Le
mot rumeur vient du
latin "rumor"
qui signifie "bruit vague,
bruit qui court, nouvelle sans certitude garantie". La rumeur
est sans doute le plus vieux média du monde. Elle semble avoir un bel avenir,
même dans les sociétés apparemment les plus avancées et les plus rationnelles.
Les nouveaux moyens de communication - médias de masse, Internet, réseaux sociaux,
téléphone lui donnent aujourd'hui une folle vitesse de propagation. En fin de
compte, la rumeur est boulimique ; elle s'alimente de tout ce qui passe à côté
d'elle. Pourquoi nous interpelle-t-elle tous ?
Difficile de saisir ce que sont vraiment
les rumeurs. Le plus troublant est que la croyance en des rumeurs n'est pas le
privilège des naïfs, des crédules, bref, des autres. Elle nous concerne tous.
Elle alimente les conversations du peuple profane comme celles des chrétiens,
de la rue comme des instances du pouvoir. La rumeur fait bien partie de notre
quotidien et, de ce fait, elle cristallise de nombreuses idées reçues. Les
chrétiens n'échappent pas à cet écueil surtout quand il s'agit d’accuser les
autres. Ne dit-on pas que Socrate se plaignait
des ragots forgés contre lui et que Jésus fut victime non pas de ses paroles et
actes mais de ce qui se disait sur lui ?
Lors de son procès, les chefs d’inculpation
ont donc mentionné certains aspects controversés du ministère de Jésus, mais
avec une grande confusion et une mauvaise foi[1].
L’opinion était partagée à son sujet. Les uns le tenaient pour « un homme
de bien », d’autres pour un imposteur qui égarait une multitude[2].
L’évangéliste Jean révèle aussi qu’en conséquence de ces rumeurs, les autorités
juives étaient anxieuses de l’avenir politique de leur nation. Elles
craignaient en effet que l’activité de Jésus encourage le peuple tout entier à
mettre sa foi en lui[3].
Voilà pourquoi les chefs des juifs, qui ne possédaient pas l’autorité de mettre
un accusé à mort dans l’empire romain[4],
ont emmené Jésus devant Pilate avec ces accusations : « Nous avons cet homme en train de pousser
notre peuple à la révolte. Il empêche de payer l’impôt à l’empereur. Il dit qu’il
est lui-même le messie, le roi »[5].
La
crucifixion de Jésus résulte donc des accusations mensongères dues aux rumeurs.
C’est là où l’on note que les rumeurs
ont souvent un contenu aversif. Elles sont presque toujours négatives. Les plus
fréquentes sont les rumeurs d'agression qui ciblent une personne ou un groupe
social dans un seul souci de nuire. L’on constate aussi que lorsque l'on
transmet un message à une personne, on peut constater que lorsque le message
est relayé, ce dernier se modifie dans le sens d'une perte de détails voir
d'une reconstruction différente. L'interprétation du récepteur peut amener des
éléments qui se rajoutent à l'histoire. Il arrive qu'à la fin, l'histoire ne
soit plus du tout la même. C’est le cas de Pilate.
Il
est vrai que dans l’Eglise, nous n’échappons pas aux phénomènes des rumeurs. Car,
Satan se livre à la même besogne. Et souvent, il est à l’affût de
ce qui ne va pas ou de ce qui semble ne pas aller pour le transformer en
rumeurs au sein de l’Eglise. En effet, il est tellement plus facile de voir la
paille qui est chez les autres et de ne pas voir la poutre qui est dans le
sien.
Pourtant,
lorsque notre vie chrétienne est reliée à l’Ecriture Sainte, elle ne devrait pas obéir
aux lois qui régissent les rumeurs. C’est pourquoi, d’ailleurs, Dieu interdit formellement aux enfants
d’Israël de se livrer à des rumeurs : « Tu ne répandras point de faux bruit. Tu ne te joindras
point au méchant pour faire un faux témoignage[6] ». Le
but est de répandre un fait établi par des témoins oculaires et non de répandre
une histoire floue et sans fondement.
La rumeur est mortifère, destructrice de la
foi. Elle véhicule des calomnies, des mensonges, des critiques, des murmures et
des outrages. Afin de mettre les chrétiens à l’abri des rumeurs, l’apôtre Paul leur recommande donc à s’occuper de leurs
propres affaires[7]. L’apôtre
Jacques, quant à lui, attire l’attention des chrétiens sur la manière de faire usage
de leur parole : « la langue
est un petit membre, et elle se vante de grandes choses. Voici, comme un petit
feu peut embraser une grande forêt! La langue
aussi est un feu; c'est le monde de l'iniquité. [8]»
La rumeur,
finalement, c’est quoi ? On peut le comprendre sous une forme métaphorique. La
rumeur est assimilable à la situation dans laquelle un seul chien se met à
aboyer à une ombre et que dix mille autres chiens en font une réalité.
________________
Poème de Victor Hugo
sur la rumeur
Le Mot
Braves
gens, prenez garde aux choses que vous dites !
Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
TOUT, la haine et le deuil ! Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.
Ecoutez bien ceci : Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
TOUT, la haine et le deuil ! Et ne m'objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas.
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l'oreille du plus mystérieux
De vos amis de coeur ou si vous aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu.
Ce MOT - que vous croyez que l'on n'a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre -
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre;
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin,
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle !
Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera ;
Il suit le quai, franchit la place, et cætera
Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez le citoyen dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé,
Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe, entre, arrive
Et railleur, regardant l'homme en face dit :
« Me voilà ! Je sors de la bouche d'un tel. »
Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.
Victor Hugo, Toute la Lyre
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue
[1] Cf. Simon Légasse, Le Procès de
Jésus, L’Histoire, Paris : Cerf, coll.divina,
2012.
[2] Jn 7.22 ;
[3] Jn 11.45-53
[4] Jn 18.31. Certains pensent que
ce verset ne fait référence qu’au supplice de la crucifixion et non à la peine
de mort en général.
[5] Cf. Lc 23.2 ; Mt 27.11 ; Mc 15.2.
[6] Ex.23.1
[8] Jc 3. 5-6
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