jeudi 19 mars 2020

« …"L'HEURE VIENT- ET C'EST MAINTENANT... " : Jn 4.23

(Et si le CORONAVIRUS remet la pendule à l’heure)

« Quel est l’homme qui va transformer l’homme? Quel est l’homme qui est capable d’ébranler nos profondeurs? Quel est l’homme qui nous émeut et qui nous conduira vers une véritable conversion? C’est toujours uniquement celui qui se convertit lui-même, celui qui est dans la vérité de la vie, celui qui se situe en face de Dieu, qui respire sa présence et qui communique son amour. » (Maurice Zundel, Ton visage ma lumière).


Introduction

Largement épargné jusqu’ici par l’épidémie de coronavirus qui submerge le reste de la planète, le continent africain commence à enregistrer des cas alarmants. Ce n’est pas encore la panique. Mais l’on sait tous très bien que nous sommes en train de basculer dans un autre régime d’existence qui risque de se prolonger longtemps après le passage (nul ne sait quand) de la pandémie. D’interminables heures à priori vides se profilent à l’horizon, la mise en quarantaine forcée oblige! On évoque le travail à la maison.
Ce n’est que le vent avant une probable tempête, dit-on ; il est nécessaire de renforcer la préparation pour un scénario qui verrait la situation empirer. 
Par ailleurs, les spéculations vont  bon train. Les chrétiens évoquent des signes de derniers temps. Les théories du complot fleurissent : pour certains, un virus a été créé en labo  C’est donc un cri de colère et d’indignation ;  d’autres pensent qu’avec le coronavirus,  des chefs d’État et dirigeants politiques complotent contre le peuple. Le président du Sénat philippin a lui aussi diffusé une vidéo estimant que l’épidémie avait été créée par la CIA, Bill Gates et dans le même paquet, George Soros, tout ça pour affaiblir la Chine.
En conséquence, que restera-t-il de cette pandémie dans le cœur des hommes de ce monde ? Cela changera t-il notre rapport à l’autre et par rapport à cette société de l’hyperconsommation ? Une nouvelle manière de vivre peut-elle naître d’une  telle pandémie? Quelle lecture en faire dans la perspective de la souveraineté de Dieu ? 
Au regard de ce qui est décrit, on pourrait se dire que l'heure est grave.  Et en disant : "l'heure est grave", on donne un signal. C'est le moment de faire quelque chose, ou c'est le moment où quelque chose va se passer en tous cas.  Dit autrement,  « …l’heure vient et c’est maintenant… »  comme Jésus le dit à la femme Samaritaine : c’est-à-dire, c’est l’heure de Dieu qui croise celle des hommes. Encore une astuce de Jean. Il invite à chercher quelle est cette heure, quand donc sera-t-elle arrivée, cette heure? C'est un fil rouge que Jean laisse filer au long de son évangile pour arriver à l'heure de Jésus.


L’heure de Dieu, l’heure des hommes


L’heure des hommes, aux dires de Jésus, est prise dans une autre heure : une « heure » de Dieu rythmée par un autre monde que celui du lever du soleil. Et cette heure annoncée  met fin  aux hostilités religieuses politiques et sociales. En d’autres mots, C’est l’heure de Dieu  qui  remet en cause l’humanité. Tout s’arrête et renvoie  l’homme face à sa faiblesse, à sa fragilité, à sa finitude humaine.
Ainsi par cette annonce  « …l’heure vient et c’est maintenant… », Jésus évoque une mutation sociale, politique  et religieuse. Il indique une réorientation vers un nouveau monde  qui met terme à celui de nos habitudes et de nos certidutes. Jésus fait savoir à la femme samaritaine que  Dieu n’est plus à chercher dans des lieux  ou dans des dogmes religieux : à Jérusalem, sur une Montagne sainte, ou à Samarie. Dieu est dans la rencontre entre un homme et une femme, un étranger et quelqu’un du pays, un Juif et une Samaritaine. Par-delà tout ce qui les sépare, dans cette conversation qui les réunit, Dieu peut être reconnu et adoré « dans l’esprit et la vérité ». Il peut l’être mais il ne l’est pas nécessairement. La conversation de Jésus avec la Samaritaine va révéler ce qu’il faut pour que le Père trouve les vrais adorateurs qu’il cherche : il faut d’abord renverser les barrières  religieuses et sociales. C’est là où  « L'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité car tels sont les adorateurs que cherchent le Père. »

En fait,  à travers la scène entre Jésus et la Samaritaine, se crée un échange libérateur entre Dieu et l’homme. Voilà deux personnages que tout sépare (l’origine géographique, le sexe, la religion) et qui vont faire une rencontre déterminante aussi bien pour la transformation de l’une que pour la révélation de l’autre. Dans un cadre hostile fait de sécheresse et de désert, le puits devient le lieu de la rencontre d’une nouvelle vie. A l’heure de midi, à un moment où la chaleur est au plus haut, Jésus fait apparaître son humanité. Fatigué du chemin, assis (v.6), il a soif et demande à boire. Il manifeste une fragilité humaine dont il ne sera plus question après. Cette demande n’est pas entendue par la femme. Le refus de la femme de lui donner à boire peut avoir deux motivations : soit « les juifs ne veulent avoir rien de commun avec les samaritains » (exclusion sociale). Dans le premier cas, ce serait par déférence pour Jésus (pour qu’il ne se rende pas impur), dans la seconde hypothèse, ce serait l’intolérance.  Ce que nous savons de l’histoire des Samaritains et de leur rapport avec les juifs va plutôt dans le sens de la seconde hypothèse : intolérance, discrimination, ou exclusion. 

Il reste que le refus de la femme  samaritaine est essentiel au récit puisqu’il permet à Jésus, l’assoiffé de le rester jusqu’à la fin du récit, et en même temps de prendre définitivement l’initiative, de renvoyer tout ce monde d’égoïsme et d’exclusion à la conscience de la femme samaritaine.

Jésus ne parle plus à la femme de l’eau qu’il lui offre; il va faire le nécessaire pour qu’elle puisse la recevoir. Tout est son œuvre; c’est ce qui caractérise l’activité du Seigneur dans cet évangile, l’homme étant considéré dans l’absolue incapacité de son état naturel. Jésus va placer cette femme en présence de la lumière divine; il l’y amènera par la conscience, faculté de distinguer le bien et le mal, que l’homme obtint par le péché. Pour que la conscience soit utile, elle doit être éclairée par la Parole de Dieu; sans cela, elle peut s’endurcir au point de ne produire aucun effet. Sous l’action de la lumière divine, le pécheur voit sa culpabilité, sa perdition, et il peut accepter la grâce. 

Pour produire cet effet chez la femme, Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari, et viens ici »  .  La femme répondit et dit: Je n’ai pas de mari ». Jésus lui dit: « Tu as bien dit: Je n’ai pas de mari; car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari; en cela tu as dit vrai» (v. 16-18). Par sa réponse, Jésus place la femme dans la pleine lumière de Dieu. Elle se trouve devant celui aux yeux duquel «toutes choses sont nues et découvertes» (Héb. 4:13). Aussi répond-elle: «Seigneur, je vois que tu es un prophète» (v. 19). Par la grâce divine, la samaritaine avait devant elle celui qu’elle désirait adorer, révélation de Dieu comme Père, qui, par lui, cherchait des adorateurs. Du coup, elle réalise que son  « heure » ne lui appartient plus. 

Ce temps-là, cette «heure», dont le Seigneur parle en disant: «L’heure vient et c’est maintenant» , s’écoule rapidement; c’est l’heure de la grâce dans laquelle nous sommes encore; que celui qui n’en a pas encore profité, se hâte de recevoir le pardon et la paix. Nous avons là une preuve de l’œuvre de Dieu dans la Samaritaine. Une œuvre réservée à une humanité en perdition, qui se croit suffisante. 

Tout à l’heure, elle évitait de rencontrer ses semblables à cause de sa mauvaise conduite; maintenant elle va leur dire qu’elle a trouvé un homme qui lui a révélé tous ses actes. Elle s’était trouvée dans la lumière de Dieu, où elle avait vu bien plus de péchés que les hommes de Sichar n’en connaissaient sur son compte, car ce que nos semblables savent de nos fautes ne saurait se comparer avec ce que Dieu nous fait voir dans sa propre lumière.


 « L’heure vient et c’est maintenant » pour l’humanité


Cet étrange et indicible entretien qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer ou concevoir entre Jésus et la femme samaritaine, n’est pas seulement libérateur pour les croyants mais également pour toute l’humanité. Cette humanité heurtée par une réalité indescriptible.
Car, Dieu sait mieux ce qui arrive à l’homme. Souvent il nous arrive de ressentir un malaise, un malheur de vivre mais nous ne voyons que confusément d’où il vient. Ou bien si nous le voyons, nous le refusons et nous accusons les autres ou nous même sans fin. Nous nous enfermons dans la culpabilité.  Et comme  Albert Camus le souligne  : « Je vais vous dire un grand secret, mon cher. N’attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours. » Dieu, par Jésus-Christ, discerne le poids qui nous écrase sans pour autant nous juger. Ou plutôt, comme il n'agit pas sans nous, il nous permet de discerner progressivement ce qui nous paralyse et par le fait même il nous en libère. 

Pour preuve, c’est au bord du « puits du gouffre » que  l’humanité vient d’être frappée en plein fouet d’une façon brutale et soudaine par un virus, appelé coronavirus. Inconnu de tous,  il effraie, il ostracise, il met en quarantaine. Il interpelle l’humanité à une autre « heure » qui n’est plus la sienne. Car, cette humanité incarnée par la femme samaritaine, a besoin d’« eau vive ».  

Pourtant, entre le « maintenant » de l’entretien de Jésus avec la Samaritaine et le « maintenant » d’aujourd’hui, il y a une différence énorme : nous n’avons aucune chance de croiser Jésus et de nous entretenir avec lui comme ce fut possible pour la Samaritaine.

         Qu’est-ce qui nous assure aujourd’hui que c’est bien le Christ que nous rencontrons lorsque nous lâchons les « lumières de la raison » ? Plutôt que d’entrer dans la lumière de Dieu, ne risquons-nous pas de sombrer dans l’obscurité totale de la folie ? Ou bien encore ne risque-t-on pas de prendre n’importe quel gourou pour Jésus-Christ ? 

Ces risques sont bien réels. Mais ne l’étaient-ils pas déjà pour la Samaritaine ? Cette rencontre avec Jésus était tellement surprenante qu’elle ne pouvait pas vraiment croire qu’il était le Christ sans que sa foi soit confirmée par les gens du voisinage. Comme elle, nous ne pouvons pas recevoir l’assurance que c’est bien le Christ que nous sommes en train de rencontrer sans prendre un temps de réflexion sur ce virus. C’est « l’heure » de Dieu  qui vient nous heurter au plus profond de nous-même de façon la plus inattendue comme la Samaritaine au bord du puits.


« L’heure vient et c’est maintenant » pour la prise de conscience 


En Jn4.11-15 , la samaritaine est déstabilisée et accepte de se laisser entraîner par Jésus : son regard sur lui a changé, comme le montre le changement d’appellation. Il était d’abord « Juif » (v.9) ; il devient « Seigneur » (v.11), un être mystérieux (« d’où la-tiens-tu ») peut-être plus grand que Jacob. 

Ainsi, la femme est allée au bout de son expérience spirituelle Il lui reste à franchir le dernier pas dans cette plongée à l’intérieur du monde de la révélation. On pourrait paraphraser ainsi la prise de conscience de la femme samaritaine : « Et toi qui m’as annoncé ce que j’ai fait, es-tu le Messie, lui qui nous annoncera toutes choses ? ». Jésus se révèle alors : « Je le suis, moi qui te parle » (v.26). La femme peut alors partir en abandonnant sa cruche (v.28). Elle n’en aura plus besoin. Celle qui n’arrivait pas à assouvir sa soif de vivre et d’exister a rencontré quelqu’un qui a mis en elle une source de vie qui lui donne une autonomie et un sens. 

Ainsi, l’heure de Dieu nous porte à la réflexion, à la prise de conscience même si elle laisse en nous parfois une pointe de peur, de panique, d’interrogations. C’est quoi cette prise de conscience ? 

ll s’agit en réalité d’une capacité à se remettre en question, à réaliser le chemin parcouru et les obstacles rencontrés, tout en étant capables d’en relativiser les conséquences. Il n’est pas évident de se regarder dans un miroir et d’éviter de se trouver des excuses ou de ne pas ressentir certains doutes, certaines peurs (souvent infondées) de resurgir, obscurcissant notre jugement.

Car non, nous ne parlons pas du fait de simplement « comprendre » que l’on n’adopte pas toujours le meilleur comportement possible ou que notre système de pensée est influencé par telle ou telle source extérieure. Ce dont nous parlons ici, c’est d’une véritable aptitude à incorporer cette réflexion dans la définition de qui nous sommes, à en faire un pilier de notre développement personnel comme la femme samaritaine. 

La prise de conscience ne doit pas découler d’un désir de répondre à des canons ou à des exigences collectives, mais bien d’un examen basé sur l’individu, avec tout ce que cela implique comme spécificités.

Conclusion

Pour conclure, je fais mienne l’interpellation  de cet auteur inconnu : « Dieu nous parle…Maintenant que nous savons que nous ne valons pas grand-chose face aux événements tragiques qui s’imposent à nous, maintenant que nous découvrons que toute notre modernité et nos siècles d’avancées scientifiques ne peuvent rien face à un simple virus, maintenant que nous savons que les menaces qui pèsent sur nous ne distinguent pas d’entre Asiatiaque et Américain, le blanc et le noir, l’homme et la femme, maintenant que nous savons que le chrétien, le musulmman, le juif et le bouddhiste, le croyant et le non-croyant sont absolument égaux face au coronavirus, allons-nous enfin devenir véritablement frères, chemminer vers plus d’unité et moins de haine, vers plus d’humilité, et moins d’orgueil, vers plus de générosité et moins d’égoisme, vers plus de paix et moins de guerre ? »

Posons-nous la question de savoir pourquoi un simple virus devient une pandémie qui vide les rues des villes, suspend toutes les activités. Les avions sont cloués au sol, les écoles fermées, les lieux de divertissements fermés, mêmes les poignées de mains amicales interdites. Voire même que l’existence de nos habitudes s’arrête à contre gré ?

C'est tout simplement parce que  "l'heure de Dieu" (qui n'est pas la fin du monde)  nous renvoie à notre fragilité et s’efforce de nous éduquer, de nous donner des leçons, des signes essentiels afin de faire une pause et de nous interroger  sur ce que nous sommes réellement. 

Prof. Jimi ZACKA
Exégète











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