Cet article propose une lecture théologique de Romains 11.25, centrée sur le mystère du salut dans le plan divin, en dialogue avec le contexte africain contemporain. L’apôtre Paul y révèle un "mystère" : l’endurcissement partiel d’Israël jusqu’à l’entrée des nations dans le salut. En Afrique, où les imaginaires religieux sont profondément marqués par des traditions mystiques et communautaires, cette notion de mystère trouve une résonance particulière. Ce travail explore comment cette dynamique biblique peut éclairer la vocation missionnaire des Églises africaines, leur rapport à l’histoire du salut, et la nécessité d’une posture d’humilité spirituelle dans un contexte d’expansion chrétienne. L’article s’inscrit dans une théologie contextuelle qui valorise la participation active des peuples africains à l’économie du salut universel.
1. Introduction
La lettre de Paul aux Romains est un sommet de la pensée théologique chrétienne. Au cœur de cette œuvre, Romains 9 à 11 s’intéresse au destin d’Israël dans le plan de Dieu. Romains 11.25, en particulier, introduit un "mystère" qui lie l’endurcissement partiel d’Israël à l’entrée des nations païennes dans le salut. Dans le contexte africain, cette dynamique soulève des questions fondamentales sur la vocation des peuples, la révélation divine et la mission de l’Église.
Cette étude vise à faire dialoguer ce passage avec les réalités africaines, en articulant exégèse biblique, théologie du salut et théologie contextuelle africaine.
2. Une lecture exégétique de Romains 11.25
Le verset se lit ainsi :
« Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne vous regardiez point comme sages : c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans l’endurcissement, jusqu’à ce que la totalité des païens soit entrée. » (Romains 11.25)
2.1. Le terme "mystère" (mystērion)
Dans la tradition paulinienne, le mystērion désigne un projet caché de Dieu désormais révélé (cf. Éphésiens 3.3-6). Il ne s’agit pas d’un savoir ésotérique, mais d’une vérité divine rendue accessible par la révélation en Christ.
2.2. L’endurcissement partiel d’Israël
Paul reconnaît que tous les Juifs n’ont pas rejeté l’Évangile. L’endurcissement est "partiel" et "temporaire", et il fait partie d’un dessein providentiel. Ce n’est pas un rejet définitif (cf. Rm 11.1).
2.3. L’entrée des nations
La "plénitude des païens" (plērōma tōn ethnōn) est le signe que Dieu accomplit son projet universel. L’histoire du salut n’est ni linéaire ni exclusive : elle est inclusive, dynamique et progressive.
3. Résonances avec le contexte africain
3.1. Le mystère dans les cosmologies africaines
En Afrique, le mot "mystère" évoque des dimensions sacrées souvent transmises oralement, par des rituels ou dans l’initiation. Ces mystères sont en général réservés à des initiés, gardés par les anciens.
La théologie paulinienne, elle, propose un mystère accessible à tous, y compris aux "non-initiés" de la révélation ancienne. Il s’agit d’un déplacement fondamental : le sacré devient bonne nouvelle pour tous.
3.2. Endurcissement et résistances culturelles
Dans de nombreux contextes africains, l’annonce de l’Évangile s’est heurtée à des résistances : attachement aux traditions, incompréhension du message chrétien, syncrétismes. On peut les lire comme des "endurcissements partiels", non comme des rejets absolus.
Ce regard appelle à la patience historique et missionnaire, à la manière de Paul qui voit même dans le refus temporaire d’Israël une opportunité pour l’entrée d’autres peuples dans le salut.
3.3. L’Afrique et la plénitude des nations
L’entrée de "la totalité des païens" dans le salut donne une place active à l’Afrique. Le christianisme africain n’est pas une périphérie : il devient un centre vivant de la foi chrétienne aujourd’hui. Cela invite à :
- Revaloriser la théologie africaine dans la catholicité de l’Église ;
- Refuser le complexe d’infériorité spirituelle ;
- Participer activement à l’évangélisation mondiale.
4. Vers une théologie missionnaire africaine fondée sur Romains 11.25
4.1. Refuser le triomphalisme
L’Afrique chrétienne doit se méfier de l’orgueil spirituel, dans un contexte où elle connaît croissance et expansion. Le rappel de Paul est fort : "afin que vous ne vous regardiez point comme sages."
4.2. Participer à l’économie du salut
Romains 11.25 propose un modèle inclusif, où chaque peuple a sa place dans l’histoire du salut. L’Afrique est appelée non seulement à recevoir, mais à transmettre, à enseigner et à porter le mystère de Dieu.
4.3. Espérer pour tous
Enfin, ce verset nous pousse à garder l’espérance pour ceux qui résistent encore : que ce soit Israël ou les cultures africaines réticentes, Dieu n’a pas fini son œuvre. Le mystère reste ouvert.
5. Conclusion
Romains 11.25, lu dans le contexte africain, devient un puissant appel à une théologie du salut ouverte, patiente et missionnaire. Il engage l’Afrique à entrer dans la "plénitude" des peuples appelés à être témoins du Christ. Ce verset ne parle pas seulement d’Israël ou des païens du Ier siècle, il parle aussi des Églises africaines d’aujourd’hui : entre mystère révélé, appel à l’humilité et mission universelle.
Bibliographie
- BULTMANN, R., Théologie du Nouveau Testament, Labor et Fides, 1970.
- NT WRIGHT, Paul and the Faithfulness of God, Fortress Press, 2013.
- SANON, A., Théologie africaine et mission, Karthala, 2003.
- TSHIBANGU, T., Foi chrétienne et religions africaines, Présence Africaine, 1970.
- WÉRÉ, J., Mystère et révélation dans la tradition africaine, Éditions CLE, 1992.
- ZINSOU, E., Lire Paul en Afrique, Verbum Bible Africa, 2019.

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