Une femme surprise en train de commettre l’adultère. Mais dans ce que le groupe d’hommes soumet à Jésus, il y a un problème : un
adultère, aux dernières nouvelles, se commet à deux. Or, où est l’homme ? La
loi de Moïse sanctionne en effet l’adultère par la lapidation, mais on est
censé alors lapider une femme et un homme (Lév.20.10). C’est assez curieux que, tout en
réclamant l’application stricte de la Loi, nos hommes aient oublié ce
"détail" : il faut un partenaire masculin. S’il n’est pas là, lui qui
avait part au flagrant délit, c’est qu’il a pu fuir : lui a pu partir, mais
elle non. Etrange ! Avait-il des appuis parmi ces pieux défenseurs de la Loi de
Moïse ? Y a-t-il eu favoritisme ou
solidarité masculine ?
Ce qui renforce l’abjection de cette meute d’hommes, c’est qu’en fait, ils n’en ont pas grand-chose à faire de cette femme. Qu’elle soit lapidée ou pas leur importe peu ; c’est la peau de Jésus qu’ils veulent. Ils cherchent à le faire parler sur ce cas : peut-être dira-t-il une de ses paroles paradoxales dont il a le secret, et alors on le prendra lui aussi en flagrant délit de transgression de la Loi. Cette femme n’est pour eux qu’un appât pour prendre Jésus. Si l’adultère consiste pour un homme à faire un usage illégitime du corps d’une femme, alors ces hommes sont en plein adultère : ils sont prêts à soumettre le corps de cette femme à un supplice atroce pour atteindre Jésus.
Ce que notre évangile met en scène et met en cause,
c’est la passion d’accuser dont certaines personnes sont remplies. Une passion
folle, obstinée, d’accuser les autres. On peut dire que cette femme a quand
même commis une faute. Mais si vous continuez à lire les évangiles, vous verrez que Jésus est, lui, totalement
innocent, et pourtant il sera mis à mort au terme d’un procès conduit par les
plus hautes autorités religieuses de son temps. On est donc mis à mort selon la
Loi de Moïse si l’on a péché, mais aussi si l’on n’a pas péché. Cela oblige à
s'interroger sur l'usage que l'on fait de la Loi et des arguments religieux.
Faut-il dire alors qu’on ne saurait accuser personne,
dans aucun cas, que chacun a suffisamment de choses à se reprocher et ne peut
donc jamais prendre parti pour dénoncer quoi que ce soit ? Non, bien sûr. Notre
évangile nous enseigne à faire la différence entre ce goût de l’accusation qui
ne vise qu’à dénoncer, qu’à anéantir les personnes, et la justice qui est d’un
tout autre ordre. La justice procède avec soin, elle fait entendre des voix
différentes, elle organise la dénonciation et la défense, elle demande conseil.
La passion d’accuser, elle, est un désordre meurtrier ; il conduit à la mort
violente, comme cette femme en est aujourd’hui menacée, ou bien à la mort à
petit feu comme il arrive dans nos milieux feutrés.
Pourquoi certains débordent-ils de cette passion d’accuser ? Parce qu’ils veulent absolument être du côté où l’on juge, où l’on dispose de la vie des autres. Mais pourquoi ? Peut-être parce qu’ils ne souhaitent pas être soumis eux-mêmes à un regard extérieur sur eux. La bande d’hommes qui amène cette femme brandit la Loi de Moïse ; mais, comme nous l’avons dit, ces hommes appliquent cette Loi avec bien peu de rigueur, eux qui ont oublié d’amener aussi l’homme coupable, eux qui n’ont aucun scrupule à massacrer une femme pourvu qu’ils abattent aussi Jésus.
L’Apôtre Paul a bien raison de dire que, grâce au commandement de la Loi, le péché est révélé comme péché. Mais attention : il ne s’agit pas seulement des fautes que la Loi énumère et dénonce, mais aussi du péché de certains auditeurs qui entendent cette Loi. Il y a en effet des gens qui, quand ils apprennent que tel acte est une faute grave, se précipitent pour trouver des personnes qui, à leurs yeux, se rendent coupables de l’acte en question. Le principe de leur geste est : c’est eux, ce n’est pas nous.
Nos accusateurs aujourd’hui en sont un exemple : ils ne respectent pas la Loi de Moïse tout en s’en réclamant, mais ils détournent l’attention qu’on pourrait leur prêter en exhibant cette femme et en mettant Jésus en cause. Eux sont hors de cause, comme ils voudraient nous le faire croire. Ils mentent. Et le piège qu’ils tendent est une alternative : ou bien Jésus est avec eux et il accuse aussi cette femme, ou bien Jésus s’oppose à eux et il devient aussitôt accusé. C’est un genre de situation que l’on connaît dans une vie ; ceux qu’on ne peut jamais mettre en cause disent : "ou bien tu accuses avec nous un ennemi commun, ou bien tu te fais notre ennemi".
Jésus répond : "que celui qui est sans péché jette la première pierre" ; en disant cela, il brise leur impunité. Pour une fois, ils sont mis en cause. Et comme ce sont des gens qui connaissent la Loi, même s’ils l’appliquent avec perversité, ils savent très bien que Jésus les renvoie à ce qu’ils viennent de faire : amener la femme et pas l’homme, par exemple. Et ils savent que, chez les prophètes de la Bible, il existe un mot technique pour dénoncer ceux qui mentionnent toujours la Loi de Dieu sans la vivre jamais : c’est le mot adultère. Le Seigneur, par la bouche des prophètes, traite plusieurs fois son peuple d’adultère, quand ce peuple parle de la Loi divine tout en vivant à sa guise, de son côté, bien loin de ce que Dieu propose. Qui est adultère dans cet évangile de la femme adultère ? Les plus anciens de la clique l’ont compris les premiers et s’en vont.
La femme reste seule avec Jésus. De fait, si l’homme
adultère n’est pas là, Jésus, lui, est là. II tient la place de l’accusé et
risque sa vie. Si vous lisez la suite de cet évangile, vous constaterez que,
peu après, lors d’une nouvelle discussion houleuse, les adversaires de Jésus
vont ramasser des pierres et faire mine de le lapider. L’homme adultère échappe
à la lapidation, mais Jésus, lui, en est menacé. Le péché, le péché du monde,
c’est lui qui le porte; la place vacante laissée par les coupables, c’est lui
qui l’occupe.
Un mot encore : les biblistes ont souvent remarqué que
notre texte ressemblait beaucoup au style de l’évangile de Luc : une histoire
de femme comme il y en a tant chez Luc, un pardon accordé. Or, l’évangile de
Luc raconte dès son premier chapitre comment Marie accepta d’être mère du
Sauveur. Le fait qu’elle soit vierge et fiancée à un homme la mettait dans une
situation terrible qu’elle acceptait donc d’assumer. En effet, une vierge que
l’on découvrait enceinte relevait, selon la Loi de Moïse, des lois sur
l’adultère : elle devait être lapidée avec l’homme avec qui elle avait fauté.
C’est au point, raconte l’évangile de Matthieu, que son fiancé Joseph voulait
la répudier en secret. En secret parce que, si l’affaire avait été portée sur
la place publique, elle risquait la mort. Jésus voit donc aujourd’hui une femme
qui subit ce que sa propre mère aurait pu subir. Bien sûr, nous autres
chrétiens savons et croyons que Marie n’est pas du tout en faute, bien au
contraire. Mais elle a dû traverser ces circonstances qui, à vues humains,
l’accablaient. De même Jésus, l’Innocent, a été mis au rang des assassins.
Il y a ceux qui se mettent toujours hors de cause et accusent les autres, comme le font les hommes de notre monde aujourd’hui. Et il y a ceux qui vivent en acceptant d’être mis en cause, d’être impliqués dans les histoires difficiles de notre humanité et même d’endosser des fautes qu’ils n’ont pas commises.
Jésus-Christ nous invite à méditer cela avec urgence.
Prof. Jimi ZACKA
Exégète
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.