Il
m’a semblé bon de réfléchir sur cette question inhérente à l’actualité : « Le pouvoir de l'homme est-il vraiment le pouvoir de Dieu ? ». En suivant de près ce qui se passe dans le monde, notamment en Afrique et ailleurs depuis des décennies, contrairement à ce que l’on peut croire,
j’ai remarqué que l’instinct le plus fort de l’homme, me
semble-t-il, est la soif du pouvoir : être en autorité, se faire obéir au doigt
et à l’œil. Tentation à laquelle, certains assoiffés de pouvoir sont prêts à
vendre leur âme au détriment du peuple centrafricain. Cela s’explique par la
pléthore des partis politiques qui, de fois, ne sont que l’ombre d’une famille,
d’un clan, d’une tribu.
Alors, le pouvoir que les uns et les autres cherchent avec acharnement, au point d’en faire une obsession dont le peuple est souvent victime, est-ce pour réellement servir le pays ou pour leur propre gloriole ? Ce type de pouvoir vient-il de Dieu ? Certains dirigeants s’appuient souvent sur le texte de Rm 13, 1-7 qui dit : «Car toute autorité vient de Dieu.» (cf. la Bible en français courant) pour affirmer que c’est Dieu qui les a mis au pouvoir et que le peuple leur doit une obéissance aveugle. Qu’en est-il vraiment ? Peut-on vraiment affirmer que la Parole de Dieu encense le pouvoir politique sans autre forme de procès ? En disant qu’« il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui » (Rm 13, 1), l’apôtre défend-il l’idée que tout pouvoir vient de Dieu ? Appelle-t-il les chrétiens à obéir à n’importe quelle autorité ? Jésus voit-il les choses comme Paul ? Quelle fut son attitude face aux autorités civiles et religieuses de son temps ? Ces questions qui me taraudent m’amènent sur trois axes. Premièrement, il est essentiel de voir le contexte historique dans lequel l’apôtre Paul a écrit ce texte. Deuxièmement, il s’agit de quelle autorité Paul veut parler. Troisièmement, la Bible nous enseigne que toute autorité vient de Dieu. Alors, toutes les autorités mêmes les plus despotiques viennent-elles de Dieu ?
Rom 13, 1-7
Dans un premier temps, le passage qui fait l’objet de ma réflexion (Rm13,1b) correspond certainement à une situation historique donnée. Au moment où Paul s’adresse aux chrétiens de Rome – nous sommes vers l’an 56 de notre ère – l’autorité romaine est loin d’être totalitaire. Bien au contraire, l’administration impériale a de très bons rapports avec les populations après que les chrétiens aient connu des moments plus désagréables. Ces populations ne sont ni brimées ni opprimées. Justice est rendue à quiconque se sent lésé. Thémis – déesse de l’équité et de la loi dans la mythologie grecque – ne tranche pas forcément en faveur du riche ou du puissant. Tel est le pouvoir que Paul a connu et – certainement – apprécié. Car, si ce pouvoir lui avait semblé partial, s’il ne lui inspirait que crainte et méfiance, il n’aurait pas eu recours à lui lorsque des accusations furent portées contre lui par les grands prêtres et notables juifs de Césarée (Ac 25, 1-12). C'est à ce type de pouvoir que Paul pense au moment où il enjoint aux chrétiens de Rome de se soumettre aux autorités : un pouvoir au service du bien et de la justice sociale.
Par conséquent, nous devons être
extrêmement vigilants lorsque nous sortons des paroles bibliques de leur
contexte pour en faire une sorte de leitmotiv c'est ce qui a été fait
avec l'affirmation de Paul «Tout pouvoir vient de Dieu ».
Nous pourrions même nous poser la
question, avons-nous le droit de sortir quelques mots d'un long développement
de Paul qui commence par ces mots « Ne vous conformez pas au siècle
présent mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence
». (Romains 12,2.)
« Ne vous conformez pas au siècle
présent » voilà donc un mot d'ordre général qui ouvre l'ensemble des chapitres
12, 13 et 14 et qui semble en contradiction avec l'affirmation : « Tout pouvoir
vient de Dieu ».
Mot d'ordre général qui nous invite
à ne pas nous conformer aux modes, à la doxa ambiante, à nous confondre
avec le monde au risque de ne plus être en mesure d'apporter quoi que ce soit
au monde. Nous sommes envoyés dans le monde par Christ et dans le même temps en
Christ nous ne sommes plus inféodés au monde.
C'est là la condition paradoxale du
chrétien, condition rappelée par le Christ dans le quatrième évangile. Romains
13 est donc en contradiction avec cet enseignement du Christ mais aussi en
contradiction interne avec la théologie de Paul. Car si nous prenons en compte
l'ensemble des épîtres pauliniennes, et cela a été tout de suite repéré par
plusieurs commentateurs comme Alphonse Maillot, on peut se poser cette autre
question :
Comment est-il possible que Paul qui tout
au long de ses écrits nous explique que l'obéissance à la Torah, à la Loi,
n'est plus un chemin de salut mais que seule la foi en Jésus Christ est devenu
chemin de salut, Paul qui affirme que l'œuvre du Christ est de libérer l'homme
de tous les jougs ...Comment est-il possible que ce même Paul puisse devenir
ultra légaliste lorsqu'il s'agit de parler des institutions politiques ?
Il y a peut-être plusieurs façons de
répondre à cette question...
1° La première façon de répondre serait de rappeler que Paul
s'adresse à ses contemporains, des chrétiens vivant à Rome et que lorsqu'il
parle des « autorités » il parle d'une réalité politique bien précise à savoir
celle du pouvoir impérial et non pas de la nature de toute réalité politique.
Nous savons que les chrétiens
hellénistes, dont Paul est un des porte-parole, ne sont pas loin de penser que
Dieu a installé l'Empire romain pour qu'il serve de cadre à la naissance et à
la Genèse de l'Eglise donc à la conversion des païens.
2° La deuxième façon de répondre
c'est de rappeler que Paul a reçu un enseignement rabbinique or dans le
Judaïsme du premier siècle les rabbins pensaient que les païens avaient reçu une
loi élémentaire, les 7 commandements noachiques, commandements que Noé avait
donné par la suite à ses fils (Genèse 9, 1-6) : la soumission aux juges,
l'interdit du blasphème, l'interdit de rendre un culte aux idoles, l'interdit
de l'inceste, l'interdit du meurtre, l'interdit du vol, l'interdit de manger la
chair avec le sang. Loi élémentaire qui concerne toute l'humanité ayant pour
projet de maintenir le monde hors du chaos. Paul s'inscrit ainsi dans cette
compréhension rabbinique et semble situer l'empire romain dans le cadre de
l'alliance noachique établi entre Dieu et tous les peuples.
D'ailleurs, par la venue du Christ, l'
Evangile nous enseigne le mode d'agir de Dieu qui est différent de ce que nous
imaginons du pouvoir. Dans ce monde, Dieu n'entre pas en concurrence avec les
formes terrestres du pouvoir. Il n'a pas de divisions à opposer à d'autres
divisions. Au pouvoir tapageur et pompeux, Il oppose le pouvoir sans défense de
l'amour qui, sur la Croix -- et ensuite continuellement au cours de l'histoire--
succombe et qui constitue cependant la réalité nouvelle du pouvoir divin qui
s'oppose à l'injustice et instaure le Règne de Dieu. C'est dire que le pouvoir
de Dieu est différent du pouvoir humain. Et si l'homme puise son pouvoir de
Dieu, il doit devenir différent, il doit apprendre le style de Dieu. Il doit
servir au lieu d'être servi. Il doit solliciter la sagesse divine pour exercer
son pouvoir comme Salomon.
Pouvoir divin ou Pouvoir humain en Centrafrique
Or,
une des mentalités qui se sont perverties en Centrafrique se trouve être l’idée
de considérer le pouvoir comme un moyen pourvoyeur d’argent, une vache à lait à
traire : une vache qui laisse sa bouse à la population et dont le lait va
ailleurs, laissant ses veaux (le peuple) affamés. La logique prônée dans de tel
cas, c’est « le cabri broute l’herbe là où il est attaché » sans
savoir que le « cabri attaché qui broute l’herbe » attend d’être éminemment
égorgé. Autant dire que la conception du pouvoir est à revisiter dans notre
pays à deux niveaux.
Dans
un premier temps, le Dieu en qui Paul a mis sa foi est un Dieu de paix, de
justice et d’ordre. Voilà pourquoi ceux qui exercent le pouvoir en son nom,
ceux à qui il a délégué son autorité, doivent veiller à ce que la cité soit en
paix, à ce que les citoyens, ceux qui vivent dans la cité, mènent une vie calme
et paisible, à ce que les uns ne soient pas spoliés ou exploités par les
autres. Quand l’apôtre parle d’autorité, il a donc en tête une autorité dédiée
à la justice, une autorité qui n’opprime pas de façon arbitraire. Il en découle
que l’apôtre Paul ne nous demande pas de nous soumettre à un pouvoir
dictatorial et oppressif ni à un pouvoir laxiste. J’appelle « pouvoir laxiste »
un pouvoir qui laisserait les délinquants et les fauteurs de trouble agir à
leur guise, un pouvoir qui brillerait par l'impunité. Mais il n’y a pas que
Paul qui parle du pouvoir et de l’autorité. Jésus dit, lui aussi, comment ceux
qui détiennent le pouvoir se comportent et comment ses disciples devraient
exercer le pouvoir. Mat 20, 25 stigmatise en effet l’abus de pouvoir : « Les
chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur
domination.» Nous avons ensuite le verset 26 qui dit : « Il ne doit pas
en être ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi
vous, qu’il soit votre serviteur.» Nous voyons ainsi que, pour Jésus,
exercer l’autorité, ce n’est ni dominer les autres, ni les terroriser mais se
mettre à leur service. Il va sans dire que le chrétien se soumettra sans peine
à une telle autorité. Il lui sera en revanche difficile d’obéir à ceux qui font
n’importe quoi de l’autorité : par exemple, affamer le peuple, empêcher des
citoyens de pratiquer leur foi, se prendre pour « des dieux infaillibles et
tout-puissants » (Paul Valadier, Du spirituel en politique, Paris, Bayard,
coll. « Christus », 2008, p. 50) appelant à ramper ou à se prosterner devant
eux, à verser son sang avec enthousiasme pour eux ». Jésus lui-même lorsqu'il
s'adresse à Pilate, lui rappelle la source du pouvoir dont il en fait un
mauvais usage: "Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi; si cela ne
t'avait été donné d'en haut" (Jn 19, 11).
Cela
dit, il convient, dans deuxième temps, de ne pas appliquer l'expression “Toute
autorité vient de Dieu” à nos dictatures modernes ni à n'importe quel
pouvoir oppressif dans l'Eglise ou dans la Société civile. En tout cas, quand
Paul écrivait aux Romains, il ne pensait certainement pas aux systèmes
politiques de notre ère. En dernier ressort, l'expression “Toute autorité
vient de Dieu”, liée aux circonstances historiques précises, ne saurait
servir de règle de référence pour n'importe quel type d'autorité. Les élections
mal organisées, sans consensus ni participation de tous, la prise de
pouvoir par des armes, le tripatouillage des constitutions, etc. ne
peuvent être considérées comme « pouvoir venant de Dieu ».
Le
pouvoir en Centrafrique se caractérise d'ailleurs par l’égoïsme et le nombrilisme.
Ce sont ces deux vices qui engendrent souvent toutes les autres calamités que
nous subissons. Puisque nous avons perdu le sens du partage, les plus pauvres
viennent arracher aux pauvres ce qu'il faut pour leur survie, pendant que les
riches s'entourent de toutes les protections pour conserver, pour eux seuls, le
fruit de la croissance nationale, toute honte bue. Alors qu’aiilleurs, le
pouvoir public permet à tout le monde d'avoir au moins le strict nécessaire
pour vivre. On essaie de réduire les écarts sociaux en prélevant sur de grandes
fortunes pour subvenir aux besoins des plus démunis. On permet à tout le monde
de se sentir à l’aise dans ses droits fondamentaux.Malheureusement, ce pouvoir
tant convoité est devenu le seul lieu d'enrichissement illicite. Pour cela, la
fin justifie les moyens.
Ce que Dieu attend du pouvoir des hommes
Le
pouvoir n’est pas une fin en soi. Il est au service du bien commun. Servir le
bien commun, c’est veiller à ce que tous les citoyens soient égaux devant la
loi, que les richesses nationales, fruit du labeur de chacun, bénéficient à
tous, que la sécurité des biens et des personnes soit assurée, etc. Aussi
longtemps que cela est fait par ceux qui sont momentanément au pouvoir, aussi
longtemps que l’autorité « respecte les droits natifs de l’homme et agit par
persuasion autant qu’il est possible sans abuser inutilement de la contrainte,
le citoyen répond à l’autorité par l’obéissance civile » et il répond « sans
attendre l’intervention de quelque contrainte que ce soit » (Jean-Yves Calvez,
La politique et Dieu, Cerf, Paris, 1985, p. 60). Il s’ensuit que c’est «le bien
commun lui-même qui donne autorité à l’autorité » (Ibid.). Obéir, dans
ces conditions, ce n’est pas seulement obéir aux hommes mais obéir à Dieu,
source de toute autorité. Jean XXIII appelle cela « rendre hommage à Dieu »
(Pacem in terris, 1963, n° 50). Une telle obéissance élève l’homme. Si
l’homme devait, au contraire, obéir à un pouvoir tyrannique, corrompu,
sanguinaire ou raciste, cette obéissance le ravalerait au rang de l’animal. Un
homme digne de ce nom doit dire « non » à un tel pouvoir.
Car,
comme l’a si bien écrit le poète Valssili Joukouski : « La véritable puissance
du monarque n’est pas dans le nombre de ses soldats, mais dans la prospérité de
ses sujets ».
Prof. Jimi ZACKA , Théologien, Anthropologue, Chercheur
Extrait de mon ouvrage à paraître "Dieu et le pouvoir en Afrique".
Vous pouvez aussi lire mon dernier ouvrage sur ce http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45684
Extrait de mon ouvrage à paraître "Dieu et le pouvoir en Afrique".
Vous pouvez aussi lire mon dernier ouvrage sur ce http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=45684
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