enracinées dans le respect de la création. Cependant, ces pratiques ont été compromises par l’impact du colonialisme et des forces de modernisation »  ibid, p.25.

[9] Lire à ce propos Mudimbe,Y. V. , The invention of Africa, Indiana University Press, 1988.

[10] Le mandat biblique conféré à l’homme dans Genèse 2:15 ("cultiver et garder" la terre) confère à l’Église une base scripturaire solide pour appeler les fidèles à la responsabilité écologique. En tant qu’institution prophétique, l’Église peut rappeler que la création, dans toute sa diversité, appartient à Dieu (Psaume 24:1) et invite à une gestion respectueuse et responsable de ses dons. Comme le note Moltmann, « l’Église est appelée à témoigner de la rédemption de toute la création et non seulement des âmes humaines » Moltmann, J.,   God in Creation: An Ecological Doctrine of Creation. Fortress Press, 1985, p.48.

    [11] Face à l'urgence des crises environnementales et aux déséquilibres écologiques croissants, l'Église est appelée à se positionner comme un véritable prophète écologique. Cette mission prophétique ne se limite pas à dénoncer les abus de la création, mais vise également à promouvoir une pédagogie incarnée, enracinée dans la foi chrétienne et engagée dans la protection de la "maison commune", selon l'expression du Pape François. Pape François, lett.enc.  Laudato Si’ : Sur la sauvegarde de la maison commune. Éditions du Cerf, 2015, pp.17-48.

[12] L’expression « maison commune », popularisée par le Pape François dans Laudato Si’ibid, reflète une vision intégrale de la création comme un espace partagé par toute l’humanité, un lieu de vie qui exige respect, solidarité et responsabilité. Cette notion dépasse la simple gestion environnementale pour inclure une approche théologique, sociale et éthique profondément enracinée dans l’enseignement biblique et les cosmovisions africaines.

[13] C’est pourquoi, d’ailleurs, le Pape François, dans Laudato Si’,ibid,  appelle à une « conversion écologique » qui dépasse les limites individuelles pour inclure une responsabilité collective envers la création. Les savoirs africains ancestraux – tels que les forêts sacrées et les tabous environnementaux – constituent une ressource précieuse pour renforcer cette conversion. Ces pratiques s’alignent sur une vision chrétienne de la gestion responsable de la terre, comme décrite dans Genèse 2:15

 14] Il faut souligner qu’en versant les premières gouttes d’eau ou de toute autre boisson, l’individu affirme son gratitude envers les forces divines, reconnaissant que tout ce qui lui est donné provient d’une source sacrée. C’est une manière d’intégrer la dimension spirituelle à un acte quotidien, en incarnant un respect des cycles naturels et des bienfaits que la terre procure.

[15] Dans de nombreuses cultures africaines, verser les premières gouttes à terre est un moyen d’honorer les ancêtres, considérés comme des médiateurs entre le monde visible et invisible. Cet acte est une marque de respect, une façon de les inviter à partager le moment de consommation avec les vivants. Comme l’explique Mbiti,J., « les ancêtres ne sont pas des esprits éloignés, ils restent impliqués dans la vie de leurs descendants et reçoivent des offrandes pour maintenir l’équilibre » Mbiti, op.cit. p. 35


[16] Verser une libation est aussi un rappel de l’interdépendance qui existe entre l’homme et la nature. C’est un geste qui exprime une éthique écologique implicite, reconnaissant que l’homme ne peut exister sans l’équilibre naturel qui l’entoure. Cette approche rejoint la théologie biblique qui affirme dans Genèse 2:15 que l’homme est placé dans la création pour la cultiver et la garder, soulignant ainsi la nécessité d’un rapport respectueux avec la nature.

[17] Kabasele Lumbala, F. (2011). « Liturgies africaines et vie ». Théologiques, 19(1), 147–162. https://doi.org/10.7202/1014185ar, consulté le 3/05/2025

            [18] Dans les cosmovisions africaines, l’être humain est perçu comme faisant partie d’un tout sacré, où la terre est vivante et animée par des forces spirituelles. Cette approche rappelle l’éthique biblique de l’intendance, où l’homme est chargé de cultiver et de garder la création. Comme l’explique Laurenti Magesa, dans « les traditions africaines offrent une anthropologie qui relie étroitement l’homme, la nature et le spirituel » Maryknoll, N.Y. : African Religion: The Moral Traditions of Abundant Life, Orbis Books , 1997).

[19] Dans la Bible, la création est décrite comme un don divin confié à l’humanité. Psaume 24:1 affirme : « À l’Éternel la terre et tout ce qu’elle contient », ce qui signifie que l’homme n’est pas propriétaire absolu de la création, mais un gardien chargé de sa préservation. Genèse 2:15 renforce cette responsabilité en précisant que l’homme doit « cultiver et garder » la terre, une mission qui implique un équilibre entre usage et préservation. Comme l’affirme Jürgen Moltmann, « l’homme est appelé à collaborer avec Dieu dans la gestion du cosmos, non comme un exploitant, mais comme un serviteur » Moltmann, op.cit., p. 30.

[20] Dans les traditions africaines, la terre est bien plus qu’un espace physique ; elle est vivante et porte une dimension spirituelle profonde. Certaines communautés pratiquent la libation, où les premières gouttes d’une boisson sont versées à la terre en signe de reconnaissance. Les forêts sacrées en Afrique de l’Ouest illustrent aussi cette approche, conservant une biodiversité essentielle grâce à des règles ancestrales de préservation. Laurenti Magesa souligne que « la spiritualité africaine repose sur une relation dynamique avec la terre, où chaque élément naturel est porteur de sacralité » (African Religion: The Moral Traditions of Abundant Life, 1997).

  21] Kabasele, Lumbala, F., Écologie et spiritualité africaines, 2014.

[22] Cf. Heyer, R. & Kabasele Lumbala, F. (2011). “Théologie africaine et vie ». Théologiques, 19(1), 5–12. https://doi.org/10.7202/1014177

[23] Moltmann, J., op.cit., 40.

 [24] Lire Brueggemann, W. The Land: Place as Gift, Promise, and Challenge in Biblical Faith Philadelphia, Fortress Press, 1977. pp. 203.

  [25] Cf., Ela J.M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Karthala, Paris : 2003.

[26] Moltmann, J., op.cit., p.10

[27] Mbiti, op.cit., 25

[28] Lire à cet effet, Tutu D., God has a dream: A vvision of hope for our time, ed. Doubleday, New-York, 2004.

 [29] Mugesa, L., op.cit., p.38.

[30] Moltmann, op.cit.p.25

[31] Ibid.

[32] Ibid

[33] Mugesa, op.cit., p.15

[34]  Cf . Yacouba, S. La révolution du Zaï : Restaurer la terre pour nourrir le peuple. Éditions Actes Sud, 2017.

[35] Vandana, op.cit., p. 10

[36]  François, op.cit. 95, p.75.

[37] Moltmann, J. op.cit,

[38] Boff, L., op.cit., 2015.

[39] Le Pape François le souligne à juste raison en ces termes : « Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à ‘‘dominer’’ la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination absolue sur les autres créatures. Il est important de lire les textes bibliques dans leur contexte, avec une herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils nous invitent à ‘‘cultiver et garder’’ le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que ‘‘cultiver’’ signifie labourer, défricher ou travailler, ‘‘garder’’ signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque communauté peut prélever de la bonté » op. cit. 67, p.53

[40] Pape François l’écrit en ces termes : « Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune. » Ibid., 13. p.12

[41] Cf. Boff, L., Cry of the Earth, Cry of the Poor, 1997.

[42] François, Ibid., 75, pp 59-60

.