Evoquer la relation entre la femme et le pouvoir
politique en Centrafrique est un sujet tabou, incompréhensible, à la limite
vague et insignifiant. Car, les traditions et les clichés culturels portent déjà un
regard condescendant sur la femme centrafricaine, dont le sort serait à priori lié aux clichés catégorisant
les sexes. La lecture des traditions aboutit souvent au refus de reconnaître
aux femmes un rôle actif dans la société tant sur le plan économique que politique.
Ainsi, les préjugés masculins attribuent aux femmes un statut légal d’emblée
inférieur.
Combien de fois, les femmes qui se sont
lancées en politique n’ont- elles pas entendu cette phrase pendant leur enfance ?
Dès la plus tendre enfance, la fille aide sa maman et le petit garçon peut
jouer avec ses amis ou aller à la chasse. Il en résulte que la répartition et
l’accomplissement des différentes tâches sociales entre l’homme et la femme s’effectuent
en tenant principalement compte de certaines considérations liées aux genres
masculin et féminin. Et très souvent, il
ressort de cette sorte de classification des tâches sociales par le critérium
du genre que les tâches qu’on pourrait aisément qualifier de tâches subalternes,
c’est-à-dire les tâches domestiques, sont réservées à la femme, tandis que les
tâches relatives à l’autorité ou au commandement, c’est-à-dire les tâches touchant
à la gestion des affaires de la société, sont réservées à l’homme. C’est ainsi
que la situation de la femme vis-à-vis du pouvoir politique est conséquemment
caractérisée par de nombreuses spécificités qu’il ne faut pas ignorer.
Toutefois, nonobstant ces spécificités, l’observateur attentif découvre que
généralement, sur la question de la participation de la femme aux affaires
politiques, la femme a été et demeure encore dominée par l’homme. Pour preuve,
le président Jean Bedel Bokassa a instauré le poste de Premier ministre en 1974
avec Mme Elisabeth Domitien, mais s’opposa à lui dans son projet de transformer
les institutions en monarchie de devenir empereur. Elle fut contrainte à la
démission et fut envoyée en prison.
Dans ce sens, que
la politique soit faite pour l’homme et non pour la femme, est une situation
qui ne choque aucune sensibilité parce que cela apparaît comme une évidence. Ce
qui serait à la fois étonnant et gênant pour l’homme et même pour des femmes, ce
serait le fait de voir la femme faire de la politique ; qu’elle le fasse
avec l’homme, ou aux côtés de l’homme, ou encore sans l’homme, cela ne change
pas l’appréciation.
La marginalisation politique de la femme
centrafricaine
De ce fait, la politique étant une fonction
trop élevée pour la femme qui n’aurait pas l’intelligence suffisante et la
carrure nécessaire pour l’assurer, la femme qui arrive en politique n’est véritablement
pas la bienvenue ; car elle apparaît, du coup, comme une femme dangereuse
ou comme un être dégradé ; elle est
perçue par l’opinion commune comme n’étant pas à sa place, et s’éloignant naturellement
de ses attributs de femme. La femme, être soumis à l’homme, doit occuper un
rôle de second plan ; tandis que l’homme, le chef de la maison, doit jouer
un rôle de premier plan.
C’est ainsi que les femmes ont toujours été considérées comme des
instruments pour taper les mains dans les partis politiques, mais quand il
s’agit d’un poste, il revient à un homme, quelle que soit la valeur féminine.
Reléguées à de simples animatrices des partis politiques, avec des pagnes et
des foulards qu’on leur offre, elles ne peuvent pas démontrer qu’elles sont
capables d’aller conquérir le pouvoir politique. Au sein des partis uniques, à
l’époque, le schéma classique a consisté à les regrouper en une seule
association inféodée au parti à l’échelle nationale (ex. UFCA ou OFCA). Elles y
ont joué le plus souvent le rôle de faire-valoir des hommes au pouvoir.
À analyser ces pratiques
courantes qui ressemblent fort bien à des actes de discrimination pratiqués par
les hommes au préjudice de la femme sur la question de son aptitude à
participer à la gestion du pouvoir politique, et qui, curieusement, semblent
être acceptée par tous, même par les femmes, dans leur grande majorité, on
finit par en déterminer le fondement naturel. Le témoignage de Mme Samba-Panza (première femme centrafricaine à accéder
à la magistrature suprême), lors de son interview avec Christophe Boisbouvier
le mardi 21 janvier 2014 sur RFI, semble bien confirmer une telle
discrimination. Le journaliste lui a rappelé que beaucoup pensaient qu’elle était
"… une femme, elle n’y arrivera
jamais ». Et elle a répondu : « Oui, beaucoup. C’était à
la limite du découragement. C’est vrai que beaucoup m’ont dit que les gens ne
sont peut-être pas encore prêts à se faire commander par une femme… ».
Cela se vit aujourd’hui. Beaucoup de centrafricains ne se sentent plus « prêts à se faire commander par une femme »
et récusent ses capacités politiques.
La femme et
la question d’autorité en politique
Car, l’activité politique, pour
la plupart des centrafricains, est liée à l’idée de l’autorité. Ainsi, se fondant sur l’idée selon laquelle la nature qui ne fait rien en vain s’oppose à ce que
l’homme et la femme soient tour à tour gouvernant et gouverné. La parité n’est
donc pas naturelle. La femme demeure, certes, un être libre, et sur ce point, elle est dans une
situation analogue à l’homme. Toutefois, il existe une inégalité naturelle
permanente entre ces deux êtres, et qui commande de manière unilatérale que
l’homme gouverne la femme. Comme l’a souligné Aristote, « en réalité, chez l’homme le courage est une vertu de
commandement ; et chez la femme une vertu de subordination, et on peut en dire
autant des autres vertus. », la masculinisation sociale de la fonction
politique en Centrafrique a toujours laissé croire que l’âme de la femme possède
la vertu délibérative, mais elle est totalement démunie d’autorité. Pareillement,
la modération n’est pas la même vertu chez l’homme et chez la femme, ni non
plus le courage.
Paradoxalement, et curieusement, cette
situation désavantageuse que vit la femme centrafricaine vis-à-vis de la
politique n’est pas partout la même. Il se trouve que dans certaines sociétés,
la femme, loin d’être exclue de la vie politique, est plutôt sollicitée pour y jouer
un rôle, non de surface, mais un rôle très déterminant. Était-ce le cas de Mme
Samba-Panza ?
Je pense que si Mme Samba-Panza a été choisie pour diriger la
transition, c’est parce que, pendant cette période de crises, le peuple s’est
dit fatigué par les régimes antérieurs mis en place par les hommes au pouvoir
depuis des décennies. Il fallait en effet saisir l’opportunité : « nous avons essayé tous les hommes.
Maintenant, c’est le temps des femmes ». C’était un exercice de substitution,
d’essai. Aussi en référence à d’autres femmes africaines qui ont réussi dans la
sphère politique. Par exemple, celle qu’on aime appeler « dame de fer »,
Mme Ellen Johnson Sirleaf. Malheureusement,
Mme Samba-Panza peine à asseoir son autorité et les gens renouent aujourd’hui avec
ce discours misogyne : « cette femme n’a pas d’autorité. Elle est
nulle ».
Un regard biblique sur le statut de la femme en
politique
Même si la Bible nous dit peu de chose sur les femmes en politique, il est à remarquer que la femme n’est nullement écartée de la vie politique. Dieu lui-même, fort de la connaissance profonde qu’Il a de la valeur, de la dignité et surtout de la puissance incarnée par la femme, lui réserve une place de choix dans la hiérarchie politico-sociale. Ainsi, pour la gestion des affaires politiques de la société, la femme est parfois sollicitée, recherchée et destinée à y jouer un rôle central. Pour s’en convaincre, il suffit de citer deux femmes dans la Bible. Il y a d’abord Déborah qui est un personnage du livre des juges. Elle fait partie des douze chefs d’Israël, et plus particulièrement des six « grands » des douze qui sont : Otniel, Ehoud, Gédéon, Jephté et Samson. La plupart d’entre eux ont dirigé soit une ou plusieurs tribus soit le peuple tout entier. C’est la seule femme parmi les chefs d’Israël. Elle exerce cette fonction pendant 40 ans, de 1260-1221 avant l’ère chrétienne (cf. Wikipédia). C’est également l’un des premiers portraits d’une femme dans un rôle politique et héroïque (Jg). La seule présence de Déborah, parmi les hommes, nous amène à croire que Dieu suscite selon les difficultés du moment des hommes et des femmes aux capacités très diverses au-delà des considérations du genre.
Ensuite, il y a Judith dont le
nom signifie la juive. Son histoire
se situe au moment du retour du peuple après la captivité à Babylone. Femme
dont la réputation de beauté est exceptionnelle est choisie par Dieu pour
sauver son peuple d'une invasion par le général Holopherne. Ayant défait
Holopherne, Judith provoque la déroute des envahisseurs et assure la victoire à
ses compatriotes. Nous retrouvons Judith dans la Bible au livre qui porte son
nom (chapitres 8 à 15). C'est une histoire fascinante à lire qui montre comment
des femmes peuvent intervenir pour sauver un peuple d'une situation qui
semblait désespérée.
D’autres femmes semblent avoir
aussi joué pleinement un rôle politique à côté des rois. Esther est juive. Elle
est une reine belle et courageuse. Elle va réussir à sauver le peuple juif menacé
de mort. Le livre d’Esther entend montrer que même à côté des tenants des
pouvoirs politiques, spirituels ou autres, la femme joue en effet un rôle
considérable dans la prise des décisions. C’est dire que le regard extérieur
qui n’a pas eu l’occasion d’observer de l’intérieur les jeux de la femme à l’ombre
du pouvoir politique, ne captera que les mots qui révèlent le « sexe
faible ».
La
femme est-elle plus faible que l’homme en politique ?
L’homme, d’après le livre de la Genèse,
fut créé premièrement, et la femme ensuite. Cependant, nous disons que cette
classification dans l’ordre de la création, de l’homme et de la femme, si elle
est vraie, ne signifie pas de facto
que l’homme soit naturellement, dans tous les secteurs de la vie, le Maître et le
Dominateur de la femme parce qu’il serait le plus fort. Cela sous-entend
simplement que l’homme, par rapport à la femme, est l’être le plus faible tant
physiquement que moralement. Et c’est à bon droit que Joachin AGBROFFI écrit
ceci :
« L'homme a, pendant longtemps, pensé que c'est chez
la femme seule que tout a trait aux concepts de petitesse, de faiblesse et
d'infériorité. C'est en fait chez lui-même que ces concepts se retrouvent et
prennent leur véritable source. C'est parce qu'ils existent chez lui qu'ils se
projettent sur elle. (cf. Agbroffi (Diamoi Joachin), “La petitesse de la femme, une
mine d’or”, in Repères, Revue
scientifique de l’Université de Bouaké, (Abidjan, EDUCI, no 2, Mars 1998, p.159).
Dans ces conditions, nous
établissons que la femme est et existe parce que l’homme est, mais n’existe
pas. La femme devient, du coup, l’appui de l’homme, la maison de l’homme et la
matrice de l’existence humaine. Contrairement à l’opinion commune, nous
admettons que dans ce monde plein de symboles, et où vivent les fils d’Adam,
c’est la femme qui, par la fécondité de son intelligence, la pertinence et la
rapidité de son sens intuitif, discerne, découvre et oriente l’homme dans les
décisions les plus vitales à prendre. Mieux, sans la femme, l’homme resterait
un animal stupide et borné comme le bon sauvage de Rousseau, car c’est la femme
qui, par sa sagesse, aide l’homme à devenir intelligent et heureux, même en
politique.
Le grand sage africain Hamadou Hampté Bâ le confirme en ces termes : « On dit que, dans la tradition, les femmes ne participaient pas aux décisions. La réalité est tout autre. Chaque fois qu'une décision importante devait être prise sous l'arbre à palabres exclusivement animé par les hommes, l'affaire en discussion n'était jamais conclue à la première séance.Les honorables notables suspendaient la décision au lendemain pour prendre le temps de discuter avec leur oreiller(la nuit porte conseil !) La décision prise le lendemain avait été de fait soufflée par une femme : épouse, sœur ou mère.». Comme aime le dire un proverbe africain :" la barbe ne repète le jour, que ce que le pagne lui dit la nuit"..
Le grand sage africain Hamadou Hampté Bâ le confirme en ces termes : « On dit que, dans la tradition, les femmes ne participaient pas aux décisions. La réalité est tout autre. Chaque fois qu'une décision importante devait être prise sous l'arbre à palabres exclusivement animé par les hommes, l'affaire en discussion n'était jamais conclue à la première séance.Les honorables notables suspendaient la décision au lendemain pour prendre le temps de discuter avec leur oreiller(la nuit porte conseil !) La décision prise le lendemain avait été de fait soufflée par une femme : épouse, sœur ou mère.». Comme aime le dire un proverbe africain :" la barbe ne repète le jour, que ce que le pagne lui dit la nuit"..
Cela dit, l’engagement
des femmes en politique n’est pas un fait sur lequel on doit encore polémiquer.
Les femmes sont des citoyennes à part entière, elles constituent plus de la
moitié de la population et doivent faire valoir leurs droits et leurs
compétences dans la sphère politique au même titre que les hommes.
Il est bien vrai que
le jeu politique est souvent fait de trahisons, d’intrigues, de mensonges, etc.
qui peuvent donner de l’aversion aux âmes sensibles que sont les femmes. Mais,
les femmes ne doivent pas regarder à cela mais à l’intérêt supérieur de la
population, à la contribution qu’elles peuvent apporter à des millions de
personnes et au pays.
Pr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue
P.S. : La rédaction de Thephila.com prévient les lecteurs contre toute
utilisation de ses textes ne mentionnant pas la source et le nom de l’auteur de
l’article comme cela a pu arriver.
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