Les
expériences vécues dans de différents pays, m’ont appris une chose :
la haine n’est l’apanage ni des païens, ni des incroyants, ni des incrédules, ni des athées, mais plutôt elle se vit confortablement en/avec et parmi
les chrétiens, ou plutôt parmi ceux/celles qui prétendent croire en Jésus-Christ.
Elle
est devenue une passion très actuelle dans nos Églises. À la différence des
époques où Jésus parlait de l’amour à ses contemporains, la haine semble
aujourd’hui faire son grand retour dans les milieux chrétiens. Elle est
même devenue le principe d’une
nouvelle vie morale chrétienne. Elle est omniprésente, banale, donnée en spectacle par les différentes
communautés religieuses. Aujourd’hui, la
haine s’affirme et s’affiche parmi les croyants : « je hais, donc je suis chrétien ». Nous
passons ainsi aisément de l’amour à la
haine, et notre ambivalence à l’égard d’autrui nous semble parfois
inextricable.
En
effet, la haine se répand comme une traînée de poudre ou un incendie dans les
communautés chrétiennes. Ce qu’elle traduit, ce sont des flambées de violence
incontrôlables, des conflits, des injustices, des exclusions, des indifférences,
des mépris, etc. Tout cela au nom de quelques versets bibliques choisis, isolés, mal interprétés.
Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de s’interroger sur la signification même de la haine. Que veut-elle dire? Pourquoi fait-elle l'objet de tant de passions ? Est-elle vraiment compatible avec la foi chrétienne ?
Au regard de tout ce qui précède, il y a lieu de s’interroger sur la signification même de la haine. Que veut-elle dire? Pourquoi fait-elle l'objet de tant de passions ? Est-elle vraiment compatible avec la foi chrétienne ?
La haine telle que
définie
Définir
la haine, c’est la définir généralement
comme un affect qu’un sujet ressent, éprouve, manifeste envers quelqu’un. La haine peut
être une émotion, un sentiment, mais elle peut constituer aussi une passion.
Classiquement, on distingue deux formes de haine : premièrement, il y a la
haine d’aversion, de répulsion et l’intention qui la guide,
c’est l’évitement, le rejet, la séparation d’avec quelqu’un. C’est aussi
détester une personne sans dire mot, sans extérioriser ses émotions ; deuxièmement, il y a la haine d’agression dont l’intention est d’éliminer,
de détruire ou de tuer quelqu’un. Dans les deux cas, il s’agit d’une
intentionnalité négative.
Aristote définissait la haine comme le contraire de l’amour et de l’amitié. Être ami,
c’est souhaiter à son ami tous les bienfaits possible. Haïr, c’est souhaiter pour quelqu’un des maux et des souffrances, voire tous les malheurs du monde.
Ainsi, il disait : « Admettons que haïr, c’est souhaiter pour quelqu’un
ce que l’on croit être des maux, pour lui et non pour nous, et aussi être,
dans la mesure de son pouvoir, enclin à ces méfaits». Descartes, lui, dans
son ouvrage, « Passions de l’âme »,
soulignait que si dans l’amour, le mouvement est de chercher l’union, dans la
haine le mouvement est de chercher la désunion ou le détachement. Il donnait en
effet cette définition : «L’amour est une émotion de l’âme, causée par le mouvement des
esprits, qui l’incite à se joindre de volonté aux personnes qui paraissent lui
être convenables. Et la haine est une émotion qui incite l’âme à vouloir être
séparée des personnes qui se présentent à elle comme nuisibles.». Pour
Kant, haine et colère ont un point commun: faire ou souhaiter le malheur à son prochain. La haine découle souvent de la colère. Qu’est ce qui déclenche alors notre colère pour aboutir à la haine?
Ce sont des
actions d’autrui qui nous nuisent, qui suscitent en nous la jalousie ou qui nous déplaisent. Pendant que l’affect
de colère s’exprime dans la précipitation, la haine au contraire prend son
temps pour s’enraciner profondément. C’est
une passion lente. Il y a une
temporalité propre à la haine. Le "haineux" n’est pas pressé. La haine a
une mémoire, elle se souvient,
la haine est fidèle, plus peut-être que l’amour, qui souvent oublie. Sartre,
dans Réflexions sur la question juive, écrira que les hommes,
quand ils haïssent, «veulent être massifs et impénétrables, ils ne
veulent pas changer». C’est pourquoi la haine est une passion profonde,
elle est le contraire de la légèreté ou de l’insouciance. La Bible en parle
tant.
Ce qu’en dit la Bible
Comme sur tant d'autres sujets, on ne s'étonnera
pas de trouver dans la Bible des arguments pouvant convenir aux idéaux
pacifistes aussi bien qu'aux stratégies plus ou moins extrêmes des gens qui
prônent la haine et le recours à la violence. Dans l'Ancien Testament, il y a
de nombreuses dénonciations de la haine faites par les prophètes et, pour le
Nouveau Testament, la non-violence de Jésus et son discours inaugural
proclamant la béatitude des " doux " et des " artisans de paix
", de même que ses innombrables invitations au pardon. Quant aux partisans
de la haine, ils n'auront aucune
difficulté à trouver des récits ou des législations qui semblent dénoncer sans
réserve leur option. Le discours biblique sur la haine est donc tranchant et présente deux registres de la haine et
ses conséquences :
Le
premier registre révèle que la Bible est saturée des gens qui ont la palme de la haine. De la Genèse à
l'Apocalypse, du meurtre de Caïn aux assauts sanguinaires de la Bête, en
passant par la mise à mort de Jésus et celle d'Etienne, on ne compte plus les
pages qui sont tachées de sang à cause de la haine. Rares, en effet, sont les
livres bibliques qui sont complètement affranchis de toute trace de la haine et
ses conséquences : le Cantique des Cantiques et Ruth pour l'Ancien Testament et
la plus grande partie des Evangiles, ainsi que certaines épîtres de Paul et de
Jean pour le Nouveau Testament. En dehors de ces quelques exceptions, il faut
bien reconnaître que la haine est inscrite pratiquement partout dans la Bible,
jusque dans les Psaumes et certains passages de l'Evangile. On peut donc parler
de son omniprésence, et de son caractère multiforme enclenchant des
conséquences négatives : meurtres fratricides, violences domestiques (sexuelles
ou autres), guerres de conquête, peine capitale, manigances et représailles
politiques, vengeances diverses, etc.
Le deuxième registre nous présente un
tableau sombre de ceux qui, dépassés par la haine d’aversion ou d’agression, ont finalement abouti à des exactions meurtrières. On peut déjà en prendre la
mesure dans quelques exemple : la haine des frères de Joseph en Gen 37.4 :
« Ses frères virent que leur père
l'aimait plus qu'eux tous, et ils le prirent en haine. Ils ne pouvaient lui
parler avec amitié. » ; le
cri sauvage de Lamek : " Oui, j'ai
tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera
vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix-sept fois. " (Genèse 4, 24).
L'instauration de la loi du talion (" œil
pour œil, dent pour dent... ", Exode 21, 24 et Lévitique 24, 20),
plaidant pour la retenue quand il s'agit d'obtenir réparation, ne fait que
confirmer l'existence de débordements et de dérives en matière de représailles
que, de toute façon, la loi en question n'arrivera pas à empêcher. C'est bien
de débordement dont il faut parler à propos, par exemple, de la réaction de
Siméon et de Lévi qui, pour venger l'affront fait à leur sœur Dina, tuent
l'ensemble de la population mâle de Sichem (Genèse 34), et des exploits
successifs de Samson, de Saül et de David qui tuent les Philistins par milliers
et par dizaines de milliers (Juges 15-16 et 1 Samuel 18, 7). Débordement aussi,
sur le mont Carmel, du prophète Elie qui égorge les quatre cent cinquante
prophètes de Baal (1 Rois 18, 40), et enfin des juifs de Suse qui,
après avoir échappé aux projets funestes de Haman, exécutent plus de soixante-quinze
mille ennemis (Esther 9). Même si les chiffres sont nettement exagérés, la haine
violente racontée, réelle ou imaginaire, dépasse toute mesure et ne saurait
recevoir l'assentiment du lecteur.
Les
incidents décrits ci-haut parlent
principalement des actes de violence dus à la haine et de leurs auteurs. Mais
qu'en est-il des victimes de ces actes ? Là-dessus, il faut reconnaître que la
Bible réserve une part plus qu'importante à leur point de vue. C'est le cas des
Psaumes, qui déclinent la violence subie par les justes, les pauvres et les
petits, qui font appel à la justice de Dieu ou en célèbrent l'accomplissement :
" Vois mes ennemis si nombreux, leur
haine et leur violence. Garde-moi en vie et délivre-moi ! " (Psaume
25, 19-20) ; " Tu me fais triompher
de mes agresseurs, et tu me délivres d'hommes violents " (Psaume 18,
49) ; " Et mes ennemis sont pleins de vie, pleins de force; Ceux qui me
haïssent sans cause sont nombreux." (Ps 38.9).
Dans tous les cas, tous les actes odieux
mentionnés ci-dessus laissent entrevoir que la haine est incurable, elle ne
s’éteint pas. Elle perd le sens
de la fin, de l’issue. Même la mort de la personne haïe ne suffit pas à l’éteindre. Car même si le
projet haineux aboutit, il échoue devant ce fait que l’autre ait existé, que des
actes et des jugements aient été posés. D’où l’insatisfaction du haineux. Cette
ténacité de la haine, qui ne s’éteint pas, contribue à distinguer la haine de
l’envie. Certes, dans la haine comme dans l’envie, il nous arrive de dénigrer systématiquement autrui,
de nous réjouir de ses échecs, de nous affliger
de ses succès. Cependant, lorsque dans l’envie, la personne enviée tombe dans le malheur et
l’infortune et alors cesse l’envie.
L’envie s’éteint, puisqu’elle n’a plus de motif. Par contre, dans la haine, il
en va tout autrement. Les
malheurs, les échecs de l’ennemi, même sa mort ne font pas cesser la haine. Elle a une rancune tenace qui poursuit la victime jusque dans sa tombe.
Dénonciations
de la haine dans la Bible
C'est pourquoi, d'ailleurs, dans la Bible, tous les prophètes sont
unanimes à dénoncer la haine, aussi bien celle des ennemis que celle sévissant
à l'intérieur des communautés d'Israël et de Juda : "Si un homme pousse son prochain par un
mouvement de haine, ou s'il jette quelque chose sur lui avec
préméditation, et que la mort en soit la suite…c’est un meurtrier…" (Nb 35.20) , On notera aussi que
l'idéal de sagesse proposé dans les Proverbes exclut tout acquiescement à ces
actes : " La haine (sina’h) excite des querelles mais l’amour
couvre les fautes" (Pr 10. 12) ; "Celui qui dissimule la haine a des lèvres menteuses…" (Pr
10.18 ; voir aussi 15.17).
Dans
le Nouveau Testament, on voit Jésus s'opposer à la haine : "Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras
ton prochain, et tu haïras ton ennemi. ..Mais moi, je vous dis: Aimez vos
ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous
haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent,"
( Mt 5.43-48). Il faut redire aussi toute la noblesse de l'idéal proposé dans
le Sermon sur la montagne (Matthieu 5-7) qui proclame le bonheur des doux et
des pacifiques, invite au pardon des ennemis et prescrit la règle d'or : "
Tout ce que vous voulez que les hommes
fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est la Loi et les
Prophètes. " (Matthieu 7, 12).
En 1 Jn 3.15, l’apôtre
Jean nous montre ensuite les conséquences extrêmes de la haine, en contraste
avec la plus grande expression de l’amour : " celui qui hait son frère est un meurtrier".
C’est dire que la haine, si elle n’est pas réprimée, peut conduire au meurtre.
Celui qui hait est animé de l’esprit d’un meurtrier, et aucun meurtrier n’a la
vie éternelle demeurant en lui. En contraste, nous voyons en Christ
l’expression parfaite de l’amour, en ce que son amour l’a conduit à laisser sa
vie pour nous. Ayant son exemple parfait devant nous, nous devrions être prêts,
dans la puissance de la vie nouvelle, caractérisée par l’amour, à laisser nos
vies pour les frères. En termes simples, haïr c'est ôter la vie de l'autre, aimer c'est donner sa propre vie pour l'autre. Cela ne signifie pas nécessairement la mort effective,
mais la perte de la vie d’ici-bas pour l’amour de Christ (Matt. 16:25).
Ainsi dans ce passage, il nous est rappelé que
l’homme déchu est sous la sentence de la mort, qu’il est caractérisé par
l’iniquité, la haine et la violence. L’homme inique est toujours égoïste, ne
cherchant qu’à se satisfaire lui-même en faisant sa propre volonté, sans aucune
contrainte. Cela conduit nécessairement à la haine de quiconque contrarie sa
volonté ; et la haine mène à des actes violents qui peuvent se traduire, à
la limite extrême, par le meurtre.
Conclusion
Aujourd’hui, beaucoup de chrétiens ont
choisi la haine parce que la haine est devenue une forme de foi, au sens
dogmatique du terme. Ils ont choisi la fermeture
contre l’ouverture, l’hostilité contre la paix, le rejet contre la communion, ils sont dans la permanence
de la « pierre de haine ». Pourtant,
le dernier mot que le Christ a prononcé pour qualifier
nos relations avec lui et avec nos frères dans l’Église était AMOUR. Le premier
qu’il prononce quant à nos relations avec le monde, c’est la HAINE. Quel
contraste! « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez
du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui; mais parce que vous n’êtes pas
du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c’est à cause de cela
que le monde vous hait. » (Jn 15:18-19).
La marque de
l’Église, c’est l’amour; la marque du monde, de ceux qui ne sont pas renouvelés
par le Saint-Esprit, c’est la haine de l’amour,
c'est la capacité de haïr. La haine implacable du monde pour les « amis »
de Jésus est le signe de la vérité, de l’authenticité de cette amitié. Notre
initiation au mystère de la mort du Christ implique que nous soyons également
initiés à la haine puissante du monde qui décida sa mort. L’amour de Dieu et la
haine du monde doivent l’un et l’autre nous être révélés. Ce sont les deux
mystères de notre existence. L’amitié pour Jésus déclenche l’inimitié du monde.
Le monde hait le Christ, il ne peut donc que haïr ses amis; l’esprit du monde
n’accepte et ne reçoit que ce qui vient du monde, ce qui lui semble homogène
avec sa manière d’être, de penser et d’agir: tout ce qui lui est hétérogène, il
le rejette, il le hait. Car le monde est perdu.
Paradoxalement, il est plus facile aujourd'hui pour les gens du monde de pardonner que pour les chrétiens de procéder à une démarche du pardon. En d'autres mots, l'amour a déserté l'Eglise et la haine s'y est installée. Les prétendus chrétiens préfèrent les gens du monde à leurs frères et soeurs en Christ.
Paradoxalement, il est plus facile aujourd'hui pour les gens du monde de pardonner que pour les chrétiens de procéder à une démarche du pardon. En d'autres mots, l'amour a déserté l'Eglise et la haine s'y est installée. Les prétendus chrétiens préfèrent les gens du monde à leurs frères et soeurs en Christ.
Pourtant, l’œuvre du Christ est très exactement de
choisir les siens, ses disciples « du milieu du monde » (15:19);
c’est « du milieu du monde » (17:6) également que le Père les
« donne » à son Fils. Cet appel et ce choix, ce don au Christ
déclenchent la haine du monde et font des disciples des « objets de
haine » (15:19). « C’est à cause de cela que le monde vous
hait », dit Jésus. Le Maître n’étant pas du monde, ceux qu’il choisit ne
sont pas non plus du monde (17:14-16); ils sont envoyés « dans le
monde ». S’ils étaient encore du monde, le monde aimerait ce qui est à
lui. Le monde ne pourrait les haïr, comme il ne pouvait pas haïr les propres
frères du Christ qui ne croyaient pas en lui (7:5-7).
In fine, être chrétien – tiré du monde, séparé – et, en même temps,
être du monde, être aimé de lui, est une contradiction. L'on ne peut pas être à la fois chrétien et celui qui déteste ses frères et soeurs en Christ. Car, Christ a témoigné que les
œuvres du monde, y compris la haine, étaient mauvaises (7:7). C’est pourquoi, d’ailleurs,
en 1 Jn 3.12, il nous est recommandé "de
ne pas ressembler à Caïn, qui était du malin, et qui tua son frère. Et pourquoi
le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises et celles de son
frères étaient justes".
En d'autres termes, " Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" (1Jn 4.20).
A la lecture de ce passage ci-dessus, pourrions-nous nous poser cette question taraudant la conscience : par rapport à la haine qui sévit dans nos Eglises, qui anime nos relations, qui nourrit notre âme, quel type de chrétiens pourrions -nous être dans notre intimité avec le Seigneur ?
En d'autres termes, " Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas?" (1Jn 4.20).
A la lecture de ce passage ci-dessus, pourrions-nous nous poser cette question taraudant la conscience : par rapport à la haine qui sévit dans nos Eglises, qui anime nos relations, qui nourrit notre âme, quel type de chrétiens pourrions -nous être dans notre intimité avec le Seigneur ?
Dr Jimi ZACKA
Exégète,
Anthropologue
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