Le mépris est une émotion négative que l’on ressent à l'égard d'un
individu ou groupe d'individus perçu comme inférieur ou sans intérêt. Il se
définit aussi comme l'état d'être déshonoré, détesté ou disgracié. Il faut aussi noter que le mépris est une
feinte qui sert de camouflage pour cacher d’autres émotions. En fait il s'agit
d'une attitude qui dissimule parfois aussi d'autres émotions comme la jalousie,
l’orgueil... Celui qui adopte une attitude méprisante à l'égard d'un autre fait
comme s'il était "au-dessus", supérieur. L'attitude méprisante est
également une réaction de défense: « j'adopte une attitude méprisante
parce que j'ai peur de laisser voir ce que je ressens vraiment. »
Ce que nous lisons en Lc 18.9-14 nous fait découvrir l’ampleur de
l’attitude méprisante que tant de chrétiens manifestent à l’égard des autres.
Cette condescendance cachée qu’expriment de prétendus chrétiens semble devenir
aujourd'hui la norme du vécu. Pourtant, c'est un péché très subtil, difficile à
s’en apercevoir.
Ce texte (Lc 18.9,14) très connu nous offre
une parabole qui ne comporte ni piège textuel, ni noeud exégétique. Son
scénario est tellement réduit et sa signification si fortement soulignée, qu'on
ne voit pas quel problème une telle parabole pourrait bien soulever. Pourtant,
l'évangéliste Luc introduit la parabole en indiquant la cible: des personnes
caractérisées par deux traits: la bonne conscience et le mépris d'autrui.
Il essaie en même temps de comparer deux comportements devant Dieu :
1. celui d’un
homme satisfait de lui-même et qui se croit supérieur en piété par rapport aux
autres.
2. celui d’un
homme qui n’est pas satisfait de lui-même et qui demande le pardon de Dieu.
La « bonne conscience » du
pharisien conduit au mépris des autres par le détournement de la Parole de Dieu.
En rendant grâces à Dieu, cet homme étale sa
complaisance envers lui-même. Sa prière comporte 2 accents distincts :
la différence (v. 11), les oeuvres méritoires (v. 12). En soulignant sa
différence, le pharisien accomplit un tri : d'une part, il y a lui (et,
sans doute, ceux qui lui sont proches, bien qu'ils ne soient pas évoqués !) ;
d'autre part, il y a « les autres hommes », c'est-à-dire ceux qui
restent quand on a mis à part le premier lot. Et ces autres hommes sont
qualifiés par trois traits qui martèlent leur condition : ils sont «
voleurs, malfaisants, adultères ». La liste des turpitudes pourrait
évidemment être allongée. Elle n'est qu'exemplative, croquant à peu de frais le
portrait de l'homme pécheur.
Or, l’homme pécheur, il est là, justement à
côté du pharisien et il l'a aperçu. Le péager appartient bien à la
deuxième catégorie d'hommes, les pécheurs notoires et avérés. Le pharisien,
dans sa prière, remercie Dieu de l'avoir préservé de tomber dans cette
catégorie.
Par contre, l’attitude du péager rappelle en effet celle de l’homme pécheur
conscient. Il se tient à distance de l'homme moral et religieux, ou dans un
sens absolu ; il reste en retrait, il n'ose s'avancer. Les deux sens sont
d'ailleurs compatibles. « il ne voulait même pas lever les yeux au ciel » :
ce geste de prière est bien connu dans la Bible (voir Psaumes 121/1, 123/1,
Marc 6/41, 7/34). Le fait de baisser les yeux indique une humiliation. « il
se frappait la poitrine », geste qui traduit une attitude mentale facile à
comprendre, geste de détresse et d'auto-accusation (voir Luc 23/48). La prière
du péager correspond à son attitude : c'est un appel à l'aide. Littéralement : «
O Dieu, prends pitié de moi le pécheur ». Le verbe " ilaskomai"
au passif, signifie « être favorable envers un fautif », donc se
montrer accueillant et propice à son égard. Telle est la requête que le péager
adresse à Dieu : sois propice !… Prends pitié !... Ce n'est pas exactement une
demande de pardon, qui devrait normalement s'accompagner d'un engagement à
réparer les fautes commises, comme dans le cas de Zachée (Luc 19/1-10).
Ce qui est intéressant, c'est de remarquer le comportement de Dieu comme juge. Le portrait du péager est celui d'un homme écrasé par le poids de sa culpabilité et qui implore la pitié divine. C’est l’humilité à l’extérieur et à l’intérieur de lui-même. C'est un triste personnage. Mais il ne l'ignore pas, ni ne cherche aucune excuse. Il ne connaît d'autre secours que la grâce de Dieu, et c'est elle qu'il sollicite.
La conclusion de ces deux prières sera introduite par un ton solennel « je
vous dis » de Jésus. Elle comporte deux volets : Le péager est justifié, le
pharisien non. Le verbe dikaioô, « justifier », est cher à
l'apôtre Paul, mais il figure également dans d'autres couches du Nouveau
Testament, notamment dans l'évangile de Luc et les Actes. Ici, le sens est
simple ; cet homme est accepté par Dieu. Car, évidemment, le participe passif «
justifié », a Dieu pour sujet implicite. Jésus fait connaître le verdict de
Dieu. Et ce verdict est l'accueil du péager, le pécheur notoire. C'est donc un
verdict de grâce.
Ici, notre parabole n'entend ni exhorter à la prière, ni orienter celle-ci. La
prière y apparaît comme le révélateur d'une attitude devant Dieu et devant
autrui. La prière est le geste religieux le plus simple dans lequel un homme
extériorise la façon dont il se comprend par rapport à Dieu et à autrui. A ce
titre, la prière fait office de révélateur théologique. La parabole évoque
trois types de jugement :
1. le
jugement que chacun porte sur soi-même,
2. le
jugement que chacun porte sur autrui,
3. le
jugement que Dieu porte sur chacun, déjouant le jugement humain.
Et l'économie
globale de la parabole nous fait comprendre que le dernier mot appartient à
Dieu. Elle vise à faire connaître le jugement de Dieu, ce jugement selon lequel
il accueille et gracie le pécheur humilié.
Du coup, l'on
s'interroge: à quoi sert de mépriser son prochain que l'on juge à la place de
Dieu à cause de ses erreurs ? N'est-ce pas ce que Paul nous révèle en Rm 14. 4
" Qui es-tu, toi qui juges un serviteur d'autrui? S'il
se tient debout, ou s'il tombe, cela regarde son maître..."
Au final, Il s'agit de comprendre aujourd'hui que ce texte nous parle. Qu'il
nous parle pour nous débarrasser de nos illusions, du mépris que nous
entretenons à l’égard des autres, du bric-à-brac de nos bonnes oeuvres et de
nos bonnes intentions, et nous rendre lucides sur nous-mêmes. Qu'il nous parle
de la façon dont Dieu a décidé, parce qu'il est "un Dieu autrement"
qui prend sa distance vis-à-vis de notre condescendance honteuse à l'égard des
autres.
Peu
importe, la place que nous voulons nous fabriquer pour nous placer au-dessus
des autres, de l'honneur que nous voulons nous offrir pour soumettre les autres
à nos ordres, de l'autosatisfaction du salut que nous nous attribuons.
Il
appartient donc à Dieu de nous évaluer, de nous estimer, de nous
accueillir, de nous justifier au-delà de ce que nous prétendons être par
rapport aux autres. Au-delà de nos prétentions, de nos préjugés ou nos clichés
sur les autres, Dieu nous écoute, nous regarde, nous évalue, nous juge mais pas
comme nous le souhaitons, ni comme nous jugeons les autres.
C'est pourquoi,
si notre nature d’orgueil nous pousse à juger l'autre, à le mépriser souvent
trop rapidement et trop facilement, en tant que chrétien authentique -- si nous
le sommes vraiment-- nous devons sans cesse veiller à cette mauvaise
attitude et nous en remettre à la grâce dont nous sommes bénéficiaires.
Car,
pour Dieu, il n’est réplique si odieuse que le mépris silencieux. En d'autres
termes, le mépris est le plus mystérieux de nos sentiments que Dieu
déteste.
Prof.
Jimi ZACKA
Exégète
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