La parole a
été faite chair et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité. Et nous avons
contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique, venu du
Père. Jean 1 : 14
La parole est la
qualité qui définit l’homme. Aucune autre créature n’a la capacité de
communiquer de manière réfléchie, articulée, créative et sensible. Comme nous
le verrons, les paroles de l’homme sont investies d’un pouvoir de façonner
l’univers de la même manière que Dieu donna originellement existence au monde
par la parole. Nos paroles ont même la capacité de changer la réalité du temps,
ainsi que le statut des personnes. C’est dire combien la parole est le
fondement de l’être humain. Je ne parle pas seulement de la parole verbale mais
de toutes les formes de langage que nous connaissons.
D’ailleurs,
l’évangéliste Jean a une façon bien à lui de nous introduire son évangile. Rien
à voir avec les autres récits de la vie de Jésus dans les trois évangiles. Jean
nous invite à connaître un autre Jésus. Celui qu’il appelle la Parole. Au
départ, rien. Si ce n’est la Parole et Dieu (Jn 1.1-3). Jean différencie Dieu
et la Parole sans pourtant les dissocier. Une Parole qui vient remplir l’espace
vide. Tout se passe comme si, d’emblée, ces quelques mots : commencement,
parole, Dieu, existence, vie, lumière, trouvent un écho immédiat en nous en
tant qu’être humain. Un écho qui nous révèle que tout commence avec une parole.
Avec un cri, le premier souffle d’un nouveau-né. Toutes nos histoires
commencent avec une parole, par une parole. Un oui, un non.
La parole se donne, se partage, se reçoit. Avec la parole, nous commençons une
vie, une histoire : nous construisons, nous détruisons. Nous disons et
nous contredisons. La parole a d’inévitables conséquences dans nos vies. Elle
nous met toujours en mouvement, suscite en nous de multiples émotions. Avec la
parole, nous bénissons et nous maudissons. Nous aimons et nous haïssons. Avec
la parole, on reconnaît l’autre et on est reconnu par l’autre. Rien n’est plus
insoutenable que le silence ou que de rester suspendu à une parole que l’on
attend et qui ne vient pas. L’évangile de Jean vient ainsi nous rappeler que
c’est Dieu qui a choisi le vecteur de la parole pour se révéler à l’homme. Il a
choisi en l’homme ce qu’il y a de plus humain pour y révéler sa part la plus
divine. Le Dieu de Jean est un Dieu qui parle. C’est un Dieu qui se révèle par
la parole. Mais ce Dieu ne parle pas à n’importe quelle créature. Il nous parle
à nous humains. Dieu parle à nous qui possédons cette faculté de pouvoir
exister dans l’échange, dans la relation, par la parole. C’est ce que veut nous
signifier Jn 1.14 : « La Parole est devenue un homme et il a
habité parmi nous » (v.14).
C’est dire que si Dieu nous parle, cette Parole doit se vivre. Cette Parole
doit grandir en nous pour devenir notre parole, une réalité palpable dans notre
vie et pour nos prochains. Autrement dit, notre parole doit être empreinte de
Sa Parole. En effet, la parole se doit d’être un vecteur de vie entre les
hommes. La parole doit doter l’homme de la capacité de donner vie à l’autre.
Car, parler c’est accepter de prendre le risque d’être. Pas seulement
d’être, mais de devenir quelqu’un tourné vers l’autre pour exister.
Par Sa Parole Dieu invite l’homme à
prendre lui-même la parole. Notons que dans le jardin d’Eden, Dieu ne place pas des paroles « toutes
faites » dans la bouche d’Adam. « Il attend pour voir » quelles
paroles l’homme va imaginer et, ensuite, va prononcer, paroles indispensables
pour mener à bien sa responsabilité de maître de la terre. Le langage auquel
Dieu invite l’homme dépasse une simple fonction utilitaire. Dieu provoque aussi
chez l’homme des paroles d’émerveillement, d’enthousiasme, d’admiration :
Quand Dieu présente Eve à Adam, celui-ci s’écrie: « Voici bien cette fois
celle qui est os de mes os, chair de ma chair. » (Gn2.23). De même, Il
propose à l’homme d’assumer des responsabilités importantes. Il les
précise au verset 15: « Dieu établit l’homme dans le jardin pour le
cultiver et le garder. » Et, un peu plus loin, au verset 19: « Dieu
fait venir les animaux vers l’homme pour voir comme il les nommerait, afin que
tout être vivant porte le nom que l’homme lui donnerait. » Dieu ne fait
pas tout pour l’homme. Il l’invite à assumer ses propres responsabilités. Par
cette parole, Dieu montre à quel point il est sensible aux besoins sociaux de
l’homme. Dieu sait qu’Adam a besoin de lui, mais il reconnaît aussi que sa
propre présence et sa propre parole ne lui suffisent pas! Adam a également
besoin d’une compagnie humaine: quelqu’un qui serait à la fois comme lui et
différent de lui. Dieu comble ce besoin par la création d’Eve.
Dans la tradition
africaine d’où je viens, la parole du sage est créatrice et constitue la force
vitale, et le souffle humain en dépend. C’est pourquoi, parler à l’autre ou de
l’autre, c’est renouveler la création elle-même, lui redonner la vie et lui
assurer la pérennité. Les mots sont empreints de puissance créatrice et du sacré.
En outre, les sociétés africaines, dans leur diversité, considèrent la parole
comme élément essentiel de cohésion communautaire. La parole, dans sa fonction
sociale, revêt un pouvoir vital. Ainsi, le corps et la parole sont étroitement
liés et considérés comme des éléments constitutifs de l’homme. Les conceptions
de la parole comme puissance et de la parole comme essence et réalité
impliquent celle de la parole créatrice. Voilà pourquoi l’arbre à
palabreoccupe une place de choix dans les sociétés africaines. Devant des
problèmes sérieux de l’existence : la naissance, le mariage, la mort, les
africains se retrouvent pour réfléchir, causer ensemble afin de se soutenir
mutuellement en face de l’événement heureux ou malheureux.
Mais la parole, en
tant que principe de vie, primauté, prévalence d’un système social, ouvre
aujourd’hui un pan de voile à une situation qui s’impose. Il s’agit ici, de
dire si l’on peut encore être valablement « maître de sa parole » à
l’heure de la mondialisation. Bien plus, à l’heure des échanges tous
azimuts, à l’heure où l’on parle de civilisation universelle, à l’heure où la
planète tout entière est engagée au rendez-vous d’une «pensée
unique », pouvons-nous demeurer encore valablement
« propriétaire » de notre parole ? Dans un sens, non. Dans un
sens, oui. Oui, parce que la parole humaine contient potentiellement,
depuis l’origine, la possibilité d’être au service de plus d’humanité, d’un
lien social plus symétrique, plus respectueux de l’autre et plus doux à
vivre S’il est des vérités qui restent éternelles, s’il y est des essences
qui restent immuables, il est du reste possible d’affirmer que l’homme est la
parole. Elle fait partie de son être et n’a de sens qu’à travers l’homme. Elle
et lui sont donc, consubstantiels et se présupposent bilatéralement. Mais, pour
que la parole humaine soit efficiente, il faut qu’elle s’imprègne de la Parole
de Dieu. C’est pourquoi, il est absolument important pour nous chrétiens, nous
qui voulons chercher Dieu de nous poser la question suivante : quelle
place la Parole de Dieu occupe-t-elle dans ma vie ?
Si nous faisons entrer en nous la Parole
de Dieu, elle nous envahit pour nous juger, et pour nous soutenir. Et à travers
cette double action, -- jugement et soutien—nous entrons de plus en plus dans
une relation intime, d’amour avec Celui qui est la Parole pleine de grâce et
de vérité qui s'est fait chair, verbe incarné.
Dr Jimi
ZACKA
Exégète, Anthropologue, Auteur
Chercheur au Creiaf
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