Quoi qu’il arrive, le monde tourne sans nous. Pourtant, nous sommes condamnés à nous interroger sans répit sur le sens de la vie. Ad vitam æternam.
À quoi bon ?
À quoi bon vivre, agir ou se soigner, puisque la mort nous attend ? À quoi bon
nos travaux, nos soucis, nos désappointements et nos peines de cœur ?
"Du
lit à la fenêtre, et du lit au fauteuil, et puis du lit au lit ",
concluait Jacques Brel en parlant de nous. Pourquoi faire des efforts et se
tenir la main ? Pourquoi souffrir et pourquoi s’accrocher ? Que reste-t-il à
celui qui découvre – à jamais – le non-sens sous la routine ? Comment prendre
au sérieux ces maisons de poupée, ces villes-fourmilières, ce panorama de
dominos qui saute aux yeux dès qu’on regarde la Terre d’un avion ?
À quoi bon
cette promenade bouffonne dans le silence, cette aventure minuscule où nous
allons vaillamment d’un point à l’autre – de la douleur à l’ennui – avant de
mourir, demain, peut-être, bientôt, sûrement ? Qui peut dire sans arrogance que
son existence a plus de sens que celle d’un poisson dans son aquarium ?
Ces interrogations
soufflent l'exaspération dont chacun de nous souffre. La psychologue Sandra
Vimon pense que "L’exaspération résulte de l’incapacité d’un être à
intégrer le réel au travers de l’événementiel. Il réagit émotivement face à la
forme de l’événement… d’où l’absence de créativité réelle" En d'autres
mots, l'exaspération résulte de la colère et la déception relatives à l’ignorance
d’un événement. Cette ignorance résulte de l’incompréhension
de la vie, dont certains traiteront d’injuste ou d’ingrate. Mais la vie de
chaque individu est à sa mesure de faire face au réel, et ceci passe
impérativement par une forme ou une autre d’exaspération dans laquelle l’être
apprendra à ne plus réagir par la fuite, mais par une force personnelle qui
dépassera de loin tout ce qu’il aura connu auparavant.C’est lorsqu’on est en
proie au doute et aux questionnements que l'exaspération fait son doux lit en nous.
Les
disciples d'Emmaüs en ont fait l’expérience : Après la crucifixion de Jésus,
les disciples étaient exaspérés. Et sur le chemin d’Emmaüs, leur exaspération faisait
l’objet de leur conversation. C’est à cette occasion que "Jésus
leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent,
tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le
seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »
Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé
à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et
ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres
et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont
crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais
avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé.
(Luc 24.17-21) " Le "Nous, nous espérions que c’était lui qui
allait délivrer Israël." (v.21) est le pic d'exaspération des
disciples d'Emmaüs. Ils sont abattus, tristes (v.17), et ne savent quoi faire
(v.19).
Ils trouvent
que la mission de Jésus est absurde de lui donner un sens, car Jésus n'a pas
répondu à leur espoir. Soulignons ici qu’une personne qui
traverse des événements difficiles et qui vit l’exaspération ne comprend pas que
ces événements sont à la mesure de ce qu’elle devra un jour intégrer (v.18).
L’individu a l’impression de naviguer dans un terrain où tout hasard peut se
produire, et où il n’a aucun contrôle. C’est l’état moral des disciples d’Emmaüs.
Car, pour eux, Jésus était un « prophète puissant en œuvres et en paroles
devant Dieu et devant tout le peuple » (v.19) sur qui ils comptaient.
De
même, l’humanité se retrouve aujourd’hui dans l’exaspération d’être confinée
dans l’incertitude du lendemain. Les disciples
d’Emmaüs nous rejoignent dans notre propre expérience chrétienne. Le quotidien
de notre confinement est comme une route qui nous fait traverser toutes sortes
de situations et d’événements qui nous façonnent, qui nous exaspèrent.
Vivons-nous le quotidien du confinement avec cette foi en la
présence du Christ qui fait route avec nous? Je doute que le rythme trépidant
de ce confinement nous offre cette possibilité. Pourtant le Christ se présente
discrètement à nous comme le compagnon mystérieux qui écoute les joies et les
peines, les espoirs et les déceptions, les satisfactions et les faims, les
richesses et les pauvretés qui constituent notre expérience quotidienne de vie
confinée. Y a-t-il à travers tout cela un espace qui ne demande qu’à être
habité davantage par la présence du Christ, comme ce désir des disciples que
Jésus reste avec eux ?
Car, n’oublions pas que c’est dans l’intimité de leur maison
et d’un repas partagé que le Ressuscité se fait reconnaître aux disciples à
travers la fraction du pain, le signe de sa vie donnée par amour.
Prof. Jimi ZACKA
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