dimanche 19 avril 2020

L’ANGOISSE DES DISCIPLES [1]: Approche exégétique et anthropologique de Marc 4.35-41


Dans ce temps de crises, la vie humaine paraît être prise dans les bourrasques de l’existence. L’homme est en ce moment balloté : les vagues du découragement l’assaillent, l’horizon est bouché. Il craint de sombrer sans retour. En effet, le monde tourne autour d’un seul et même sujet : le coronavirus. Il imprègne nos vies, nos pensées, nos conversations jusqu’à l’épuisement de tous les sujets. Du coup, cette pandémie du coronavirus ne contamine pas seulement notre rapport au temps, à l’espace ou aux autres, il impacte aussi nos émotions engendrant ainsi une certaine crise d’angoisse. Une angoisse d’existence dans ce bas-monde.

Crise d’angoisse

    La réalité échappe ainsi à l’homme qui ne se sent pas protégé par le Dieu Créateur. La situation de la tempête apaisée en Marc 4.35-41 reflète exactement ce qui se passe aujourd’hui à l’être humain: les temps de bonheur et de paix sont alternés par des périodes d'épreuves et d’angoisse comme nous le voyons dans ce passage. Les disciples de Jésus s’affrontent à un événement plus ou moins brutal et déstabilisant, malgré la présence du Maître. Ils sont dans l’angoisse face à la tempête. Déplions donc le sens du mot « angoisse» qui décrit mieux l’attitude des disciples.
    L’angoisse est caractérisée par une forte crise de panique associée à une impression de mort imminente, d’une sensation de devenir fou ou perdre le contrôle de soi et commettre un acte anormal (par exemple : se jeter par la fenêtre, provoquer un accident, se rouler par terre en hurlant, ou se jeter dans l’eau en cas de chavirement du bateau…). Elle s’accompagne d’un sentiment de perte de contrôle de la situation. Les attaques de panique surviennent le plus souvent à un moment compréhensible, ne laissent pas d’autre séquelle qu’un mauvais souvenir et n’entraînent pas de modification du comportement et du mode de pensée : on arrive à reprendre la vie mais pas comme avant. Et c’est ce qui est arrivé aux disciples. Ils sont sous l’emprise de l’angoisse et de peur les amenant ainsi à ne plus rien savoir ni comprendre de ce qui leur arrive, à interroger le sens de ce qu’ils sont réellement, le sens de leur vie et le sens de l’événement dont ils sont témoins (v.25). En effet, le texte de Marc 4.35-41 nous présente un tableau des disciples désarçonnés. Mais de quoi s’agit-il ? Analysons d’abord de près deux occurrences constitutives de l’angoisse des disciples : la mer et la barque.
 
  La mer : lieu d’épreuves pour les disciples

    L’évangile de Marc est celui qui donne le plus de place à la mer. Elle y joue même un rôle central dans les chapitres 1 à 14. On relève, en effet, plus de quarante occurrences de ce mot et du vocabulaire marin[2]. On peut ainsi noter que le lac de Galilée est toujours appelé thalassa et non pas limmne (lac), reprenant par là l’hébreu de l’Ancien Testament qui utilise un seul mot yam pour désigner la mer et le lac, et même le fleuve. Et, comme Marc fait un lien explicite avec l’Ancien Testament dès le premier verset de son Évangile en citant Isaïe, on peut considérer que l’emploi du mot thalassa est porteur de toutes les connotations qu’il revêt dans l’Ancien Testament[3]. La mer a une valeur métaphorique claire : elle signifie au plus haut point les forces obscures qui s’opposent au Dieu de la vie. Un lien très visible est établi entre Jésus et la mer : tous les deux portent le même qualificatif « de Galilée ». On peut aussi noter que toutes les scènes d’appel des disciples (Mc 1,16-20 ; Mc 2,13-14), la majeure partie de son enseignement en paraboles (Mc 4,1-34), ainsi que de nombreuses guérisons, se passent au bord de la mer. Mais comme déjà susmentionné, il en fait également le symbole de la détresse et de la mort à laquelle l'homme ne peut s'arracher par lui-même.

    Du coup, la mer devient le lieu de reconnaissance de la puissance salvifique de Dieu. Maître des éléments, Yahvé est, en conséquence, le protecteur de l’homme au sein de la nature, le garant de sa viabilité dans l’univers. Sa création est remise à l’homme en toute liberté et à son bénéfice. Il peut alors l’accueillir comme le fruit heureux d’un dessein créateur. La domination de Dieu sur les éléments, en particulier la mer et le vent, est, en fait, une manifestation de son amour. Ainsi la confrontation à la mer peut-elle devenir moment privilégié du retournement de la plainte à la louange.

De même, la mer est l’endroit où se manifeste, comme en plein jour, le pouvoir divin de Jésus qui, comme Yahvé, peut dominer les éléments[4]. Vent et vagues se taisent sur sa parole « Silence, tais-toi ! »[5]. Est déjà symbolisée par là sa victoire pascale sur le chaos et les puissances du mal. C’est donc en ce lieu d’épreuve et d’effroi qu’il est donné aux disciples la possibilité de découvrir qui est vraiment Jésus de Galilée, Fils de Dieu : un sauveur créateur investi de la puissance de Yahvé. Reconnu à ses effets, semblables à ceux qui sont rapportés dans les grandes théophanies de l’Ancien Testament : « Alors ils furent saisis d’une grande crainte » [6]; « Et ils étaient intérieurement au comble de la stupeur »[7]. Ainsi est figurée l’expérience de rencontre déroutante avec un Jésus victorieux sur les forces démoniaques, que Pierre pourra nommer Christ à l’issue du troisième et ultime voyage en barque [8].

La barque, lieu d’enseignement des disciples mais aussi de leur angoisse 

    Les évangiles contiennent de nombreux passages dans lesquels une barque est le cadre d’expériences significatives pour les disciples en tant que groupe[9]. La barque a aussi une signification spéciale non seulement pour le groupe des disciples, mais pour la personne de Pierre.

– Dans la série des apparitions pascales, c’est depuis la barque de Pierre que les apôtres (Pierre, Jacques, Jean, Thomas, Barthélemy et deux autres), après avoir pêché une énorme quantité de poissons, reconnaissent le Christ Ressuscité sur le rivage[10].

– Jésus prêche dans une barque, vraisemblablement celle de Pierre, à la foule réunie sur le rivage[11].

– La foi de Pierre est confirmée par le Christ, devant les autres apôtres, après que le Christ lui ait ordonné de venir à Lui en marchant sur les eaux. Suite à cet épisode, les apôtres louent le Seigneur et s’exclament: “Vraiment, tu es Fils de Dieu!”[12].

    C’est dire que la relation entre Jésus et ses disciples est particulièrement associée à la barque qui apparaît comme le lieu central de leur formation et de leur apprentissage de la mission mais aussi de leur angoisse et du doute[13]

    Revenons à notre texte. Le passage de la barque prise dans une tempête est bien connu. Cet épisode se trouve aussi chez Mt 8.23-27 et Lc 8.23-27, inspiré sans doute de l’histoire de Jonas qui, envoyé aux païens, essuie la tempête : lui aussi s’est  endormi[14] ; grâce à lui aussi, le calme revient (Jon 1.15) et les passagers païens rendent grâce à Dieu[15]. Cette évocation est déjà pleine de sens : lorsqu’on s’embarque vers un monde hostile pour témoigner du Royaume, on affronte des tempêtes, mais la présence de Jésus est une sécurité. 

L’angoisse dans la barque

D’emblée, la traversée du lac est mise sous le signe d’une aventure périlleuse. Le « soir venu » (v.35) : la nuit, notons-le, dans la mentalité antique, est un moment propice au déchaînement des forces du mal[16]. Les eaux profondes sont, pour les terriens qui ont peur de la mer, le lieu par excellence où résident les esprits maléfiques. La rive opposée, à l’est de la Galilée, est le territoire hostile des païens[17]. Les disciples se trouvent donc embarqués pour ce qui ressemble à une rude épreuve. Il est intéressant de noter que pendant la tempête, Jésus dormait dans le bateau. De ce détail, nous apprenons plusieurs choses:

1.      La première chose qu’on observe est l'humanité́ de Jésus. Apres les grands efforts de ces jours, il était fatigué, épuisé, il avait besoin de repos et de sommeil. Ainsi, ni le bruit des vents, ou les martèlement des vagues, ni les mouvements du bateau, qui a inondé rapidement, ont pu le réveiller.

2.      Son calme pour dormir, au milieu de mer agitée, implique sa pleine confiance en Dieu le Père, qui ne peut jamais échouer. Nous nous souvenons aussi du sommeil profond de Pierre le soir avant son exécution[18].

En contraste, l’évangéliste Marc articule l’épisode de l’angoisse des disciples en trois épisodes : 

a.       L’attention se porte d’abord sur « les disciples » qui ont suivi Jésus. Ils subissent  une « bourrasque » (violente tempête, v.37a), qui signifie littéralement « un grand séisme » (laileps megalê anemou). Chez Matthieu, le mot évoque un bouleversement cosmique, celui marque la mort et la résurrection du Christ[19] et annonce la fin du monde[20]. Bref, les disciples affrontent une épreuve cruciales. Ainsi, Marc souligne le pathétique de la situation, les flots (tâ kumata) v.37b, se jetaient ((epiballô) dans la barque au point qu’elle se remplissait déjà. Il convient de souligner ici que le verbe épiballô est un terme grec trouvé 18 fois dans la Bible et qui exprime parfois une violence extrême. 

b.      Le v.38 prend ensuite une distance par rapport à la scène. Au cri spontané des  disciples « Maître, nous sommes perdus ; ne t’inquiètes-tu pas de ce que nous périssons (apollumetha) ? ». Le verbe apollumi[21] (employé 91 fois dans la Bible et 10 fois dans l’évangile de Marc )  qui peut signifier périr, être perdu, détruit, ruiné, est le mot qui marque le pic de l’angoisse des disciples. Dans la Bible, l’angoisse résulte de la confrontation à un destin inéluctable et le protagoniste s’en prend personnellement à Dieu conçu comme l’auteur de l’épreuve.  C’est le cas de Job qui évoque sa naissance :

« Périsse le jour où j’allais être enfanté (3,3)... Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein, à peine sorti du ventre j’aurais expiré (3,11)... Pourquoi ce don de la vie à l’homme dont la route se dérobe ? (3,23)... Quand cesseras-tu de m’épier, me laisseras-tu avaler ma salive ?Ai-je péché ? Qu’est-ce que cela te fait ? Pourquoi m’avoir choisi pour cible ? (7,19-20)»

      Le psalmiste, lui, reconnaît plus explicitement son péché, et en reste accablé, même  

      s’il accède au repentir. Le Psaume 38 pourrait avoir été prononcé par Job :
« Ta main s’est abattue sur moi.
Rien d’intact dans ma chair, et cela par ta colère,
Rien de sain dans mes os, et cela par mon péché...
Mes plaies infectées suppurent...
Sombre je me traîne tous les jours,
Car mes reins sont envahis par la fièvre »
    Rappelons qu’au summum de l’angoisse des disciples, au moins quatre d’eux, qui y étaient,  étaient des pêcheurs qui connaissaient depuis leur jeunesse la mer de Galilée avec ses tempêtes. Malgré tout, alors qu’ils ont lutté avec la tempête pour contrôler la barque, le Seigneur dormait. Pour eux, il semblait une attitude un peu irresponsable, donc il s'était réveillé́ à coup sûr au milieu des accusations. Ils (les disciples) devraient penser, « comment pouvez-vous être en train de dormir si calme au milieu de la tempête alors que nous sommes en train de périr ? » (v.38b).  

    Parfois, nous aussi  passons par des situations difficiles et nous avons l'impression que Dieu n’est pas intéressé́ à nos difficultés lorsque celui-ci ne répond pas à nos prières. Et parfois, nous sommes tentés de penser que Dieu Yahvé est comme le dieu Baal, pour qui Elie s’adressait à ses prophètes : "ne serait pas endormi ton dieu?"[22]

    C’est dans cette situation que nous comprenons que dans la peur, quelque chose de nuisible s’approche, mais susceptible de se dissiper. L’angoisse, au contraire, n’est pas sentiment d’un  être menaçant du monde, elle vient de l’être humain lui-même. La source de l’angoisse n’est pas une nuisance particulière, mais quelque chose de totalement indéterminé. Elle ne vient même pas de l’incapacité de décider ce qui est menaçant, elle indique qu’aucun être au monde n’est important. Le monde devient insignifiant. 

c.       À l’affolement des disciples, l’évangéliste Marc oppose comme en gros plan l’inconscience sereine de Jésus: il dort (katheudô) (v.38a). Lui, il n’est pas pris de panique ni angoissé : il ne se rend compte absolument de rien. Car ce qui fait la différence entre lui et les disciples, ce qui fait que ce même événement est vécu de manière complètement différente, ce n’est pas l’événement lui-même, mais c’est la conscience de l’événement : Jésus n’a aucune conscience de ce qui se passe. Ce qui provoque l’angoisse des disciples ici c’est la conscience qu’ils ont de l’événement. Au cri de ses hommes dans la tourmente que la mort menace (v.38b), Jésus se réveille (egeiro). Le verbe egeiro revêt plusieurs sens dans le NT. Mais, il peut vouloir dire : réveiller du sommeil ou du sommeil de la mort ou se lever. Ainsi, du point de vue théologique, le réveil (egeiro) de Jésus du sommeil apparaît comme la victoire de la vie sur la mort, de la lumière sur l’obscurité, du réconfort sur l’angoisse, de la joie sur la tristesse. Marc utilise le même verbe à la résurrection du Christ : « …lI est ressuscité (egeiro)… » (Mc 16.6). L’effet de ce réveil va changer l’ambiance vécue par les disciples.

    Il convient de souligner également que chez Matthieu, Jésus interpelle d’abord  la foi des disciples, puis donne l’ordre à la tempête de se taire. Chez Marc et Luc, Il commence par calmer la tempête pour déplorer ensuite l’absence de leur foi. 

    En effet, pour calmer la tempête, Jésus utilise le terme siôpaô qui veut dire : 1) se taire ; 2) ne rien dire ; 3) faire silence. L’évangéliste Marc aime en faire usage[23]. Pourtant, on trouve le verbe épitimaô ( réprimader d’une manière tranchante) choisi par Mc pour définir l’ordre donné au démoniaque de Caphernaum pour l’obliger à se taire (Mc 1.25). Ainsi donc, nous pensons que si Mc a choisi siopao c’est avec  une intention théologique précise. Notons d’abord  que ce verbe a été trouvé dans onze versets bibliques. Siopao est le terme qui indique l’abstinence de parole. Mais sur le plan métaphorique, Il ordonne à la mer d’être calme, tranquille. Aussitôt, par un merveilleux contraste, tout rentre à l’ordre (v.39c). C’est de Lui, Jésus Christ mort et ressuscité, que les disciples angoissés dans la barque, reçoivent l’assurance et le navire se stabilise. Fort de la force même du Christ, le chrétien ne se laisse pas déconcerter par les épreuves de l’existence. Il les regarde en face pour les affronter dans la foi avec beaucoup de réalisme.

L’angoisse, une lucarne d'espérance 

    N'oublions pas. En lisant ce récit, nous devons savoir que plusieurs des personnes qui accompagnent Jésus sont des pécheurs habitués de ce lac et en connaissent les risques. Ces mêmes personnes ont aussi été très proches de Jésus et ont pu être témoins des actes et des paroles de Jésus, or si Jésus peut guérir un paralytique à distance il ne devrait pas être tellement plus difficile de calmer une tempête. Or ce récit montre que l'on peut croire en Jésus, être chrétien depuis quelques temps, connaître les actes et les paroles de Jésus, mais ne pas le connaître plus profondément. Il suffit qu'une situation nous échappe pour que nous cessions de regarder à Lui et que notre foi vacille. C'est pourtant durant ces moments là que la réalité de notre foi (ou de notre manque de foi) se révèle. Job est un bon exemple du genre de réactions que l'on peut attendre d'un chrétien. Il a connu des catastrophes dans sa vie, y compris une tempête qui s'abattit sur la maison où ses fils et ses filles étaient en train de festoyer, les tuant tous en un même moment. Il est touché de très près par les catastrophes mais Il connaît son Dieu et se repose sur Lui. Dans l'évangile de Marc, c'est le Seigneur qui se repose, les disciples eux, sont effrayés et agités allant même jusqu'à reprocher à  Jésus de ne pas les aider à écoper. Est ce là aussi notre petite foi, ne voyant en Jésus qu'une solution à nos problèmes immédiats mais oubliant qui est vraiment Jésus ?  Beaucoup pensent que lorsqu'une "tempête" intervient dans leur vie, Jésus est absent, voir ignorant et indifférent de ce qui leur arrive.  Mais ce récit montre que les disciples étaient bien là où ils devaient se trouver, donc qu'il était bien dans la volonté de Dieu de se trouver pris dans cette violente tempête et non seulement cela, mais Jésus les précédait, les conduisait et se trouvait au milieu d'eux. Jésus commence par faire taire la tempête et  leur reprocher leur petite foi et il y eut un grand calme. (en voyant cela, les disciples auraient du se souvenir de passages tels que  Psaumes 65:7; 89:8-9; 107:24-34). 
 
    Marc a certainement choisi ce récit pour nous montrer, que Jésus est la réponse à notre besoin de paix et que Lui seul peut la satisfaire.  Aujourd'hui, beaucoup de personnes vivent dans l’angoisse de covid19, des conséquences des changements climatiques et du réchauffement de la planète, mais nous savons que Dieu est au contrôle et que rien ne peut arriver sans qu'il ne le sache.  Nous faisons tous aussi l'expérience de tempêtes dans nos vies, le stress, la suractivité, les responsabilités qui nous incombent ou que nous acceptons de recevoir. Souvenons-nous que ce monde ne peut nous procurer la paix après laquelle nous soupirons tous, c'est auprès de Jésus que nous pouvons la recevoir, nous serons aussi étonnés de trouver "ce grand calme".

    Car, cette angoisse a fait donner finalement aux disciples un sens à la manifestation du divin. Dès lors, ne pourrait-elle pas être considérée comme une «pré-grâce» du divin dans l’homme ? Si on en arrive à percevoir cette angoisse comme une forme de manifestation du divin, il serait erroné de la considérer comme n’étant qu’une conclusion logique de notre raisonnement, puisque celui-ci, en tant que tel, n’offrait pas et n’offre toujours pas de solution, et nous laisse avec une angoisse qui est comme le revers d’une même médaille. A nous de décrypter correctement le signe contenu dans cette angoisse, pourvu que nous restions à l’écoute et ne la rejetions pas pour différents motifs, souvent d’ordre personnel ou purement matérialiste. Rejeter le signe caché dans l’angoisse ne peut aboutir qu’à une situation plus tragique encore, sans aucune issue. 

    Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’angoisse est la petite lucarne dans l’ensemble de l’obscurité de notre réflexion. Elle laisse s’infiltrer quelques lueurs d’espérance, qui peuvent progressivement devenir désir. Le désir d’avoir plus de lumière, en particulier de l’ordre d’une éventuelle transcendance, est le maximum de ce que nous pouvons faire. A partir de ce moment, seul l’Eternel peut agir et nous aider à progresser. Une telle perception ne serait-elle pas une autre façon de présenter la complémentarité entre foi et raison où, certes, l’une et l’autre ont leur rôle à jouer, mais où la foi aurait une place existentielle qui manquait à la raison purement dialectique de la scolastique ? Cette perception n’est-elle pas plus crédible pour nos contemporains, qui ne rejettent pas a priori le doute et l’angoisse comme étant des attitudes, des étapes ou des démarches blâmables ? Cette vision ne renie pas la dignité de l’homme mais au contraire valorise ce qu’il y a de plus spécifique et de plus noble en lui, notamment sa raison et même les limites de celle-ci, qui se manifestent en l’occurrence à travers l’angoisse métaphysique ou existentielle. 

    Cette angoisse, une forme de constatation de notre finitude, est tout autant un signe du transcendant en direction de l’homme qu’un simple appel de la part de l’homme. Par cette expérience, traduite en termes de théologie chrétienne, nous identifions dans ce signe du transcendant une révélation de Dieu qui s’est manifestée dans le Christ mais qui se manifeste aussi sous d’autres formes, dans d’autres régions et d’autres cultures. Notre angoisse fondamentale est la même partout. Le Créateur est unique et aussi le même partout, depuis tous les temps. Son appel ne peut qu’être le même partout, même s’il se manifeste sous des formes diverses ou est reçu et interprété de façons différentes[24]



Prof. Jimi ZACKA
Exégète, Anthropologue








[1] Une réflexion exégétique et anthropologique de Prof. Jimi Zacka, qui est théologien, anthropologue, chercheur et enseignant à AK University et auteur de plusieurs ouvrages et articles. La réflexion de cet article met l’accent sur la notion de l’angoisse du chrétien face à une dure épreuve comme celle que le monde traverse aujourd’hui : le covid19 en faisant allusion à l’angoisse des disciples pris aux proies à la tempête.
[2] Thalassa tes Galilias (mer de Galilée) : 2 fois (1,16a et 7,31) ; thalassa (mer) : 17 fois en tant que lieu réel plus 2 utilisations dans une histoire (10,42 et 11,23) ; ploion (bateau) : 17 fois ; ploiaron (barque) : 8 fois ; embainein (embarquer) : 5 fois ; peran (l’autre rive) : 5 fois ; diaperan (traverser) : 2 fois ; elaunein (ramer) : 1 fois ; prosormizesthai (accoster) : 1 fois.
[3] Lire Chantal Reynier, La Bible et la mer, Cerf, 2004.
[4] Ibid, p.65.
[9] Voir par exemple : Mt 8, 23-27; Lc 8, 22-25; Mc 4, 37-41, Mc 6, 32,  Jn 6, 16-21
[10] cf. Jn 21, 1-8
[11] cf. Mt 13, 2; Mc 3, 9; 4, 1
[12] cf. Mt 14, 28-33
[13] Voir Mc6.50
[14] Jonas 1.5
[15] Jonas 1.16
[16] La nuit symbolise surtout l’état de l’homme égaré loin de la lumière de Dieu. Et c’est là que Dieu vient le chercher pour le délivrer : « Dieu choisit ce lieu de peur, d’égarement pour passer. Ses interventions la nuit tracent un chemin dans la Bible » souligne François Lestang. Ainsi, c’est de nuit que Dieu noue l’alliance  avec Abraham (Gn15.5 ; 12.17). C’est de nuit que Dieu fait sortir d’Egypte les Hébreux ( Ex12.42). Il en est de même dans le NT. C’est « durant les veilles de nuit » que l’ange annonce la naissance du « Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc2.8, 11). Jésus prie seul la nuit avant de choisir les Douze (Lc6.12), et c’est « à la quatrième veille de la nuit » qu’il rejoint en marchant sur les eaux la barque des disciples prise dans la tempête. Même la mort de Jésus sur la croix met en scène l’obscurité de la nuit, pour les évangélistes Mt27.47 et Lc 23.44. Enfin bien sûr, la résurrection a lieu de nuit, entre la fin du sabbat et l’aube du jour de la semaine (Mt 28.1). Lire F. Lestang, Ce que dit la Bible sur…la nuit, Paris, Nouvelle Cité, 2013.
[17] Voir à cet effet
[18] Ac 12:6
[19] Mt27.54 ; 28.2
[20] Mt 24.7
[21] Aussi, le verbe moyen de apollumi qui exprime l’idée de « perdition », « ruine », « destruction », non seulement rend attentif à la possibilité d’une révélation apocalyptique, mais donne aussi une description explicite de la haute mission confiée à Jésus, à savoir que la manifestation apocalyptique du « Saint de Dieu » est de jeter tous ses ennemis dans la confusion et de les vouer à l’échec.  Dans l’AT, l’idée de apollumi en premier lieu est pour une ruine et un anéantissement terrestres (Ex 21.26 ; Lv 26.26 ; Nb 32.15 ; Jg 16.24 ; Ps 8.14), mais aussi pour les jugements de Dieu sur les méchants ( Gn 9.11 ; 18.28 ; Dt 9.26). Mais,  apollumi semble être employé ici comme synonyme de « périr » ou de « mourir ». En effet, l’idée met la mort en opposition avec la vie.
[22] 1R 18.27
[23] Mc 3.4 ; 4.39 ; 10.48
[24] Cf. Joseph Moerman, « L’angoisse existentielle : une manifestation divine », choisir 2000.

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