jeudi 5 juin 2014

LA FEMME ET LE POUVOIR EN CENTRAFRIQUE (Réflexions anthropologique et théologique)

Prof. Jimi P. ZACKA     

La femme centrafricaine, entre le poids des traditions et le pouvoir politique   
    
Evoquer la relation entre la femme et le pouvoir politique en Centrafrique est un sujet tabou, incompréhensible, à la limite vague et insignifiant. Car, les traditions  et les clichés culturels portent déjà un regard condescendant sur la femme centrafricaine, dont le sort serait à priori lié aux clichés catégorisant les sexes. La lecture des traditions aboutit souvent au refus de reconnaître aux femmes un rôle actif dans la société tant sur le plan économique que politique. Ainsi, les préjugés masculins attribuent aux femmes un statut légal d’emblée inférieur.                                                                                
 En effet, pour se faire une place dans les sphères sociétales, la femme devrait se battre contre ces mentalités phallocrates, et parfois même contre la propre volonté de ses parents ou époux, due à la traditionnelle répartition des rôles entre les hommes et les femmes entretenue depuis leur jeune âge. "Eh, toi ! La place des filles est dans la cuisine" ou "Eh, toi ! qu’est-ce que tu fais parmi les filles", lorsqu’il s’agit d’un garçon. 
Combien de fois, les femmes qui se sont lancées en politique n’ont- elles pas entendu cette phrase pendant leur enfance ? Dès la plus tendre enfance, la fille aide sa maman et le petit garçon peut jouer avec ses amis ou aller à la chasse. Il en résulte que la répartition et l’accomplissement des différentes tâches sociales entre l’homme et la femme s’effectuent en tenant principalement compte de certaines considérations liées aux genres masculin et féminin. Et très souvent,  il ressort de cette sorte de classification des tâches sociales par le critérium du genre que les tâches qu’on pourrait aisément qualifier de tâches subalternes, c’est-à-dire les tâches domestiques, sont réservées à la femme, tandis que les tâches relatives à l’autorité ou au commandement, c’est-à-dire les tâches touchant à la gestion des affaires de la société, sont réservées à l’homme. C’est ainsi que la situation de la femme vis-à-vis du pouvoir politique est conséquemment caractérisée par de nombreuses spécificités qu’il ne faut pas ignorer. Toutefois, nonobstant ces spécificités, l’observateur attentif découvre que généralement, sur la question de la participation de la femme aux affaires politiques, la femme a été et demeure encore dominée par l’homme. Pour preuve, le président Jean Bedel Bokassa a instauré le poste de Premier ministre en 1974 avec Mme Elisabeth Domitien, mais s’opposa à lui dans son projet de transformer les institutions en monarchie de devenir empereur. Elle fut contrainte à la démission et fut envoyée en prison.
Dans ce sens, que la politique soit faite pour l’homme et non pour la femme, est une situation qui ne choque aucune sensibilité parce que cela apparaît comme une évidence. Ce qui serait à la fois étonnant et gênant pour l’homme et même pour des femmes, ce serait le fait de voir la femme faire de la politique ; qu’elle le fasse avec l’homme, ou aux côtés de l’homme, ou encore sans l’homme, cela ne change pas l’appréciation.  

La marginalisation politique de la femme centrafricaine

De ce fait, la politique étant une fonction trop élevée pour la femme qui n’aurait pas l’intelligence suffisante et la carrure nécessaire pour l’assurer, la femme qui arrive en politique n’est véritablement pas la bienvenue ; car elle apparaît, du coup, comme une femme dangereuse ou comme un être dégradé ; elle  est perçue par l’opinion commune comme n’étant pas à sa place, et s’éloignant naturellement de ses attributs de femme. La femme, être soumis à l’homme, doit occuper un rôle de second plan ; tandis que l’homme, le chef de la maison, doit jouer un rôle de premier plan.
C’est ainsi que les femmes ont toujours été considérées comme des instruments pour taper les mains dans les partis politiques, mais quand il s’agit d’un poste, il revient à un homme, quelle que soit la valeur féminine. Reléguées à de simples animatrices des partis politiques, avec des pagnes et des foulards qu’on leur offre, elles ne peuvent pas démontrer qu’elles sont capables d’aller conquérir le pouvoir politique. Au sein des partis uniques, à l’époque, le schéma classique a consisté à les regrouper  en une seule association inféodée au parti à l’échelle nationale (ex. UFCA ou OFCA). Elles y ont joué le plus souvent le rôle de faire-valoir des hommes au pouvoir. 
À analyser ces pratiques courantes qui ressemblent fort bien à des actes de discrimination pratiqués par les hommes au préjudice de la femme sur la question de son aptitude à participer à la gestion du pouvoir politique, et qui, curieusement, semblent être acceptée par tous, même par les femmes, dans leur grande majorité, on finit par en déterminer le fondement naturel. Le témoignage de Mme Samba-Panza (première femme centrafricaine à accéder à la magistrature suprême), lors de son interview avec Christophe Boisbouvier le mardi 21 janvier 2014 sur RFI, semble bien confirmer une telle discrimination. Le journaliste lui a rappelé que beaucoup pensaient qu’elle était  "… une femme, elle n’y arrivera jamais ».  Et elle a répondu : « Oui, beaucoup. C’était à la limite du découragement. C’est vrai que beaucoup m’ont dit que les gens ne sont peut-être pas encore prêts à se faire commander par une femme… ». Cela se vit aujourd’hui. Beaucoup de centrafricains ne se sentent plus « prêts à se faire commander par une femme » et récusent ses capacités politiques. 

La femme et la question d’autorité en politique

Car, l’activité politique, pour la plupart des centrafricains, est liée à l’idée de l’autorité.  Ainsi, se fondant sur l’idée selon laquelle la nature qui ne fait rien en vain s’oppose à ce que l’homme et la femme soient tour à tour gouvernant et gouverné. La parité n’est donc pas naturelle. La femme demeure, certes, un être libre, et sur ce point, elle est dans une situation analogue à l’homme. Toutefois, il existe une inégalité naturelle permanente entre ces deux êtres, et qui commande de manière unilatérale que l’homme gouverne la femme. Comme l’a souligné Aristote, « en réalité, chez l’homme le courage est une vertu de commandement ; et chez la femme une vertu de subordination, et on peut en dire autant des autres vertus. », la masculinisation sociale de la fonction politique en Centrafrique a toujours laissé croire que l’âme de la femme possède la vertu délibérative, mais elle est totalement démunie d’autorité. Pareillement, la modération n’est pas la même vertu chez l’homme et chez la femme, ni non plus le courage.
Paradoxalement, et curieusement, cette situation désavantageuse que vit la femme centrafricaine vis-à-vis de la politique n’est pas partout la même. Il se trouve que dans certaines sociétés, la femme, loin d’être exclue de la vie politique, est plutôt sollicitée pour y jouer un rôle, non de surface, mais un rôle très déterminant. Était-ce le cas de Mme Samba-Panza ?
Je pense que si Mme Samba-Panza a été choisie pour diriger la transition, c’est parce que, pendant cette période de crises, le peuple s’est dit fatigué par les régimes antérieurs mis en place par les hommes au pouvoir depuis des décennies.  Il fallait en effet saisir l’opportunité : « nous avons essayé tous les hommes. Maintenant, c’est le temps des femmes ». C’était un exercice de substitution, d’essai. Aussi en référence à d’autres femmes africaines qui ont réussi dans la sphère politique. Par exemple, celle qu’on aime appeler « dame de fer », Mme Ellen Johnson Sirleaf.  Malheureusement, Mme Samba-Panza peine à asseoir son autorité et les gens renouent aujourd’hui avec ce discours misogyne : « cette femme n’a pas d’autorité. Elle est nulle ».  

Un regard biblique sur le statut de la femme en politique


Même si la Bible nous dit peu de chose sur les femmes en politique, il est à remarquer que la femme n’est nullement écartée de la vie politique. Dieu lui-même, fort de la connaissance profonde qu’Il a de la valeur, de la dignité et surtout de la puissance incarnée par la femme, lui réserve une place de choix dans la hiérarchie politico-sociale. Ainsi, pour la gestion des affaires politiques de la société, la femme est parfois sollicitée, recherchée et destinée à y jouer un rôle central. Pour s’en convaincre, il suffit de citer deux femmes dans la Bible. Il y a d’abord Déborah qui est un personnage du livre des juges. Elle fait partie des douze chefs d’Israël, et plus particulièrement des six « grands » des douze qui sont : Otniel, Ehoud, Gédéon, Jephté et Samson. La plupart d’entre eux ont dirigé soit une ou plusieurs tribus soit le peuple tout entier. C’est la seule femme parmi les chefs d’Israël. Elle exerce cette fonction pendant 40 ans, de 1260-1221 avant l’ère chrétienne (cf. Wikipédia). C’est également l’un des premiers portraits d’une femme dans un rôle politique et héroïque (Jg). La seule présence de Déborah, parmi les hommes, nous amène à croire que Dieu suscite selon les difficultés du moment des hommes  et des femmes aux capacités très diverses au-delà des considérations du genre.  
Ensuite, il y a Judith dont le nom signifie la juive.  Son histoire se situe au moment du retour du peuple après la captivité à Babylone. Femme dont la réputation de beauté est exceptionnelle est choisie par Dieu pour sauver son peuple d'une invasion par le général Holopherne. Ayant défait Holopherne, Judith provoque la déroute des envahisseurs et assure la victoire à ses compatriotes. Nous retrouvons Judith dans la Bible au livre qui porte son nom (chapitres 8 à 15). C'est une histoire fascinante à lire qui montre comment des femmes peuvent intervenir pour sauver un peuple d'une situation qui semblait désespérée.
D’autres femmes semblent avoir aussi joué pleinement un rôle politique à côté des rois. Esther est juive. Elle est une reine belle et courageuse. Elle va réussir à sauver le peuple juif menacé de mort. Le livre d’Esther entend montrer que même à côté des tenants des pouvoirs politiques, spirituels ou autres, la femme joue en effet un rôle considérable dans la prise des décisions. C’est dire que le regard extérieur qui n’a pas eu l’occasion d’observer de l’intérieur les jeux de la femme à l’ombre du pouvoir politique, ne captera que les mots qui révèlent le « sexe faible ». 

La femme est-elle plus faible que l’homme en politique ? 

L’homme, d’après le livre de la Genèse, fut créé premièrement, et la femme ensuite. Cependant, nous disons que cette classification dans l’ordre de la création, de l’homme et de la femme, si elle est vraie, ne signifie pas de facto que l’homme soit naturellement, dans tous les secteurs de la vie, le Maître et le Dominateur de la femme parce qu’il serait le plus fort. Cela sous-entend simplement que l’homme, par rapport à la femme, est l’être le plus faible tant physiquement que moralement. Et c’est à bon droit que Joachin AGBROFFI écrit ceci :
« L'homme a, pendant longtemps, pensé que c'est chez la femme seule que tout a trait aux concepts de petitesse, de faiblesse et d'infériorité. C'est en fait chez lui-même que ces concepts se retrouvent et prennent leur véritable source. C'est parce qu'ils existent chez lui qu'ils se projettent sur elle. (cf. Agbroffi (Diamoi Joachin), “La petitesse de la femme, une mine d’or”, in Repères, Revue scientifique de l’Université de Bouaké, (Abidjan, EDUCI, no 2, Mars 1998, p.159).
Dans ces conditions, nous établissons que la femme est et existe parce que l’homme est, mais n’existe pas. La femme devient, du coup, l’appui de l’homme, la maison de l’homme et la matrice de l’existence humaine. Contrairement à l’opinion commune, nous admettons que dans ce monde plein de symboles, et où vivent les fils d’Adam, c’est la femme qui, par la fécondité de son intelligence, la pertinence et la rapidité de son sens intuitif, discerne, découvre et oriente l’homme dans les décisions les plus vitales à prendre. Mieux, sans la femme, l’homme resterait un animal stupide et borné comme le bon sauvage de Rousseau, car c’est la femme qui, par sa sagesse, aide l’homme à devenir intelligent et heureux, même en politique.

Le grand sage africain Hamadou Hampté Bâ le confirme en ces termes : « On dit que, dans la tradition, les femmes ne participaient pas aux décisions. La réalité est tout autre. Chaque fois qu'une décision importante devait être prise sous l'arbre à palabres exclusivement animé par les hommes, l'affaire en discussion n'était jamais conclue à la première séance.Les honorables notables suspendaient la décision au lendemain pour prendre le temps de discuter avec leur oreiller(la nuit porte conseil !) La décision prise le lendemain avait été de fait soufflée par une femme : épouse, sœur ou mère.». Comme aime le dire un proverbe africain :" la barbe ne repète le jour, que ce que le pagne lui dit la nuit"..
 
Cela dit, l’engagement des femmes en politique n’est pas un fait sur lequel on doit encore polémiquer. Les femmes sont des citoyennes à part entière, elles constituent plus de la moitié de la population et doivent faire valoir leurs droits et leurs compétences dans la sphère politique au même titre que les hommes.
 Il est bien vrai que le jeu politique est souvent fait de trahisons, d’intrigues, de mensonges, etc. qui peuvent donner de l’aversion aux âmes sensibles que sont les femmes. Mais, les femmes ne doivent pas regarder à cela mais à l’intérêt supérieur de la population, à la contribution qu’elles peuvent apporter à des millions de personnes et au pays.

Pr Jimi ZACKA

Théologien, Anthropologue 


P.S. : La rédaction de Thephila.com prévient les lecteurs contre toute utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de l’article comme cela a pu arriver.
 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.