Les murs aux frontières ne nous étonnent plus vraiment, ils se sont banalisés au point de nous faire oublier que le surnom d’alors du Mur de Berlin était « le mur de la honte ». Nulle honte désormais à ériger un gigantesque mur à sa frontière, cela peut même être considéré comme une ressource politique, comme le président américain Donald Trump l’avait montré.
Pourtant, depuis la plus Haute Antiquité jusqu’au Moyen Âge, les murs étaient des remparts permettant de protéger une ville souvent, parfois un territoire, contre des invasions étrangères ou « barbares ». Mais aujourd'hui, ériger un mur haut et solide est une réponse à une menace protéiforme, d'autres murs tout aussi solides, parce que très intériorisés. De part et d’autre des murs s’érigent de l’intérieur de soi jusqu’à l’extérieur de soi. C’est dire que « la tentation du mur n’est pas nouvelle. Chaque fois qu’une culture ou qu’une civilisation n’a pas réussi à penser l’autre, à se penser avec l’autre, à penser l’autre en soi, ces raides préservations de pierres, de fer, de barbelés ou d’idéologies closes, se sont élevées, effondrées et nous reviennent encore dans de nouvelles stridences. Ces refus apeurés de l’autre, ces tentatives de neutraliser son existence, même de la nier, peuvent prendre la forme d’un corset de textes législatifs, l’allure d’un indéfinissable ministère, ou le brouillard d’une croyance transmise par des médias qui, délaissant à leur tour l’esprit de liberté, ne souscrivent qu’à leur propre expansion à l’ombre des pouvoirs et des forces dominantes.[2]». C’est
ce que Isaac Newton affirme avec raison : « les hommes construisent trop de murs et pas
assez de ponts ». Cette assertion donne une vision assez restrictive
des murs, perçus comme obstacles, séparations, exclusions.
Pourtant, le mur protège moins bien qu’il ne sépare, il y a toujours des
brèches ou des armes plus sophistiquées pour le franchir. Paradoxalement, cela n’empêche pas sa multiplication, comme
s’il s’avérait plus indestructible symboliquement qu’il n’est vulnérable
matériellement.
La problématique aujourd’hui est
de savoir : Dans quelles mesures le mur peut-il sécuriser un peuple qui veut
vivre dans une forme d’ethnocentrisme, d’exclusivisme, c’est-à-dire, cette
facilité de s’emmurer pour vivre seul et exclure l’autre ? Avant d’aborder le sujet, il me semble en
effet nécessaire de cerner les différentes acceptions attribuées au mot
« mur ».
1. Ce qui définit le mot
« mur »
Le mot « mur » vient du reste du latin murus, qui désigne l’« enceinte » d’une ville, à distinguer de « murailles » (moenia) et du « mur
de construction » (paries), qui donnera en français « parois »).
D’abord simple palissade en bois, comme en témoignent, par exemple, les
découvertes archéologiques du premier site de la future Lutèce, puis en pierres
avec chemin de ronde et tours. L’amélioration de l’armement aux XVe et
XVIe siècles oblige les ingénieurs à concevoir de nouvelles configurations
défensives, dont l’apogée sera le plan en étoile si cher à Vauban[3].
Dans la Bible, le mot hébreux "mibhcar" est le terme assez souvent utilisé dans l’AT pour désigner le « mur, forteresse, clôture, muraille » destiné à se protéger contre les ennemis (Es 17.3 ; 1s 6.18 ; 2 R 3.19). Son équivalence grecque est ochuroma « forteresse » (2Cor 10.4), mais il y a d’autres termes grecs dans le NT, qui désignent le terme « mur », par exemple, teichos (rempart), ochorumata (équivalent du mot hébreux mibhcar). Mais dans notre contexte, nous retenons le mot "mesotoichon" utilisé en Éphésiens 2, 14-15 (mesotoichon tou phragmou=mur de séparation).
Dans la Bible, le mot hébreux "mibhcar" est le terme assez souvent utilisé dans l’AT pour désigner le « mur, forteresse, clôture, muraille » destiné à se protéger contre les ennemis (Es 17.3 ; 1s 6.18 ; 2 R 3.19). Son équivalence grecque est ochuroma « forteresse » (2Cor 10.4), mais il y a d’autres termes grecs dans le NT, qui désignent le terme « mur », par exemple, teichos (rempart), ochorumata (équivalent du mot hébreux mibhcar). Mais dans notre contexte, nous retenons le mot "mesotoichon" utilisé en Éphésiens 2, 14-15 (mesotoichon tou phragmou=mur de séparation).
En règle générale, dans
l’antiquité grecque, toutes les cités
sont fortifiées, la nature et l’envergure des fortifications étant déterminées
par la topographie. Seules des cités comme Sparte,
dont la réputation la précède, et des collectivités plus pauvres qui possèdent
peu de choses de valeur sont dépourvues de murailles substantielles. La
principale structure défensive est un mur d’enceinte interrompu à des
intervalles stratégiques par des tours rondes ou carrées. L’épaisseur du mur, ainsi
que la hauteur, la forme et l’emplacement des tours sont des éléments
importants. Les murs et les tours sont normalement en calcaire. Des meurtrières
dans les murs des tours permettent aux archers de tirer sur les attaquants[4]. Mais qu’est-ce qui
motive cette tendance à recourir au mur ?
2. La tendance à recourir au mur de la séparation
A prime abord,
ce que dit le mur relève avant tout de la crainte et du repli sur soi :
« je m’enferme afin de n’être pas
exposé à l’autre, que je ne comprends pas et que je ne souhaite pas
rencontrer ». Cette tendance est
motivée, entre autres, par deux besoins :
Le
besoin de protection : le premier réflexe de l’homme est de se protéger. Le
mur en qualité de rempart en est une illustration. Ce désir de se protéger semble comme une mesure préventive contre
l’autre. L’on redoute le frottement avec d’autres peuples et sélectionne en
effet ses relations par le biais d’un recours aux frontières. Ce besoin
correspond à la peur du différent. Ce sentiment de protection est largement
partagé aujourd’hui partout ailleurs. Si ce mur de
la honte, comme il était surnommé, a été abattu, plusieurs existent encore sur la planète : des immigrés clandestins qui tentent de franchir la
clôture de 6 mètres de haut encerclant Melilla (ville espagnole au Maroc),
le 28 septembre 2005, essuient des tirs ;
six sont tués. Un mur de 23 kilomètres « protège » San Diego de l’arrivée des Mexicains de Tijuana et
préfigure le mur de 3 200 kilomètres de béton que l’administration Bush
espère réaliser entre les Etats-Unis et le Mexique, d’où viennent chaque année
quatre cent mille travailleurs illégaux. C’est ce que Donald Trump tente de
concrétiser aujourd’hui. Un autre mur entre Israël et la Palestine pour des
raisons identitaires. Même scénario entre le Botswana et le Zimbabwe : un
« mur » anti-immigration, guère efficace du reste.
En effet, parfois, tout se résume
à cette rhétorique de stigmatisation : « L’autre a le visage de l’Etranger, du
migrant, celui qui vient « manger notre pain » et déstabiliser « notre » société ».
Quête de mécanisme identitaire: le besoin de se
doter d’un mur dans une société est souvent empreint d’une envie de se donner
une identité[5].
Car, c’est toujours à l’ombre de
remparts érigés que se révèlent les velléités de la séparation et se
définissent les communautés, les castes, les idéologies, les croyances et les
dogmes de façon singulière. C’est là où l’on commence à s’identifier par
rapport aux autres. Ce besoin d’identité démontre que chaque individu se définit et est défini à partir d’une
appartenance à un groupe social, à une communauté, et de la place qu’il y
occupe. C’est dire que l'identité d'un groupe social,
ce n'est pas qu'une question de représentations, de symbole ou de psychologie.
C'est un ensemble de pratiques et de réseaux de sociabilité, qui permettent
d'entretenir des liens de solidarité et des connivences très fortes entre ses
membres. Ce qui leur permet de s’identifier
entre eux et de disqualifier celui qui n’est pas des leurs ou qui ne
leur ressemble pas.
Pourtant,
un groupe peut être socialement exclu et culturellement intégré : c'est le
cas des Noirs aux Etats-Unis, des beurs ou des blacks dans la banlieue
française. Paradoxalement, certains groupes entretiennent des mécanismes
identitaires très forts en sélectionnant leur descendance ou se réclamant de
« souche ». C'est le cas notamment de ceux qui se revendiquent
d’extrême-droite. Aujourd'hui, des murailles en béton séparent les
communautés juives et palestiniennes en Cisjordanie. Mais ces murailles ont- elles
un vrai pouvoir pour garantir la paix ? Ces murailles de séparation ne
contribuent-elles pas à entretenir un climat d'inimitié ?
Ériger un
mur, quelle que soit sa nature, s’inspire d’une conception sectaire qui se
traduit en ces termes: « pour qui
n’appartient pas à notre communauté, il est illégitime qu’il puisse y vivre. La
bonne identité est celle de nous ressembler et c’est en effet le seul critère
d’être l’un des nôtres ». L’image du mur
est ici évidente : la peur d’autrui.
Il s’agit bien sûr du mur à l’échelle d’un quartier ou d’un territoire – non du
muret qui enclôt le jardin de la maison –, du mur qui divise, oppose, agresse. Il procure une puissance
illusoire et retarde la solution des conflits, l’échange de paroles[6] et le vivre-ensemble.
Même si l’homme est conscient
de la diversité et a vocation à construire des ponts pour dépasser ces murs,
cette entreprise n’est pas sans ambiguïté. La recherche d’ouvertures doit
provenir de son for intérieur, de sa prise de conscience, de ce qui reste en lui comme humain. C'est ce que le Prophète Jérémie dénonce en ces mots : "Le coeur est tortueux par-dessus tout, et il
est méchant: Qui peut le connaître?" (Jér.17.9). En d'autres termes, toutes
velléités de discriminer, de rejeter l'autre proviennent naturellement du cœur de l’homme. Selon le NT, l'être humain érige aussi des murs dans son cœur.
Ils sont sensés le protéger mais ils l'enferment dans des positions et des
situations qui l'empêchent de s'épanouir dans la paix et l'harmonie. C’est
pourquoi, l’apôtre Paul parle de l'œuvre puissante du Saint-Esprit qui est de renverser
ces murailles intérieures pour que la mentalité et les pensées du Seigneur
imprègnent l'homme (Phil 2:5).
3.
L’échec des murs de la séparation
Les
murs ont pour fonction unique d’empêcher le passage des hommes (l’affamé,
l’indésirable, le trafiquant, le terroriste, etc). Les
murailles et les murs ont, dans l’histoire de l’humanité, eu pour fonction
d’empêcher l’invasion des armées ennemies, les expansions, l’afflux des
populations considérées comme indésirables, mais également – c’est le cas
aujourd’hui en Europe occidentale aussi – d’isoler des populations les unes des
autres (mise en ghettos de population immigrées, etc.), de s’opposer à
l’arrivée de populations asphyxiées dans les pays d’abondance – réelle ou
imaginaire. Mais les murs, outre qu’ils sont des moyens souvent inefficaces, ne
résolvent rien. Le meilleur antidote au mur, c’est la reconnaissance mutuelle
de la différence de soi et de l’autre à travers la frontière qui n’est précisément
pas un mur étanche, mais un lieu de reconnaissance et de passage.
Car, Paul dit que Christ a renversé
le mur de séparation (Éph 2, 14-15)[7]. En affirmant que Christ a détruit ce mur, Paul
veut dire que Christ a établi la paix entre l’homme et Dieu, ainsi qu’entre
l’homme et ses semblables. Il a instauré la paix entre le juif et le païen. En
renversant le mur de séparation, Christ a anéanti sa signification et non le
mur matériel en lui-même. Il n’y a plus
barrière de l’inimitié, la
division, les préjugés et l’hostilité entre le juif et le païen, entre les
castes nobles et les basses castes, entre riches et pauvres, entre les différentes
races et entre les peuples.
Les murs de séparation érigés pour des
raisons identitaires, religieuses ou sociales ne sont que l’expression du repli
sur soi. Et, le repli est souvent le signe d’une difficulté à s’affirmer face
aux autres, d’un empêchement à prendre appui sur image de soi qui est restée
fragile et parfois insatisfaisante. Le sentiment d’insécurité, l’image d’un
monde menaçant peut nous amener à nous replier. L’ouverture aux autres se
réduit et amène à des comportements exacerbés de rejet des autres, de rejet de
la différence (augmentation du racisme, de la xénophobie).
C’est ainsi que les peuples prétendus « civilisés »
ont la tendance à séparer le monde et les gens en bons et mauvais ; pour
eux, c’est un moyen efficace pour résoudre la complexité des situations
confuses ou dangereuses, mais il implique toujours une distorsion de la
réalité. Car, face à un monde instable et incertain, le repli sur soi ou la
construction des murs dans ce seul souci de se séparer des autres n'est qu'une réponse évasive pour se voiler la face en présence de Dieu. Dieu
n’a créé aucun être humain légal ou illégal.
Nous sommes tous nés égaux et " il [nous] est réservé ...de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement de Dieu" (Hb 9.27).
Nous sommes tous nés égaux et " il [nous] est réservé ...de mourir une seule fois, après quoi vient le jugement de Dieu" (Hb 9.27).
Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue (CREIAF)
[2] Thierry Paquot, « les murs de la
peur », Le Monde diplomatique,
Octobre 2006, p. 32
[3]
En se généralisant, la notion d'identité perd de sa
consistance. Le mot peut désormais être utilisé indifféremment comme synonyme
de culture ( on parle d’identité africaine, congolaise, française, etc). Un
usage aussi étendu de la notion rend malaisée son approche. Il est aussi devenu
courant d'assimiler le mot identité aux communautés d'appartenance :
l'ethnie, la nation, la culture. Mais dans le cas présent de notre étude, nous
parlons de la construction des identités nationales qui assure « le monopole de la
culture légitime », selon l'expression de l'anthropologue
anglais Ernest Gellner dans Nations et nationalismes (Payot,
1983).
[4]
Lire à cet effet Thierry
Paquot, Terre urbaine. Cinq défis pour le devenir urbain de la
planète, La Découverte, Paris, octobre 2006.
[7] Tout autour du parvis du Temple juif à
Jérusalem se dressait un mur que les païens n’avaient pas le droit de franchir.
Paul le désigne de mur de séparation, l’inimitié, car il symbolisait dans une
certaine mesure l’hostilité entre les juifs et les païens. C’était également un
signe que les paiens étaient loin qu’ils ne pouvaient pas s’approcher de Dieu.