samedi 25 avril 2020

LE "THÉOLOGIEN SOUFFRANT" : HOMMAGE AU Prof. FELIX MUTOMBO MUKENDI



 Si le Prof Félix Mutombo-Mukendi lisait le titre de cet hommage que je lui rends, tel que je l’ai connu, il éclaterait d’un grand rire. Mais, pour moi, l’expression "Théologien souffrant" revêt ce cachet particulier que je lui ai attribué depuis mars 2015 (période de notre première rencontre).   

Théologien "souffrant"? Il l’était vraiment. Non pas pour ses propres souffrances, mais face aux souffrances des autres, aux souffrances de l’humanité, aux souffrances du peuple opprimé. Cette forme de « souffrance » l’habitait régulièrement et suscitait en lui une rage indescriptible dans tous nos échanges.  

Dire Dieu à partir de la souffrance des hommes était sa source d’inspiration théologique. Ce n'est certes pas la première fois qu'un théologien affronte la question de Dieu à partir du cri de ceux qui souffrent. Mais les réponses sont parfois superficielles et moins engagées. Par contre, dans l’un de ses ouvrages, Le Fils de l’homme souffrant… (Harmattan, Sept. 2015),  Prof. Félix Mutombo Mukendi a dû donner un plaidoyer exégétique assez fouillé et documenté  pour nous  faire comprendre finalement que  le christianisme ne signifie nullement repli sur soi. Une Église ne peut que se dresser contre la tendance de battre en retraite dans la vie privée. En un temps de crise, elle doit s'impliquer plus que jamais dans la vie sociale. Le christianisme est une religion au visage tourné vers la souffrance du monde.
 

À ce titre, le « Théologien souffrant » qu’il était, donnait une autre définition du christianisme  : « Un christianisme sans l'amour n'est pas chrétien ! Un christianisme sans justice n'est pas chrétien ! Un christianisme sans l'éthique du Christ n'est pas chrétien ! Un christianisme sans souffrance n'est pas chrétien ! Un christianisme sans renoncement n'est pas chrétien ! Un christianisme sans leadership de service n'est pas chrétien ! ». Sa posture théologique s’apparentait à celle du théologien allemand Dietrich Bonheoffer qui soulignait avec raison que « Le Christ ne doit plus être l'objet d'une religion, un objet partiel, sectoriel, réservé aux gens pieux, mais le Seigneur du monde, pour tous ». Selon ses propres mots : « Jésus n'appelle pas à une religion nouvelle, mais à la vie. ». 

Il n'y a pas deux mondes séparés, deux espaces de souveraineté, un règne divin (ou spirituel) et un second de ce monde (ou temporel). Les deux mondes se sont rencontrés en Christ incarné et le christianisme doit entrer dans la sécularité. Une perspective christologique, avec Dieu,  c'est le Christ souffrant sur la croix, avec lequel nous sommes appelés à veiller. Le Dieu souffrant est le seul qui puisse nous aider.

Tous ces postulats mettaient Félix Mutombo-Mukendi à même de présenter de pertinentes synthèses, de faire de passionnantes mises au point, et surtout de proposer des analyses de textes bibliques particulièrement appréciées.

Prof. Félix Mutombo-Mukendi fut l’un des rares théologiens de haute facture que j’ai pu  rencontrer. C'était en Mars 2015  à Bangui, RCA (un pays qu’il connaissait très bien pour avoir fait une partie de ses études théologiques à la FATEB). Nous étions invités tous les deux (grâce au Pasteur Dr Philippe Kabongo Mbaya) par l’Observatoire Pharos pour animer une conférence sur la laïcité à l’Université de Bangui.  Depuis lors, nous étions définitivement unis dans une complicité non seulement intellectuelle et théologique, mais aussi très fraternelle. Il m'appelait toujours  "frère de sang".

 En effet, notre rencontre à Bangui était, pour moi,  l’occasion de découvrir un homme ouvert d'esprit, pétri d'une générosité exceptionnelle, mais aussi très intéressé aux apports des sciences humaines à la Bible et notamment à l’herméneutique biblique. D’ailleurs, toutes ses œuvres mettaient l'accent sur  « l’anthropocentrisme », comme souligné ci-haut, et retrouvait toujours une place dans le débat théologique.

Prof. Félix Mutombo-Mukendi  excellait dans ce domaine où réflexions théologiques et  valeurs humanistes se fécondent réciproquement, où le mystère du Christ se déploie dans toutes ses dimensions.  Éthique et « corps souffrant » constituaient le substrat de ses réflexions théologiques. Son acribie, servie par une pertinence sans bornes, le mettait à même de vérifier des hypothèses  et de donner des explications qui suscitaient l’admiration. 
  
Comme dans toute rencontre des biblistes (lui et moi),  j’ai dû me souvenir  d’une discussion que nous avons eue sur le récit de la résurrection de Lazare dans l’évangile de Jean 11 lors de notre séjour à Bangui.  Lequel récit nous aurait fait comprendre tous les deux que la rencontre avec le Christ est certitude de la vie, expérience de la vie malgré la mort, elle n’est pas immunisation contre notre condition humaine et négation de ce qui est le lot commun de toute l’humanité.

 Le récit de la mort de Lazare ne se termine pas après la rencontre entre Jésus et Marthe.  Il se poursuit jusqu'à aboutir à la vie. Le signe de la résurrection de Lazare, est pour Jean la manifestation de ce que la foi n’est pas une fuite en dehors de la réalité et du tragique de l’existence.  En conséquence, le sérieux de la mort comme ennemi agressif auquel Jésus arrache l’homme n’est pas négligé : le Jésus johannique lui-même y a été confronté. Dit autrement, l’angoisse devant la mort n’est pas synonyme d’incrédulité.  

Le don de la vie n’est donné que  par Celui qui accepte de se dessaisir de sa vie. Jésus accepte d’affronter et d’habiter la mort pour donner la vie : en donnant la vie à Lazare, Jésus est en marche vers sa mort. Pour Jésus, la résurrection c’est une personne, une relation de foi, relation exclusive, à cette personne : ce n’est pas une philosophie, une doctrine, une ascèse, une pratique, c’est une rencontre avec le Christ qui donne, à celui qui l’expérimente dans la foi, la vie malgré la mort. Il n’y a pas de vie possible sans deuil, sans séparation, sans mort. La mort est signe de vie. La vie n’est possible que par un passage par la mort (physique ou symbolique).

L’idée forte de ce passage en Jn 11, c’est que la rencontre avec Celui qui est la Vie opère un apaisement (v.27). Le pari c’est que l’absurdité de l’échéance de la mort est ébranlée par cette rencontre (vv.39-40). Par delà l’angoisse, la frayeur ou la révolte (v.21), il devient possible d’affronter  la mort, de vivre avec la mort, une mort vaincue par la vie non pas seulement demain (dans « l’au-delà ») mais dès aujourd’hui, jusque dans tous les instants d’une vie terrestre aussi courte et (apparemment) aussi pauvre soit-elle. Cet "aujourd'hui" a été entendu par le brigand repenti sur la croix suite à son "souviens de moi" adressé à Jésus (Cf. Luc 23.43)

Mon frère  Félix dort (Jn11.11) puisqu'il vit (v.26). "Le Fils de l'Homme Souffrant" a vaincu la mort. Lui-même l'a dit en ces termes : "Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?" (vv.25-26)
  
Je voudrais terminer cet hommage à Félix le "Théologien souffranten citant ce propos de Paul Ricœur, près de mourir, à une amie, elle aussi au seuil de la mort. Il est rapporté par Catherine Goldenstein dans la postface à Paul Ricœur, Vivant jusqu’à la mort (Paris : Seuil, 2007, p. 143-144) :

"Chère Marie
C’est à l’heure du déclin que le mot résurrection s’élève. Par delà les épisodes miraculeux. Du fond de la vie, une puissance surgit, qui dit que l’être est être contre la mort. Croyez-le avec moi."

Cher Félix, Que la joie de notre Seigneur Ressuscité t'accompagne dans ta dernière demeure après ton bon combat !

Reposes toi, bon guerrier !


Prof. Jimi ZACKA, PhD
Exégète, Anthropologue



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