mardi 31 mars 2020

QUELLE SERA NOTRE VIE POST-COVID 19 ?


Quelle vie post-covid19?

    Comment allons-nous rebondir après cette pandémie du codiv19 ? C’est la question qui taraude l’humanité. En d'autres mots, qu'est-ce qu'elle deviendrait notre vie après le passage de la pandémie covid19 ? A quel monde attendons -nous après l'épidémie ? Mieux ou pire qu'avant ? Et surtout pour les chrétiens, repenseront-ils leur foi?

    En effet, « toutes les épreuves majeures de l’existence, quelle que soit leur nature, renvoient à une situation de détresse originelle », explique le psychanalyste Olivier Douville. Confronté à elles, nous redevenons le petit enfant sans défense que nous avons été un jour, ou le bébé dépendant totalement, pour subsister, du bon vouloir de l’autre, la mère, la nourrice. Face à l’épreuve, une même interrogation surgit, pas toujours consciente : « qu’est-ce que je pourrais encore faire ? Ma vie n’a plus de sens ». Ainsi, soit nos émotions sont exacerbées, soit nous sommes en état de sidération. « Ce n’est pas possible, c’est un cauchemar, ce n’est pas vrai »

    Pourtant, Roland Poupon souligne que : "Chaque épreuve de la vie est un passage dont on sort toujours avec une nouvelle maturité" Peut-on considérer une telle assertion comme une vérité absolue ? L’humanité sortira-t-elle plus mature qu'avant?

    Toutefois,  depuis l’apparition des êtres sur Terre, ils ont mis en place deux grandes stratégies de survie : le combat et la fuite. Au cours de l’évolution, chez les humains, ces réponses physiques ont été remplacées par des parades plus intellectuelles : que faire pour venir à bout des problèmes ? Les analyser, les nier ? Accuser les autres, le destin, Dieu ? Demander de l’aide ? S’enfermer en soi-même ?

    Il est évident que l’on ne peut contrôler les événements ni empêcher les drames de se produire. Par contre, nous pouvons chercher à voir les choses de façon différente. Mais cela n’est pas simple. Il requiert un exercice rigoureux de réflexion et d’approfondissement et nécessite de ne pas se laisser aller à la dérive malgré l’âpreté de la crise.

    Cette épidémie de coronavirus, notons-le, véhicule en nous plus de charges émotionnelles (peur, colère, déception, etc.) que le mal. Elles ne sont pas neutres. Elles éveillent en nous des psychoses parfois subtiles et à d’autres moments très distinctes. 


Pourtant, l'humanité a vécu d'autres périodes pires que celle de covid19.   Parmi les
pandémies les plus meurtrières de l’histoire, on peut citer la peste noire en 1720, le choléra ou plus récemment la “grippe espagnole. Apparue en 1918, en pleine Première Guerre mondiale, cette pandémie de grippe ne dura que quelques mois. Elle emporta néanmoins de 50 à 100 millions de personnes dans le monde. Elle tua au moins 408 000 personnes en France, dont le poète Guillaume Apollinaire et l’écrivain Edmond Rostand.


Mais qu’allons-nous devenir alors après cette pandémie ? Nul ne le sait.

    Mais, lorsque les temps difficiles surviennent et que les tempêtes de la vie s’abattent sur nous, il est difficile d’envisager un dénouement heureux. Toutefois, Jacques nous amène à quitter l’immédiateté de notre douleur et nous pousse en avant vers « l’après-crise ». Il nous incite à considérer les choses différemment et à revoir nos perceptions. Il suscite ainsi en nous l’espoir. L’espoir de voir les circonstances changer. L’espoir de guérir et de se rétablir. L’espoir de jours meilleurs. Ce n’est pas peu, puisque c’est par cette vertu que nous persévérons et tenons ferme malgré l’abattement et la peine .
(Jc 5.7-11).


Prof. Jimi ZACKA 

Théologien, Anthropologue

mercredi 25 mars 2020

« RESTEZ CHEZ VOUS… ! »


« Restez chez vous », un mot d’ordre inattendu

Des journées trop chargées, à se dépêcher, à courir, pour tenter d’effectuer ce qui, en se couchant, restera à faire. À terminer demain. «Il faudrait allonger les journées!», dit quelqu’un«Le temps passe trop vite!», se plaint l’autre. «On vit comme des dingues», renchérit le troisième. « Vous les Occidentaux, vous courez vers la mort ou quoi?», s'interroge un africain vivant en Europe. «Être affamé de temps ne provoque pas la mort, rassurent John Robinson et Geoffrey Godbey, mais, comme l’avaient observé les philosophes antiques, empêche de commencer à vivre[1].» L’existence pleine a besoin de temps pour se déployer. 

 Ainsi, était ce monde de sans-repos qui était en pleine vitesse, où tout se résumait en l'instantanéité,  l'immédiateté, « Time is money » (Le temps, c’est de l’argent). En fait, tout le monde menait une vie en cadence accélérée: accélération technique, accélération des rythmes de vie, accélération des changements sociaux. L’accélération des rythmes de mutations chahute notre vie sociale. On était tous pressés pour gagner du temps. La lenteur, le repos, le retard,  les absences étaient des vices blâmés à éviter. L'hyperactivité, la superconsommation et  le burn-out se côtoyaient dans nos quotidens. Peu importe l'épuisement professionnel.

Et voilà du coup, un slogan sort de nulle part pour s’imposer au monde, pour renvoyer tout le monde au reclus, au confinement, à l'enfermement : « Restez chez vous !». C’est comme si l’homme s’est pris à son propre piège des rythmes accélérés de vie sociale. «Restez chez vous», est le mot d’ordre pour éviter les rassemblements et contacts, "Restez chez vous" freine tout et tout est, non seulement au ralenti, mais immobilisé, favorisant ainsi le combat acharné contre  l’épidémie qui se répand partout dans le monde, face à une contagion planétaire rapide et à une situation invivable partout. Cette période de confinement liée à l’épidémie du Covid-19 constitue une épreuve sociale inédite, qu’on peut comparer à une expérience de laboratoire in vivo.

Le « Restez chez vous » devient donc un étrange privilège des vacances inespérées mais empoisonnées. Ailleurs, pour la majorité, une solitude, une prison, une solitude, une cohabitation forcée entre les quatre murs de sa demeure. 

« Restez chez vous » et ses conséquences sociales


Au-delà du mot d’ordre « Restez chez vous » dont l’enjeu est de lutter contre la pandémie covid19, on note  certains avantages. C’est ce que souligne le sociologue Edgard Morin : « le confinement peut nous aider à commencer une détoxification de notre mode de vie », car, selon lui, « cette crise nous montre que la mondialisation est une interdépendance sans solidarité ».  Et d’ajouter, « le virus éclaire aujourd’hui de manière immédiate et tragique cette communauté de destin. En prendrons-nous enfin conscience ? Faute de solidarité internationale et d’organismes communs pour prendre des mesures à l’échelle de la pandémie, on assiste à la fermeture égoïste des nations sur elles-mêmes ».

Mais d’autres questions taraudent l’esprit : quels sont les risques du confinement ? A quoi s'attendre quand on demande à la population d'un pays entier de rester chez elle pendant dix jours, deux semaines, un mois, voire plus ? Quels vont être les effets sur son mental, sur nos comportements sociaux ? Et quelles pathologies pourraient apparaître ? 

 Car, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes inégaux devant ce confinement. Cela est  en fonction de notre habitat, notre situation personnelle, nos moyens de résilience, nos moyens financiers, notre état de santé mais avec des constantes à l’intérieurEt c’est très difficile à le vivre,  car le confinement ne fait que distendre les liens et renforcer l'isolement et l'ennui. De fait, le confinement peut entraîner la destruction du lien social et ses conséquences sont variées. 
De fait,  cette pression sociale, construit alors le modèle de ceux qui y arriveraient en étant forts, en ayant accès à la culture ou à des habitudes culturelles riches. D’autres qui vivent seuls, les dépressifs, les pauvres, les laisser pour compte, ceux qui n’ont pas accès à la culture se retrouveraient alors sur carreau. Outre tout cela, il y a sans doute une dimension théologique.  Que dit la Bible alors ?


« Restez chez vous » à la lumière de la Bible

En parcourant la Bible, nous relevons notamment dans l’AT deux termes qui expriment l’idée de confinement ou de « restez chez vous ». Le premier terme hébraïque est kele’ qui veut dire emprisonnement, confinement, retenue, cachots  ( 2 Rois 22.27 ; 2 Rois 17.4 ; 2 Rois 25.27 ; 2 Ch.18.26 ; Es 42.7 ; Es.42.22). Tous ces versets bibliques donnent l’idée d’être privé de sa liberté par une juridiction. En tant que lieu de détention, la prison par définition, prive de liberté. Les personnes détenues sont en attente de jugement (en Maison d’arrêt ou cachot) ou s’acquittent d’une peine (prison) sous prétexte de mettre « hors d’état de nuire » les plus dangereux pour la société. 

Il importe de souligner que l’enfermement n’est pas seulement dû aux serrures et aux barreaux. Celui-ci est réel et certes. Mais, plus sournoisement, les personnes se découvrent enfermées et murées dans l’enfermement de la solitude, des regards qui pèsent sur elles, des jugements, d’une vie qui semble désormais sans issue. Être enfermé, c’est ne même plus pouvoir imaginer qu’on puisse s’en sortir un jour.  

Le second terme s’oppose au premier (c'est important de le noter). Ce terme est cheder [kheh’der] qui signifie chambre, pièce, dedans. Il est utilisé plus de 33 fois dans la Bible. Pour cette étude, nous retenons en exemple le texte d’Esaïe 26.20 dans lequel se trouve le mot cheder  qui exprime l’idée de « Restez chez vous ». Il est écrit : « Va, mon peuple, entre dans ta chambre (cheder), Et ferme la porte derrière toi ; Cache-toi pour quelques instants, Jusqu'à ce que la colère soit passée ». Ce verset est une conclusion pratique complètant le second discours (Es.25.9-26.19). Pour un instant, le jugement de l’Eternel se déchaînera avec violence d’une tempête (Es.30.27 ; Jer 23.19), mais sera de courte durée (Es.10.25). Ainsi, Israël doit se placer sous l’aile de son Dieu jusqu’à ce que le jugement ait passé, et dans l’attente paisible de la glorieuse fin qui lui est promise. 

Le prophète termine ainsi , comme c’est le cas dans la plupart des tableaux bibliques, par un mot qui apaise le cœur et l’esprit : "Entre dans ta chambre" comme Noé dans l’arche (Genèse 7.16), c’est-à-dire: « re­cueille-toi et tiens toi tran­quille » et surtout « ferme (cagar) la porte (deleth) et cache (chabah)-toi ».  Il y a ici trois mots forts qui donnent l’idée de « Restez chez vous » :  Cagar (fermer), deleth (porte), chabah (se cacher). Ces trois termes sont allusifs à la sécurité. Le « Restez chez vous » ici consiste à aller dans sa chambre, s’enfermer et se cacher pour se protéger contre un danger. C’est aussi une manière de se mettre sous les ailes de Dieu : c’est-à-dire, s’assurer de sa sécurité. 

 C’est ce que Esaïe 30.15 dit : « C’est en revenant au repos que vous serez sauvés » ou Ps27.5 : « il me cache sous sa tente dans les jours du malheur….Il me tient abrité » (BS). Il n’est plus question d’enfermement ni de prison comme dans le premier cas mais de se mettre à l’abri. En Exode, les enfants d’Israël étaient enjoints de rester chez eux et de respecter certaines consignes (Ex 12.3-6), ainsi : « Quand l'Eternel passera pour frapper l'Egypte, et verra le sang sur le linteau et sur les deux poteaux, l'Eternel passera par-dessus la porte, et il ne permettra pas au destructeur d'entrer dans vos maisons pour frapper » (Ex 12.23).
C’est bien de mort qu’il s’agit dans ce texte d'Exode. Une mort qui a épargné Israël, mais qui a ravagé l’Égypte. Une mort qui a épargné le peuple de Dieu, mais qui a ravagé le monde. Une mort que ne fête pas Israël, mais dont il doit se protéger. Il doit suivre les consignes de « Restez chez vous » pour se mettre en sécurité.
          C'est quoi en effet la sécurité dans ce cas ? Le dictionnaire Larousse en donne cette définition : « Situation de quelqu’un qui se sent à l’abri du danger, qui est rassuré. ». Se sentir à l’abri du danger s’applique à différents domaines : sécurité matérielle, financière, physique, affective.  Pour pouvoir se sentir en sécurité, il faut avoir confiance. La sécurité est un besoin fondamental chez l’être humain. Le fait de se sentir à l’abri et rassuré, nous amène à la confiance. Et, la sécurité la plus sûre ne vient que d'une autorité, et la plus évidente est celle de Dieu.
 
Ainsi, le « Restez chez vous » doit nous être indispensable et vital aujourd’hui. Car, c'est un moment de refuge et de protection contre ce fléau qui commence à s'abattre sur nous comme les souffres de Sodome et Gomorrhe. C'est pour dire in fine que notre "Restez chez vous"  n’est donc ni un enfermement, ni une prison, ni une privation de liberté. C'est l'unique occasion de nous mettre à l'abri contre cette pandémie covid19 devenue l’ombre de la mort . Nous devons donc  entrer dans la chambre,   fermer la porte et nous cacher jusqu’à ce que la colère soit passée.

                                            RESTEZ CHEZ VOUS !

Prof Jimi ZACKA
Exégète









[1] John Robinson et Geoffrey GodbeyTime for Life. The surprising ways Americans use their time, 2e éd., Pennsylvania State University Press, 1999.

jeudi 19 mars 2020

« …"L'HEURE VIENT- ET C'EST MAINTENANT... " : Jn 4.23

(Et si le CORONAVIRUS remet la pendule à l’heure)

« Quel est l’homme qui va transformer l’homme? Quel est l’homme qui est capable d’ébranler nos profondeurs? Quel est l’homme qui nous émeut et qui nous conduira vers une véritable conversion? C’est toujours uniquement celui qui se convertit lui-même, celui qui est dans la vérité de la vie, celui qui se situe en face de Dieu, qui respire sa présence et qui communique son amour. » (Maurice Zundel, Ton visage ma lumière).


Introduction

Largement épargné jusqu’ici par l’épidémie de coronavirus qui submerge le reste de la planète, le continent africain commence à enregistrer des cas alarmants. Ce n’est pas encore la panique. Mais l’on sait tous très bien que nous sommes en train de basculer dans un autre régime d’existence qui risque de se prolonger longtemps après le passage (nul ne sait quand) de la pandémie. D’interminables heures à priori vides se profilent à l’horizon, la mise en quarantaine forcée oblige! On évoque le travail à la maison.
Ce n’est que le vent avant une probable tempête, dit-on ; il est nécessaire de renforcer la préparation pour un scénario qui verrait la situation empirer. 
Par ailleurs, les spéculations vont  bon train. Les chrétiens évoquent des signes de derniers temps. Les théories du complot fleurissent : pour certains, un virus a été créé en labo  C’est donc un cri de colère et d’indignation ;  d’autres pensent qu’avec le coronavirus,  des chefs d’État et dirigeants politiques complotent contre le peuple. Le président du Sénat philippin a lui aussi diffusé une vidéo estimant que l’épidémie avait été créée par la CIA, Bill Gates et dans le même paquet, George Soros, tout ça pour affaiblir la Chine.
En conséquence, que restera-t-il de cette pandémie dans le cœur des hommes de ce monde ? Cela changera t-il notre rapport à l’autre et par rapport à cette société de l’hyperconsommation ? Une nouvelle manière de vivre peut-elle naître d’une  telle pandémie? Quelle lecture en faire dans la perspective de la souveraineté de Dieu ? 
Au regard de ce qui est décrit, on pourrait se dire que l'heure est grave.  Et en disant : "l'heure est grave", on donne un signal. C'est le moment de faire quelque chose, ou c'est le moment où quelque chose va se passer en tous cas.  Dit autrement,  « …l’heure vient et c’est maintenant… »  comme Jésus le dit à la femme Samaritaine : c’est-à-dire, c’est l’heure de Dieu qui croise celle des hommes. Encore une astuce de Jean. Il invite à chercher quelle est cette heure, quand donc sera-t-elle arrivée, cette heure? C'est un fil rouge que Jean laisse filer au long de son évangile pour arriver à l'heure de Jésus.


L’heure de Dieu, l’heure des hommes


L’heure des hommes, aux dires de Jésus, est prise dans une autre heure : une « heure » de Dieu rythmée par un autre monde que celui du lever du soleil. Et cette heure annoncée  met fin  aux hostilités religieuses politiques et sociales. En d’autres mots, C’est l’heure de Dieu  qui  remet en cause l’humanité. Tout s’arrête et renvoie  l’homme face à sa faiblesse, à sa fragilité, à sa finitude humaine.
Ainsi par cette annonce  « …l’heure vient et c’est maintenant… », Jésus évoque une mutation sociale, politique  et religieuse. Il indique une réorientation vers un nouveau monde  qui met terme à celui de nos habitudes et de nos certidutes. Jésus fait savoir à la femme samaritaine que  Dieu n’est plus à chercher dans des lieux  ou dans des dogmes religieux : à Jérusalem, sur une Montagne sainte, ou à Samarie. Dieu est dans la rencontre entre un homme et une femme, un étranger et quelqu’un du pays, un Juif et une Samaritaine. Par-delà tout ce qui les sépare, dans cette conversation qui les réunit, Dieu peut être reconnu et adoré « dans l’esprit et la vérité ». Il peut l’être mais il ne l’est pas nécessairement. La conversation de Jésus avec la Samaritaine va révéler ce qu’il faut pour que le Père trouve les vrais adorateurs qu’il cherche : il faut d’abord renverser les barrières  religieuses et sociales. C’est là où  « L'heure vient - et c'est maintenant - où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l'esprit et la vérité car tels sont les adorateurs que cherchent le Père. »

En fait,  à travers la scène entre Jésus et la Samaritaine, se crée un échange libérateur entre Dieu et l’homme. Voilà deux personnages que tout sépare (l’origine géographique, le sexe, la religion) et qui vont faire une rencontre déterminante aussi bien pour la transformation de l’une que pour la révélation de l’autre. Dans un cadre hostile fait de sécheresse et de désert, le puits devient le lieu de la rencontre d’une nouvelle vie. A l’heure de midi, à un moment où la chaleur est au plus haut, Jésus fait apparaître son humanité. Fatigué du chemin, assis (v.6), il a soif et demande à boire. Il manifeste une fragilité humaine dont il ne sera plus question après. Cette demande n’est pas entendue par la femme. Le refus de la femme de lui donner à boire peut avoir deux motivations : soit « les juifs ne veulent avoir rien de commun avec les samaritains » (exclusion sociale). Dans le premier cas, ce serait par déférence pour Jésus (pour qu’il ne se rende pas impur), dans la seconde hypothèse, ce serait l’intolérance.  Ce que nous savons de l’histoire des Samaritains et de leur rapport avec les juifs va plutôt dans le sens de la seconde hypothèse : intolérance, discrimination, ou exclusion. 

Il reste que le refus de la femme  samaritaine est essentiel au récit puisqu’il permet à Jésus, l’assoiffé de le rester jusqu’à la fin du récit, et en même temps de prendre définitivement l’initiative, de renvoyer tout ce monde d’égoïsme et d’exclusion à la conscience de la femme samaritaine.

Jésus ne parle plus à la femme de l’eau qu’il lui offre; il va faire le nécessaire pour qu’elle puisse la recevoir. Tout est son œuvre; c’est ce qui caractérise l’activité du Seigneur dans cet évangile, l’homme étant considéré dans l’absolue incapacité de son état naturel. Jésus va placer cette femme en présence de la lumière divine; il l’y amènera par la conscience, faculté de distinguer le bien et le mal, que l’homme obtint par le péché. Pour que la conscience soit utile, elle doit être éclairée par la Parole de Dieu; sans cela, elle peut s’endurcir au point de ne produire aucun effet. Sous l’action de la lumière divine, le pécheur voit sa culpabilité, sa perdition, et il peut accepter la grâce. 

Pour produire cet effet chez la femme, Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari, et viens ici »  .  La femme répondit et dit: Je n’ai pas de mari ». Jésus lui dit: « Tu as bien dit: Je n’ai pas de mari; car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari; en cela tu as dit vrai» (v. 16-18). Par sa réponse, Jésus place la femme dans la pleine lumière de Dieu. Elle se trouve devant celui aux yeux duquel «toutes choses sont nues et découvertes» (Héb. 4:13). Aussi répond-elle: «Seigneur, je vois que tu es un prophète» (v. 19). Par la grâce divine, la samaritaine avait devant elle celui qu’elle désirait adorer, révélation de Dieu comme Père, qui, par lui, cherchait des adorateurs. Du coup, elle réalise que son  « heure » ne lui appartient plus. 

Ce temps-là, cette «heure», dont le Seigneur parle en disant: «L’heure vient et c’est maintenant» , s’écoule rapidement; c’est l’heure de la grâce dans laquelle nous sommes encore; que celui qui n’en a pas encore profité, se hâte de recevoir le pardon et la paix. Nous avons là une preuve de l’œuvre de Dieu dans la Samaritaine. Une œuvre réservée à une humanité en perdition, qui se croit suffisante. 

Tout à l’heure, elle évitait de rencontrer ses semblables à cause de sa mauvaise conduite; maintenant elle va leur dire qu’elle a trouvé un homme qui lui a révélé tous ses actes. Elle s’était trouvée dans la lumière de Dieu, où elle avait vu bien plus de péchés que les hommes de Sichar n’en connaissaient sur son compte, car ce que nos semblables savent de nos fautes ne saurait se comparer avec ce que Dieu nous fait voir dans sa propre lumière.


 « L’heure vient et c’est maintenant » pour l’humanité


Cet étrange et indicible entretien qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer ou concevoir entre Jésus et la femme samaritaine, n’est pas seulement libérateur pour les croyants mais également pour toute l’humanité. Cette humanité heurtée par une réalité indescriptible.
Car, Dieu sait mieux ce qui arrive à l’homme. Souvent il nous arrive de ressentir un malaise, un malheur de vivre mais nous ne voyons que confusément d’où il vient. Ou bien si nous le voyons, nous le refusons et nous accusons les autres ou nous même sans fin. Nous nous enfermons dans la culpabilité.  Et comme  Albert Camus le souligne  : « Je vais vous dire un grand secret, mon cher. N’attendez pas le jugement dernier. Il a lieu tous les jours. » Dieu, par Jésus-Christ, discerne le poids qui nous écrase sans pour autant nous juger. Ou plutôt, comme il n'agit pas sans nous, il nous permet de discerner progressivement ce qui nous paralyse et par le fait même il nous en libère. 

Pour preuve, c’est au bord du « puits du gouffre » que  l’humanité vient d’être frappée en plein fouet d’une façon brutale et soudaine par un virus, appelé coronavirus. Inconnu de tous,  il effraie, il ostracise, il met en quarantaine. Il interpelle l’humanité à une autre « heure » qui n’est plus la sienne. Car, cette humanité incarnée par la femme samaritaine, a besoin d’« eau vive ».  

Pourtant, entre le « maintenant » de l’entretien de Jésus avec la Samaritaine et le « maintenant » d’aujourd’hui, il y a une différence énorme : nous n’avons aucune chance de croiser Jésus et de nous entretenir avec lui comme ce fut possible pour la Samaritaine.

         Qu’est-ce qui nous assure aujourd’hui que c’est bien le Christ que nous rencontrons lorsque nous lâchons les « lumières de la raison » ? Plutôt que d’entrer dans la lumière de Dieu, ne risquons-nous pas de sombrer dans l’obscurité totale de la folie ? Ou bien encore ne risque-t-on pas de prendre n’importe quel gourou pour Jésus-Christ ? 

Ces risques sont bien réels. Mais ne l’étaient-ils pas déjà pour la Samaritaine ? Cette rencontre avec Jésus était tellement surprenante qu’elle ne pouvait pas vraiment croire qu’il était le Christ sans que sa foi soit confirmée par les gens du voisinage. Comme elle, nous ne pouvons pas recevoir l’assurance que c’est bien le Christ que nous sommes en train de rencontrer sans prendre un temps de réflexion sur ce virus. C’est « l’heure » de Dieu  qui vient nous heurter au plus profond de nous-même de façon la plus inattendue comme la Samaritaine au bord du puits.


« L’heure vient et c’est maintenant » pour la prise de conscience 


En Jn4.11-15 , la samaritaine est déstabilisée et accepte de se laisser entraîner par Jésus : son regard sur lui a changé, comme le montre le changement d’appellation. Il était d’abord « Juif » (v.9) ; il devient « Seigneur » (v.11), un être mystérieux (« d’où la-tiens-tu ») peut-être plus grand que Jacob. 

Ainsi, la femme est allée au bout de son expérience spirituelle Il lui reste à franchir le dernier pas dans cette plongée à l’intérieur du monde de la révélation. On pourrait paraphraser ainsi la prise de conscience de la femme samaritaine : « Et toi qui m’as annoncé ce que j’ai fait, es-tu le Messie, lui qui nous annoncera toutes choses ? ». Jésus se révèle alors : « Je le suis, moi qui te parle » (v.26). La femme peut alors partir en abandonnant sa cruche (v.28). Elle n’en aura plus besoin. Celle qui n’arrivait pas à assouvir sa soif de vivre et d’exister a rencontré quelqu’un qui a mis en elle une source de vie qui lui donne une autonomie et un sens. 

Ainsi, l’heure de Dieu nous porte à la réflexion, à la prise de conscience même si elle laisse en nous parfois une pointe de peur, de panique, d’interrogations. C’est quoi cette prise de conscience ? 

ll s’agit en réalité d’une capacité à se remettre en question, à réaliser le chemin parcouru et les obstacles rencontrés, tout en étant capables d’en relativiser les conséquences. Il n’est pas évident de se regarder dans un miroir et d’éviter de se trouver des excuses ou de ne pas ressentir certains doutes, certaines peurs (souvent infondées) de resurgir, obscurcissant notre jugement.

Car non, nous ne parlons pas du fait de simplement « comprendre » que l’on n’adopte pas toujours le meilleur comportement possible ou que notre système de pensée est influencé par telle ou telle source extérieure. Ce dont nous parlons ici, c’est d’une véritable aptitude à incorporer cette réflexion dans la définition de qui nous sommes, à en faire un pilier de notre développement personnel comme la femme samaritaine. 

La prise de conscience ne doit pas découler d’un désir de répondre à des canons ou à des exigences collectives, mais bien d’un examen basé sur l’individu, avec tout ce que cela implique comme spécificités.

Conclusion

Pour conclure, je fais mienne l’interpellation  de cet auteur inconnu : « Dieu nous parle…Maintenant que nous savons que nous ne valons pas grand-chose face aux événements tragiques qui s’imposent à nous, maintenant que nous découvrons que toute notre modernité et nos siècles d’avancées scientifiques ne peuvent rien face à un simple virus, maintenant que nous savons que les menaces qui pèsent sur nous ne distinguent pas d’entre Asiatiaque et Américain, le blanc et le noir, l’homme et la femme, maintenant que nous savons que le chrétien, le musulmman, le juif et le bouddhiste, le croyant et le non-croyant sont absolument égaux face au coronavirus, allons-nous enfin devenir véritablement frères, chemminer vers plus d’unité et moins de haine, vers plus d’humilité, et moins d’orgueil, vers plus de générosité et moins d’égoisme, vers plus de paix et moins de guerre ? »

Posons-nous la question de savoir pourquoi un simple virus devient une pandémie qui vide les rues des villes, suspend toutes les activités. Les avions sont cloués au sol, les écoles fermées, les lieux de divertissements fermés, mêmes les poignées de mains amicales interdites. Voire même que l’existence de nos habitudes s’arrête à contre gré ?

C'est tout simplement parce que  "l'heure de Dieu" (qui n'est pas la fin du monde)  nous renvoie à notre fragilité et s’efforce de nous éduquer, de nous donner des leçons, des signes essentiels afin de faire une pause et de nous interroger  sur ce que nous sommes réellement. 

Prof. Jimi ZACKA
Exégète