Introduction
Qu'est-ce qui rend l'Afrique si fascinante et captivante en
tant que continent ?
La réponse mettrait certainement en lumière les nombreux attraits écologiques
de l'Afrique, grâce à l'abondance de ses richesses naturelles. Bien qu'il soit
indispensable de reconnaître les défis écologiques, sociaux et économiques
auxquels elle fait face, ainsi que sa vulnérabilité aux changements
climatiques, l'Afrique conserve une perspective unique sur la nature.
En effet, la notion de « nature
sacrée » reste profondément enracinée dans les traditions africaines.
Dans de nombreuses
coutumes africaines, la nature n'est pas seulement vue comme une ressource à
exploiter, mais comme une entité vivante, dotée d'une dimension spirituelle. Ce
lien entre la nature et le sacré dans les croyances africaines trouve l’écho
dans la vision biblique de la nature comme un lieu de rencontre avec Dieu.
Malheureusement,
à un moment donné de l’histoire de l’écologie, l'homme s’est senti maître de la
création et cela lui a servi de justification de dominer sur la nature pendant
des siècles. Cette vision hiérarchique n’a pas épargné l'Afrique,
et cela a entraîné une rupture majeure.
Laquelle
rupture a engendré une dynamique prédatrice, entraînant la destruction massive
des forêts par les feux de brousse, l’extinction de nombreuses espèces dues à
des pratiques de chasse anarchiques, ainsi qu’une perturbation profonde de
l’équilibre atmosphérique pour diverses raisons. Cette idéologie de supériorité
humaine a façonné des structures économiques et politiques fondées sur
l’exploitation aveugle des ressources, mettant en péril la durabilité des
écosystèmes et menaçant la vie elle-même. Par conséquent, la
logique du profit immédiat et de la croissance illimitée a accéléré la
déforestation, menaçant non seulement la biodiversité, mais aussi l’équilibre
climatique global. La conversion massive des terres forestières en espaces
agricoles intensifs, encouragée par des politiques extractivistes, a conduit à
une disparition rapide des habitats naturels. Vandana Shiva affirme ainsi que « la réduction
de la nature à une marchandise conduit à un appauvrissement écologique et
spirituel ».
La destruction
des écosystèmes naturels en Afrique ne peut être dissociée d’une perte de la
spiritualité liée à la terre. Traditionnellement, chaque arbre, chaque source
d’eau et chaque colline étaient investis d’une sacralité qui régulait
l’exploitation humaine. La modernité a introduit une vision où la nature n’est
plus un espace de communion avec le divin, mais un réservoir de ressources à
exploiter. Comme l’affirme John Mbiti, « la
spiritualité africaine repose sur une interaction dynamique entre l’homme et
son environnement, où la nature participe à la structure cosmique du monde ».
Avec cette perte de
spiritualité, les interdits écologiques qui protégeaient la faune et la flore
ont été levés, entraînant la surexploitation des terres et la disparition de
nombreuses espèces. L’idée que l’homme est supérieur à la création et libre
d’en faire ce qu’il veut rejoint une théologie dévoyée qui réduit la domination
sur la terre (Genèse 1:26) à un pouvoir absolu et destructeur, alors que le
texte biblique invite plutôt à une gestion responsable
du monde.
Face à ces défis majeurs, en tant qu’africain, il devient impératif
d’opérer une transformation radicale, non seulement dans nos pratiques
quotidiennes, mais aussi dans notre conception philosophique et théologique de
la place de l’homme dans la création. L’enjeu n’est plus simplement de
satisfaire des besoins ou de poursuivre un progrès matériel, mais de
réapprendre à habiter la Terre dans une communion harmonieuse avec la nature
comme dans le passé.
Cela implique une reconnaissance des rythmes sacrés de la création et une
responsabilité renouvelée envers ce qui nous a été confié en tant que "gardiens"
dans le sens biblique du terme, comme en témoigne le mandat de Genèse 2:15. Ce
regard renouvelé, marqué par l’humilité et un engagement actif, appelle à une
éthique de la réciprocité où l’humanité ne domine pas la création, mais y
participe avec respect et gratitude.
1.
Vers une
tradition spirituelle sensible à la nature
Dans cette perspective, la
réflexion théologique prend une dimension essentielle. Les Églises sont
invitées à discerner dans la crise climatique un véritable "signe des temps", exigeant une réinterprétation des cadres
théologiques traditionnels à la lumière des impératifs environnementaux. Il s’agit d’une théologie incarnée, sensible aux
vulnérabilités de notre « maison commune », et engagée dans la quête d’une justice
écologique. Cette tâche s’avère particulièrement cruciale dans le contexte
africain.
Certes,
de nombreuses initiatives ont été déjà mises en œuvre pour promouvoir le
développement durable, l’éducation environnementale et la protection des
ressources naturelles, tout en renforçant la résilience des communautés.
Cependant, il est tout aussi essentiel d’explorer de nouvelles perspectives
ouvrant un vaste champ où spiritualité, écologie et traditions africaines
peuvent dialoguer pour rétablir une harmonie entre l’Afrique, ses racines
profondes et les défis contemporains. Tel est le but de ma modeste contribution
à cette étude.
Cela implique
une redécouverte de la cosmovision africaine et des représentations qu’elle
accorde au cosmos, à la nature, et à la place de l’homme dans l’univers. La
relation entre l’être humain et le divin – que ce soit Dieu ou les figures
spirituelles enracinées dans les cultures locales – mérite une réflexion
approfondie, notamment dans le cadre du rôle que Dieu confie à l’homme au sein
de la création.
Dans ce cadre, il est
essentiel de mettre en dialogue les savoirs contemporains en écologie, les
traditions chrétiennes et les récits cosmogoniques ainsi que les mythes
fondateurs qui ont marqué l’anthropologie africaine. Une approche renouvelée de
la révélation pourrait alors inspirer le chrétien africain à repenser sa
perception de Dieu et à réorienter ses engagements écologiques, en adoptant une
spiritualité enracinée dans la vie concrète et pleinement consciente de sa
mission en tant que gardien de la création.
Il est largement reconnu que
l'écologie africaine s'appuie sur une relation profondément symbiotique entre
l'être humain et son environnement, une relation qui trouve son expression dans
les pratiques religieuses, les rituels et les croyances traditionnelles.
Contrairement à une approche utilitariste de la nature, souvent prédominante
dans les sociétés industrialisées, la cosmovision africaine met en avant une
quête d'harmonie et de respect mutuel entre l'homme et son environnement. Dans
cette vision, l'Africain n'est pas un exploitant destructeur de la nature, mais
bien une partie intégrante d'un tout plus vaste, où chaque élément de la
création a une fonction et une signification particulière.
C’est dans cet esprit qu’il devient essentiel de
mobiliser les communautés chrétiennes pour dialoguer avec tous les acteurs
concernés, en vue de protéger la nature, défendre les plus vulnérables et bâtir
des réseaux de respect et de solidarité. Un tel dialogue, à la croisée de la
spiritualité, de l’écologie et des traditions africaines, ouvre des pistes
prometteuses pour réconcilier le continent avec ses racines ancestrales tout en
relevant ses défis modernes. Il s’agit de
savoir que sacraliser la terre ne se limite pas à une simple croyance
spirituelle ; cette approche porte en elle des implications concrètes et
profondes pour assurer la durabilité des ressources naturelles et la prospérité
des communautés. Elle s’inscrit dans une vision qui rejoint, par certains
aspects, l’idée chrétienne de l’homme comme serviteur et gardien
de la création divine. Dans de nombreux mythes africains, la terre occupe une
place centrale dans le récit de la création du monde, souvent associée à des
divinités créatrices qui façonnèrent l’univers et les premiers êtres humains.
Sacraliser la terre en Afrique représente donc une expression
éloquente de la vision holistique du monde propre à cette culture, où le
matériel et le spirituel sont intimement interconnectés. Cette relation est
marquée par une reconnaissance mutuelle, un respect profond et une
interdépendance harmonieuse. La terre devient alors un espace où la dignité de
l’homme africain prend tout son sens. En cultivant la terre, il ne se contente
pas de combattre les vices tels que l’ennui, le vol ou la paresse ; il met
également en lumière le caractère sacré de la création.
Pour lui, entretenir la terre revient à offrir une
prière agréable à Dieu. Par cet acte de sacralisation, l’homme parachève la
création et assume son rôle de co-créateur, conscient d’hériter d’un double patrimoine :
celui des ressources naturelles destinées à toute l’humanité, et celui des
fruits que la terre produit grâce à l’intervention divine, visant à promouvoir
des relations harmonieuses et positives entre l’homme et son environnement. D’ailleurs, dès
son jeune âge, l’Africain est formé à discerner la présence et l’action de Dieu
à travers les richesses que la terre lui offre, en résonance avec le Psaume 24
: « À l’Éternel appartient la terre et
tout ce qu’elle contient ». Reconnaître Dieu dans ces bienfaits revient à
comprendre que la terre ne se limite pas à un simple cadre matériel ou
économique, mais qu’elle revêt une dimension sacrée et spirituelle, participant
à l’ordre divin et au bien-être de l’humanité.
Dit autrement, la terre incarne une dimension profonde et
multidimensionnelle : spirituelle, thérapeutique, culturelle et cosmique. Sa
sacralité s’est transmise à travers les âges, depuis les traditions ancestrales
jusqu’aux pratiques religieuses modernes, devenant un fondement incontournable
de l’identité africaine. Pour
l’Africain, cette perception sacrée de la terre constitue un rempart contre
l’individualisme et nourrit une éthique de gratitude et de préservation. C’est dans cette dynamique que
s’inscrit une réflexion visant à approfondir cette relation unique avec la
création, comme je vais l’explorer en le développant de la manière suivante.
2. La « Terre sacrée » dans les
cosmovisions africaines comme espace de mémoire.
Contrairement à la vision occidentale
moderne qui tend à percevoir la terre comme une simple ressource à exploiter,
les traditions africaines la considèrent comme une mère nourricière, une
matrice porteuse d’une puissance spirituelle et morale. C’est pourquoi, dans de
nombreuses cultures africaines, y compris la mienne, il est de coutume, chaque
fois qu’une bouteille d’eau, de vin ou toute autre boisson est ouverte en
public ou en privé, de verser les premières gouttes à terre.
Ce geste, bien plus qu’une offrande aux ancêtres, constitue une véritable
liturgie, un acte de vénération envers la Terre elle-même, accompagné d’une
prière empreinte de respect et de reconnaissance : « Pour toi, Mère-Terre, voici ce que je vais consommer. Prends ta part et
partage ce moment avec mes ancêtres ».
Cette pratique
trouve aussi sa place dans l’ouverture des cérémonies traditionnelles,
qu’elles soient religieuses, politiques ou culturelles, où un hommage est rendu
aux mânes des ancêtres. L’omission du rituel de la libation par le prêtre ou la
prêtresse peut être perçue comme un affront aux esprits des ancêtres,
compromettant ainsi l’acceptation des offrandes et des prières. Dans un tel
cas, la cérémonie doit être recommencée afin de rétablir le lien spirituel et
assurer l’harmonie entre le monde visible et invisible. Comme Kabasele Lumbala
le décrit très bien en ces termes :
La vénération des ancêtres
se situe aux temps forts de la vie de la communauté, temps forts dictés par une
maladie, un événement insolite, la réussite dans une entreprise, la veille d’un
long voyage, un rêve où un ancêtre serait venu interpeller les vivants
terrestres contre l’oubli, etc. La vénération des ancêtres consiste en
l’offrande d’une volaille ou d’un animal de la basse-cour, offrande présidée
par l’aîné du groupe, autour duquel tous se rassemblent pour invoquer les
ancêtres, pour les remercier, leur demander secours, ou simplement se retremper
dans leur mémoire.Les rites d’initiation consistent à une action d’aide
apportée par le groupe à l’individu pour son accomplissement en tant qu’être
humain.
Ainsi, la
Terre est perçue comme un élément central de la cosmologie et de la
spiritualité. En d’autres termes, elle est souvent comme un être vivant, mère
nourricière, qui porte la vie, guérit et protège les hommes.
C’est une relation sacro-profane avec
la Terre, une relation de respect et de vénération. Cette vénération de la
Terre repose sur plusieurs considérations, notamment comme nourricière, elle
est vue comme celle qui nourrit les hommes à travers la nourriture, l’eau et la
santé.
Le respect dû à la Terre est alors comparé à celui qu'on doit à une mère, une
figure centrale dans la vie spirituelle et sociale de l’individu. De même,
certains croient que la Terre a une âme collective, un esprit qui veille sur
l’harmonie du monde naturel et humain. Les ancêtres sont souvent associés à la
Terre, et leur présence est ressentie à travers elle.
Si des offrandes sont
faites pour honorer les ancêtres, c’est pour garantir que la Terre continue à
être fertile. En effet, c’est pour la reconnaître
comme une source de subsistance matérielle, mais aussi comme un espace sacré,
en lien avec les divinités et les ancêtres.
Dans cette perspective, il apparaît fondamental d’approfondir l’analyse
des dimensions théologiques et écologiques de Genèse 2:15, qui offrent un cadre
essentiel pour comprendre la relation entre l’homme et la terre. Ce passage
biblique, qui exhorte l’être humain à "cultiver et garder" la
création, résonne particulièrement avec les cosmovisions africaines, où
l’harmonie avec la terre est perçue comme une exigence spirituelle et éthique
fondamentale. En effet, la terre ne se réduit pas à un simple espace physique
ou économique ; elle est à la fois un lieu de vie, un objet de vénération et un
symbole du lien profond entre l’humain et le divin.
Ainsi, la responsabilité confiée
à l’homme dans Genèse 2:15 trouve une résonance naturelle dans les conceptions
africaines de la sacralité du monde. En tant que gardien et cultivateur, l’être humain est appelé non seulement à assurer
sa propre subsistance mais aussi à veiller à l’équilibre spirituel et
écologique du monde. Cette mission s’inscrit dans une théologie de la
préservation et du respect, où l’homme n’est pas un exploitant de la nature,
mais un collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création. Dès lors, la
vocation écologique du chrétien africain ne peut être dissociée de son
engagement spirituel : elle exige une posture de soin et d’harmonie, fondée sur
une compréhension renouvelée de son rôle de "gardien" et de "serviteur" au sein de l’univers créé.
Cette vision trouve un écho profond dans les pratiques traditionnelles
africaines, où l’homme, en tant que cultivateur, est perçu comme un médiateur
entre la Terre et le monde spirituel, qu’il s’agisse des divinités ou des
ancêtres. Dans cette perspective, la relation entre l’homme et la nature
dépasse le cadre utilitaire : elle repose sur un respect sacré de la Terre, une
gestion responsable de ses ressources et une reconnaissance de son rôle
fondamental dans l’équilibre cosmique et humain. Cette approche s’inscrit
pleinement dans une théologie de la création, où la terre est un don divin
confié à l’humanité non pour être exploitée sans discernement, mais pour être
préservée avec soin et gratitude.
Dès lors, le chrétien africain est appelé à une
prise de conscience profonde face aux défis écologiques contemporains en se
posant des questions : Quelle est ma responsabilité en tant que chrétien envers
la création ? Mon mode de vie reflète-t-il une gestion juste et durable des
ressources ? Comment articuler l’écologie et la spiritualité dans mon
engagement chrétien ? Quels enseignements bibliques éclairent notre rapport à
la nature ? L’Église peut-elle
revêtir un rôle prophétique face à la crise écologique actuelle ?
Ces interrogations, loin d’être secondaires,
mettent en lumière une urgence théologique et éthique : il devient impératif de
revisiter les savoirs écologiques traditionnels africains, qui reposent sur une
compréhension intime des écosystèmes et une gestion durable des ressources.
Cette relecture ouvre la voie à une véritable alliance écologique, où la nature
n’est plus considérée comme une ressource à exploiter, mais comme une réalité
sacrée à protéger, un espace de communion entre l’humanité et le divin.
Le passage de Genèse 2:15 : « L'Éternel Dieu prit l'homme et le
plaça dans le jardin d'Éden, pour le cultiver et le garder » constitue en
fin de compte un fondement essentiel pour une réflexion sur la responsabilité
humaine envers la création. Il établit un mandat divin où l’homme est appelé
non seulement à exploiter la terre, mais surtout à en prendre soin, dans une
posture de respect et de préservation. Cette mission trouve un écho profond
dans les cosmovisions africaines, où la relation à la nature est
intrinsèquement sacrée et se traduit par une interaction harmonieuse entre
l’homme, son environnement et le divin. Comme le souligne Kabasele Lumbu, « la
nature, dans la pensée africaine, est une extension du sacré, elle n’est pas un
simple réservoir de ressources mais un lieu de communion avec les ancêtres et
les divinités ». Cela
s’explique par le fait que :
Les
Africains aiment et célèbrent la vie. Pour eux, la vie est le bien suprême,le
don sacré par excellence de l’Au-delà. Au cours des péripéties atroces deleur
histoire, beaucoup d’entre eux ont préféré demeurer dans une vie d’esclave
plutôt que de se donner la mort, devant la négation de leurliberté ! On peut
critiquer un tel amour de la vie. Mais c’est un choix qui répond à une
conception du monde et de la vie partagée par la plupart des peuples d’Afrique
noire subsaharienne. Vivre, pour eux, c’est avoir de laforce, être en bons
rapports avec Dieu et les ancêtres qui sont respectivement la source et le
canal par où leur vient la vie, être en harmonie avec les vivants terrestres et
la nature qui les entoure et dont ils sont un maillon de la vie ; vivre, pour
eux, c’est transmettre et donner la vie qu’ils ont reçue.
Ainsi, le chrétien africain est à la fois gardien et cultivateur de la
création divine, appelé à maintenir un équilibre écologique qui dépasse le
matérialisme moderniste.
Cette relation sacrée ne se limite pas à un acte de
vénération ritualisée, mais se manifeste au quotidien à travers une gestion
durable des ressources et une profonde conscience de l’interdépendance entre
les éléments naturels et spirituels. Pourtant, cette approche reste souvent
marginalisée dans les discours académiques contemporains, qui privilégient une
vision occidentale de l’environnement fondée sur l’exploitation et la
rentabilité. Or, comme le rappelle Jürgen Moltmann, « la théologie de la
création implique une responsabilité partagée où l’homme est appelé à être un
allié du cosmos, et non son maître » Cette perspective théologique dialogue ainsi avec
les traditions africaines, qui considèrent la nature comme une entité vivante
et digne de respect.
C’est dans cette dynamique que s’inscrit cette
réflexion, cherchant à démontrer que les enjeux environnementaux en Afrique
doivent être abordés sous un prisme spirituel et éthique. Genèse 2:15 nous
interpelle non seulement sur la mission de l’homme envers la nature, mais
également sur la nécessité de préserver les équilibres écologiques et sociaux.
La cosmovision africaine, par sa conception holistique de l’univers, offre ainsi
une voie précieuse pour articuler écologie biblique et engagement chrétien en
faveur de la durabilité et de la justice environnementale.
1. La « Terre sacrée »
dans les cosmovisions africaines comme don divin
Le passage de Genèse 2:15 : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le
plaça dans le jardin d’Éden, pour le cultiver et le garder » est couramment
interprété comme un mandat de responsabilité écologique. Il souligne une vision
où la terre est perçue comme sacrée, imprégnée du divin, et régie par des principes
de respect et d’équilibre. Déjà, dans Genèse 1 :26-28, l’humanité reçoit la
mission de dominer sur la création. Toutefois, ce concept de « domination »
(hébreu radah) doit être compris non pas comme un droit à la destruction ou à
l’exploitation abusive, mais comme une charge de gestion et de protection, à
l’image du berger qui prend soin de son troupeau. Cette lecture est corroborée
par des théologiens tels que Walter Brueggemann, qui souligne que « l’autorité
humaine dans la Bible est toujours liée à la responsabilité devant Dieu et à la
solidarité avec la création ».
Dans cette optique, les cosmovisions africaines
convergent avec l’éthique biblique. L’homme africain, en tant qu’intendant de
la création, comprend qu’il détient un rôle sacré qui l’oblige à agir avec
respect et responsabilité envers la terre. Le verbe cultiver ('abad)
traduit à la fois l’idée de service et de travail, tandis que garder (shamar) évoque la
protection et la préservation. Ces dimensions trouvent un écho dans les
pratiques africaines traditionnelles, où l’acte de rendre culte à la terre
manifeste une compréhension spirituelle de son rôle : l’homme n’est pas le
maître absolu de la nature, mais bien son serviteur et protecteur. Cette relation de service et de garde implique que
l’exploitation des ressources naturelles doit se faire dans le respect des
limites écologiques établies par le Créateur. À partir de ce constat, il s’agit
pour moi ici, au moment où tout le monde parle d’environnement, de protection
et de meilleure gestion de l’écosystème, d’interroger la tradition africaine
d’une part, pour dégager et comprendre sa vision de la diversité
biologique(nature), longtemps négligée dans la recherche des solutions aux
problèmes de l’environnement en Afrique ; d’autre part, il s’agit
d’analyser comment cette vision est conciliée à l’écologie biblique et les
conséquences qui en auraient résulté sur le plan écologique. Car, le monde,
notons-le, dans la cosmogonie africaine, se subdivise en deux sphères :
l’une visible et l’autre invisible mais les deux sont en interrelations
perpétuelles par la communication des puissances invisibles. L’homme africain,
élément du monde visible, reste uni au monde invisible. De même, la végétation
ne se limite pas à un simple élément du paysage ou à une ressource exploitable
; elle incarne une présence
spirituelle qui relie l’homme au divin et aux ancêtres. Cette
dimension sacrée se traduit par des pratiques religieuses et culturelles où
certains arbres et plantes sont considérés comme des médiateurs entre les
mondes visible et invisible. C’est pourquoi, Les arbres occupent une place
centrale dans la pensée africaine et sont souvent perçus comme des gardiens de la mémoire collective. Certains arbres anciens deviennent des lieux de prière
et de médiation où les sages transmettent les traditions et les enseignements
des ancêtres. Jean-Marc Éla souligne à cet égard que « les grands
arbres sont des témoins de l’histoire, ils sont les sanctuaires où l’homme
dialogue avec le divin ». Certaines
forêts sont protégées non par des législations modernes, mais par des tabous et des croyances ancestrales. Ces forêts
sacrées servent de refuges écologiques et sont préservées par des règles
communautaires strictes interdisant la coupe d’arbres ou l’exploitation des
terres sans rite de purification. Ces espaces sont aussi des lieux de médiation spirituelle, où l’on croit que
les esprits des ancêtres résident et protègent les vivants. À vrai dire, la conception
africaine qui fonde cette vision apparaît être une religion de l’alliance
éternelle entre l’homme et la nature par la médiation des génies, des ancêtres
et de Dieu. Uni à la nature, l’homme africain avisé y reconnaît cependant une
entité peuplée de puissances tant bienfaisantes que malveillantes. En d’autres
termes, chez l’africain, la nature est un réservoir de signifiants et de
signes. C’est pourquoi, l’homme africain doit être attentif à tous les signes
du cosmos, porteurs du message, chargés de significations que les devins
essaient toujours d’interpréter afin de mettre leur force vitale à l’abri des
agressions des forces malveillantes, mais aussi se rendre favorables à celles
bienfaisantes.
Pour tout
dire, chez les africains en général, la nature est significative. Dans cette
perspective, il est beaucoup facile de réhabiliter le lien sacré entre l’homme
et la nature végétale. Cette pensée africaine permet non seulement de renforcer
la préservation écologique, mais aussi de renouveler la théologie de la
création à travers une approche contextuelle et incarnée. En conjuguant les savoirs africains et
la théologie chrétienne, une écologie intégrée, fondée sur la responsabilité et la gratitude, peut
émerger pour répondre aux crises environnementales contemporaines.
En ce sens, l’Africain initié sait qu’il n’est pas
propriétaire de la terre, mais un administrateur au service de la création
divine. Il est chargé de maintenir son équilibre, tout en valorisant sa beauté
et sa santé, dans une attitude de gratitude envers les dons de Dieu. Comme
l’exprime Jürgen Moltmann, « la création est un espace d’alliance où
l’homme est invité à collaborer avec Dieu pour préserver l’harmonie et l’ordre
du cosmos ». Ainsi, l’homme africain se perçoit comme un
partenaire de Dieu dans l’œuvre continue de création, contribuant à un modèle
d’écologie intégrée et respectueuse de la nature.
Malgré tout, la chute de l’homme, telle que décrite dans Genèse 3, ne
représente pas seulement une rupture entre Dieu et l’humanité ; elle marque
également une fracture profonde entre l’homme et la nature. En effet, la
malédiction de la terre (Gn 3:17-19) introduit une dimension d’exploitation
égoïste et déséquilibrée de la création, exacerbant les tensions entre l’homme
et son environnement. Cette réalité théologique s’illustre dans les cultures
africaines contemporaines, où l’on observe un affaiblissement des rites
d’harmonie avec le divin, souvent remplacés par des pratiques qui contribuent à
la dégradation écologique. Comme le souligne Mbiti, « le lien entre l’homme
africain et la terre sacrée s’effrite sous la pression des forces modernes
d’industrialisation et de matérialisme »
Ainsi, les relations entre Dieu, l’homme africain
moderne et la nature sont devenus de
plus en plus ténues, engendrant ce que l’on peut appeler une triple fracture : théologique, écologique et anthropologique. Cette rupture appelle une réflexion urgente pour
reconsidérer la vocation de l’homme africain en tant que gardien et
collaborateur de la création divine.
Genèse 2 :15 : « L’Éternel Dieu
prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder », offre un cadre biblique qui invite à repenser
cette relation. Le mandat divin de « cultiver » ('abad) et de « garder
» (shamar) la terre souligne
non seulement l’importance de la responsabilité humaine, mais également la
nécessité d’une gestion durable et respectueuse des ressources naturelles, en
harmonie avec les principes écologiques.
Dans ce contexte, une approche intégrant les
savoirs traditionnels africains, caractérisés par une compréhension holistique
des écosystèmes et une interconnexion spirituelle avec la nature, pourrait
ouvrir de nouvelles perspectives pour une écologie intégrée. Car, selon Desmond Tutu, « la crise écologique
actuelle est une opportunité pour les Églises de retrouver leur rôle prophétique
en appelant à la justice environnementale et à une théologie de la création
responsable ». Ainsi, la question demeure : comment les
chrétiens africains peuvent-ils redécouvrir leur héritage traditionnel tout en
éclairant leurs engagements écologiques à la lumière de Genèse 2 :15 ?
2.
Repenser l’écologie africaine avec un mandat de gérance
sacrée
Repenser la protection écologique en Afrique, à la lumière du texte de
Genèse 2:15, engage un processus de redécouverte, de réhabilitation et de
modernisation des pratiques ancestrales fondées sur le respect des équilibres
naturels. Ce passage biblique : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le
plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder » introduit une
double responsabilité : celle de cultiver la terre, signifiant un usage
productif et harmonieux, et celle de la garder, impliquant la préservation et
la protection de sa beauté et de son équilibre. Dans les traditions africaines,
cette vocation s’inscrit dans une cosmovision où l’homme est un gardien sacré,
agissant en collaboration avec les forces divines et spirituelles pour assurer
l’harmonie écologique. Comme le note Laurenti Magesa, « les pratiques
religieuses africaines valorisent l’idée de responsabilité envers la création
en tant que prolongement de la relation avec le divin ».
Ce mandat divin converge avec les traditions
ancestrales africaines, où l’harmonie avec l’environnement constitue un pilier
spirituel. La question devient alors pertinente : comment conjuguer
les racines africaines avec la vision biblique pour reconstruire une approche
écologique intégrée ? Genèse
2:15 invite à dépasser une vision purement matérialiste de la nature pour
adopter une lecture spirituelle, dans laquelle l’homme n’est pas un
propriétaire de la terre, mais un administrateur au service du Créateur. Comme
l’affirme Jürgen Moltmann, « l’homme est appelé à participer activement
à l’œuvre de la création en préservant l’ordre divin et en respectant les
limites imposées par la nature
».
Par ailleurs, cette réflexion engage des
implications anthropologiques et écologiques profondes. La modernisation des
pratiques ancestrales, telles que la gestion durable des forêts et des sols,
peut offrir un modèle de durabilité aligné sur les enseignements bibliques.
L’africain moderne est ainsi invité à considérer son rôle non seulement comme
celui d’un cultivateur, mais également comme celui d’un protecteur et
collaborateur dans la mission divine de préservation de la création. Ce
dialogue entre la tradition africaine et la théologie biblique offre une base
solide pour reconfigurer une écologie qui réponde aux défis contemporains tout
en restant fidèle aux racines spirituelles et culturelles du continent.
Cette vision implique un rapport
éthique et spirituel à la terre, qui doit être respectée en
tant que don de Dieu.
Le but, c’est de concilier les
traditions africaines et la sagesse biblique pour éclairer un nouveau
chemin de respect, de sobriété et de communion avec la terre, c’est faire de
l’écologie un acte de foi, de respect et de justice.
3. Transformer
l’Église africaine en prophète écologique
Pour incarner
pleinement son rôle de prophète écologique, l'Église africaine doit offrir à
ses communautés un chemin de transformation à trois niveaux :
1.
Amener les chrétiens à concilier
pratiques traditionnelles et approches nouvelles
La mémoire collective africaine recèle un ensemble précieux de savoirs
ancestraux, façonnés par des siècles de coexistence harmonieuse entre les
communautés et leur environnement naturel. Ces savoirs, fondés sur la sacralité
de la terre, ne relèvent pas du folklore, mais d’une écologie vécue, éprouvée
et transmise à travers les générations. À l’heure où les crises
environnementales appellent à une refonte des paradigmes écologiques
contemporains, il devient impératif de revisiter, de valoriser et d’articuler
ces connaissances aux stratégies modernes, afin de faire émerger une écologie
enracinée, conjuguant héritage africain et vision universelle.
Cette dimension spirituelle du rapport à la nature
trouve un fondement théologique dans Genèse 2:15 : « L’Éternel Dieu prit
l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder ». Ce verset biblique souligne une double vocation
: cultiver
la terre,
c’est-à-dire en faire usage de manière responsable et productive, et la garder, impliquant sa préservation et la reconnaissance
de son rôle dans l’ordre divin. Comme le soutient Jürgen Moltmann, « la création est un
espace d’alliance où l’homme est invité à collaborer avec Dieu pour préserver
l’harmonie du cosmos ». Cet appel à une gestion respectueuse de
l’environnement résonne profondément avec les cosmovisions africaines, qui
considèrent la terre non comme une simple ressource exploitable, mais comme un
espace sacré, témoin de la présence divine.
Dans les sociétés africaines traditionnelles, cette
approche se traduisait par des pratiques agricoles et environnementales qui
démontraient une compréhension intuitive des cycles naturels. Ainsi, bien avant
l’essor des sciences agronomiques modernes, des paysans africains pratiquaient
la rotation des cultures, l’association des plantes et la gestion collective
des ressources, non à travers des manuels écrits, mais par la transmission
orale et l’apprentissage communautaire. Ces méthodes exprimaient une vision du
monde où l’homme n’était qu’un élément d’un tout, où la terre était vivante et
où l’usage des ressources s’accompagnait toujours d’une réflexion sur leur préservation.
Comme l’explique Laurenti Magesa, « la spiritualité
africaine est intrinsèquement écologique, elle repose sur un respect mutuel
entre l’homme et son environnement »
Plusieurs exemples illustrent cette synergie entre
tradition et modernité. La technique du zaï, pratiquée au Burkina Faso et remise en valeur par
des agriculteurs tels que Yacouba Sawadogo, a permis de restaurer des terres arides en
optimisant la rétention d’eau et de nutriments dans les sols. Au Ghana et au
Bénin, certaines forêts sacrées, préservées selon des règles ancestrales, se
révèlent aujourd’hui être des refuges de biodiversité plus efficaces que
certains parcs nationaux. De même, la valorisation des semences locales,
adaptées aux réalités climatiques et résistantes aux maladies, s’oppose à la
standardisation imposée par les OGM. Comme le souligne Vandana Shiva, « la préservation des
semences traditionnelles est une lutte pour la souveraineté écologique et
alimentaire ».
Ces pratiques ne sont pas des reliques du passé ;
elles illustrent l’hybridation possible entre tradition et modernité,
démontrant que les savoirs anciens peuvent contribuer aux solutions écologiques
contemporaines. Dans de nombreuses régions de Centrafrique, certains arbres
sont intouchables, certaines forêts sont sacrées, et des jours sont dédiés à la
contemplation et au silence. Ce n’est pas un vestige folklorique, mais un
rappel profond que, comme l’exprime le Psaume 24:1, « à l’Éternel la terre
et tout ce qu’elle contient ».
Loin d’être une simple ressource, la création appartient à Dieu et doit être
respectée avec gratitude et humilité.
La Bible elle-même nous
rappelle cette vérité : « À
l’Éternel la terre et ce qu’elle renferme » (Psaume 24:1). Nous ne
sommes pas les propriétaires de la création, comme souligné ci-haut, mais ses
gardiens. Et cette responsabilité, nos aînés la vivaient souvent de manière
plus concrète que nous aujourd’hui.
2.
Éduquer les chrétiens à une éthique
biblique de l’écologie
Loin d’être un simple choix ou une préoccupation secondaire, l’écologie
s’impose comme une véritable exigence de foi et une dimension intégrale de la
spiritualité chrétienne. Elle représente un chemin d’obéissance et de gratitude
envers Dieu, à travers lequel le chrétien africain renoue avec les savoirs
ancestraux pour respecter les cycles naturels, cultiver la terre avec
discernement, partager équitablement les ressources et défendre la justice
climatique. Comme le souligne Genèse 2:15, l’homme est placé dans la création
avec une double mission : cultiver ('abad),
qui implique un travail respectueux, et garder (shamar), qui
signifie protéger et préserver l’équilibre du monde que Dieu a confié aux
humains. Cette vocation écologique est indissociable de la foi chrétienne,
puisqu’elle reflète le dessein divin de responsabilité et de gestion durable de
la terre.
Cependant, cette responsabilité ne se limite pas à
la préservation de l’environnement ; elle est aussi un acte d’amour et de
solidarité envers son prochain. Les premiers à subir les conséquences des
désastres écologiques sont souvent les populations les plus vulnérables, celles
qui vivent au plus près de la terre et en dépendent directement pour leur
survie. Prendre soin de la nature, c’est donc aussi répondre à l’appel à la
justice sociale et humaine, comme l’exprime le Pape François :
L’environnement
est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité
de tous. Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement pour
l’administrer pour le bien de tous. Si nous ne le faisons pas, nous chargeons
notre conscience du poids de nier l’existence des autres..
Ainsi, l’engagement écologique du chrétien
s’inscrit dans une dynamique de foi, de justice et de fraternité. Cette œuvre est celle du Christ et dépasse la seule
rémission des péchés individuels. Elle embrasse une réconciliation universelle,
incluant toute la création. Colossiens 1:20 affirme que Dieu a voulu, par le
Christ, « réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la
terre que ce qui est dans les cieux ». Cette perspective biblique appelle l’Église à
jouer un rôle prophétique en intégrant l’écologie à la théologie chrétienne.
Comme l’explique Jürgen Moltmann, « la rédemption en
Christ ne concerne pas uniquement l’homme, mais toute la création, qui aspire à
être restaurée dans son
intégrité ».
Ainsi, l’Église doit œuvrer à
réconcilier la foi chrétienne et les savoirs ancestraux africains, en rejetant
toute forme d’idolâtrie, mais en valorisant les pratiques de respect, de
partage et de sobriété qui s’alignent avec l’appel biblique à préserver la
création. Comme le
souligne Col 1, 19-20 : « Dieu s’est
plu à faire habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les
êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix
par le sang de sa croix»
Pour enseigner cette éthique de manière efficace,
il est essentiel d’adopter une pédagogie contextuelle, qui parle au cœur des
fidèles et éclaire leur rôle de disciples du Christ. Le chrétien africain est
appelé à être une bénédiction pour la terre, à vivre l’Évangile jusque dans sa
relation au monde naturel. Comme le rappelle Leonardo Boff, « toute théologie
authentique doit inclure une écologie intégrale, car la terre est la première
révélation de Dieu et le lieu où s’incarne l’amour divin ». Enseigner cette vision dans les Églises
africaines, c’est donc offrir aux communautés un chemin de transformation qui
conjugue spiritualité, responsabilité sociale et engagement écologique. Il
s’agit d’amener les chrétiens à voir leur responsabilité envers la nature comme
une expression de leur foi et une réponse à l’appel divin à préserver l’ordre
et la beauté de la création.
3.
Réinterpréter des textes bibliques
à la lumière des enjeux environnementaux
Réinterpréter
les textes bibliques ne se limite pas à une lecture théorique, mais engage un
dialogue avec les savoirs et pratiques traditionnels.
En Afrique, la terre est souvent considérée comme sacrée, et les rites tels que
la libation ou la préservation des forêts sacrées reflètent une compréhension
spirituelle profonde de la relation homme-nature. Ces pratiques peuvent être
alignées avec les enseignements bibliques pour construire une écologie
théologique qui valorise à la fois les racines africaines et les impératifs
environnementaux contemporains.
En effet, l’Église doit s’investir d’une mission prophétique qui
implique de réinterpréter les Écritures à la lumière des enjeux écologiques.
Cette réinterprétation ne se limite pas à une lecture théorique, mais engage
les fidèles à comprendre que leur engagement écologique est une réponse directe
à l’appel divin. Genèse 2:15 confère à l’humanité un mandat clair : "cultiver
et garder" la création. Ces actions, loin d’être dissociées,
témoignent d’un équilibre entre usage responsable des ressources naturelles et
préservation attentive de l’ordre divin. Ce mandat fonde une théologie
intégrée, où foi et écologie s’entrelacent pour former une vocation chrétienne
globale.
Le Pape François, dans son encyclique Laudato Si’, rappelle que « protéger notre maison
commune est une responsabilité spirituelle et morale, impliquant la conversion
des cœurs et des habitudes ». Cette vision invite l’Église à enseigner que
l’écologie ne relève pas d’une option secondaire, mais constitue une dimension
essentielle de la foi. En liant la préservation de la création au souci des
générations futures, l’Église met en lumière le caractère éthique et
eschatologique de cet engagement. Comme le souligne Leonardo Boff, « l’écologie intégrale
place l’homme dans une relation dynamique avec la terre, non pas comme un
maître, mais comme un partenaire dans l’œuvre de création »
Ainsi, cette pédagogie incarnée appelle les fidèles
à reconnaître que leur rôle de gardien de la création est un acte de justice
écologique et sociale. Ceux qui souffrent le plus des bouleversements
climatiques sont souvent les plus vulnérables, une réalité qui interpelle la
vocation chrétienne à défendre les plus démunis. En enseignant que la
préservation de la création est un acte de foi, l’Église relie l’appel à la
conversion écologique à celui de la justice universelle. Cette mission
prophétique, inscrite dans la réconciliation cosmique évoquée par Colossiens 1:
20 : « réconcilier tout avec lui-même, tant ce qui est sur la
terre que ce qui est dans les cieux » ouvre une voie où la foi chrétienne engage
activement la protection et la restauration de la création.
En définitive,
être prophète écologique, c'est vivre et enseigner l’Évangile dans toutes ses
dimensions, notamment dans le rapport de l’homme à la création. Cette mission
de l’Église africaine, lorsqu’elle est incarnée dans une pédagogie concrète,
peut ouvrir la voie à une transformation durable, alignée sur la vocation
divine de "garder" et "cultiver" la terre. Ce chemin, comme
le rappelle le Pape François, requiert
non seulement des changements dans nos modes de vie, mais aussi une conversion
spirituelle profonde. En effet, il souligne que :
Nous
ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu tout-puissant et
créateur. Autrement, nous finirions par adorer d’autres pouvoirs du monde, ou
bien nous nous prendrions la place du Seigneur au point de prétendre piétiner
la réalité créée par lui, sans connaître de limite. La meilleure manière de
mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un
dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur
et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours
tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts.
Conclusion
La comparaison
entre l'écologie biblique, représentée par Genèse 2:15, et les cosmovisions
africaines autour de la notion de « terre sacrée » révèle des points de
convergence qui enrichissent la compréhension des responsabilités humaines
envers la création. Genèse 2:15, où l’homme est placé dans le jardin d’Éden
pour le "cultiver et le garder", offre un cadre théologique solide
qui établit la double vocation humaine : celle de travailler la terre de
manière productive tout en la protégeant avec soin et respect. Cette double
responsabilité reflète une conception où la gestion des ressources naturelles
est indissociable d’une éthique spirituelle profondément enracinée dans le
projet divin.
De manière
similaire, les cosmovisions africaines valorisent la terre comme un espace
sacré, un lieu de vie et de communion avec les ancêtres et les forces
spirituelles. Ces traditions, qui mettent l’accent sur l’interconnexion entre
l’homme, la nature et le divin, proposent une vision holistique de
l’environnement où la préservation de la terre devient un devoir moral et
collectif. Par exemple, les pratiques telles que la préservation des forêts
sacrées, la gestion durable des sols et les rituels de respect envers la nature
démontrent une compréhension intuitive des cycles écologiques et des limites
naturelles.
En croisant
les perspectives bibliques et africaines, il apparaît que la terre, qu’elle
soit considérée comme un don divin ou comme une matrice sacrée, exige une
gestion responsable et respectueuse. Ce dialogue entre théologie et traditions
africaines invite à une écologie intégrée, où foi, culture et durabilité
s’entrelacent pour relever les défis environnementaux contemporains.
Ainsi, cette
étude comparée ne se limite pas à mettre en lumière des similitudes ; elle
ouvre également la voie à une réflexion sur la complémentarité entre la
spiritualité biblique et les savoirs ancestraux. En redéfinissant la relation
entre l’homme et la création à travers ces deux perspectives, elle propose une
approche éthique et spirituelle capable de répondre aux crises écologiques
actuelles tout en respectant les racines culturelles des communautés
africaines.
Cette
thématique interpelle les Églises africaines à intégrer ces visions dans leurs
enseignements, en adoptant une pédagogie qui valorise la préservation de la
création comme une expression de foi, de justice sociale et de responsabilité
écologique. La « maison commune »,
telle que décrite dans Laudato Si’ par le Pape François, devient alors un
espace où tradition et modernité, sacré et durable, peuvent se rencontrer pour
assurer un avenir harmonieux et respectueux de l’œuvre divine.
Jimi ZACKA, PhD
Bibliographie indicative
I. Ouvrages théologiques
- Bauckham, R. Bible and Ecology: Rediscovering the Community of Creation.
Baylor University Press, 2010.
Brueggemann, W. The Land:
Place as Gift, Promise, and Challenge in Biblical Faith Philadelphia,
Fortress Press, 1977. pp. 203.
· Heyer, R. & Kabasele Lumbala, F. (2011). “Théologie africaine et
vie ». Théologiques, 19(1),
5–12. https://doi.org/10.7202/1014177
·
Kabasele Lumbala, F. (2011). « Liturgies
africaines et vie ». Théologiques,
19(1), 147–162. https://doi.org/10.7202/1014185ar,
consulté le 3/05/2025
- Moltmann, Jürgen. God
in Creation: An Ecological Doctrine of Creation. Fortress Press,
1985
- Pape François. Laudato Si’ : Sur la
sauvegarde de la maison commune. Éditions du Cerf, 2015.
·
Tutu D., God has a dream: A vvision of hope for our time, ed. Doubleday, New-York, 2004.
II. Ouvrages sur les
traditions africaines et l’écologie
- Magesa,
Laurenti. African Religion: The Moral Traditions of Abundant Life. Orbis
Books, 1997.
- Mbiti, John S. African
Religions and Philosophy. Heinemann, 1969
- Mudimbe,Y. V. , The invention of Africa, Indiana
University Press, 1988..
- Vandana. S., Earth
Democracy: Justice, Sustainability and Peace. South End Press, 2005.
III. Études sur les savoirs et pratiques environnementaux
·
Behera, M.C., et Engelhard, B. Ecology and Development in the Third World.
Routledge,
2017.
· Sawadogo, Yacouba. La
révolution du Zaï : Restaurer la terre pour nourrir le peuple. Éditions
Actes Sud, 2017.
·
Tempels,
P., La Philosophie Bantoue, Présence
Africaine, 1945
La notion de rupture, comme
évoquée dans Genèse 3, met en lumière un déséquilibre introduit dans l’ordre
naturel par le péché humain. Cette fracture s’étend à la création entière,
rendant cruciale la réconciliation cosmique par le Christ (Colossiens 1:20). En
Afrique, ce déséquilibre a été exacerbé par la colonisation, la modernisation
et les transformations sociales. Une théologie réconciliatrice, intégrant à la
fois les Écritures et les pratiques ancestrales, pourrait offrir une réponse
puissante aux crises écologiques actuelles.
La rupture de la
sacralité de la nature en Afrique s’explique ainsi par une combinaison de
facteurs historiques, culturels et théologiques, qui ont progressivement érodé
les pratiques et les croyances ancestrales en harmonie avec la création.
L’arrivée des
colonisateurs en Afrique a introduit une vision utilitariste de la terre, où
celle-ci est réduite à une ressource exploitable et où les savoirs écologiques
traditionnels sont marginalisés. Les forêts sacrées, les rites de libation et
les tabous environnementaux ont été souvent dénigrés ou supprimés, au profit
d’une exploitation intensive des ressources naturelles. Cela a contribué à une
déconnexion entre les communautés et la perception sacrée de la nature
L’arrivée des colonisateurs en Afrique a introduit une vision utilitariste de
la terre, où celle-ci est réduite à une ressource exploitable et où les savoirs
écologiques traditionnels sont marginalisés. Les forêts sacrées, les rites de libation
et les tabous environnementaux ont été souvent dénigrés ou supprimés, au profit
d’une exploitation intensive des ressources naturelles. Cela a contribué à une
déconnexion entre les communautés et la perception sacrée de la nature. Lire
à cet effet Vandana.S., Earth Democracy: Justice, Sustainability and Peace. South End Press,
2005.
Mbiti, John
S. op.cit.
, p.20.
Mbiti écrit à ce propos : « Les
religions africaines traditionnelles sont profondément enracinées dans le
respect de la création. Cependant, ces pratiques ont été compromises par
l’impact du colonialisme et des forces de modernisation » ibid,
p.25.
Le
mandat biblique conféré à l’homme dans Genèse 2:15 ("cultiver et garder" la terre) confère à l’Église une base
scripturaire solide pour appeler les fidèles à la responsabilité écologique. En
tant qu’institution prophétique, l’Église peut rappeler que la création, dans
toute sa diversité, appartient à Dieu (Psaume 24:1) et invite à une gestion
respectueuse et responsable de ses dons. Comme le note Moltmann, « l’Église
est appelée à témoigner de la rédemption de toute la création et non seulement
des âmes humaines » Moltmann,
J., God in Creation: An
Ecological Doctrine of Creation. Fortress Press, 1985, p.48.
Face à l'urgence des
crises environnementales et aux déséquilibres écologiques croissants, l'Église
est appelée à se positionner comme un véritable prophète écologique. Cette
mission prophétique ne se limite pas à dénoncer les abus de la création, mais
vise également à promouvoir une pédagogie incarnée, enracinée dans la foi
chrétienne et engagée dans la protection de la "maison commune", selon l'expression du Pape François. Pape François, lett.enc. Laudato
Si’ : Sur la sauvegarde de la maison commune. Éditions du Cerf,
2015, pp.17-48.
L’expression
« maison commune », popularisée par le Pape François dans Laudato
Si’’ ibid, reflète
une vision intégrale de la création comme un espace partagé par toute
l’humanité, un lieu de vie qui exige respect, solidarité et responsabilité.
Cette notion dépasse la simple gestion environnementale pour inclure une
approche théologique, sociale et éthique profondément enracinée dans
l’enseignement biblique et les cosmovisions africaines.
C’est pourquoi, d’ailleurs,
le Pape François, dans Laudato Si’,ibid, appelle à une « conversion écologique » qui
dépasse les limites individuelles pour inclure une responsabilité collective
envers la création. Les savoirs africains ancestraux – tels que les forêts
sacrées et les tabous environnementaux – constituent une ressource précieuse
pour renforcer cette conversion. Ces pratiques s’alignent sur une vision
chrétienne de la gestion responsable de la terre, comme décrite dans Genèse
2:15
Dans de nombreuses cultures
africaines, verser les premières gouttes
à terre est un moyen d’honorer les ancêtres,
considérés comme des médiateurs entre le monde visible et invisible. Cet acte
est une marque de respect, une façon de les inviter à partager le moment de
consommation avec les vivants. Comme l’explique Mbiti,J.,
« les ancêtres
ne sont pas des esprits éloignés, ils restent impliqués dans la vie de leurs
descendants et reçoivent des offrandes pour maintenir l’équilibre » Mbiti, op.cit. p. 35
Verser une libation est aussi un rappel de l’interdépendance qui existe entre l’homme et la nature. C’est un geste qui exprime une éthique écologique implicite, reconnaissant que l’homme ne peut exister sans l’équilibre naturel qui
l’entoure. Cette approche rejoint la théologie biblique qui affirme dans Genèse
2:15 que l’homme est placé dans la création pour la
cultiver et la garder, soulignant ainsi la
nécessité d’un rapport respectueux avec la nature.
Dans
les cosmovisions africaines, l’être humain est perçu comme faisant partie d’un
tout sacré, où la terre est vivante et animée par des forces spirituelles.
Cette approche rappelle l’éthique biblique de l’intendance, où l’homme est
chargé de cultiver et de garder la création. Comme l’explique Laurenti Magesa, dans « les traditions africaines offrent une anthropologie qui relie
étroitement l’homme, la nature et le spirituel » Maryknoll, N.Y. : African Religion: The Moral
Traditions of Abundant Life, Orbis Books , 1997).
Dans
la Bible, la création est décrite comme un don divin confié à l’humanité.
Psaume 24:1 affirme : « À l’Éternel la terre et tout ce qu’elle contient », ce qui signifie que l’homme n’est pas propriétaire absolu de la création,
mais un gardien chargé de sa préservation. Genèse 2:15 renforce cette
responsabilité en précisant que l’homme doit « cultiver et garder » la terre,
une mission qui implique un équilibre entre usage et préservation. Comme
l’affirme Jürgen Moltmann, « l’homme est appelé à collaborer avec Dieu
dans la gestion du cosmos, non comme un exploitant, mais comme un serviteur
» Moltmann, op.cit., p. 30.
Dans les traditions africaines, la terre est bien plus qu’un espace
physique ; elle est vivante et porte une dimension spirituelle profonde.
Certaines communautés pratiquent la libation, où
les premières gouttes d’une boisson sont versées à la terre en signe de
reconnaissance. Les forêts sacrées en
Afrique de l’Ouest illustrent aussi cette approche, conservant une biodiversité
essentielle grâce à des règles ancestrales de préservation. Laurenti Magesa souligne que « la spiritualité africaine repose sur une relation
dynamique avec la terre, où chaque élément naturel est porteur de sacralité » (African Religion:
The Moral Traditions of Abundant Life,
1997).
Kabasele,
Lumbala, F., Écologie et spiritualité africaines, 2014.
Cf. Heyer, R. & Kabasele Lumbala, F. (2011). “Théologie
africaine et vie ». Théologiques,
19(1), 5–12. https://doi.org/10.7202/1014177
Moltmann, J., op.cit., 40.
Cf., Ela J.M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Karthala, Paris :
2003.
Lire à cet effet, Tutu D., God has a dream: A vvision of hope for our time, ed. Doubleday, New-York, 2004.
Le Pape François le
souligne à juste raison en ces termes : « Nous ne
sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée. Cela permet de
répondre à une accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne : il a été
dit que, à partir du récit de la Genèse qui invite à ‘‘dominer’’ la terre (cf.
Gn 1, 28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en présentant
une image de l’être humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une
interprétation correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai
que, parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous
devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à l’image
de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous une domination
absolue sur les autres créatures. Il est important de lire les textes bibliques
dans leur contexte, avec une herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils
nous invitent à ‘‘cultiver et garder’’ le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors
que ‘‘cultiver’’ signifie labourer, défricher ou travailler, ‘‘garder’’
signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique
une relation de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque
communauté peut prélever de la bonté » op. cit. 67, p.53
Pape François l’écrit
en ces termes : « Le défi
urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute
la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral,
car nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne
pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent
pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer
pour construire notre maison commune. » Ibid., 13. p.12
François,
Ibid., 75, pp 59-60