Introduction
Le livre des Actes des Apôtres met en lumière la dynamique missionnaire de l’Église primitive, en particulier à travers le ministère de l’apôtre Paul. L’un des épisodes marquants se trouve à Éphèse, où Paul, après avoir rencontré une opposition dans la synagogue, choisit de poursuivre son enseignement dans un lieu appelé l’« école de Tyrannus » (Ac 19:9-10). Ce détail, apparemment secondaire, est en réalité riche de signification.
L’école de Tyrannus représente non seulement un espace de substitution face au rejet juif, mais aussi un lieu de formation, d’incubation missionnaire et de diffusion stratégique de l’Évangile. La problématique de cette réflexion se pose de la manière suivante :
Comment l’École de Tyrannus, mentionnée en Actes 19:10, peut-elle être interprétée comme un modèle structurant de formation théologique, de mobilisation missionnaire et de diffusion de l’Évangile dans le contexte du ministère paulinien? Et en quoi cette expérience pédagogique éclaire-t-elle les dynamiques ecclésiales et missiologiques contemporaines, notamment en Afrique où l’ampleur du déni de formation devient de plus en plus systémique au profit d’un phénomène de prétendue « formation par le Saint-Esprit » ?
Ce qui m’amène à l’hypothèse suivante : L’École de Tyrannus, telle que décrite en Actes 19:10, constitue un modèle apostolique intentionnel de formation théologique et missionnaire, conçu par Paul pour répondre aux défis d’implantation ecclésiale, de structuration doctrinale et de diffusion stratégique de l’Évangile dans un contexte urbain et pluraliste. Ce dispositif pédagogique préfigure des dynamiques contemporaines de formation intégrée, particulièrement pertinentes pour les Églises africaines en quête de renouveau théologique et de mobilisation missionnaire contextualisée.
In fine, la pédagogie paulinienne à Tyrannus intègre formation théologique, enracinement spirituel et stratégie d’envoi, anticipant des modèles ecclésiaux durables. En effet, l’expérience de Tyrannus offre une grille de lecture pertinente pour penser la formation théologique en Afrique : contextualisée, communautaire et orientée vers la transformation. Cet article analyse le rôle de cette école en trois dimensions : (1) un lieu alternatif d’enseignement, (2) un centre de formation missionnaire, (3) un point stratégique pour l’expansion universelle de l’Évangile.
1. L’école de Tyrannus, un lieu d’enseignement théologique et missionnaire
Le texte d’Actes souligne que Paul « se retira de la synagogue et prit à part les disciples » (Ac 19:9). La synagogue, lieu habituel de prédication initiale pour Paul, devint un espace de rejet. Dès lors, l’école de Tyrannus fonctionna comme une alternative institutionnelle permettant la poursuite de l’enseignement.
Selon Longenecker (1995), l’école était probablement une salle de débats philosophiques appartenant à un certain Tyrannus, maître ou propriétaire grec. Elle fournissait à Paul un lieu neutre, hors de l’autorité religieuse juive, et donc plus accessible aux païens (The Acts of the Apostles, p. 504). Ainsi, ce déplacement traduit une rupture avec un cadre exclusivement juif pour ouvrir l’Évangile à un public plus large.
L’école de Tyrannus apparaît ainsi comme un espace singulier de formation théologique et de mobilisation missionnaire. Ce lieu, souvent négligé dans les études ecclésiologiques, incarne pourtant une pédagogie incarnée, contextualisée et stratégique. Paul y enseigne quotidiennement pendant deux ans, formant des disciples et rayonnant dans toute l’Asie. Tyrannus devient ainsi un laboratoire apostolique, un modèle de transmission doctrinale et de transformation communautaire.
Cette étude propose d’explorer la portée théologique, pédagogique et missiologique de Tyrannus, en interrogeant sa pertinence pour les contextes africains contemporains.
2. L’école de Tyrannus comme rupture avec les lieux religieux traditionnels
Bruce (1988) souligne que cet enseignement quotidien faisait de l’école de Tyrannus « un séminaire biblique avant l’heure, où Paul formait une génération de leaders chrétiens pour toute l’Asie Mineure » (The Book of Acts, p. 369). De fait, la suite du verset montre l’efficacité de cette stratégie : « tous les habitants de l’Asie, Juifs et Grecs, entendirent la parole du Seigneur ».
Le choix de Paul d’enseigner à Tyrannus, hors du cadre synagogal, marque une inflexion stratégique et théologique majeure dans le récit des Actes. Ce déplacement spatial n’est pas anodin : il symbolise une rupture avec les lieux religieux institués, souvent marqués par l’exclusion, le contrôle doctrinal et la résistance à l’innovation spirituelle. En quittant la synagogue, Paul ne renonce pas à la tradition juive, mais il refuse de se laisser enfermer dans ses rigidités. Tyrannus devient alors un espace liminal, un seuil entre le sacré et le profane, entre l’institution et l’inspiration.
Dans le contexte africain, cette dynamique résonne fortement. De nombreux mouvements de renouveau ecclésial ont émergé en marge des structures ecclésiastiques établies, dans des maisons, des écoles, des places publiques ou des espaces numériques. Ces lieux, comme Tyrannus, incarnent une pédagogie décentrée, ouverte à la pluralité des voix, à la formation incarnée et à la mobilisation communautaire. Ils permettent de penser une théologie en mouvement, libérée des carcans institutionnels, capable de répondre aux urgences spirituelles et sociales du continent mais malheureusement déniant souvent la formation théologique prônée par l’école tyrannus.
Pourtant, Tyrannus n’est donc pas seulement un lieu géographique : c’est un paradigme. Il invite à repenser nos espaces de formation théologique comme des lieux de résistance, de créativité et de transformation. Là où les lieux religieux traditionnels peuvent parfois reproduire des logiques de pouvoir, Tyrannus propose une formation théologique de la proximité, de la parole partagée et de l’envoi. C’est une école sans murs, mais avec une vision.
3. L’école de Tyrannus comme lieu d’être formé pour transformer
En choisissant ce lieu, Paul établissait une base missionnaire stratégique. Les disciples formés à l’école de Tyrannus devenaient eux-mêmes des missionnaires qui portaient l’Évangile dans les villes voisines comme Smyrne, Pergame, Laodicée ou Colosses. Clinton Arnold (2002) note que « la localisation d’Éphèse et la durée du ministère de Paul expliquent pourquoi l’impact de l’Évangile dans cette ville a eu des répercussions sur toute l’Asie Mineure » (Ephesians: Power and Magic, p. 34). Ainsi, l’école de Tyrannus n’était pas seulement un lieu d’enseignement, mais un laboratoire missionnaire dont l’influence dépassait largement ses murs.
Autrement dit, l’école de Tyrannus, telle que décrite dans Actes 19:9–10, n’est pas simplement un lieu d’enseignement, elle est un espace de formation stratégique, conçu pour produire des agents de transformation. Paul y enseigne chaque jour, non pour accumuler des savoirs théologiques abstraits, mais pour équiper des disciples capables d’agir, de transmettre et de rayonner.
Tyrannus est une école de la Parole incarnée, une forge spirituelle où la formation est indissociable de la mission. C’est aussi une réponse au déni de la formation. Trop souvent, les communautés chrétiennes sont fragilisées par l’absence de formation solide, contextualisée, accessible. Tyrannus affirme que la transformation durable passe par une pédagogie rigoureuse, une parole incarnée, une spiritualité engagée.
Conclusion
L’école de Tyrannus dans Actes 19:10 n’était pas un simple détail géographique, mais un élément clé de la stratégie missionnaire paulinienne. Elle fut :
-un lieu garantissant la liberté d’enseigner la théologie missionnaire ;
-un centre de formation missionnaire où Paul instruisit et équipa ses disciples ;
-un point stratégique d’où l’Évangile rayonna dans toute l’Asie Mineure.
Cet épisode révèle que l’expansion chrétienne ne reposait pas seulement sur la prédication itinérante, mais aussi sur la formation de communautés et de leaders enracinés dans la Parole. L’école de Tyrannus peut ainsi être considérée comme un modèle de formation théologique missionnaire dès les origines de l’Église.
Par ailleurs, Tyrannus rappelle que la foi sans formation devient superstition ou manipulation. Lorsque la formation est négligée, les leaders spirituels sont souvent livrés à eux-mêmes, reproduisant des modèles autoritaires, magiques ou mimétiques. Tyrannus propose une pédagogie de l’accompagnement, du dialogue, de la maturation. Le déni de cette formation engendre des ministères instables, parfois toxiques, incapables de porter une vision durable.
En d’autres termes, Tyrannus est une école de libération. Son absence est une école de soumission. Le refus de former théologiquement les communautés favorise la dépendance à des modèles d'exploitation, à des prédicateurs affabulateurs, à des discours désincarnés. Tyrannus propose une pédagogie enracinée, locale, incarnée. Le déni de cette approche perpétue des logiques de domination, d’exclusion et de passivité.
Jimi ZACKA, PhD
Références bibliographiques
Arnold, C. (2002). Ephesians: Power and Magic. Cambridge: Cambridge University Press.
Bruce, F. F. (1988). The Book of Acts. Grand Rapids: Eerdmans.
Longenecker, R. (1995). The Acts of the Apostles. Grand Rapids: Zondervan.
Schnabel, E. J. (2004). Early Christian Mission. Downers Grove: InterVarsity Press.
Stott, J. (1990). The Spirit, the Church, and the World: The Message of Acts. Downers Grove: InterVarsity Press.

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