jeudi 10 novembre 2016

DONALD TRUMP, VOX POPULI VOX DEI ? (Dr Jimi ZACKA)[1]



Mercredi 09 Novembre 2016 restera un jour crucial dans les annales des élections américaines. Le "républicain"  Donald Trump a été élu mercredi 45° Président des États-Unis en remportant 278 grands électeurs sur les 270 nécessaires pour entrer à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, contre 219 à sa rivale démocrate Hillary Clinton.

Mais, l’élection de Donald Trump ne fait pas l’unanimité et lui donne l’image d’un mal élu[2].  Serait-il excessif de dire que Donald Trump est l’élu le plus honni par le peuple américain, contrairement à Barack Obama qui, il y a huit ans, a fait jubiler le monde entier avec son slogan : « Yes, we can » ? 

  J.F. Kennedy disait : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline ». Malheureusement, nous constatons ici l’inverse, c’est-à-dire, la victoire de Trump semble singulièrement devenir orpheline. Aucune élection d’un Président américain n’ait suscité autant de colère, de tristesse et de déception, non seulement aux États-Unis, mais à travers le monde.


  Il faut dire que le symbole n'est pas des moindres : à la femme d'expérience modérée et compétente, les électeurs ont préféré un prédateur sexuel dépourvu de tout "savoir-faire" politique et qui a fait de son étendard sa tendance à la misogynie et au racisme. Le rêve américain s'est brisé sur l'écueil de la colère populaire.
 
  En effet, plusieurs questions taraudent l’esprit : pourquoi cette inquiétude généralisée à travers le monde aussitôt que Trump a déjoué tous les pronostics en faveur de Hillary Clinton ? L’élection de Donald Trump est-elle vraiment l’émanation de la volonté de Dieu ? Fait-elle l’objet du choix de Dieu ? Dit autrement, peut-on vraiment reprendre  ici la maxime : « la voix du peuple, c’est la voix de Dieu » ?

La voix du peuple est-elle la volonté souveraine ?

  Quelque croyant que l’on puisse être, l’évidence nous force à admettre que l’homme, dans un mouvement de projection de sa personne, crée souvent son Dieu à son image. Dès lors, on comprend pourquoi certaines divinités antiques et contemporaines sont rancunières, méchantes ou intolérantes. Le placement de ses travers dans une transcendance semble conforter l’homme dans son incongruité quand ce n’est pas sa bestiale cruauté.
  Néanmoins, Dieu n’est nullement toujours décrit en haineux ou en vieux monsieur à barbe blanche éternellement grincheux. Sa sculpture, au moins parmi les grands ensembles monothéistes de notre époque, nourrit l’imagination des magnificences d’un personnage tout puissant, omniscient incarnant lui-même la connaissance, l’intelligence et la sagesse. Un Dieu susceptible de conforter l'homme dans ses choix.

     C’est en ce sens que l’expression « Vox Populi, Vox Dei » prend toute sa valeur. En d'autres termes, « La voix du peuple est la voix de Dieu » n’est qu’une façon de signifier d’abord, la volonté souveraine du peuple qui ne peut souffrir d’aucune remise en question. Ensuite, la foi en l’intelligence collective qui toujours ferait « librement » les meilleurs choix par rapport à ses intérêts. Enfin, se nichent dans ces conceptions, trois piliers fondamentaux de la démocratie contemporaine : liberté de vote, égalité de vote, universalité de vote.
La "voix du Peuple" en dehors des urnes

     Ainsi, quand le peuple s’exprime à travers les urnes et que son choix est travesti ou pire, quand on se risque à critiquer sa légitimité de choix en insinuant subrepticement qu’il serait moins intelligent ou inapte à connaître ses intérêts, on glisse doucement sur des registres qui augurent le totalitarisme.
     Pourtant, la voix du peuple n’est pas toujours la voix de Dieu. Car, lorsque le populisme[3], l’extrémisme devient de plus en plus présent dans le monde politique[4] ou dans la société, le peuple devient une proie élective. Lorsqu'une élection s'opère sous le prisme d'une idéologie, la "voix du peuple" est occultée. Dans ces conditions, il est douloureusement aisé de constater que le vote cesse d’être la voix de la multitude au sens strict du terme. Les mugissements qu’on entend sont plutôt les avant-coureurs funestes qui sonnent le glas de la démocratie en déversant du venin dans la coupe de l’aspiration du peuple à une vie meilleure. On ne vote plus selon son propre choix, mais en fonction des angoisses identitaires ambiantes.

Élections respectées ou respecter la volonté de Dieu

 C'est pourquoi, depuis des lustres, la proximité des élections émoustille tous ceux qui aiment l’idée de voir le peuple prendre la parole à travers les urnes. Mais dans quelles conditions peut-on considérer qu’un scrutin reflète effectivement la volonté de ce «peuple», qui est d’ailleurs plus souvent un qualificatif idéologique qu’une entité bien concrète? Sur quels critères, peut-on affirmer que voter l'homme politique relève du choix de Dieu ? 
     Ce qui est sûr, la fiabilité d’une élection ne se décrète pas seulement par des mots ni par des slogans, mais par des actes vérifiables permettant de déterminer si elle a véritablement réuni les critères d’un scrutin libre, objectif et sans être sous influence d'une quelconque idéologie. Sinon, le vote ne relève plus du choix personnel ni de la volonté de Dieu. Prenons un exemple biblique.

Les Israélites demandent un roi (1 Samuel 8.1-9)

     A la lecture de 1S 8.1-9, nous remarquons que lorsqu’un peuple traverse une période difficile, s’exprime souvent le besoin d’avoir un chef idéal. L’Histoire porte les blessures douloureuses de ces aspirations sécuritaires. Le peuple d’Israël n’y a pas échappé. Il est écrit dans le livre des Juges : « En ces jours-là, il n’y avait pas de roi en Israël ; chacun faisait ce qui lui plaisait. » (Jg 17,6). Alors, face à une crise morale persistante, les anciens d’Israël s’adressent à Samuel : « Maintenant donc, donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations. » (1 S 8,5). Le peuple allait pourtant rapidement constater qu’avoir un roi n’était pas la solution à ses problèmes, mais plutôt la révélation et une amplification de ses fautes. C’est ce qu’il reconnaît peu après : « À tous nos péchés, nous avons ajouté le tort de demander pour nous un roi. » (1 S 12,19). Le peuple s’est jeté dans les bras d’un pouvoir parce qu’il a refusé une autorité, celle de Dieu.
     N’est-ce pas quelque chose d’analogue qu'exprime l’élection de Donald Trump témoignant d’une frilosité, d’une défiance, d’un repli sur soi, d’une peur de l’autre au sein de la société américaine ? Aussitôt après les résultats, j’ai eu à échanger avec quelques pasteurs américains qui, en pleine jubilation, m'ont avoué ouvertement leur grande joie d’avoir élu Donald Trump. Pourtant Trump, pendant la campagne, était accusé de tous les vices que testeraient de bons chrétiens : racisme, sexisme, misogynie, isolationnisme, etc…Ceci n'a pas empêché qu'il soit largement soutenu par des chrétiens évangéliques américains à cause, selon eux,  d'une éthique chrétienne bafouée par Obama (par exemple, le mariage des homos).

    Du coup, l’on y découvre la résurgence de stéréotypes dont certains, au-delà de la foi chrétienne,  renvoient à des aspects de la réalité, tandis que d’autres relèvent d’idées reçues et de fantasmes : déclin national, peur de la minorité, crise de la démocratie, discrédit du personnel politique et des médias, xénophobie et islamophobie. C’est là où l’on découvre des réponses à cette élection dénuée de toute volonté de Dieu, qui sont à la fois le résultat et la justification des discours identitaires et sécuritaires de Donald Trump.

    Dans l’épître aux Galates, l’apôtre Paul, en parlant du salut de ceux qui croient en Christ, dénonce tout ce qui pourrait diviser ou séparer les hommes en Dieu. « ...vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ ; vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ » (3.26-28).

    C’est dire qu’en Dieu, personne ne peut se prévaloir d’un statut particulier (personne ne peut souffrir d’un statut particulier); il ne peut exister aucune revendication ni handicap. Paul déclare qu’il n’existe pas deux classes des êtres humains : une classe supérieure, à savoir les blancs, et une classe inférieure, les noirs.  Le Juif n’a donc aucun privilège inné sur le Grec. L’homme libre ne possède aucun privilège inné sur l’esclave. L’homme ne peut se prévaloir d’aucun privilège inné sur son prochain.

  En effet, voter un homme politique dont l'ambition primordiale relève du pouvoir autoritaire, celui de contraindre et d’imposer sa volonté par un discours haineux, ne peut être conforme ni convenir à la volonté de Dieu.

  Du coup, l’on peut comprendre l’angoisse  de certains américains face au présent et à l’avenir, mais l’on ne comprendra jamais l’adhésion massive de plusieurs chrétiens américains aux discours clivants et protectionnistes d’un personnage vu comme un démagogue, xénophobe ou  misogyne.
     Décidément, l’Amérique ne finira jamais de surprendre le monde. Pour preuve, derrière la singularité de cette élection pleine de rebondissements, se profile visiblement une Amérique divisée, rappelant ainsi le schisme d’Israël dans la Bible: (1Rois 11:26-43; 12:1-33; 14:21-31). C'est dire finalement que  « la voix du peuple n’est pas forcément la voix de Dieu ». Et si Dieu ne dit rien, l'on ne doit pas inventer non plus sa voix pour entériner le choix humain.


Dr Jimi ZACKA
Théologien, Anthropologue

[1] Jimi Zacka est professeur de NT et Anthropologue-Chercheur au Centre de Recherches et d’Etudes Interculturelles en Afrique Francophone (CREIAF). Il poursuit actuellement ses recherches sur les phénomènes religieux et anthropologique en Afrique et a écrit de nombreux ouvrages et articles sur les cultures africaines, ainsi que les rapports entre religions et cultures. Ses publications les plus récentes incluent : Possessions démoniaques et exorcismes dans les Eglises pentecôtistes d’Afrique Centrale, (2010) L’enchantement Religieux dans nos Eglises d’Afrique, (2013), Le discours de Milet : langage symbolique et Sagesse africaine (2014), Fonctions et Défis du Pasteur dans l’Afrique Contemporaine (2015) et La Dot, défi du mariage Chrétien en Afrique éditées aux éditions CLE, Edilivre et Harmattan) 

2] Abasourdies et en colère après la victoire inattendue de Donald Trump à l'élection présidentielle la veille? des milliers de personnes sont descendues dans les rues de plusieurs grandes villes américaines mercredi 9 novembre 2016 pour exprimer leur désapprobation. 
 [3] Les partis populistes ont tendance à faire des promesses excessives, en élaborant des programmes politiques simples qui parlent au plus grand nombre, et sans se soucier de leur capacité à tenir de tels engagements. 
[4] Crises migratoire et économique, mondialisation, vieillissement démographique, débat sur l’identité, face à tous ces changements sociétaux, un sentiment d’insécurité a pu s’installer dans la population. Pour y répondre, la classe politique est tentée par le populisme.

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