(Et si le CORONAVIRUS remet la pendule à l’heure)
« Quel est l’homme qui va transformer l’homme? Quel est l’homme qui est
capable d’ébranler nos profondeurs? Quel est l’homme qui nous émeut et qui nous
conduira vers une véritable conversion? C’est toujours uniquement celui qui se
convertit lui-même, celui qui est dans la vérité de la vie, celui qui se situe
en face de Dieu, qui respire sa présence et qui communique son amour. »
(Maurice Zundel, Ton visage ma lumière).
Introduction
Largement épargné jusqu’ici par l’épidémie de
coronavirus qui submerge le reste de la planète, le continent africain commence
à enregistrer des cas alarmants. Ce n’est pas encore la panique.
Mais l’on sait tous très bien que nous sommes en train de basculer dans un
autre régime d’existence qui risque de se prolonger longtemps après le passage
(nul ne sait quand) de la pandémie. D’interminables heures à priori vides se
profilent à l’horizon, la mise en quarantaine forcée oblige! On évoque le
travail à la maison.
Ce
n’est que le vent avant une probable tempête, dit-on ; il est nécessaire
de renforcer la préparation pour un scénario qui verrait la situation empirer.
Par
ailleurs, les spéculations vont bon
train. Les chrétiens évoquent des signes de derniers temps. Les théories du
complot fleurissent : pour certains, un virus a été créé en labo C’est donc un cri de colère et
d’indignation ; d’autres pensent qu’avec le coronavirus,
des chefs
d’État et dirigeants politiques complotent contre le peuple. Le président du
Sénat philippin a lui aussi diffusé une vidéo estimant que l’épidémie avait été
créée par la CIA, Bill Gates et dans le même paquet, George Soros, tout ça pour
affaiblir la Chine.
En conséquence, que restera-t-il de cette pandémie dans le cœur des hommes de
ce monde ? Cela changera t-il notre rapport à l’autre
et par rapport à cette société de l’hyperconsommation ? Une nouvelle manière de
vivre peut-elle naître d’une telle
pandémie? Quelle lecture en faire dans la perspective de la
souveraineté de Dieu ?
Au regard de ce qui est décrit, on pourrait
se dire que l'heure est grave. Et
en disant : "l'heure
est grave", on donne un signal. C'est le moment de faire
quelque chose, ou c'est le moment où quelque chose va se passer en tous cas. Dit autrement, « …l’heure
vient et c’est maintenant… » comme Jésus le dit à la femme Samaritaine :
c’est-à-dire, c’est l’heure de Dieu qui croise celle des hommes. Encore une astuce de Jean. Il invite à chercher quelle
est cette heure, quand donc sera-t-elle arrivée, cette heure? C'est un fil
rouge que Jean laisse filer au long de son évangile pour arriver à l'heure de Jésus.
L’heure de Dieu, l’heure des
hommes
L’heure des hommes, aux dires de Jésus, est
prise dans une autre heure : une « heure » de
Dieu rythmée par un autre monde que celui du lever du soleil. Et cette heure annoncée met fin
aux hostilités religieuses politiques et sociales. En d’autres mots,
C’est l’heure de Dieu qui remet en cause l’humanité. Tout s’arrête et
renvoie l’homme face à sa faiblesse, à sa
fragilité, à sa finitude humaine.
Ainsi par cette annonce « …l’heure
vient et c’est maintenant… », Jésus évoque
une mutation sociale, politique et
religieuse. Il indique une réorientation vers un nouveau monde qui met terme à celui de nos habitudes et de
nos certidutes. Jésus fait savoir à la femme samaritaine que Dieu n’est plus à chercher dans des
lieux ou dans des dogmes religieux : à Jérusalem, sur une Montagne sainte,
ou à Samarie. Dieu est dans la rencontre entre un homme et une femme, un
étranger et quelqu’un du pays, un Juif et une Samaritaine. Par-delà tout ce qui
les sépare, dans cette conversation qui les réunit, Dieu peut être reconnu et
adoré « dans l’esprit et la vérité ». Il peut l’être mais
il ne l’est pas nécessairement. La conversation de Jésus avec la Samaritaine va
révéler ce qu’il faut pour que le Père trouve les vrais adorateurs qu’il cherche :
il faut d’abord renverser les barrières religieuses
et sociales. C’est là où « L'heure
vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront
le Père dans l'esprit et la vérité car tels sont les adorateurs que cherchent
le Père. »
En fait, à travers la scène entre Jésus et la
Samaritaine, se crée un échange libérateur entre Dieu et l’homme. Voilà deux
personnages que tout sépare (l’origine géographique, le sexe, la religion) et
qui vont faire une rencontre déterminante aussi bien pour la transformation de
l’une que pour la révélation de l’autre. Dans un
cadre hostile fait de sécheresse et de désert, le puits devient le lieu de la
rencontre d’une nouvelle vie. A l’heure de midi, à un moment où la chaleur est
au plus haut, Jésus fait apparaître son humanité. Fatigué du chemin, assis
(v.6), il a soif et demande à boire. Il manifeste une fragilité humaine dont il
ne sera plus question après. Cette demande n’est pas entendue par la femme. Le
refus de la femme de lui donner à boire peut avoir deux motivations : soit
« les juifs ne veulent avoir rien de commun avec les samaritains »
(exclusion sociale). Dans le premier cas, ce serait par déférence pour Jésus
(pour qu’il ne se rende pas impur), dans la seconde hypothèse, ce serait
l’intolérance. Ce que nous savons de
l’histoire des Samaritains et de leur rapport avec les juifs va plutôt dans le
sens de la seconde hypothèse : intolérance, discrimination, ou exclusion.
Il reste que le
refus de la femme samaritaine est
essentiel au récit puisqu’il permet à Jésus, l’assoiffé de le rester jusqu’à la
fin du récit, et en même temps de prendre définitivement l’initiative, de
renvoyer tout ce monde d’égoïsme et d’exclusion à la conscience de la femme
samaritaine.
Jésus
ne parle plus à la femme de l’eau qu’il lui offre; il va faire le nécessaire
pour qu’elle puisse la recevoir. Tout est son œuvre; c’est ce qui caractérise
l’activité du Seigneur dans cet évangile, l’homme étant considéré dans
l’absolue incapacité de son état naturel. Jésus va placer cette femme en
présence de la lumière divine; il l’y amènera par la conscience, faculté de
distinguer le bien et le mal, que l’homme obtint par le péché. Pour que la
conscience soit utile, elle doit être éclairée par la Parole de Dieu; sans
cela, elle peut s’endurcir au point de ne produire aucun effet. Sous l’action
de la lumière divine, le pécheur voit sa culpabilité, sa perdition, et il peut
accepter la grâce.
Pour
produire cet effet chez la femme, Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari, et viens ici » . La femme répondit et dit: Je n’ai pas de mari ». Jésus lui
dit: « Tu as bien dit: Je n’ai pas
de mari; car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton
mari; en cela tu as dit vrai» (v. 16-18). Par sa réponse, Jésus place la
femme dans la pleine lumière de Dieu. Elle se trouve devant celui aux yeux duquel
«toutes choses sont nues et découvertes» (Héb. 4:13). Aussi répond-elle: «Seigneur, je vois que tu es un prophète»
(v. 19). Par la grâce divine, la samaritaine avait devant elle celui qu’elle
désirait adorer, révélation de Dieu comme Père, qui, par lui, cherchait des
adorateurs. Du coup, elle réalise que son « heure » ne lui appartient plus.
Ce
temps-là, cette «heure», dont le Seigneur parle en disant: «L’heure vient et c’est maintenant» ,
s’écoule rapidement; c’est l’heure de
la grâce dans laquelle nous sommes encore; que celui qui n’en a pas encore
profité, se hâte de recevoir le pardon et la paix. Nous avons là une preuve de
l’œuvre de Dieu dans la Samaritaine. Une œuvre réservée à une humanité en
perdition, qui se croit suffisante.
Tout à
l’heure, elle évitait de rencontrer ses semblables à cause de sa mauvaise
conduite; maintenant elle va leur dire qu’elle a trouvé un homme qui lui a
révélé tous ses actes. Elle s’était trouvée dans la lumière de Dieu, où elle avait
vu bien plus de péchés que les hommes de Sichar n’en connaissaient sur son
compte, car ce que nos semblables savent de nos fautes ne saurait se comparer
avec ce que Dieu nous fait voir dans sa propre lumière.
« L’heure vient et c’est maintenant »
pour l’humanité
Cet étrange et indicible entretien qui dépasse tout ce qu’on
peut imaginer ou concevoir entre Jésus et la femme samaritaine, n’est pas
seulement libérateur pour les croyants mais également pour toute l’humanité.
Cette humanité heurtée par une réalité indescriptible.
Car, Dieu sait mieux
ce qui arrive à l’homme. Souvent il nous arrive de
ressentir un malaise, un malheur de vivre mais nous ne voyons que confusément
d’où il vient. Ou bien si nous le voyons, nous le refusons et nous accusons les
autres ou nous même sans fin. Nous nous enfermons dans la culpabilité. Et
comme Albert Camus le souligne : « Je
vais vous dire un grand secret, mon cher. N’attendez pas le jugement dernier.
Il a lieu tous les jours. » Dieu, par Jésus-Christ, discerne le
poids qui nous écrase sans pour autant nous juger. Ou plutôt, comme il n'agit
pas sans nous, il nous permet de discerner progressivement ce qui nous paralyse
et par le fait même il nous en libère.
Pour preuve, c’est au bord du « puits du gouffre » que
l’humanité vient d’être frappée en plein
fouet d’une façon brutale et soudaine par un virus, appelé coronavirus. Inconnu
de tous, il effraie, il ostracise, il
met en quarantaine. Il interpelle l’humanité à une autre « heure »
qui n’est plus la sienne. Car, cette humanité incarnée par la femme
samaritaine, a besoin d’« eau vive ».
Pourtant,
entre le « maintenant » de l’entretien de Jésus avec
la Samaritaine et le « maintenant » d’aujourd’hui,
il y a une différence énorme : nous n’avons aucune chance de croiser Jésus
et de nous entretenir avec lui comme ce fut possible pour la Samaritaine.
Qu’est-ce
qui nous assure aujourd’hui que c’est bien le Christ que nous rencontrons
lorsque nous lâchons les « lumières de la raison » ? Plutôt que
d’entrer dans la lumière de Dieu, ne risquons-nous pas de sombrer dans
l’obscurité totale de la folie ? Ou bien encore ne risque-t-on pas de
prendre n’importe quel gourou pour Jésus-Christ ?
Ces
risques sont bien réels. Mais ne l’étaient-ils pas déjà pour la
Samaritaine ? Cette rencontre avec Jésus était tellement surprenante
qu’elle ne pouvait pas vraiment croire qu’il était le Christ sans que sa foi
soit confirmée par les gens du voisinage. Comme elle, nous ne pouvons pas
recevoir l’assurance que c’est bien le Christ que nous sommes en train de rencontrer
sans prendre un temps de réflexion sur ce virus. C’est « l’heure » de
Dieu qui vient nous heurter au plus profond de nous-même de façon la
plus inattendue comme la Samaritaine au bord du puits.
« L’heure vient
et c’est maintenant » pour la prise de conscience
En Jn4.11-15
, la samaritaine est déstabilisée et accepte de se laisser entraîner par Jésus :
son regard sur lui a changé, comme le montre le changement d’appellation. Il
était d’abord « Juif » (v.9) ; il devient « Seigneur »
(v.11), un être mystérieux (« d’où la-tiens-tu ») peut-être plus
grand que Jacob.
Ainsi,
la femme est allée au bout de son expérience spirituelle Il lui reste à
franchir le dernier pas dans cette plongée à l’intérieur du monde de la
révélation. On pourrait paraphraser ainsi la prise de conscience de la femme
samaritaine : « Et toi qui m’as
annoncé ce que j’ai fait, es-tu le Messie, lui qui nous annoncera toutes choses ? ».
Jésus se révèle alors : « Je le
suis, moi qui te parle » (v.26). La femme peut alors partir en
abandonnant sa cruche (v.28). Elle n’en aura plus besoin. Celle qui n’arrivait
pas à assouvir sa soif de vivre et d’exister a rencontré quelqu’un qui a mis en
elle une source de vie qui lui donne une autonomie et un sens.
Ainsi, l’heure de Dieu nous porte à la
réflexion, à la prise de conscience même si elle laisse en nous parfois une
pointe de peur, de panique, d’interrogations. C’est quoi cette prise de
conscience ?
ll
s’agit en réalité d’une capacité à se remettre en question, à réaliser le
chemin parcouru et les obstacles rencontrés, tout en étant capables d’en
relativiser les conséquences. Il n’est pas évident de se regarder dans un
miroir et d’éviter de se trouver des excuses ou de ne pas ressentir certains
doutes, certaines peurs (souvent infondées) de resurgir, obscurcissant notre
jugement.
Car
non, nous ne parlons pas du fait de simplement « comprendre » que
l’on n’adopte pas toujours le meilleur comportement possible ou que notre
système de pensée est influencé par telle ou telle source extérieure. Ce dont
nous parlons ici, c’est d’une véritable aptitude à incorporer cette
réflexion dans la définition de qui nous sommes, à en faire un pilier de
notre développement personnel comme la femme samaritaine.
La
prise de conscience ne doit pas découler d’un désir de répondre à des canons ou
à des exigences collectives, mais bien d’un examen basé sur l’individu, avec
tout ce que cela implique comme spécificités.
Conclusion
Pour
conclure, je fais mienne l’interpellation de cet auteur inconnu : « Dieu nous parle…Maintenant que nous savons
que nous ne valons pas grand-chose face aux événements tragiques qui s’imposent
à nous, maintenant que nous découvrons que toute notre modernité et nos siècles
d’avancées scientifiques ne peuvent rien face à un simple virus, maintenant que
nous savons que les menaces qui pèsent sur nous ne distinguent pas d’entre Asiatiaque
et Américain, le blanc et le noir, l’homme et la femme, maintenant que nous
savons que le chrétien, le musulmman, le juif et le bouddhiste, le croyant et
le non-croyant sont absolument égaux face au coronavirus, allons-nous enfin
devenir véritablement frères, chemminer vers plus d’unité et moins de haine,
vers plus d’humilité, et moins d’orgueil, vers plus de générosité et moins d’égoisme,
vers plus de paix et moins de guerre ? »
Posons-nous la question de savoir pourquoi un
simple virus devient une pandémie qui vide les rues des villes, suspend toutes les activités. Les avions
sont cloués au sol, les écoles fermées, les lieux de divertissements fermés, mêmes
les poignées de mains amicales interdites. Voire même que l’existence de nos habitudes s’arrête à contre gré ?
C'est tout simplement parce que "l'heure de Dieu" (qui n'est pas la fin du monde) nous renvoie à notre fragilité et s’efforce de nous éduquer, de nous donner des
leçons, des signes essentiels afin de faire une pause et de nous interroger sur ce que nous sommes réellement.
Prof. Jimi ZACKA
Exégète